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3 – « L’immigration construit et enrichit économiquement le pays d’accueil »
C’est un des mantras de l’oligarchie médiatico-politique depuis trente ans : l’immigration a toujours été et ne saurait être qu’un enrichissement, à tous égards, pour le pays accueillant. La France lui devrait d’ailleurs sa prospérité et son rayonnement.
Ici encore, l’argument est difficile à défendre historiquement puisque la France est devenue une grande puissance bien avant les premières vagues migratoires du XIXe siècle… En réalité, c’est exactement l’inverse : c’est la richesse d’un pays qui, d’abord, attire les immigrants. Il s’agit en fait ici du transfert de l’argument sur l’enrichissement de la métropole par les colonies [1], à relativiser très fortement par le même raisonnement : l’Europe montait en puissance avant même la découverte des Amériques. Inversement et plus récemment, les mythiques « trente glorieuses », entre 1945 et 1975 en Occident, ont été à la fois une période de croissance importante et ininterrompue et celle, par excellence, des décolonisations [2].
La grande affaire de la « reconstruction » de l’Europe après la seconde guerre mondiale, devenue paradigme, n’a pourtant concerné, et tardivement, que quelques milliers de travailleurs, dont il a fallu presque immédiatement freiner l’arrivée spontanée [3] : les Nord-Africains représentaient 1 % de la population française en 1951 [4]… Plus généralement, l’argument d’une immigration indispensable pour assurer une croissance économique est fortement sujet à caution. D’abord parce que les études officielles rendent compte d’une complexité évidemment insondable, et donc d’un impact économique pour le moins ambigu [5], sinon largement négatif, de l’immigration, y compris entendue comme « chair à retraite » [6] : tout dépend des qualifications des immigrés, de leur classe d’âge, du taux de chômage, de la conjoncture économique d’un côté [7], et de l’autre des « externalités » jamais intégrées [8] (et comment pourraient-elles l’être ?) : efforts d’alphabétisation, de scolarisation, aides sociales, délinquances, fuite des devises, etc. Ensuite parce que beaucoup de pays ou régions à fort développement ont longtemps refusé l’immigration (Suède ou Japon) et que d’autres, innombrables, en souffrent : c’est le cas de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique du Sud ou, concernant la France, de Mayotte ou de la Seine-Saint-Denis. Enfin parce que le développement économique, s’il est une priorité oligarchique et patronale, n’est pas censé l’être pour les partisans de l’émancipation sociale, sinon des équilibres écologiques [9]. C’est ici que l’impact politico-économique bénéfique de l’immigration, pour peu qu’on l’admette in toto, devient vraiment discutable.
Car le rôle dévolu à l’immigration par le patronat a été bien plus que de jouer les simples « briseurs de grève » [10] ou de disloquer les collectifs de travail ouvriers : elle a permis de passer outre les résistances populaires à l’industrialisation de la France durant le XIXe siècle. À l’époque, celles-ci se manifestaient notamment par des réticences à l’introduction systématique des machines agricoles, un refus de l’exode rural, une baisse de la fécondité afin de favoriser la scolarité des enfants, le dédain pour les travaux les plus ingrats et les plus répétitifs [11] et, surtout, des luttes informelles et quotidiennes qui établissaient un rapport de force permanent. Le recours à l’immigration, soit une main-d’œuvre « adaptable à toutes les conjonctures, à tous les marchés du travail » [12], a permis de pallier la désertion des autochtones, de contourner leurs résistances, de les acheter par l’ascension hiérarchique pour, finalement, soumettre tout le pays à la mécanisation des tâches, au travail à la chaîne, à la bureaucratisation de tout, bref, à la société industrielle, contre la volonté populaire [13]. À l’heure de la désindustrialisation et de la tertiarisation de nos sociétés, les choses ont-elles tellement changé ? Rares sont les voix qui osent rapprocher la libéralisation forcenée du monde du travail (« l’ubérisation ») et la forte attractivité de ces types d’emploi pour les populations immigrées [14] avides de réussir. Et pourtant, c’est bien quelque chose comme un « taylorisme biopolitique » [15] qui se met en place à l’échelle mondiale, considérant les peuples et les individus comme interchangeables, au nom de la Croissance.
L’enrichissement d’un pays par l’immigration n’est donc ni vrai historiquement, ni prouvé économiquement, ni systématique, ni, surtout, souhaitable lorsqu’il est l’instrument des couches dirigeantes (politiques, militaires et industrielles) pour faire plier leur propre peuple devant leurs projets de domination. On retrouve ici, curieusement, un argumentaire fort proche de celui des menées coloniales [16].
4 – « L’immigration est une conséquence des colonisations occidentales »
En contradiction avec l’idée d’une France-terre-d’immigration-depuis-toujours, le lien entre colonisation passée et immigration est à la fois évident et faux, extrêmement confus et étrangement clair. Il peut surtout être entendu de multiples manières, y compris contradictoires.
D’abord, la question ne concerne qu’une immigration précise. Ni les Belges, ni les Italiens, ni les Arméniens, les Chiliens ou les Portugais installés en France n’ont de lien avec l’histoire coloniale de ce pays. Néanmoins, il est évident que l’on voit dans des pays occidentaux beaucoup d’immigrés provenant de régions anciennement colonisées : Pakistanais et Nigérians en Angleterre, Maghrébins en France, Congolais en Belgique, Érythréens en Italie, etc. Le mécanisme sociologique est simple : la constitution de communautés étrangères sur le territoire national lors de la période coloniale favorise grandement par la suite la venue d’autres candidats à l’immigration. Mais ce lien est loin d’être la règle : le Vietnam a été le théâtre d’une colonisation française importante et d’une décolonisation violente, sans que son immigration n’ait été autre que ponctuelle. De même, le Japon n’a pas vraiment été une destination pour les Mandchous, la Russie pour les Hongrois et très peu de Berbères peuplent l’Arabie Saoudite ou la Turquie… À l’inverse : la Turquie n’a jamais été colonisée, encore moins par l’Allemagne, qui compte pourtant un nombre croissant de Turcs sur son territoire ; même chose pour la Suède avec les Subsahariens, la Belgique avec les Marocains, ou les Roms un peu partout en Europe. De même pour les États-Unis et l’Amérique Latine, ou encore l’Australie et l’Asie du Sud-Est…
En réalité, ce qui est significatif n’est pas d’étudier le rapport entre colonisation passée et immigration présente, mais plutôt l’épisode intermédiaire : les indépendances et leurs suites, systématiquement escamotées. Sans en faire une règle absolue, l’immigration massive, familiale et sans retour provient, sans trop de surprise, de pays n’ayant pas dépassé le stade pré-industriel ou de la rente (hydrocarbonée, géopolitique, diplomatique…) et soumis à des États autoritaires et prédateurs [17]. On évoque fréquemment un « néo-colonialisme » qui serait en stricte continuité avec la période coloniale, afin d’expliquer les flux migratoires. Mais cela ne fait qu’interroger davantage sur les politiques tenues depuis plus d’un demi-siècle par les jeunes nations indépendantes : malgré les menées des pays occidentaux, certains pays sont parvenus à se doter d’un véritable État et à initier un développement économique autonome parfois spectaculaire, comme dans le Sud-Est asiatique. D’autres, essentiellement des continents africain et sud-américain, ont laissé au pouvoir les bourgeoisies compradore, qui avaient simplement remplacé la couche sociale de colons dont elles émanaient naturellement. Elles se sont ainsi assurées une rente de situation en se positionnant comme intermédiaires entre les grandes puissances et l’exploitation de leurs peuples, générant et monnayant, à l’instar des roitelets africains esclavagistes, l’exil de la jeunesse, qui sera source de devises faciles.
L’immigration est donc bien plutôt le symptôme d’un échec des décolonisations de certains pays, de l’incapacité pour l’ex-colonisé d’édifier une nation suffisamment viable et habitable pour s’éviter l’humiliation d’un retour volontaire à la situation coloniale par l’installation dans l’ex-métropole. Cette immigration-là s’inscrit donc dans une démarche très particulière dont il n’est jamais fait état, alors qu’elle est évidemment frappée du sceau du ressentiment [18]. C’est qu’elle est l’objet d’un déni généralisé, tant du côté des familles immigrantes incapables d’expliquer et de faire partager à leurs descendants la raison de leur présence en terres étrangères [19], que des autochtones qui préfèrent ne pas trop comprendre pourquoi leurs ex-ennemis indépendantistes fuient leur pays libéré pour venir habiter chez l’ex-colonisateur [20]… Cette ambivalence peut être naturellement levée par l’assimilation, elle l’a été et l’est encore, quoique de moins en moins. Mais elle peut également l’être, et elle l’est de plus en plus, par la revendication identitaire et communautariste, soit un esprit de revanche (post ?) coloniale.
L’immigration n’est donc pas l’enfant naturel des pénétrations coloniales : elle est plutôt un rouage capital dans l’entretien de la dépendance de certains pays vis-à-vis de leur ancienne métropole. Il est étonnant que ceux qui se posent comme héritiers des opposants historiques à la colonisation soient les mêmes qui, aujourd’hui, contribuent à entretenir, via l’immigration, ce lien asservissant.
5 – « L’immigré a été forcé d’immigrer »
Si la chose n’est que très rarement explicitée, elle sous-tend absolument toutes les prises de positions pro-immigration : l’immigré aurait été « obligé » d’émigrer de son pays d’une part, d’immigrer dans cet autre précisément d’autre part, mobilisant parfois le champ lexical de la déportation, voire de la traite négrière [21].
L’argument est une extension déraisonnablement abusive du cas des réfugiés, et l’on a vu très concrètement sa mise en œuvre à des échelles encore inédites lors de la « crise migratoire » depuis 2015, jusqu’à galvauder le terme déjà ambigu de « réfugié économique » [22]. On notera d’ailleurs que parmi les nombreux persécutés ayant trouvé asile, bien rares sont ceux qui aujourd’hui militent sur place, comme une partie de la communauté iranienne le fait en France ou aux USA, pour transformer leur pays d’origine. En réalité, y compris dans les cas marginaux de recrutements sur place [23] des années 50 et 70, la masse écrasante des immigrés de par le monde, et particulièrement en France, vivent leur expatriation volontaire comme une tentative d’ascension hiérarchique [24] moyennant une mobilité géographique. Très majoritairement issus de la classe moyenne, ils cherchent l’accès à l’Occident, incarné successivement par toutes les étapes de leur parcours migratoire, de la ville la plus proche jusqu’au continent européen ou américain, sous sa triple figure de l’État de droit, de la mobilité sociale et de la société de consommation.
Cette dernière, particulièrement, comprise comme abondance disponible de tout (marchandises, lieux, relations, cultures, corps – féminins essentiellement) semble jouer un rôle d’attracteur absolu, quasi mythologique et exprimé en des termes souvent abruptement religieux (« On a une phrase qui dit : ’Mourir sans voir la France c’est comme mourir sans voir le paradis.’ » [25]). Les dizaines de milliers de morts en Méditerranée depuis des décennies ou les assauts de plus en plus fréquents et violents des barrières de Ceuta suivent cette logique de l’Eldorado. Venant pour « réussir », dans un pays perçu d’abord comme source et réserve de richesses, l’expatrié se retrouve vite « émigré-banquier » auprès de ses compatriotes restés au pays [26]. Cette dynamique d’enrichissement transcontinental est bien entendu ralentie par les obstacles légaux, sociaux, coutumiers, culturels, anthropologiques que rencontre l’émigré arrivé à destination [27] : ce phénomène explique bien mieux l’exacerbation du ressentiment et l’exaspération qui se traduit aujourd’hui par des attitudes antisociales, des comportements revendicatifs ou le communautarisme agressif et revanchard lorsque l’ascension sociale ne se fait pas assez vite ou quand surgissent des contreparties imprévues ou perçues comme illégitimes – immédiatement qualifiées de « racistes ». L’inflation délirante des accusations de discriminations est inversement proportionnelle à leurs manifestations réelles [28] et semble plutôt d’abord corrélée au ralentissement pour tous du fameux « ascenseur social » depuis trente ans, subjectivement décuplé pour ceux qui viennent chercher un dédommagement postcolonial.
Certes, l’immigré est pris dans une complicité trilatérale [29], comme intermédiaire entre les deux pays concernés dont les intérêts bien compris le dépassent de beaucoup, et ce depuis longtemps. Mais le poser comme jouet inerte de forces supérieures revient à lui dénier sa capacité d’agir, donc à reconduire une certaine idéologie coloniale. C’est dénier l’humanité à tous ceux qui restent volontairement sur leurs terres ancestrales et se refusent à être les marionnettes de dynamiques géopolitiques délirantes. Des indépendances jusqu’aux récents soulèvements arabes, ce sont bien les populations sédentaires qui ont voulu prendre leur destin en main, pas les immigrés, et certainement pas ceux, incroyablement nombreux, qui ont profité des troubles pour se soustraire par l’expatriation à une souveraineté populaire en constitution, le cas tunisien de 2011 étant exemplaire.
Dire que l’immigré « n’a pas eu le choix » est à la fois insultant, faux et politiquement intenable. Mais ce mythe persistant permet aux premiers concernés de fuir la responsabilité de leurs actes – qui se transmet de manière catastrophique à la génération suivante – et à leurs soutiens misérabilistes de « gauche » de croire être du côté des « damnés de la terre » alors qu’ils encouragent des processus auto-entretenus de déracinement et d’ascension hiérarchique à l’échelle intercontinentale dont ils sont, au bout du compte, bénéficiaires.
6 – « L’immigré (et sa descendance) est une victime dans le pays d’accueil »
Le sentiment que l’immigré est, essentiellement, victime de sa condition fait maintenant partie de l’imaginaire de base de tout Occidental. Cette figure de pseudo-bouc-émissaire permanent attirant à lui les affres du chômage, de la relégation, des préjugés ou du « racisme », s’est profondément ancrée au point de devenir quasi mythologique
Que la situation d’étranger soit grandement inconfortable est une évidence anthropologique sans doute aussi ancienne que l’humanité. Vouloir supprimer cet état de fait revient à chercher à faire disparaître toute diversité culturelle ou à dénier la légitimité pour chacune d’elles à se réclamer d’un quelconque lieu – et c’est, semble-t-il, la visée de la gauche multiculturelle comme du libéralisme réellement existant, qui visent à fluidifier les rouages d’une humanité réduite à une série d’assemblages mouvants de pièces interchangeables.
Ce statut d’étranger qu’endosse l’immigrant récent ne se dissout qu’à travers les processus d’assimilation. Historiquement, ceux-ci procèdent autant des exigences des populations autochtones que de la résignation du nouvel arrivant à se plier aux mœurs locales afin d’intégrer pleinement sa patrie d’adoption. Car l’assimilation des générations d’immigrés depuis deux siècles s’est faite dans la douleur ; il faut reconnaître « la place qu’il convient d’accorder aux phénomènes de violence et de stigmatisation pour expliquer les processus d’ ‘‘assimilation’’ » [30], et l’on ne voit pas comment cela aurait pu se faire autrement. Personne ne se défait spontanément ni légèrement de sa culture d’origine, inscrite au plus profond de son psychisme, pour se fondre dans une autre [31] et, symétriquement, personne ne vit gaiement l’arrivée et l’installation sur son territoire d’individus ou de groupes aux mœurs, aux conceptions et aux visées si dérangeantes au quotidien [32]. Mais en renonçant récemment, plus ou moins formellement, à la notion d’assimilation au profit de celle d’intégration, puis d’insertion et aujourd’hui de communautarisme [33], les sociétés occidentales condamnent l’immigré à rester à jamais un étranger tout en sommant, avec une surprenante efficacité, les autochtones de s’en accommoder en se montrant toujours plus inclusifs [34]…
Il est donc étonnant de voir et d’entendre que les dénonciations des « discriminations » ou du « racisme » acquièrent de plus en plus d’importance à mesure que les pressions populaires pour l’assimilation, et les crimes racistes, disparaissent peu à peu pour laisser place à un libéralisme culturel. Et il est de plus en plus difficile de voir, dans les comportements des immigrés récents, la moindre tentative de minimiser ce qui les distingue : des prénoms, francisés jadis dès les primo-arrivants, à l’apparence physique et vestimentaire, de l’usage de la langue aux attitudes quotidiennes [35]. L’heure est plutôt à l’auto-affirmation de son « identité » originelle plus ou moins fantasmée. Les phénomènes de relégation urbaine, dont on fait grand cas aujourd’hui, ont toujours existé à la confluence de facteurs objectifs (proximité d’emploi, prix de l’immobilier, politique nataliste [36]) et subjectifs (auto-exclusion, regroupement familial) [37]. C’est bien plutôt au phénomène inverse que l’on assiste aujourd’hui puisque les immigrés font partie des portions de la société les plus protégées (lois sur la liberté d’expression [38], mansuétude judiciaire, aides sociales et accompagnements, etc.) voire les plus avantagées (double nationalité [39], surreprésentation médiatique [40], discriminations positives, « accommodements raisonnables » de la loi de 1905, clientélisme [41], etc.). Et, à l’intérieur de la classe sociale inférieure, ils sont globalement très largement privilégiés par les « politiques de la ville » en comparaison des territoires ruraux [42] et globalement bien moins touchés par la crise [43]. Leur mobilité les rapproche même de l’idéal oligarchique d’un nomadisme généralisé en quête d’infinies « opportunités », et en fait des gagnants de la mondialisation, dont ils sont des acteurs essentiels [44].
En comparaison avec les vagues d’immigration historiques, les conditions d’accueil et les possibilités d’ascension sociale n’ont jamais été meilleures qu’aujourd’hui, à tous points de vue [45]. Mais il semble que plus les étrangers sont libres de le rester et de s’affirmer ad vitam æternam, plus ils reprochent aux autochtones de les considérer comme tels (« racisme d’État », etc). Les discours comminatoires et les mesures liberticides à propos du « racisme » et des « discriminations » sont donc à comprendre aujourd’hui dans le cadre d’une offensive communautariste et de calculs opportunistes. Tout cela aboutit à une xénophobie inversée puisqu’il s’agit de détruire l’universalité du pays d’accueil. La figure de l’immigré en victime est aujourd’hui devenue idéologie victimaire au détriment de l’intérêt collectif.
7 – « L’immigration est source d’un enrichissement culturel mutuel »
C’est l’argument irénique de l’échange entre cultures forcément enrichissant de part et d’autre, le fantasme du melting pot bariolé et festif où chacun gagne, en contact avec l’altérité, par la remise en cause de soi.
En réalité, il s’agit ici encore de la généralisation abusive d’une situation bien précise : l’institutionnalisation dans et par l’Occident d’une ouverture culturelle sans précédent, incarnée par l’invention de l’ethnologie en germe dès le XVe siècle, conjointement à la formation historique des nations regroupant des peuples jusqu’alors différents. Cet universalisme a irrigué absolument tous les arts, décuplant l’extraordinaire explosion de créativité à l’œuvre depuis la Renaissance, renvoyant chaque culture à ses fondements et sa profondeur historique (en un mot : l’égyptologie est une discipline occidentale). L’immigration a effectivement participé à ces fécondations réciproques [46], du moins jusqu’à l’épuisement des cultures européennes provoqué par les deux guerres mondiales [47] et la déliquescence progressive des cultures civilisationnelles non-européennes mais diversement semi-occidentalisées [48].
Depuis, on assiste bien plutôt à la disparition vertigineuse des richesses culturelles des peuples, et la mobilité générale à laquelle appartient le phénomène migratoire en constitue indiscutablement aujourd’hui autant un symptôme qu’un des principaux moteur. Ce qui en émerge ressemblerait plutôt à une world culture indigente et superficielle mais facilement métabolisable par n’importe qui, provoquant en retour questionnements et angoisses identitaires tous azimuts, sur tous les continents. Il s’ensuit que l’échange « culturel » entre migrants et autochtones ne concerne, de plus en plus, que le pire des deux parties : consumérisme, technoscientisme et insignifiance d’un côté, pratiques et discours traditionnels réactionnels et réactionnaires de l’autre. Le cas de l’aire arabo-musulmane est paradigmatique à tous points de vue : les immigrés qui en proviennent se sont, au fil de la réislamisation de leurs pays, globalement persuadés que leur culture propre se résume à son aspect strictement religieux. Ils passent par pertes et profits la pluralité qui les constitue – influences maghrébines, berbères ou kabyles ; juives, chrétiennes ou animistes ; côtières ou sahéliennes… – et toutes les autres dimensions de leur civilisation – gastronomie, agronomie, poésie, socialité, humour, hédonisme… – que les peuples européens accueillaient jusque-là avec bienveillance [49].
À ce phénomène de vide culturel mutuel [50] basculant dans la mise en avant du pire de chacun se rajoute, de manière complémentaire, la clôture sociale à travers le communautarisme. Celui-ci se traduit par la pérennisation des sous-cultures immigrées, autrefois temporaires, qui bricolent un néo-traditionnalisme totalement régressif nourrissant une spirale d’auto-exclusion auto-entretenue, qui génère endogamie réelle comme symbolique et système idéologique de défiance étanche et paranoïaque contre la culture autochtone [51]. La fin de l’assimilation signifie exactement l’émergence d’un multiculturalisme qui ne peut être que multilinguisme, multi-croyances, et donc multi-conflictualité. On retrouve là le mode de coexistence propre aux grands empires historiques, dont l’État surplombant règne sur une multitude cloisonnée et en concurrence contre elle-même pour l’attribution des places de prestige [52].
L’enrichissement culturel n’est en rien intrinsèque au fait migratoire. Ce dernier contribue bien plutôt aujourd’hui à l’installation de la « culture » d’une bourgeoisie mondialisée faite de narcissisme et d’arrivisme, organiquement complémentaire du morcellement planétaire en identités caricaturales et renfermées sur elles-mêmes. On peut se satisfaire, comme au temps des colonies, d’une « diversité » folklorique de moins en moins contenue dans les « quartiers d’immigration », mais chacun sait pertinemment le voisinage qu’il lui faut, l’établissement scolaire où mettre ses enfants, les lieux à éviter aux heures tardives et, partout, les attitudes à adopter, indépendamment de tout discours sur la « chance pour la France » que serait l’immigration [53].
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