Novembre 2010 – janvier 2011 (relu en mars)
Collectif politique Lieux Communs – www.magmaweb.fr – lieuxcommuns gmx.fr
Le texte qui suit ne dit fondamentalement rien de nouveau : les faits comme leurs interprétations présentés ici sont connus. Nous nous tenons à ce qui nous semble être la lucidité, qui est encore la meilleure arme contre les illusions, l’impuissance, le désespoir. Pas plus nous ne visons l’objectivité ou l’exhaustivité : nous tentons de présenter ce qui nous paraît significatif, non au regard d’une humeur ou d’une quelconque science, mais en fonction d’un projet historique dans lequel nous nous reconnaissons, l’instauration par le peuple d’une démocratie radicale – ou directe ; une société où l’ordre ne serait plus imposé par une minorité dirigeante au nom d’une autorité extérieure, séparée et inaccessible – Dieu(x), Traditions, Nature, Lois de l’Histoire ou du Marché – mais où la liberté et la justice sont reconnues comme des questions toujours ouvertes et dont nous sommes tous directement responsables en tant que femmes et hommes dignes, libres et égaux (car c’est seulement à ce prix que nous le sommes effectivement). C’est de là que nous interrogeons le sens du mouvement d’octobre autant que de la société qui l’a produit. Ce sens n’est prédonné par rien ni par personne ; il ne dépend que de ce que les gens feront dans l’avenir. Nous parlons donc, autant que nous le pouvons, dans la perspective d’une autonomie individuelle et collective. Nous nous adressons donc en tant qu’égaux à des hommes capables de faire leur histoire, comme ils l’ont déjà faite dans le passé, et comme ils continuent de la faire, le sachant ou non. Enfin, ce n’est donc pas un bilan au sens propre : il aurait fallu pour cela un objet circonscrit, des critères admis, des objectifs clairs et des perspectives tracées. Mais c’est tout cela même qui fait question, au moins pour nous, au sein de ce qu’on appelle « le » mouvement social contemporain.
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Commençons par la surprise qui saisirait un observateur naïf du mouvement d’octobre 2010 :
- ce mouvement était prévu depuis des mois, mais il n’a été préparé ni par les militants syndicaux de la base, ni par les autres milieux ;
- la situation sociale a rarement été aussi catastrophique, l’avenir aussi sombre, et les élites discréditées mais les débordements ont été plus que marginaux ;
- les manifestations ont été très suivies, mais les grèves ont été globalement très faibles et peu étendues malgré quelques secteurs très localisés et très déterminés ;
- le mouvement très syndical a été chapeauté par une exceptionnelle « unité » des grandes centrales mais s’est conclu par une cuisante défaite, qui ne semble pas les désavouer, bien au contraire ;
- enfin cette déroute exemplaire ne semble avoir finalement désespéré personne...
A la fois cause et conséquence de tout cela, un très fort sentiment de répétition, de déjà-vu, a parcouru les cortèges, les assemblées, les discussions de ce mois d’octobre. Il devient évident aux yeux de tous que ce que les « mouvements sociaux » d’il y a quinze ans pouvaient avoir de « nouveau » ou de subversif s’est évaporé ou est devenu un rouage routinier. L’altermondialisme qui a pu un temps bercer ces espoirs s’est avéré n’être finalement qu’un regain de volontarisme qui se nourrissait en partie de la disparition du repoussoir que constituait l’empire soviétique. Même victorieux comme en 2006, les « mouvements sociaux » ne semblent plus aujourd’hui dessiner une alternative à quelque niveau que ce soit. Il s’en dégage alors comme un sentiment d’impuissance à seulement endiguer, à grand peine, de temps en temps, et par des soubresauts laborieux, l’acharnement de l’oligarchie à découdre ce que des siècles de luttes étaient parvenu à établir contre tous les pouvoirs. Celui d’octobre n’ayant porté aucun espoir sérieux, c’est tout naturellement que l’on se réjouit qu’il ait seulement existé...
Les syndicats
Difficile, ici, de ne pas évoquer les responsabilités, certes limitées mais massives et dans tous les cas lamentables, des acteurs principaux, les syndicats.
Comme tous les « mouvements-veto » de ce type, la ligne officielle est toujours strictement défensive. Il s’agit avant tout de demander un statu quo et de proposer la société telle qu’elle est comme unique horizon et seule cause à défendre. La position est d’emblée intenable : elle plaide la cause du petit peuple auprès d’un Etat-monarque, sans rien redire sur le fondement même de son existence indépendamment de ceux qu’il est censé servir. Et cela revient simplement à entériner les injustices criantes du fonctionnement actuel et donc à exclure d’emblée du mouvement des catégories qui auraient tout à gagner à un changement social radical. Mais il y a plus : les syndicats n’ont cette fois-ci jamais demandé collectivement le retrait du projet de loi : toutes leurs rodomontades n’ont jamais eu d’autres objets que d’exiger l’ouverture de négociations avec le gouvernement. La position n’est pas anecdotique et confirme leur attitude durant le mouvement, où toutes les tactiques de sabotage semblent avoir été utilisées : absence totale de préparation préalable à la base afin de garder l’initiative ; organisation de spectaculaires « journées d’actions » et de « manifestations » espacées pour épuiser le mouvement et éviter d’avoir à généraliser les grèves (postiers, enseignants, RATP, etc. qui ont été totalement absents – on a parlé de « grève - RTT ») ; isolement des secteurs (hôpitaux, éboueurs,...) et régions (Marseille,...) mobilisés au profit d’un secteur unique « fer de lance » (les raffineries) sur lequel tout repose ; utilisation opportuniste de la rhétorique du « blocage » ; etc.
Devant le succès croissant et inattendu des défilés nationaux, les confédérations syndicales en ont fait l’essence même du mouvement, tout en testant un nouveau dispositif de sabordage, à la fois spectaculaire et invisible : la division systématique des manifestations en deux cortèges défilant à Paris dans des artères parallèles pour se rejoindre finalement décalés dans le temps, voire, quelquefois, déboucher à deux endroits différents – place des Invalides et place Vauban le 19 octobre.
Pathétique constat, perpétuellement redécouvert, chaque fois à nouveau frais par une « base » qui veut continuer à n’y voir que des dysfonctionnements : les centrales syndicales actuelles n’ont plus rien de commun avec leurs ancêtres du mouvement ouvrier de la fin du XIXe siècle. Ceux-ci se voulaient, et ont été, de véritables contre-sociétés où bouillonnaient idées et initiatives, systématisant l’alphabétisation et l’éducation populaire. Ils ont ainsi constitué pratiquement le germe de ce qui est devenu après-guerre les grandes institutions de solidarités nationales, dont, faut-il le rappeler, le système des retraites par répartition.... Bien entendu, celles-ci se sont largement dénaturées en se bureaucratisant, s’éloignant de l’esprit initial comme du peuple au point d’apparaître comme des institutions étrangères créées par l’État. Car aujourd’hui les centrales syndicales participent activement à la propagation de l’insignifiance au sein même des mouvements sociaux : slogans insipides à base de novlangue publicitaire, infâme bouillie de mots en guise de tracts, sonos assourdissantes crachant les dernières merdes commerciales (drague fourbe et démagogique auprès d’une jeunesse déjà biberonnée au spectacle et qui mériterait autre chose)… Ces centrales entretiennent par cette « gay pridisation » la quête infinie de reconnaissance identitaire, la méconnaissance absolue de l’histoire des mouvements d’émancipation, et l’évanescence quasi-totale des repères les plus élémentaires.
Les syndicats n’ont donc en rien échappé à ce processus où c’est la société entière qui est perçue par ses individus comme extérieure à eux. Progressivement devenus des appareils bureaucratiques pratiquant le lobbying pour leurs seuls intérêts auprès des instances du pouvoir du moment, ils sont, de fait et depuis longtemps, un rouage totalement intégré au jeu institutionnel. Des guerres internes que se livrent les clans et les factions qui se disputent les postes et l’influence, les premières victimes sont évidemment les syndiqués eux-mêmes. Ces militants, souvent de bonne foi, ne voient alors d’autre alternative que de rallier la position trotskiste où la trahison des mauvaises directions explique les déroutes successives – argument que reprennent à profit les petits syndicats.
L’intersyndicale
Reste à constater que l’improbable « unité intersyndicale » qui a chapeauté le mouvement du début à la fin est due à une conjonction de facteurs.
On peut citer tout simplement la volonté de « la base » d’en découdre avec l’arrogance du président par l’intermédiaire d’un « front commun » le plus durable possible quitte à revoir à la baisse les mots d’ordre et les modes d’action.
Parallèlement, en refusant idéologiquement de jouer le jeu du « dialogue social », l’obstination gouvernementale a évidemment accompagné la formation de cette union contre nature. Dans le même sens, la loi sur la représentativité syndicale de 2007 a mis fin aux monopoles des grandes centrales : en instituant la concurrence entre chacun lors des élections, elle a incité à un alignement conformiste qui achève de faire des représentants syndicaux des candidats perpétuellement en campagne électorale.
Enfin, roués à l’instrumentalisation des luttes et conscients du décalage entre une agitation populaire tangible et la rigidité de leurs directions, sans doute les syndicats ont-ils trouvé dans leur « unité » matière à contrôle. Car en ayant le monopole des préavis, l’intersyndicale est ainsi capable de mettre fin d’une seule voix à n’importe quelle grève, en la rendant illégale. Et c’est ce qui s’est effectivement passé le 7 novembre, sans parler de l’étrange fin de la mobilisation dans les raffineries.
Quoi qu’il en soit, et même si comme d’habitude ce sont des franges de syndiqués particulièrement motivés qui ont forcés les centrales à rentrer dans ce qui s’est avéré un petit rodéo syndical, l’intersyndicale a gardé le contrôle du mouvement du début à la fin. Certainement les appareils syndicaux ont-ils été les premiers surpris par l’ampleur inattendue des manifestations (même si les chiffres ont été exagérément gonflés de part et d’autre) : il n’en reste pas moins qu’ils sont parvenus à n’en rien faire d’autre que ce qui était annoncé, un baroud d’honneur.
Les partis
Notons également que personne dans le jeu politique n’avait intérêt à ce qu’il en soit autrement : les petits partis de gauche pouvaient bien gesticuler, ils sont depuis longtemps résignés à appeler à voter « socialistes » au second tour de 2012. Et le PS, quant à lui, qui se tient coi pour recueillir les miettes du pouvoir qui s’effrite mécaniquement, ne semblait avoir aucune envie de faire passer lui-même, une fois au pouvoir, une réforme de toute manière dictée par les instances supranationales. Comme l’avaient déjà proclamés publiquement les décideurs inamovibles du parti, et notamment le probable candidat principal, Dominique Strauss-Kahn, bien familier des officines financières internationales, la liquidation au moins progressive de la retraite par répartition est indiscutable. De son côté, le chef de l’Etat a subi un fort discrédit, mais rien ne permet de conclure qu’il ne ressortira pas, à terme, renforcé par cette « épreuve de la rue » qui manquait à son image de petit chef mafieux.
Les media
Dans tout ce jeu insipide, les média ont joué le leur, largement rodé depuis au moins le mouvement anti-CPE de 2006. Les militants s’y laissent encore avoir, persuadés qu’utiliser le « Système » médiatique est sans effet-retour, oubliant que les comités de rédaction restent avant tout des marchands au prise avec une clientèle. Et les leçons des bourdes de 1995 ont quand même été tirées. Ainsi on les a d’abord vus accompagner sans retard les prémisses, rivalisant de « reportages » présentant les premières manifestations sous leur meilleur jour, donnant un large écho aux initiatives locales qui ne demandaient que ça. Les salles de rédaction vibrèrent donc de concert au fil de ce qui est finalement devenu des marronniers médiatiques : le rapport de force entre les syndicats et le gouvernement ; les multiples « questions de société » qu’il soulève ; les débordements autour des établissements scolaires de banlieue (minimisés : là aussi, leçons des émeutes de 2005...) ; la violence de la répression policière, le spectre du blocage du pays doublé de celui de la pénurie d’essence ; l’annonce sans doute trop insistante de l’entrée des étudiants dans la lutte, etc. La petite musique se changea au fil des semaines en refrain, puis tout bascula, comme il se doit, lors de l’adoption finale de la loi par le Parlement et le Sénat. En l’absence de nouvelles forces mobilisées, pourtant attendues, la fin du mouvement fut annoncée, donc décrétée.
L’actualité passa sans transition, le hasard faisant décidément bien les choses, de la singerie du remaniement gouvernemental aux gesticulations autour des primaires du PS. Puis les journalistes affrontèrent avec témérité une nouvelle menace de blocage qui pesait à présent sur le contribuable : la neige.
Le sentiment de mascarade n’a certainement jamais été aussi intense, chez tous les participants, dont l’absence d’espoir placé dans les mobilisations explique sans doute cette exceptionnelle absence de désespoir visible. Sans doute le terme d’apathie pour caractériser notre époque est ici particulièrement pertinent. Le mouvement d’octobre constitua le paroxysme de ce décalage saisissant entre la machinerie institutionnelle regroupant syndicats, gouvernement, partis et média qui gagnaient tous à ce que ce mouvement soit mené en bonne et due forme, et une population dont la rage diffuse et croissante ne trouve aucun lieu ni aucun langage pour son expression. Ce chassé-croisé extraordinaire crée une situation grosse de régressions monumentales comme de nouvelle donne : Pour la population comme pour les militants, elle nécessite la sortie des cadres de pensées et de pratiques pour la conquête d’une dimension proprement politique. Celle-ci ne pourrait se faire qu’à nouveaux frais - et personne n’en maîtrise les clefs. Si des tentatives existent en ce sens, bien peu prennent place dans le cadre d’un mouvement social. On peut essayer de caractériser quelques composantes nécessairement approximatives, mais nécessaires pour tenter d’y voir clair – ce qui semble aujourd’hui de la dernière effronterie. Elles se basent sur ce que les gens disent d’eux-mêmes, et font en situation, leurs options assumées ou non, bref tout ce qui peut contribuer à une auto-définition – toujours à la fois fuie et trouvée.
Les « mouvementistes »
Il y aurait, en premier lieu, l’ensemble très hétérogène de ceux qu’on peut appeler les « mouvementistes ». L’ensemble regrouperait militants syndicaux de base opposés ou critiques vis-à-vis de leurs centrales, salariés insatisfaits en grève et déterminés, jeunes travailleurs découvrant la lutte, précaires et chômeurs sans lieu privilégiés de rencontre et d’actions, gauchistes de terrains enrégimentés ou non dans un groupuscule quelconque, etc. Ils ont formé, comme à chaque mouvement, la frange la plus active et mobilisatrice, organisés à travers le pays sur une base territoriale, principalement en province comme l’ensemble des mouvements sociaux depuis dix ans. Confrontés à l’échec annoncé de la stratégie intersyndicale, ils se sont organisés tardivement en « AG interpro » (assemblées générales interprofessionnelles) – rebaptisées quelquefois « AG de ville » ou « citoyennes ». Leur objectif aurait été de constituer une sorte de comité central de grève anticipé, parallèlement aux syndicats.
Cette ambition à la fois tacite et affichée rappelle celle des coordinations de la seconde moitié des années 80. Mais elle n’en a pas les moyens et surtout elle en garde la pire ambiguïté : l’impossibilité d’analyser clairement le fait syndical actuel. A l’époque, les coordinations avaient réussi à s’imposer comme interlocuteurs incontournable et leur volonté d’instrumentaliser les machines syndicales permettait d’espérer en l’émergence d’un autre type d’organe de lutte. Mais la guerre menée depuis à l’encontre de ces initiatives autonomes par les centrales (l’abcès de fixation créé par la lutte des raffineries et dépôts étant une stratégie parmi d’autres), l’apparition d’un syndicalisme « alternatif » (qui n’échappe déjà plus à la sclérose bureaucratique de ses aînés) et par-dessus tout l’incapacité, aujourd’hui devenue anthropologique, de concevoir un collectif durable qui ne se mue pas à terme en bureaucratie, ont eu raison de ces coordinations qui apparaissent aujourd’hui comme des prolongements finissants de l’après-68. Ces AG ont été le lieu d’un étrange et consternant chassé-croisé : les syndiqués y viennent convaincus (au moins instinctivement) de ne rien pouvoir faire pour convaincre leur direction sclérosée de se bouger, et ils rencontrent des militants persuadés qu’il faut absolument tenter de convertir les appareils syndicaux. De fait ces « AG interpro » mobilisent l’essentiel de leur énergie à cette tâche au point de ne rien pouvoir dire – ou faire – d’autre… L’ambition affichée de dépasser le monopole syndical s’est heurtée à l’absence de moyens et de volonté réelle d’en faire une critique radicale. Enfermées dans cette contradiction, les « interpro » se sont résignées au rôle d’auxiliaires turbulents, refuges volontaristes de militants impuissants. Aucun mot d’ordre, par exemple, soit le requisit minima, n’est venu gêner de quelques manières les manoeuvres des bureaucraties syndicales. Il en résulta les pires caractéristiques des assemblées contemporaines :
- confusion extraordinaire imbriquée avec un désir viscéral de mener des échanges consensuels pour conserver un semblant d’unité ;
- rivalités groupusculaires et luttes d’influences au milieu d’une majorité silencieuse prise au piège de la contestation consentante ;
- va-et-vient permanent et dilatoire entre des actions directes sans cohérence ni direction et des essais d’analyses encombrées de slogans incantatoires ;
- finalement, dissociation fondamentale entre les mots et les actes qui ne peut mener qu’à des poses aux prétentions démesurées, bluffs qu’internet démultiplie à distance.
Ces traits se répercutèrent, évidemment amplifiées, dans les quelques « AG des AG » organisées nationalement. Sans doute ces formes pourraient-elles constituer des ferments pour une société qui se réveille confrontée à une réelle paupérisation telle qu’elle se profile. Mais ces AG, aujourd’hui rituel vide d’une tradition morte, seraient alors rendues méconnaissables.
Sans moyens pour étendre les grèves, les « mouvementistes » reprirent le mot d’ordre de « blocage », pour tenter, à raison, de s’extraire de la centralité de la grève aux ordres et de l’emploi stable rendu rare. Mais si les pratiques salutaires qui y sont associées ne datent pas d’hier, le terme est malheureusement devenu un mot-clef qui semble se suffire à lui-même, et qui masque tous les effets éminemment ambivalents. Un des principaux est qu’un tel appel évite l’affrontement direct avec les bureaucraties syndicales, dont il n’est pas certain qu’il ne soit que tactique. Et de manière strictement complémentaire, les centrales syndicale l’utilisent à présent comme substitut pour éviter d’avoir à mobiliser les salariés fragilisés et / ou corporatistes rivés à leur poste, qui risquent toujours, une fois mis en mouvement, de leur échapper. La « forme grève » est bien mal en point aujourd’hui, moins du fait des mesures coercitives ou de la fragilisation générale de l’emploi que de l’attitude globalement attentiste des salariés depuis un demi-siècle qui ne jouent plus le rôle de garde-fou des ambitions patronales. Bien entendu, la question de l’action d’ampleur pour la dépasser est d’autant plus ouverte que la frange précaire du salariat va grandissante. Reste que le projet d’obtenir une paralysie du pays par l’action directe n’est aujourd’hui qu’un fantasme verbeux qui feint d’ignorer la réalité territoriale, sociologique et policière de la France actuelle. Sans parler de la défiance de toute la population pour les démarches dites « révolutionnaires », a fortiori celles qui prétendent parler en son nom tout en cultivant un univers qui lui paraît aussi étranger que baroque. Bref, cette façon de formuler une « solution » aux terribles impasses de notre époque en constitue également une, qui permet d’éviter un examen idéologique douloureux. Dans le contexte idéologique actuel, la prolifération des termes militants comme celui « blocage » ou de « résistance » ne peut qu’inviter chacun à se demander « de quoi », « à quoi » et « pour quoi »...
Le milieu radical
Le même univers mental, bien plus concentré, irrigue le milieu radical. Nommé par le pouvoir « mouvance anarcho-autonome », ses frontières avec les « mouvementistes » sont très poreuses. Il regroupe tout ce que le gauchisme a produit d’autoproclamé « radical » depuis quarante ans ; anarchistes individualistes, néo-ex-post-situationnistes, deuleuzo-foucaldiens, féministes postmodernes, squatteurs des beaux quartiers, écologistes anti-industriel, etc. Fédéré par un insurrectionnalisme maoïsant, ce petit entre-soi vit dans une apesanteur sociale qui ne lui permet pas d’avoir un impact politique tangible. Mais il constitue un aimant significatif pour une fraction de la jeunesse qui s’est éveillée à la chose politique sur fond d’altermondialisme, et a vécu successivement les attentats du 11 septembre 2001, l’accession de Le Pen au second tour, les politiques Raffarin, le mouvement social de juin 2003, le mouvement lycéen et les émeutes de banlieue qui s’ensuivirent, le mouvement anti-CPE l’année suivante et enfin l’élection présidentielle et ses suites. Et le contexte de crise profonde ne peut que grossir leurs rangs. Composé essentiellement d’étudiants très politisés, de jeunes en ruptures ainsi que de plus rares aînés, ces réseaux informels à l’immaturité foncière constituent un repoussoir pour tous ceux qui seraient tenté par un dépassement des formes actuelles de la vie politique et intellectuelle – et c’est à ce titre qu’ils sont évoqués ici.
Cohérents à un certain niveau, leurs discours millénaristes et leurs actions coup-de-poing durant le mouvement servent à réaffirmer pratiquement qu’ils n’ont rien à voir avec le vulgum pecus : à Paris par exemple, la tentative de blocage de gares de voyageurs (pour « bloquer le capitalisme » !) ou de pénétration dans l’Opéra-Bastille ont été des fiascos célébrés avec triomphalisme dans des communiqués hallucinés (au moins la Bérézina de l’occupation de l’EHESS en 2006 n’aura pas été reconduite). Leur tactique de provocation, qui consiste à se substituer aux « masses » pour l’initiative mais pas pour la répression, s’est totalement retourné contre eux : les gens, jusque dans leur propre rangs, les ont intuitivement assimilés aux forces de l’ordre, qui n’ont pas manqué d’user de la situation avec brio. Une telle posture pourrait permettre le passage à l’acte dans le cadre de manifestations sensibles à de possibles débordements, comme celles des étudiants anglais ou italiens de l’automne. Mais elle ne peut constituer d’issue aux révoltes violentes qui ne manqueront pas d’éclater dans les années qui viennent. Lorsqu’ils s’aperçoivent de leur inconsistance, c’est pour verser dans le réformisme le plus plat : on les a ainsi vus appeler à financer les opaques « caisses de grèves » des plus grands syndicats (qui délièrent miraculeusement à la fin du mouvement d’insoupçonnables bourses...). Leur avachissement idéologique répond à leur important turn-over et les condamne à ne rester qu’un rite de passage anthropologique pour une jeunesse souvent aisée mais transgressive qui ne s’égare si bien que pour mieux arriver, la trentaine pointant. Cette complémentarité, à la fois logique et temporelle, de la marginalité agitée et de la normalité blasée signe la fin d’une période historique où l’adolescence, alors brève, entraînait dans sa crise tout imaginaire de sa société.
On peut espérer qu’un ample mouvement populaire permettra un jour de se réapproprier, malgré eux, la visée d’une transformation radicale de la société dont ils monopolisent les termes, en les dénaturant. Encore faudrait-il ne pas oublier que leurs auteurs-fétiches sont ceux qui ont émergé de l’après-68, rationalisant son échec. En attendant, les lycéens actifs durant ce mois d’octobre leur paieront certainement leur tribut.
Lycéens de banlieue
Il en va tout autrement de la jeunesse des banlieues, dont l’activité de la frange lycéenne et collégienne a été particulièrement remarquée, bien qu’indépendante et parallèle aux rythmes syndicaux. Car elle n’a été reliée, au grand désespoir des « radicaux » qui rêvent de s’adjoindre une telle force de frappe sans en avoir aucun moyen, que par des fils très ténus aux acteurs traditionnellement centraux du mouvement social. L’absence des enseignants, notamment, a brillé du même éclat que lors de la mobilisation des lycées d’il y a cinq ans. Les profs terrés dans leurs établissements pendant que leurs élèves tentent, dehors, de se heurter au monde, est une image qui caractérise autant ce que l’on entend par éducation aujourd’hui que l’état d’émiettement du corps social lui-même.
La mobilisation des scolarisés utilisa autant les dispositifs militants convenus (grève, piquets de grève, manifestation) que les formes émeutières pour finir par ressembler à des monômes médiévaux. En Seine Saint-Denis, les saccages de magasins et les affrontements de rue quotidiens avec les forces de l’ordre, toujours décomplexées dans un tel contexte (avec hélicoptère et flash-ball), ont été tus par les média une fois passé l’épisode précoce de Montreuil. La simultanéité d’un embrasement comme celui de novembre 2005 avec un mouvement social corseté aurait provoqué une situation inédite, aussi grosse de régression de part et d’autre que de possibilités nouvelles. Mais la profonde désorientation existentielle de cette jeunesse sans perspectives élevée dans et pour le consumérisme et, pour une part importante, issue de l’immigration, semble de plus en plus s’exprimer en terme nihilistes, consuméristes ou ethnique - et de moins en moins pouvoir se formuler en terme politique. Cette véritable, et seule, force populaire et vivante, sans horizon mais pas sans espoir, se heurte à l’univers souvent irréel et cérébral des militants. Le sentiment mutuel d’étrangeté est tel que leurs interactions avec les quelques étudiants mobilisés furent émaillés d’incidents, sans atteindre les épisodes de 2005 et 2006, où des cortèges avaient été très violemment attaqués et, pour l’un, dissous. Ces événements ont largement marqué les esprits des manifestants d’alors et ceux d’octobre avaient pris leurs précautions. En vain, puisque n’a pas été atteint ce point attirant où la liberté et l’extraordinaire de la situation fait relativiser les règles jusqu’ici admises. L’enjeu est évidemment d’importance pour l’avenir et le contexte d’austérité croissante ne peut que le rendre plus crucial encore. Mais le cloisonnement dramatique de la société tendrait à faire de ce milieu un allié, pour l’instant objectif, des pouvoirs en place - du moins tant que rien n’ouvrira un avenir qui ne peut être fait de camelotes sociales ou identitaires.
Fin des mouvements sociaux
Tout porte à croire que le mouvement d’octobre 2010 clôt la période ouverte quinze ans auparavant par celui de décembre 1995 et, étrangement, sur le même thème. Les mouvements sociaux buttent sur l’héritage du mouvement ouvrier, dont ils voudraient être les continuateurs, mais sans pouvoir / vouloir constater que l’élément vital qui en avait fait la force et l’inventivité est sérieusement brisé. Les tentatives de dépassement de la situation, que ce soit par les « mouvementistes », les « radicaux » ou une certaine jeunesse de banlieue, sont lourdement lestées par les grandes caractéristiques de l’époque, qui forment bien entendu système : repli sur la sphère privée et apathie de la population ; confusion idéologique sans précédent et absence totale de projet politique positif même intuitif ; modification profonde de la société, des liens qui y sont tissés, et du type d’être humain qui y est formé. Ces traits ne sont pas conjoncturels : ils proviennent directement (sans aucunement en découler logiquement) de l’expérience historique du derniers siècle. Si autant de militants feignent d’ignorer les uns comme les autres, c’est afin de maintenir leurs illusions à n’importe quel prix, y compris celui de la cohérence et de la lucidité et, par-dessus tout, celui de tout lien réel avec la population. Le marxisme a dégénéré en autant de variantes que de formes de résistances au constat de la faillite de ce qui s’est avéré être le quatrième grand monothéisme. Il n’en reste aujourd’hui que le squelette judéo-chrétien où « l’occident » incarne tout entier, et à lui seul, l’impossibilité des « dominés », qui ne sont que cela, à accéder à un bonheur dont rien ne pourrait être dit - sinon qu’il ressemble furieusement au mode de vie occidental actuel. De ce point de vue-là, mouvementistes, radicaux et jeunes de banlieue diffèrent moins que les apparences ne le laissent entrevoir : ils sont le produits de leur époque.
Les reliquats du marxisme vulgaire dont la gauche semble organiquement incapable de se déprendre servent à escamoter les changements capitaux survenus durant le XXe siècle. Evidemment partie prenante dans ce naufrage, elle refuse d’en prendre la mesure alors même que leur prise de conscience s’est pourtant massivement installée dans les mentalités et les comportements de la population. On ne peut ici que schématiquement les résumer, sous forme de trois constats :
- l’échec global des mouvements révolutionnaires, soit qu’ils aient été écrasés dans le sang soit qu’ils aient provoqués l’engendrement, aux quatre coins du globe, les pires régimes que l’humanité ait jamais connus ;
- le développement exponentiel de la techno-science, et de son imaginaire de maîtrise rationnelle, qui a porté la capacité de contrôle, de destruction et de déshumanisation à un point inégalé dans l’histoire et qui pénètre aujourd’hui toutes les sphères de la vie quotidienne ;
- enfin, l’adhésion profonde et active au mode de vie « occidental » qui se présente aux yeux du monde entier comme le mariage de la liberté effective et du fantasme de toute-puissance, soit la promesse de l’illimité à porté de tous.
Évolutions insoupçonnables au XIXe siècle, elles sont devenues des évidences au XXIe, pour qui refuse tout à la fois les discours publicitaires du spectacle officiel et le racket idéologique des organes officiels de la subversion. Il semblerait que le peuple ait à recréer entièrement la culture qui lui permettrait d’affronter avec un minimum d’espoir les politiques d’austérités qui se mettent en place – et dont rien ne permet d’estimer le terme. La notion de crise elle-même, qui sous-entend conflit, tension, basculement, semble avoir changé d’enjeu. Ce n’est pas que les classes sociales aient disparu : c’est plutôt qu’elles ne polarisent plus deux univers en contradiction. L’alignement social, politique, culturel sur un modèle insipide à multiples facettes mais finalement unique, auquel tout le monde cherche à accéder est un signe criant d’un effondrement général d’un projet collectif, des valeurs qui y sont attachées, et d’un sens communément partagé. Ainsi l’incapacité ahurissante qu’a eu le gratin politico-intellectuel de « gauche » autant que les cercles militants à répondre à la manipulation gouvernementale qu’a représenté le funeste « débat » sur « l’identité nationale ». Leur impossibilité atavique à appréhender l’ampleur de la crise anthropologique que nous vivons en est un signe - et l’accompagne.
Une colère conjoncturelle
Ce qui a pu chercher à s’exprimer dans ce mouvement n’est a priori pas très difficile à cerner ; il suffit de lister l’actualité française des derniers mois, des suicides à France-Télécom au « débat » sur l’identité nationale, des séquestrations de patrons à l’omniprésence du discours sécuritaire, de l’annonce de profits et bénéfices indécents à l’humiliation de l’équipe nationale de foot, et tout dernièrement, l’expulsion des Roms, et, entre autres « scandales » (Clearstream, Karachi, … ) et encore plus directement, l’affaire Woerth qui concernait le ministre en charge de la réforme des retraites... Rarement la morgue et le mépris ont été aussi ostentatoires chez un gouvernement, tandis que les conditions de vie et de travail se dégradent progressivement depuis des décennies. Bien entendu c’est tout naturellement que l’épouvantail national, M. Sarkozy sur lequel la gauche aime tant gloser – et pour cause – concentre sur lui toutes les haines et les ressentiments.
Un vertige anthropologique
La question des retraites est ainsi hautement significative, de plusieurs points de vue. Retenons-en un, le plus radical : il y est question du traitement de la vieillesse, qui est sans doute une des caractéristiques fondamentales de l’humanité puisqu’elle sous-tend, pour une société, la capacité à transmettre d’une génération à l’autre la connaissance acquise le long d’une existence, soit la culture. Bien entendu la gérontocratie est également une des bases des ordres traditionnels, religieux, conservateurs, bref hétéronomes dans l’histoire. Mais la considération pour l’expérience n’est en rien une aliénation nécessaire : on sait par exemple le rôle central de l’expérience transmise entre classes d’âge dans les longues et multiformes pratiques quotidienne du mouvement ouvrier. Ici encore, la loi – la fameuse « réforme des retraites » - ne vient qu’entériner un état de fait constaté depuis longtemps : que la vieillesse dans notre société n’a plus lieu d’être, reléguée comme le passé et l’histoire à une place marginale, Zone honnie, par un faisceau convergent de phénomènes a priori séparés, qui en sont autant les causes que les conséquences : effondrement des fondements des connaissancees à transmettre ; développement exponentiel des techniques médicales ; stockage de tout le savoir humain parcellisé dans les réseaux informatisés ; jeunisme perpétuel matraqué par les industries de la propagande et du divertissement ; etc.
Faire disparaître la vieillesse, dans des mouroirs ou dans les Pôles-emploi, dans les cosmétiques ou le langage, peut (et doit dans une certaine mesure) être interprété comme une course à la productivité et au rendement a court terme. Mais il faut comprendre et celle-ci, et ceux-là, et ce qui les rend envisageables aujourd’hui – et pas hier, désirables par certains, et tolérés de fait par tous.
Derrière la vieillesse, c’est la solitude, c’est la maladie, c’est l’angoisse, que l’on évacue. C’est tout ce qui marque les limites et, finalement, la limite de l’existence qui est dénié, au profit d’une liberté conçue non comme l’invention de ses propres bornes, mais comme leur absence totale. Il y a en filigrane certainement la plus souterraine, la plus massive et la plus terrible tendance de l’évolution de la civilisation occidentale, la plus formidable transformation qu’aucune société humaine n’ait vécu : la mort de la mort, la disparition sensible de toute conscience de la mortalité, de la finitude et de tout ce qui lui est lié et peut lui donner sens, soit, de proche en proche, de toute l’institution humaine. Pour le dire simplement : la mort ne se dit plus, ne se vit plus, n’est plus là, symboliquement dans aucun lieu, aucun temps, aucune figure (fût-ce celle du néant), donc n’existe plus, fantasmatiquement. En retour elle sourd bien entendu de partout, surgissant à chaque instant et à toute occasion, chacun vivant sous la menace indicible d’un danger inconnu, ouvrant grand les portes de la peur du voisin, de l’avenir, de l’obsession de la violence et de la demande de protection.
C’est bien cela la petite monnaie de l’alliance objective entre les mafias au pouvoir et le banditisme nihiliste, ou encore de la dérive catastrophiste de l’écologie contemporaine. Et il est clair que les mécanismes capitalistes, ou en tous cas la poussée vers l’accumulation illimitée, la recherche infinie de puissance, l’expansion de la volonté de maîtrise, sont ici pleinement à l’œuvre : certes dans la formation de l’être humain d’aujourd’hui qui ne tolère plus d’être pris au dépourvu, au contact de l’inconnu, et croit se réfugier dans le cynisme – mais aussi dans la trivialité d’une réforme des retraites qui s’échine à détruire des organes de solidarité issus, mais déconnectés, d’un des plus grands mouvements d’émancipation que l’humanité ait connu.
En toile de fond, évidemment, la crise dite « économique » qui semble refermer la période de transition qui nous séparait de la fin des « trente glorieuses » et qui interdit pour longtemps, chacun le sait, tout retour à cet « âge d’or » de toutes les gauches. Simultanément vécue comme une calamité naturelle passagère et un obscène racket organisé par les spéculations mondiales, elle participe silencieusement depuis une génération à l’érosion de tout l’édifice social, essentiellement axé autour de l’accès au pouvoir et à la consommation. Le constat n’est pas nouveau, il avait déjà été énoncé en 1995, et rejoint des considérations anthropologiques plus profondes : ce qui met en mouvement n’est pas la contestation du pouvoir en lui-même, mais les abus qu’il commet et qui sont vécus comme tels. Le double phénomène, auto-entretenu, de la bureaucratisation générale de toutes les institutions et de désengagement général de la population des affaires publique, fait apparaître cette société comme étrangère, extérieure, obéissant à des règles venues d’on ne sait où. On retrouve là des conditions sociales pacifiées qui prévalaient dans les sociétés traditionnelles, qui n’étaient nullement déchirées en leur sein comme le fut l’occident pendant au moins deux siècles. Aucun mouvement social contemporain n’a donc remis en cause la société telle qu’elle est : il conteste le prix du consentement tacite de chacun à l’ordre des choses, l’acceptation de la vie dans cette société étrangère qui devient, ou apparaît, trop élevé.
Contrat social miné
Mais ce principe de contrat est triplement miné.
D’abord et simplement par la dynamique des oligarchies mondiales, qui ne rencontre plus aucune force sociale conséquente depuis trente ou quarante ans pour s’opposer à leurs projets de mise à sac de toutes les richesses naturelles, culturelles ou humaines. Les peuples sont laissés à la merci des puissants depuis la disparition du mouvement ouvrier, évident depuis la pulvérisation des fallaces marxistes-léninistes qui l’avaient vérolé mais décelable dès l’après-guerre, puis l’affaissement des combats de moindre ampleur qui auraient pu en prendre le relais – féminisme, décolonisation, écologistes. Des révoltes locales ou des embrasements généraux, des révolutions mêmes sont largement possibles et même prévisibles dans ce contexte. Mais chacun sait que, sans un réveil que seul une mobilisation massive rendrait tangible, le chaos est plus probable que l’instauration d’une société fraternelle. En conséquence la posture insurrectionnelle que sous-tend tout mouvement social n’est actuellement qu’une pose, que les dominants actuels ne feignent même plus de prendre au sérieux.
Ensuite, et de manière bien plus prégnante, le contrat implicite est miné par la dégradation de l’existence humaine. Ses ressorts sont beaucoup plus profonds que la guerre sociale menée par les dominants, qui n’en est qu’une expression. Il est question ici de la disparition du sens de la vie, pour dire les choses simplement, de la joie de vivre, du plaisir d’habiter au sein d’un peuple, de la force tirée individuellement d’une identité et d’un projet collectifs, de l’élan d’une communauté qui s’enrichit de chaque nouveau membre qui y trouve sa place. Cette tabula rasa de ces fondements millénaires génèrent une angoisse et une souffrance qui imprègnent tellement l’air que l’on respire qu’elles ne sont même plus niées. Tout au contraire, elles sont présentées comme la contrepartie de la liberté de l’« individualisme ». Or ce qui est vu et vécu par chacun au fond de son être n’est pas une crise permanente due à un individu qui aurait à faire des choix douloureux en toute responsabilité, c’est au contraire un avachissement dû à l’impossibilité de répondre d’une existence moulée dans un conformisme qui n’assume même pas ses propres valeurs, contrairement aux traditions, us et coutumes d’autrefois.
Tout cela est enseveli sous l’amoncellement de bibelots, de jeux et de divertissement qui ne durent qu’un temps, malgré, ou parce que, hautement technologisés. Ils nécessitent un accroissement de dose, tout en délabrant les relations familiales, l’engagement politique ou les vocations professionnelles. Cela non plus n’est pas nouveau, et a été explicitement dénoncé - en Mai 68 par exemple. A contrario, les mouvements sociaux contemporains se battent pour le maintien de la société de consommation qui, en sa dynamique propre, ne peut que produire des individus insatisfaits, immatures, dépendants, en manque. Leurs réactions aux politiques de rigueur en cours sont – le développement des appareils policiers l’anticipe – pour le moins imprévisibles.
La fin d’un monde
Enfin, et cela est certainement historiquement « nouveau », le contrat entre l’Etat et la population est minée par d’autres tendances lourdes qu’on peut rassembler sous le triptyque « Nature / Environnement / Ecologie ». Tout ce qu’on entend sous cette notion a rencontré un succès explosif depuis les années 80 – qui n’est pas « écolo » ? - et charrie, ou annexe, tout un ensemble d’idées, de postures, de mentalités extraordinairement ambivalentes : aliments « bio », voitures « vertes », air « pur », médecines « douces », énergies « propres », matériaux « sains », préservation de la biodiversité, etc. Tout ce qui s’y rapporte est autant une simple exacerbation du « souci de soi » hyper-contemporain (santé, hygiène, personnalité, finance, cadre de vie, …) qu’une réelle appropriation des problématiques mondiales : le passage de l’un à l’autre est permanent. Pour s’en tenir juste au terrain politique, cela va des « décroissants » autogestionnaires aux authentiques fascistes obsédés par la pureté du sol, du sang, de la culture, en passant évidemment par le développement durable gouvernemental, les grandes industries en plein greenwashing, les entrepreneurs du « bio », les idéologies technophiles ou le primitivisme néo-rural... Ce qui surnage confusément, et en lien avec le « développement » effectif de certains pays des l’ex-« tiers-monde », c’est que le mode de vie occidental auquel aspire tous les pays n’est ni généralisable ni, surtout, viable. Ce qui s’instille massivement dans la conscience, c’est ce sentiment diffus que, par ce biais présenté comme incontestable, se referme inexorablement l’accès à la « société de consommation » qui a polarisé une bonne partie des luttes depuis des décennies. Mais, bien plus, que la situation de la planète devient partout très problématique, voire absolument cauchemardesque pour ces fameuses « générations futures ». Comme on dit, « on a mangé notre pain blanc », Sarkozy ou pas. La certitude qu’ont les parents actuels (ou grands-parents) que leurs enfants vivront « moins bien » qu’eux crée un malaise d’autant plus profond qu’ils savent pertinemment qu’ils n’y peuvent strictement rien, au moins pour une large part. Déterminer laquelle est bien tout l’enjeu de la question présente que l’époque semble s’échiner à rendre inextricable.
Rage contre un président arrogant, un gouvernement offensif digne représentant de l’oligarchie mondiale corrompue et cynique mais aussi ressentiment et angoisse face à une société qui s’effrite de partout, peu à peu de par sa dynamique propre, et qui rend l’abondance matérielle pour tous de moins en moins possible par son pillage et la destruction des ressources naturelles – tout cela s’exprime contradictoirement dans les ambiances des cortèges des manifestations, et dans le désarroi que provoque toutes discussions politiques sérieuses sur le sujet. Celles-ci dérivent spontanément et très vite vers des considérations sur la raréfaction de l’eau potable, la surpopulation et les crises alimentaires, le réchauffement climatique,… Il est vrai que l’été précédent était dominé par une actualité « écologique » particulièrement sombre : la plus grande marée noire de l’histoire dans le golfe du Mexique, canicule et incendies spectaculaires en Russie, inondations diluviennes au Pakistan, sans parler des orages et crues hexagonales qui semblent en une nuit mettre sens dessus dessous une des plus grandes puissances mondiales. Tout cela dépasse bien entendu de très loin la question des retraites et en même temps s’y ramène d’une certaine manière, ou en tous cas s’y confine, le temps d’un conflit social. Mais, là, ces questions sont soigneusement tues, alors mêmes qu’elles affleurent ailleurs en permanence.
Critique écologiste
Rien ne montre mieux l’effondrement permanent de tout ce qui se dit « de gauche » que l’argumentaire utilisé pour contrer le projet de loi sur les retraites : ramenant toute l’affaire à un calcul gestionnaire, il démontrait brillamment qu’il suffisait de maintenir une croissance à 2 % durant les cinquante prochaines années pour maintenir le système de retraite par répartition... Comment dire plus clairement l’adhésion aux fondamentaux de cette société hiérarchisée, consumériste et dépressive que cette nostalgie de l’essor capitaliste de l’après-guerre, cette crispation aveugle sur un statu quo ante ? Le plus frappant n’est certes pas cette paralysie mentale qui couvre une addiction qu’on dirait organique à la société de consommation, et qui a été formulée il y a des décennies : c’est plutôt l’incapacité, pour ceux qui en sont convaincus, et ils sont nombreux, à affirmer et à faire valoir des positions alternatives dans le cadre d’une mobilisation collective.
Il est très significatif que les seuls à tenter de le faire soient certains écologistes, parmi les plus radicaux et pas nécessairement encartés, c’est-à-dire ceux qui vont chercher dans les contraintes extérieures la légitimité nécessaire pour transformer la société. Autrement dit, ceux qui font valoir plus volontiers que « ce n’est matériellement pas possible » - plutôt que « nous n’en voulons pas »... Et il est encore plus significatif qu’ils n’aient aucune visibilité lors d’un mouvement social tel que celui d’octobre. Il est vrai que les positions fondamentales de la plupart des jeunes militants de ces nombreux milieux n’ont plus rien de commun avec celles qui découlaient d’une (auto-)formation politique comme il en existait il y a encore vingt ans. C’est évidemment tout un héritage qui remonte au moins aux Lumières qui ne se transmet tout simplement plus, au profit d’un souci quasi-exclusif, ou en tous cas premier, de la sauvegarde de la biosphère. Peut-être cela constitue-t-il aujourd’hui la seule sortie praticable du marécage auto-entretenu que représente les absurdités gauchisantes. Mais, en se débarrassant de ce qui a effectivement largement contribué à tuer les mouvements d’émancipation du XXe siècle (ouvrier, régionaliste, féministe, écologiste, jeunes, minorités ethniques), ce sont les critères de jugement politique et sociaux les plus élémentaires qui se dissipent. Les revendications écologistes sur la question des retraites, lorsqu’elles existent, soit reconduisent toute la mécanique usée du marxisme-léninisme approximatif (volontarisme, économisme, scientisme,...) en s’alignant grosso modo sur les positions syndicales, soit ne font qu’entériner les phénomènes massifs de dépolitisation, comme, par exemple, la proposition, récupérée avant même d’avoir été subversive, d’un revenu garanti. Pourtant, rarement mouvement social aura-t-il eu une telle occasion de poser la question des fondements matériels de cette société.
L’occasion ratée de la « pénurie »
Qu’aurait été en effet le mouvement d’octobre 2010 sans la grève partielle et les tentatives de blocages des raffineries et des dépôts ? Certainement bien moins encore que le mouvement de juin 2003 sans les enseignants. Comme à l’époque, les syndicats ont annexé et dissous une lutte certes restreinte mais révélatrice d’une incapacité de la société actuelle à répondre au problème posé, avec la participation mitigée mais active des intéressés. Car la mobilisation commencée dans les ports six mois avant la rentrée ne portait pas sur la réforme des retraites : elle remettait en cause le démantèlement de l’activité de raffinage en France, au profit de nouvelles usines au plus près des sources d’extractions, notamment en Arabie saoudite, où les coûteuses normes environnementales sont quasi-inexistantes. Derrière la grève et le blocage des terminaux pétroliers se posait donc en toile de fond toute la politique énergétique et écologique européenne, voire mondiale, depuis la première crise pétrolière, soit certainement une des plus grandes transformations de l’histoire d’un occident dont l’opulence s’est physiquement bâtie sur une matière première qui aujourd’hui vient à manquer. Considérer que le « système trouvera bien une solution », c’est déclarer forfait à l’avance devant le prix qu’il faudra de toute façon payer lors de ce bouleversement que l’oligarchie gérera sans partage. Mais c’est surtout rationaliser une crainte animale en omettant de voir que la spécificité culturelle essentielle de cette région du monde (dite occidentale) depuis le haut moyen-âge était sa capacité à s’auto-transformer et que rien ne garanti le maintien de cette dernière. Tout indique au contraire son évanescence depuis une cinquantaine d’années. C’est bien cela qu’illustre le fait qu’il n’y ait eu aucune place lors du mouvement des raffineries et dépôts pour poser la question du levier de l’action lui-même, le pétrole. Cela aurait pu se faire en visant une réappropriation populaire de la source d’énergie principale du pays en commençant par le contrôle des établissements, entreprises, institutions à alimenter en carburant. Bien entendu, l’intériorisation de la mainmise syndicale, ainsi qu’un large, mais éminemment ambigu, soutien de la population (moral mais aussi financier et quelquefois physique) a empêché que l’idée soit seulement émise. Et c’est bien la préfecture qui a décrétée les secteurs prioritaires où devaient être acheminées les camions-citernes. Dire qu’il est utopique de chercher à établir un tel embryon de contrôle démocratique sur les flux intérieurs de matière première, (en attendant d’en poser pratiquement tous les enjeux sociaux et écologiques, sans parler des monumentales questions géopolitiques) revient à prendre le problème à l’envers : cela n’a même pas été évoqué parce que non seulement personne ne croit réellement à la possibilité de le faire mais, tout autant, chacun se refuse délibérément à croire à la fin déjà palpable de cet or noir sur lequel la société de consommation repose mécaniquement. D’une manière moindre mais analogue, et de l’autre côté, même si la situation en France n’atteint pas les dimensions prises en Grèce ou en Italie, la grève des éboueurs et déchetteries porte sur la première véritable production de nos sociétés : les ordures, loin devant l’agroalimentaire ou le divertissement. Sans cesse dérobée au regard, leur accumulation ostentatoire à l’occasion de ces luttes montre non seulement l’énorme travail humain investi dans l’économie du déchet, mais dévoile ce qu’est le consumérisme : non une recherche de confort, mais l’entretien d’une voracité angoissée par le renouvellement incessant d’objets à obsolescence incorporée.
Le même constat peut être à l’autre bout de la production, chez les consommateurs : la perspective d’une pénurie, même relative, brandie à dessein par chacune des parties, n’a jamais été l’enjeu explicite d’une remise en cause quelconque de l’hystérie quotidienne. Faisons abstraction des possibilités évidentes qu’avait le gouvernement de pallier à un quelconque manque de fioul, d’essence, etc. Il paraît évident que les soutiens aux raffineries auraient fondus au rythme du tarissement de la circulation automobile... La question du devenir d’un mouvement social qui ne s’arrêterait pas par l’abandon d’une des partie, est ici cruciale et met à nu autant les illusions gauchistes que la vie plébiscitée par la population.
Pourtant, la véritable addiction de cette dernière ne pourra être dépassée que de deux manières : la première, qui se profile évidemment, est celle d’une hausse progressive ou brutale des prix, comme cela s’est produit, curieusement, dans les mois qui ont immédiatement précédés la crise « financière », et comme cela se produira dès qu’un semblant de « reprise économique » se produira. Il est évident que c’est le principal scénario d’entrée dans une phase politique autoritaire comme l’occident en a perdu le souvenir. Les politiques d’austérité qui se mettent progressivement en place en sont certainement les signes annonciateurs. La seconde manière est justement le contexte de ce mois d’octobre 2010, et a été totalement évacuée. Pourtant de nombreuses réflexions en ce sens se faisaient entendre dans des milieux populaires que l’on ne soupçonnait pas – et à l’entrée de l’hiver... Sans doute vient-on de vivre collectivement pour la première fois, cette alternative, Peut-être une telle occasion se représentera-t-elle ? Mais il faudrait, pour y faire face, retrouver toute une socialité que le dernier siècle a progressivement effritée, une entraide spontanée au travail, une solidarité organique dans les quartiers, en famille et dans la rue, qui est à l’opposé exact du fantasme d’autarcie que véhicule l’actuel « égologisme » diffus. Le terme de réinventer serait plus adéquat, puisque ce qui a disparu dans les villes, et qui a fondé ce qu’on a appelé la conscience de classe, puisait dans le fond anthropologique des campagnes françaises traditionnelles – et bien entendu pas dans le principe des chaînes de montage... Peut-être l’immigration actuelle pourrait-elle jouer le rôle de l’exode rural d’alors, et nourrir la réapparition et la propagation d’une common decency - sans laquelle aucune crise, aussi profonde soit-elle, ne peut prendre de sens politique ? Et la culture « écolo-bio-bobo » constituer le germe d’une nouvelle conscience politique populaire qui viserait l’égalité pour tous ? On mesure ici à quel point les tendances actuelles prises dans leur globalité semblent, en tous points, exactement contraires à de telles perspectives...
Ce mouvement creuse l’écart entre deux grands bouleversements de la seconde moitié du XXe siècle qui s’entrecroisent : la disparition du mouvement ouvrier, visible dans les formes creuses des dispositifs militants contemporains, qui ne touchent plus que par une tradition irrémédiablement perdue, et l’émergence, historiquement fulgurante, du courant « écologique » dans les mentalités contemporaines, et qui s’enracine dans le vécu le plus quotidien. Les deux, pris radicalement, sapent les fondements les plus enracinés de la société hiérarchique et productiviste : le drame de l’époque est d’entériner leurs évolutions en les rendant antagoniques. L’enjeu n’a rien d’intellectuel et ne peut se réduire à une combinatoire de « critiques » qui s’accoupleront bien un jour : le mouvement ouvrier a été tué, entre autre, par l’invention de la société de consommation auquel il a contribué. Le courant « écologique » a de grande chance de l’être par l’instauration progressive ou brutale d’une paupérisation organisée par un régime se proposant de gérer, sans conteste, la pénurie.
On pourrait objecter qu’une dictature « verte » imposant - pour certains ! - l’austérité ad vitam aeternam ne pallierait jamais aux catastrophes écologiques en cours et ne pourrait donc pas advenir. Mais cela revient à croire que le consumérisme débridé de l’après-guerre a aboli la domination sociale que dénonçait le mouvement ouvrier.
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Représentatif à l’extrême des occasions ratées par les mouvement sociaux, celui d’octobre 2010 était à la croisée des chemins : leur imaginaire momifié, étroitement entrelacé à celui de la société contemporaine, ne pourra qu’accompagner le naufrage chaotique de celle-ci. Ils se réclament d’un courant qui appartient à un monde qui a disparu, sans arriver à voir celui qui arrive. Et la prise de conscience des limites physiques de la planète, quant à elle, ne se fond que trop facilement dans les discours de la rareté, de la rigueur, et de l’austérité que les oligarchies mondiales (pseudo-libérales ou pseudo-marxistes) reprendront progressivement pour perpétuer leur règne. L’enjeu ne peut être surestimé : il exige de comprendre la fidélité à l’inestimable expérience des mouvements d’émancipation des siècles passés non comme l’entretien de braises froides, mais comme la relation, perpétuellement réinventée, à une culture vivante et toujours en commencement. C’est tout l’enjeu des troubles qui s’annoncent aujourd’hui aux quatre coins de la planète et auxquels appartiennent en plein les bouleversements qui se déroulent, à l’heure de cette conclusion, au Maghreb et au Moyen-orient. Ils peuvent être les signes éclatants d’un affrontement aux épreuves qui s’imposent aujourd’hui à toute l’humanité - mais aussi les foyers du chaos qui s’avance. Ici comme ailleurs, c’est ce que nous voulons être et faire qui a besoin de nous, certainement pas tout ce qui fait que nous en soyons arrivés là.
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Eléments bibliographiques
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Arendt H., 1972 ; « La crise de la culture, huit exercices de pensée politique », Gallimard 2000
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Bookchin M., Foreman D. 1994 ; « Quelle écologie radicale ? », Atelier de Création Libertaire
Castoriadis C, 2005 ; « Une société à la dérive », Seuil
Castoriadis C. 1986 ; « Les mouvements des années 60 » in « La montée de l’insignifiance », 1996, Seuil
Châtelet G. 1999 ; « Vivre et penser comme des porcs », Folio
Denis J. M., 1996 ; « Les coordinations », Syllepse
Fargette. G., 2006 ; « Le jeu de dupes du CPE », Le Crépuscule du XXe siècle n°17
Fargette. G., 2009 ; « La crise économique comme régime durable », Le Crépuscule du XXe siècle n°21
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Lasch.C., Castoriadis C., 1986 ; « Combattre le repli sur la sphère privée », entretien BBC
Lefort. C., 1999 ; « La complication, retour sur le communisme », Fayard
Manin B., 1995 ; « Principes du gouvernement représentatif », Flammarion
Michéa J. C., 1999 ; « L’enseignement de l’ignorance », Flammarion
Melman C., 2005 ; « L’Homme sans gravité. Jouir à tout prix », Gallimard
Terrasson F., 1995 ; « La peur de la Nature » Ed. Sang de la Terre
Thompson E. P., 1963 ; « La formation de la classe ouvrière anglaise », Seuil
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L’activité du collectif Lieux Communs durant le mouvement
Le collectif et ses sympathisants (en tout une quinzaine de personnes) se sont impliqués en tant que tels dans le mouvement en Ile-de-France depuis les premières manifestations de 2009, jusqu’à la fin réelle du mouvement à la mi-novembre 2010. Leurs activités a essentiellement consisté en une présence occasionnelle en des lieux de luttes (déchetteries d’Ivry et de St-Ouen, raffinerie de Grandpuits, quartiers de banlieues du nord de Paris) ou au moments d’actions ; des interventions fréquentes en assemblées générales interpro, radicales et étudiantes et une diffusion de tracts et brochures lors de chaque cortège parisien, sous une banderole. Les positions centrales qui étaient exprimées en toutes occasions étaient formulées dans les cinq tracts distribués en tout à prlus de 12.000 exemplaires. Ils sont encore disponibles ici. Une réunion publique s’est tenue le 10 novembre à Paris (certainement un peu tard pour une réelle réflexivité au cours d’un mouvement, et un peu tôt pour un réel bilan) qui a rassemblée une vingtaine de personnes autour de nos problématiques et de la réalité de terrain.
Le tract principal, ainsi que le slogan de la banderole, était « Egalité des revenus pour tout le monde ! », dont l’objectif était de sortir de l’univers mental des revendications syndicales en reprenant ce vieux mot d’ordre du mouvement ouvrier. Il nous permettait d’orienter immédiatement les discussions selon trois axes : d’abord l’insertion de la question des retraites dans l’ensemble de la question salariale à travers l’absence de toute justification rationnelle à une quelconque hiérarchie des revenus ; ensuite, la nécessité de s’extirper du cadre de la société actuelle afin de poser l’ensemble des problèmes actuels sur un terrain où ils peuvent rencontrer un début de réponse ; enfin la possibilité de poser ainsi la question « écologique » d’une limitation de la consommation / production en échappant au piège de la pauvreté imposée par les politiques d’austérité. Ce dernier point a été particulièrement débattu avec nombre de manifestants à la sensibilité « décroissante » qui militaient pour un « revenu garanti ». D’une manière générale, et du fait de l’aspect « parachuté » d’un tel mot d’ordre, la réception de cette idée a été particulièrement vive, qu’il s’agisse d’un rejet viscéral de tout ce qu’elle impliquait ou au contraire d’une adhésion immédiate – quelquefois spontanément concrétisée par un coup de main au tractage.
Le second tract écrit pour l’occasion était « Pour des assemblées générales autonomes », qui semble avoir été particulièrement bien reçu et discuté. Il s’agissait de poser les bases de notre lecture des AG, victimes d’un processus de monopolisation progressive et systématique du pouvoir qu’il nous semble possible de contrer en se réappropriant quelques dispositifs éprouvés et surtout en développant une volonté d’analyse permanente des phénomènes de groupe qui s’y déroulent.
D’autres textes, antérieurs, ont également été distribués :
« Post-scriptum sur l’identité nationale » : il nous semblait important de faire un lien précis entre le développement du mouvement de l’automne et le « débat » qui a monopolisé l’espace médiatique plusieurs mois auparavant. La mise en question des mesures gouvernementales porte en elle le germe d’une société démocratique où les lois seraient crées, discutées et appliquées par le peuple lui-même : un tel projet, qu’on s’y reconnaisse ou qu’on le tienne pour nul, a laissé une trace importante dans l’histoire de France. Il nous semble que si l’on veut se référer à cette dernière en terme identitaire, c’est à l’application nationale d’un tel projet que nous pouvons porter attention, qui fonde une identité ouverte et un internationalisme concret.
« Ecole, éducation, société autonome » : s’il a cruellement manqué un texte destiné aux lycéens, ce tract permettait d’inclure, au sein d’un combat où la vieillesse était au centre, la question de la formation des nouvelles générations dans une société où la question du sens de l’existence individuelle ou collective se referme peu à peu sous les coups de boutoir du consumérisme, du divertissement et du conformisme.
« Crise économique et transformation sociale » : il s’agissait de donner notre interprétation générale de la crise financière de 2007-2008 et de ses suites possibles : protectionnisme, austérité, écocratie et dislocation géopolitique ou réappropriation populaire de la marche de l’histoire.
Les brochures données ou vendues à prix libre étaient principalement « Racines subjectives et logique du projet révolutionnaire », « Autogestion et hiérarchie » de C. Castoriadis et « Eléments pour une démarche politique » de G. Fargette. Elles sont disponibles ici.
Force est de constater que si la réception de nos documents et interventions suscitaient souvent la curiosité ou l’intérêt (la fréquentation du site http://wwwmagmaweb.fr a par exemple plus que doublé), leurs effets visibles sont, sans être nuls, particulièrement faibles. Le bilan de nos activités reste à faire, tâche rendue d’autant plus difficile qu’à la faiblesse de nos effectifs répondent les tendances les plus lourdes de l’époque. Le cheminement de nos convictions est sinueux et souterrain, mais qu’elles parviennent à rencontrer et toucher quelques cœurs épris d’égalité, de justice et de liberté, et chacun des efforts que nous avons pu déployer en aura valu la peine - et rien n’aura été vain.
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