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2 – Guerres impériales et guerres modernes
Dans l’empire khaldounien la violence militaire occupe une place originale : éradiquée du centre urbain impérial, exclue dans les confins de l’Empire, elle finit pourtant par le vaincre et le régénérer, paradoxalement, par le truchement des solidarités guerrières (la ’asabiyya) des tribus. G. Martinez-Gros évoque à dessein les différences spectaculaires d’avec la conception occidentale de la guerre, mais un autre ouvrage, totalement étranger à cette approche, apporte un éclairage très pertinent.
Carnage et Culture de Victor Davis Hanson
Il s’agit des travaux de l’helléniste et historien Victor Davis Hanson, notamment développés dans son Carnage et Culture [1] (CC), qui s’ouvre sur une question simple : pourquoi l’Occident gagne-t-il les guerres [2] ? Il illustre son propos à travers l’analyse d’une dizaine de grandes batailles opposant « occidentaux » (il y inclut les grecs antiques) et non-occidentaux, de Gaugamèles (contre l’empire Perse en -480 av. J.-C.) à Midway (contre l’armée japonaise en juin 1942) en passant par Lépante (contre la flotte ottomane en 1571) ou Rock’s Drift (contre les tribus Zoulous en 1879).
Son approche est centrée sur les particularités de la guerre gréco-occidentale, dont il ne voit aucun équivalent dans l’histoire : les armées grecques, macédoniennes, romaines puis européennes ne sont pour lui si efficaces dans l’affrontement meurtrier que parce qu’elles sont précisément constituées de citoyens-soldats. Les campagnes militaires y sont courtes, puisque l’élément-clef, l’infanterie, est constituée de producteurs qui sont aussi des personnages publics : le temps de la guerre est celui d’une suspension de toutes les activités vitales. L’accent est donc mis sur la qualité de l’équipement, la tactique collective, le choc frontal (on pense aux inaugurales phalanges grecques), le combat de masse, la bataille brève et décisive, et la victoire totale. Les corps d’armées sont baignés d’un militarisme civique, mêlant un égalitarisme fonctionnel en même temps qu’une solidarité et une discipline pragmatique. Les combattants sont des fantassins formés dans des cités ou des États fondés sur la rationalité du monde, la délibération collective, l’innovation technique, l’autocritique, la créativité et l’imagination individuelle que l’on retrouvera toutes sur les champs de bataille. La tuerie elle-même n’obéit globalement qu’à des considérations militaires [3].
Cette spécificité confère une supériorité militaire indiscutable qui contraste fortement avec les cultures guerrières non-occidentales : les hiérarchies et statuts y sont de prestige, rigides et inamovibles ; ils déterminent autant le refus de l’innovation technique que la répartition du matériel ; la stratégie vise plus la négociation que la victoire des armes sur le terrain, et la tactique privilégie la ruse, l’embuscade et le harcèlement ; le massacre, le pillage et le viol constituent plus des finalités pour le combattant que le contrôle du théâtre d’opérations ; l’échec ou le succès de l’affrontement, la mort, la blessure ou la survie du guerrier, de l’esclave combattant ou du mercenaire sont systématiquement imputés à des volontés surnaturelles, magiques ou divines.
Convergences
C’est cette violence-là, tribale, qu’instrumentalise l’empire, et Martinez-Gros ne cesse de pointer, de son côté, les caractéristiques originales de la guerre impériale.
Avec son centre productif pacifié et ses marges agressives, l’empire est structuré comme « une dénivellation de la violence », de son centre vers ses périphéries, connaissant régulièrement des « invasions répétées » (FD p. 25-27). L’offensive tribale peut déboucher tantôt sur une « préservation du troupeau » productif, tantôt sur des « exterminations haineuses », dévastatrices, capables de désertifier durablement des régions entières. Les coûts humains en sont donc extrêmement élevés, comparativement aux guerres modernes (p. 29). Cette dernière idée contredit frontalement l’intuition courante d’une « face sombre » de l’Occident, qui ne retient que les chiffres absolus des tueries, sans les rapporter à l’ensemble des populations impliquées ni au nombre de combattants mobilisés : les 8 % de morts allemands lors de la seconde guerre mondiale doivent être mis en balance avec les populations tribales ou impériales fréquemment amputées d’un tiers [4].
Meurtrière, la guerre impériale se distingue aussi par la « longueur de ses conflits », jamais vraiment suspendus et jamais réellement décisifs. La notion de victoire militaire est toujours relative parce que l’empire est condamné à reproduire sa dialectique fondamentale : triomphant des barbares, il va les fragmenter, les sédentariser et les désarmer, les désignant alors de facto comme proie à d’autres conquérants des confins tout en en recrutant les meilleurs éléments dans son armée... Vaincu par la violence des « bédouins », il abandonne ses populations à la violence tribale (p. 63, 97). Aucun succès militaire n’assure donc une paix durable et dans ces affrontements sans fin il n’existe, au fond, aucun choix idéologique clair : interdépendants, l’État impérial et ses marges n’agissent que mus par l’opportunisme, et les populations passives peuvent vivre salutairement la destitution d’un joug tyrannique par ceux-là qui en reprendront immédiatement le flambeau (p. 97). L’invasion est dans l’ordre des choses, le pouvoir passant de mains en mains, et nombre de colonisateurs sont accueillis en libérateurs...
Dernière caractéristique, apparemment paradoxale, de la guerre impériale : meurtrière et incessante, elle est menée par une minorité, une élite guerrière, qu’il s’agisse de celle régnant sur les peuples dominés, ou de celles des tribus guerrières périphériques vivant dans une culture martiale, virile, brutale. Il s’agit donc d’un système basé sur une aristocratie guerrière (p. 38), méprisant des masses qui ne forment qu’un tribut, certainement pas un réservoir de soldats potentiels (p. 37-38, 65-66) que seuls les États modernes savent mobiliser dans des armées aux effectifs colossaux. Le modèle oriental est là paradigmatique : « Là où une mobilisation générale de la population syrienne, à l’égal de la France de 1914 ou de 1939, donnerait 2,5 millions de combattants, on n’en trouve au plus aujourd’hui que 350 à 400.000 dans les deux camps opposés » (p. 66).
C’est là le pivot de l’opposition entre la guerre moderne et les guerres impériales, qui renvoie à toute l’institution de la société : un citoyen-soldat tel que le décrit abondamment V. D. Hanson, ou une aristocratie combattante que présuppose le schéma d’Ibn Khaldoun. L’issue de la confrontation de ces deux univers est indiscutable : partout où des armées occidentales se sont heurtées à des combattants tribaux ou impériaux, la supériorité des premières a été incontestable [5]. Cela se retrouve également, précise Martinez-Gros, lorsqu’une société renoue momentanément avec un héritage grec antique, comme la société byzantine entre 680 et 860, qui s’organise en une sorte de « défense populaire paysanne », la seule qui lui permette de vaincre efficacement, mais momentanément, le flot des armées impériales musulmanes (BHE p. 94-95, IK p. 245), ou lorsque, privée des tribus turques, la Chine des Song innove techniquement pour équiper ses quelques troupes (p. 132).
L’état présent
On retrouve, avec G. Martinez-Gros, dans les conflits contemporains certains traits de la logique impériale : la spécialisation de l’armée de métier, le développement du mercenariat et des bandes ou gangs violents et, parallèlement, l’apparition de luttes interminables, comme celles contre la délinquance (FD p. 41) qui prend des dimensions militaires en Amérique latine. Il serait effectivement facile de lister ces conflits qui n’en finissent pas, particulièrement en Afrique et au Moyen-Orient, dont certains impliquent des puissances occidentales, et maintenant dans des quartiers européens ou américains devenus enjeux de la « guerre contre la drogue » ou « contre le terrorisme »... C’est donc tout naturellement qu’on observe une militarisation des polices parallèlement à des armées utilisées pour des opérations de police à toutes les échelles : la distinction s’efface entre le « dedans » et le « dehors » et la question, systématiquement ignorée, du recrutement des « tribus » ou de leur annexion via des organismes « privés » dans les forces armées occidentales est particulièrement inquiétante [6]. Mais, au fond, ce n’est pas la redoutable machine de guerre de l’Occident qui est en panne : c’est l’idéologie pacifiste et tiers-mondiste, que l’on pourrait qualifier de néo-chrétienne, qui s’est progressivement imposée autour et à l’occasion de la guerre du Vietnam (p. 49), empêchant les armées américaines et européennes de remporter des victoires décisives.
V. D. Hanson, de son côté, ne statue pas véritablement sur une érosion de cette supériorité militaire occidentale. Mais une tonalité nostalgique affleure, comme lorsqu’il se demande si l’héroïsme des appelés américains ordinaires de la seconde guerre mondiale est encore d’actualité dans « l’Amérique des banlieues et des jeux vidéo, des Nicole, des Ashley et des Jason »... (CC p. 422). Cependant, c’est surtout son analyse de la guerre du Vietnam à travers l’offensive Viêt-cong du Têt (janvier-avril 1968) qui résonne fortement avec celles de G. Martinez-Gros. On y retrouve le grand bilan stratégique français de la guerre d’Algérie : une série de victoires militaires incontestables, une issue prévisible et difficilement discutable de la guerre, mais une non moins cinglante défaite politique au sein même de l’Occident. Autrement dit : ces armées n’avaient pas les moyens politiques d’appliquer leurs implacables pratiques millénaires de la guerre, freinées par une médiatisation sans précédent auprès d’une opinion publique occidentale moralement rétive à de tels affrontements au nom d’idéaux... eux aussi typiquement occidentaux.
Ce n’est donc certainement pas un hasard que ces situations, promises à un bel avenir, aient été rencontrées pour la première fois lors de mouvements de décolonisation du tiers-monde. La tendance impériale en Occident passe donc par un renversement idéologique total qui brise les ressorts de sa puissance militaire au nom de la valorisation d’autres civilisations.
3 – L’idéologie impériale
Historiquement, nous dit G. Martinez-Gros, l’idéologie portée par les empires est, sous un paradoxe apparent, pacificatrice. Il s’agit d’un « désarmement idéologique » opéré par un État qui se vit comme universel – sans rival bien qu’en guerre permanente – et qui doit louer la non-violence de ses populations désarmées s’il veut maintenir sa domination. C’est dans l’histoire, évidemment, la cristallisation du christianisme dans l’Empire romain, et du bouddhisme en Chine dès le premier empire (BHE, p. 91). Un mécanisme identique, plus subtil, advient également dans l’empire arabo-musulman, par une mise à distance de la violence portée par le message coranique, que les marges récupèrent à leur profit (FD p. 87 sqq). Dans la perspective d’une impérialisation actuelle, quel serait donc le discours susceptible d’entériner la séparation entre le producteur et le violent ou, selon les termes d’Ibn Khaldoun, entre le sédentaire et le bédouin, dans les sociétés occidentales contemporaines ? Il s’agirait de ce discours « minimal mais mondial » qu’est le « politiquement correct » (p. 35), hérité de l’histoire de la décolonisation (p. 47 sqq), lorsque les peuples du tiers-monde étaient mis en demeure de jouer le rôle de prolétariat de substitution alors même que s’ébauchaient les luttes des civil rights aux États-Unis (p. 49). Ce tiers-mondisme transposé aux seules sociétés occidentales s’est transmué en éloge du multiculturalisme.
Le multiculturalisme comme religion politique de Mathieu Bock-Côté
C’est précisément à cette dimension idéologique qu’est consacré le livre de M. Bock-Côté Le multiculturalisme comme religion politique [7] (MRP). L’auteur l’examine méticuleusement à partir de son expérience québécoise, mais elle peut facilement s’étendre à tout l’Occident. La genèse de l’idéologie multiculturelle est à chercher aux alentours du « moment 68 », où la faillite des schémas marxistes traditionnels se reportent, globalement et suivant une dichotomie Nord-Sud, sur une critique acerbe de la civilisation occidentale jusque dans son principe [8]. C’est effectivement le discours tiers-mondiste, mais plaqué sur des sociétés américaines et européennes, terres d’immigration : les immigrés non-occidentaux y prennent figure de « victimes » les rendant porteurs d’une promesse utopique d’extinction de toutes les dominations. Les décennies 70-90 sont donc le temps de l’installation de la grande culpabilisation occidentale, « l’ère des excuses ou la commémoration pénitentielle » (MRP p. 152 sqq.). Tout l’appareil idéologique et son impératif de progrès sont réorganisés pour élaborer un multiculturalisme visant « l’inversion du devoir d’intégration » (p. 166) : « La culture nationale, dans cette perspective, n’est plus qu’une culture majoritaire, ne devant pas abuser de ses privilèges démographiques pour s’imposer aux autres, et devant même faire tout ce qui est en son possible pour limiter ses privilèges » (p. 171). Il s’agit donc d’accompagner de manière éminemment technocratique la mondialisation comprise comme anomie, c’est-à-dire « démantèlement de tous les systèmes normatifs, sociaux et culturels traditionnels » (p. 179), puisque la pluralité sociale « demanderait moins qu’on ne la discipline derrière la fiction de l’intérêt général qu’on ne la représente dans la diversité ». Une telle idéologie reconduit le fantasme internationaliste dans le mythe d’une « société inclusive » qui ne pourrait évidemment que s’incarner dans un « État mondial ».
Le lien avec la logique impériale est d’ailleurs explicite pour M. Bock-Côté : « D’une certaine façon, le monde prémoderne et le monde postmoderne se rejoindraient dans la dislocation de l’identité collective, du territoire et de l’autorité politique. Si, comme le suggère Pierre Manent, la nation succède à l’empire qui succédait à la cité, on peut dire de l’idéal européen [9] qu’il marque une renaissance de la tentation impériale, une régression vers un principe de gouvernement qui ne se réclame plus de la souveraineté du peuple mais plutôt de l’impératif de progrès. Car la forme impériale est faite pour accueillir l’utopie européenne et sa logique déterritorialisée. L’empire comme forme politique s’est toujours appuyé non pas sur le mythe de la souveraineté populaire mais bien sur une bureaucratie militante, chargée de discerner l’intérêt commun au-delà des rivalités communautaires qui peuvent se manifester dans ses formes politiques. » (p. 245-246).
Ce discours multiculturel, comme sa réalité, n’est pas réellement abordé par G. Martinez-Gros, mais c’est l’objet de son ouvrage que de pointer ce discours lénifiant diffus que tient l’empire vis-à-vis des marges menaçantes : le « terrorisme » est un processus sans sujet, la « victimisation » des banlieues européennes sécessionnistes occupe une place centrale, et l’appareil de propagande « se préoccupe moins du contrôle réel du territoire que du maintien des rites et des vérités établies » (FD p. 41, 59). Médias et politiques sont « volontiers plus sévères avec la contestation verbale héritée du monde démocratique qui s’efface – anathémisée comme extrémisme ou populisme de droite ou de gauche – qu’avec les dissidences réelles et violentes, qu’elle peut feindre de ne pas voir, ou plaindre comme le fruit amer d’autant de difficultés sociales » (p. 42). Le ressort psychologique de cette idéologie impériale, il le formule brièvement : « Nous sommes coupables de tout parce que nous sommes maîtres de tout – et le contraire est vrai : nous régnons partout puisque nous sommes coupables de tout » (p. 47).
Islam, phobie, culpabilité de Daniel Sibony
L’expression semble reprendre, au mot près, les propos de Daniel Sibony dans Islam, phobie, culpabilité [10] (IPC), qui forme la trame d’une réflexion sur la posture occidentale face au troisième monothéisme aujourd’hui à l’offensive sur toute la planète. Le psychanalyste d’origine marocaine, un des rares à tenter de décloisonner la réflexion sur sa discipline avec la réalité politico-sociale, tente de cerner un curieux affect contemporain, ce sentiment qui habite massivement tous les Occidentaux et qui leur fait recouvrir la violence musulmane par des considérations autodénigrantes. Cette complaisance vis-à-vis d’un islamisme protéiforme, populaire et insidieux, l’auteur la décrit comme une culpabilité occidentale employée de manière perverse comme extension du narcissisme. Le sentiment impérial d’universel passe ici par l’occultation totale de l’altérité réduite au rôle de simple support projectif de ses propres fautes supposées.
C’est ainsi qu’il forge la notion centrale de « culpabilité narcissique », expliquée ainsi : « On prend sur soi la faute ou l’on feint de la prendre, comme pour en libérer les personnes concernées, sur lesquelles, en fait, on cherche à prendre l’ascendant. […] Quand un homme vous dit : ’Tout cela c’est ma faute’ en parlant d’une situation où il compte assez peu, vous percevez qu’il met en jeu sa façon de se placer au centre, de se hisser à une posture de responsable ’plus à même d’affronter le problème’ où pourtant d’autres sont touchés plus que lui. C’est sa façon de vouloir prendre l’ascendant et de paraître incontournable. […] Il présente cette culpabilité imaginaire comme le signe d’une exigence éthique supérieure. » (IPC p. 8-9). « Parfois, cela évoque la compassion : leur souffrance nous fait souffrir. Et si ’on ne fait rien’, nous voilà cause de leur souffrance, responsables de leur malheur. Il faut répondre pour eux, puisqu’ils ne peuvent pas ’répondre’, vu qu’ils sont ’irresponsables’ » (p. 150). Cette dialectique doloriste où l’on se culpabilise de sa puissance et où l’on se rend d’autant plus puissant qu’on culpabilise se manifeste très concrètement dans l’emploi du vocable d’« islamophobie », auquel l’auteur prête un sens alternatif mais particulièrement fort : « peur de dire ou de laisser dire des choses dont on pense qu’elles pourraient contrarier les musulmans » (p. 11) – on se tait, pour que l’Autre n’ait pas à se montrer, à parler, à s’expliquer, à se confronter, à répondre de lui-même.
Ce consensus angélique s’accompagne évidemment d’un déni de la réalité, qui confine à « l’hallucination négative » : « ne pas voir ce qu’il y a » (p. 99). Ce qu’il y a : un ennemi, qu’il s’agisse du djihadiste, des bandes prédatrices ou des entreprises communautaristes. « Si l’ennemi est nommé, si des valeurs et une Histoire sont proclamées, si des frontières sont rétablies entre ce que l’on défend et ce que l’on rejette en toute connaissance de cause, il n’y a plus d’empire : mépriser le propos de l’ennemi comme celui d’un barbare, même et surtout si le barbare doit être excusé pour son ’enfance malheureuse’, est l’ultime et nécessaire mécanisme de défense d’un consensus imposé » explique G. Martinez-Gros (FD, p. 96). Ainsi se construit progressivement une surréalité, accompagnée et encouragée par toutes les institutions. Bien entendu, cet effacement de l’étranger par le déni narcissique ne peut qu’alimenter le besoin de celui-ci de s’en rendre effectivement étranger, et exacerber en retour la violence dont il est porteur en même temps que de retourner le mépris dont il est, fondamentalement, l’objet – et c’est ainsi que s’accentue la division impériale entre les producteurs non-violents et bien-pensants et les marges belliqueuses revendiquant leur virilisme (FD p. 40).
Ce refus de considérer l’altérité – idéologique et culturelle – pour ce qu’elle est afin de maintenir l’universalité impériale concerne bien entendu en priorité l’islam. D. Sibony, arabophone intime des textes religieux monothéistes, pointe naturellement la violence des textes coraniques [11] et G. Martinez-Gros, l’historien de l’islam médiéval, ne peut que surenchérir : la victimisation de l’islam (p. 52) se fait à rebours de la réalité, qu’elle soit européenne ou géopolitique (p. 60) et l’islamisme est rigoureusement assimilable à une extrême droite, bien plus que les mouvances nationalistes ou identitaires habituellement désignées telles en Occident (p. 59, 74). Mais cette valorisation délirante de la « bédouinité » au sens littéral d’Ibn Khaldoun ne doit pas cacher que c’est bien tout le monde non-occidental qui est appelé à accompagner de l’intérieur la métamorphose de l’Occident et que l’islam n’est, de ce point de vue, qu’une avant-garde elle-même historiquement hantée par la nostalgie de sa domination impériale.
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