Gilets jaunes : tentations révolutionnaires et risque de chaos (1/2)

mercredi 5 décembre 2018
par  LieuxCommuns

Ce texte fait partie de la brochure n°24 « Le mouvement des gilets jaunes »
Surgissement populaire et démocratie directe en germe

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Elle est intégralement téléchargeable dans la rubrique brochures

Sommaire :

  • Tentations révolutionnaires et risque de chaos (Analyse) — ci-dessous

Il est absurde de vouloir affirmer des vérités définitives sur un mouvement en cours, une vague aussi ample, mouvante, hétéroclite et atypique que celle des « gilets jaunes ». Mais on peut essayer de dégager quelques points de repères, éléments de réflexions, sources d’inquiétudes et interrogations tout comme on peut, il faut, formuler ce que nous souhaitons pour l’avenir en prenant garde à ne pas plaquer notre projet politique propre, la démocratie directe, sur un mouvement admirablement vivant et fondamentalement indéterminé.

Le risque de chaos existe, tout autant que sa crainte, et l’un comme l’autre grandiront dans l’exacte mesure de la déstabilisation du régime et de l’absence d’alternative politique sérieuse. Si la première est le péché mignon de tout ce qui se proclame « révolutionnaire », la seconde forme un angle mort qui ouvre la voie à toutes les impostures futures et les instabilités permanentes qui ne pourront que générer frustration en série, conflits ouverts et appel à l’Autorité — c’est-à-dire une spirale infernale.

Vouloir sortir de cette impasse, c’est d’abord essayer de saisir la nouveauté radicale que le mouvement a fait surgir et l’évolution de la situation actuelle (1ère partie), pour ensuite tenter de comprendre les raisons profondes de ce soulèvement et appeler à la formation, dans la durée, d’un mouvement populaire pour la démocratie directe (2nd partie).

Le mouvement des « gilets jaunes » crée une situation radicalement nouvelle

Cela tient à la coordination de quelques facteurs indépendants les uns des autres :

- Le surgissement d’une France invisible. Le symbole des gilets jaunes est parlant : il s’agit de la majorité du peuple français qui veut se rendre, enfin, visible. Et elle surgit, bousculant la caste médiatico-politique dominante qui l’avait ignorée pendant quarante ans au profit de la « classe créative » des bobos urbains et des « banlieues », sources de toutes les attentions.

- Des revendications transversales. Ce mouvement est parti de la contestation de la taxe sur le carburant pour, très vite, s’élargir et véhiculer tout un ensemble d’exigences, largement hétéroclites si l’on suit les schémas idéologiques actuels. En s’étendant sur tout le spectre électoral sans exception, elles sont littéralement inclassables et rendent obsolètes tous les découpages politiques qui polarisaient les débats de manière obsessionnelle.

- L’auto-organisation pratique. Depuis son tout début, le mouvement est totalement auto-organisé via les « réseaux sociaux » électroniques, hors de tout cadre politique, syndical ou associatif. Mais ce qui aurait pu n’être qu’un palliatif temporaire à un abandon institutionnel, s’est révélé être un choix assumé, revendiqué, farouchement défendu et qui semble avidement mais confusément chercher des moyens de réaliser une véritable démocratie.

- Une adhésion populaire exceptionnelle. Les « gilets jaunes » bénéficient d’un soutien populaire absolument exceptionnel et qui ne se dément pas, voire se renforce, au fil de la confrontation avec le pouvoir. Alors que les blocages entravent la libre circulation, les actions ont été dans leur très grande majorité réalisées dans la bienveillance générale, au point que les médias ont été contraints, dans l’urgence, de se plier à l’événement.

- Un pouvoir faible. L’élection du Président de la République n’a été qu’un vernis posé sur la crise de régime qui couvait depuis 2015, et qui éclate au grand jour. Le quasi-putsch médiatico-politique qui l’a porté au pouvoir s’est fait sur les décombres des partis politiques, pulvérisant tous les corps intermédiaires et toute opposition en fondant un parti fantomatique, incarnant l’oligarchie dans toute sa morgue, composant un parlement-croupion composé d’arrivistes caricaturaux. Son face-à-face avec le mouvement est d’autant plus périlleux que se lèvent également les municipalités des petites villes et, fait radicalement nouveau, que lui échappent peu à peu les forces de répressions.

- Une banlieue en sécession. L’absence totale d’accompagnement de ce mouvement par les « quartiers » entourant toutes les grandes métropoles, et leurs « représentants » autoproclamés, est frappante. Elle semble aujourd’hui entériner le début de partition du pays sur des bases à la fois ethno-religieuses et territoriales telle qu’elle se dessine depuis au moins vingt ans, et constitue l’objet d’un déni permanent dont la fin pourrait être à la fois brutale et rapide.

L’évolution du mouvement peut être découpée en trois phases

Ce découpage ne peut être, évidemment, que temporaire (aujourd’hui 5 décembre), mais il aide à dégager les dynamiques en cours et l’évolution de leur rapport de force.

- La montée en puissance se déroule de la fin octobre au samedi 17 novembre (première mobilisation).

Le mouvement des « gilets jaunes » émerge peu-à-peu des « réseaux sociaux » électroniques, dégageant un mot d’ordre principal parti d’une pétition (le refus de l’augmentation de la taxe des carburants) , un symbole de ralliement (le gilet de secours des automobilistes), un mode d’action (le blocage des routes) et un principe de fonctionnement (l’auto-organisation et l’absence de porte-paroles). Les médias et toute la gauche (notamment M. Mélenchon et la CGT) l’assimilent immédiatement à l’extrême-droite et dénoncent la montée d’un péril fasciste. La réussite époustouflante des actions du 17 novembre, mobilisant sans doute bien plus de 500.000 personnes et avec le soutien de l’ensemble de la population fait entrer le pays dans la crise.

- la deuxième phase, la marche à la normalisation, du 17 novembre jusqu’au mardi 4 décembre (recul du gouvernement)

Les « gilets jaunes » entrent dans la période de confrontation avec le gouvernement, multipliant et diversifiant leurs actions et faisant des samedis des points d’orgue. Les revendications explicites s’élargissent considérablement en articulant insécurité économique, politique et culturelle tandis que les violences en manifestation vont crescendo. Les médias et la gauche, surpris, abandonnent leur « antifascisme » pavlovien et s’adaptent immédiatement en appliquant le protocole rodé de traitement d’un mouvement social : les médias et le gouvernement, qui parie sur la pourriture, se focalisent sur les « casseurs », infiltrés par la gauche militante tandis que ses représentants officiels cherchent à réduire la multitude de mots d’ordre au seul « pouvoir d’achat ». Leurs tentatives d’ériger des porte-paroles est mis en échec par tout le mouvement. La première intervention de Macron passe totalement inaperçue et celle de son premier ministre le 4 décembre est accueillie avec une indignation générale : après deux semaines de montée en puissance, le gouvernement ne recule que par premières mesures dérisoires et passagères. Au grand dam des médias, le mouvement s’enracine et se durcit. Les émeutes urbaines du samedi 1er décembre un peu partout en France provoquent une situation quasi-insurrectionnelle.

- Troisième phase depuis le 4 décembre : la généralisation et l’escalade

Le gouvernement est acculé, évoque l’intervention de l’armée — et le mouvement continue. Alors que le cadre répressif semble arrivé à bout (dispositif, matériel, fatigue des unités), les premiers « jeunes de banlieue » deviennent véritablement visibles lors des affrontements avec les CRS (casse gratuite, pillage, vandalisme,…) et les violences devant des lycées en banlieue montrent la distance qui les sépare des gilets-jaunes (absence de revendication, brutalité immédiate, incendies d’établissements scolaires, caillassages de pompiers, absence de mixité, etc.). Les étudiants commencent également à se mettre en branle, ainsi que les syndicats et d’autres corporations, chacun avançant ses propres revendications. Un mot d’ordre fédère : « Macron démission ! », qui est dorénavant hué à chacun de ses déplacements. La crise devient de ce fait institutionnelle : le pouvoir est pris dans une spirale de discrédit face à un mouvement qui se généralise et rassemble des secteurs de la société non seulement différents mais aux méthodes, aux visées et aux finalités fort divergentes.

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Seconde partie disponible ici


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