« Les pays occidentaux sont un terrain de chasse pour les visées communautaires »

vendredi 12 juin 2020
par  LieuxCommuns

Lors du débat du 8 juin 2019 qui faisait suite à notre exposé sur le thème « Immigration, écologie, décroissance », un participant a exprimé un point de vue qu’il a retrancrit, à notre demande, ci-dessous. Un entretien s’en est suivi.


« Je voudrais apporter ma contribution à la discussion en tant que fils d’immigrés subsahariens pour enrichir le débat d’aujourd’hui. Beaucoup de Français de souche ne s’en rendent pas compte, mais lorsque l’on est originaire d’Afrique ou d’Asie, la pression sociale est très forte, et cela même lorsque l’on vit en France. Nous raisonnons en tant que communauté qui partage le minimum avec la population autochtone. Le tribalisme est très présent en notre sein, et les réflexes issus de notre continent d’origine (népotisme, corruption, comportements à la limite de la légalité…) ressurgissent un jour ou l’autre. Le tribalisme continental qui nous anime ne nous donne pas une conscience sociale très développée. Le principe de la décroissance nous est étranger pour la majorité, et l’implication dans les luttes sociales nous concerne très peu. Nous sommes très peu au fait des différentes luttes qui ont bâti l’Europe moderne, comme la révolution de 1848, la Commune de 1871 ou les expériences anarchistes espagnoles de 1936. Le tiers-mondisme qui imprègne la pensée de beaucoup de personnes de gauche va buter contre le mur des réflexes culturels pluriséculaires.

Très peu de personnes d’origine subsaharienne vous le diront en face : l’animisme qui s’accompagne de sacrifices humains concerne toutes les familles. Il peut s’agir d’une personne ou de quelques-unes, mais cela est présent en arrière-fond de nos interactions avec le monde extérieur. Il est de plus très difficile d’être un individu différencié dans nos communautés. De ce que j’ai expérimenté, seuls les Occidentaux ont porté l’individu au pinacle, et cela conduit à l’émergence de personnes émancipées. J’entends par émancipation le processus par lequel une personne quitte ses conditionnements culturels délétères (népotisme systématique, omerta communautaire, scarifications…) afin de se reconnaître comme unique et capable de développer des intérêts et des engagements par elle-même. Une fois cette personne émancipée, elle peut se porter vers une communauté de destin regroupant d’autres personnes émancipées, dans laquelle chacun remplira son rôle en connaissance de cause, et non pas de manière aveugle comme les communautés fusionnelles. Je suis émancipé, je parle donc en connaissance de cause.

Je vous dis tout cela aussi afin que l’on cesse d’angéliser ceux d’origine extra-européenne. La perversion existe tout autant chez les personnes d’origine africaine que chez les autres. Je veux vous donner l’exemple de la LDNA (Ligue de Défense Noire Africaine, eh oui, cela existe). Ses membres disent clairement que la France est leur butin de guerre ! Ils veulent vous coloniser et diriger le pays, que vous le vouliez ou pas. Il faut différencier les immigrations de la fin du dix- neuvième siècle et celles de la deuxième moitié du vingtième siècle. Un immigré polonais ne peut pas être traité de la même manière qu’un immigré algérien. Je vous dis cela car dans l’hymne algérien, il y a une strophe (la troisième) qui appelle la France à rendre des comptes. Dites-vous donc que chaque fois qu’un Français d’origine algérienne chante l’hymne algérien, il adresse des menaces à la France lorsqu’il chante la troisième strophe. Les paroles sont en arabe, mais c’est cela qui est dit [1].

Afin que la décroissance fasse son chemin auprès des populations d’origine extra-européenne, il faudra que vous cessiez d’avoir honte de vous-mêmes. Soyez fiers de votre héritage européen, et faites rejaillir votre identité propre en tant qu’autochtones. C’est alors que les immigrés d’origine extra-européenne et leurs descendants vous respecteront et que certains vous rejoindront dans vos luttes.
 »

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Propos recueillis en septembre 2019

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LC : Cette intervention que tu as faite aux Rencontres des décroissants en juin 2019 sort de l’ordinaire, autant par sa teneur que parce qu’elle émanait d’un descendant d’immigrés, africains qui plus est. Avant d’en discuter plus en détail, pourrais-tu te présenter un peu, par exemple à travers ton parcours personnel ?

Aimé : Il est vrai qu’avant de poursuivre la discussion il est nécessaire de se faire une idée de la personne qui a exprimé ces propos.

Je suis un fils d’immigrés d’origine subsaharienne né à la fin des années 80 en Île-de-France. Mon cursus est scientifique et je suis passé par les classes préparatoires aux grandes écoles. Les sciences dures ont toujours été mon intérêt principal à cette époque. J’ai reçu une éducation ordinaire au sein de la France républicaine, et aussi loin que je me souvienne, je ne me préoccupais pas du tout de l’origine de mes camarades, qu’elle soit européenne ou extra-européenne. Le partage d’une identité commune (celle dont se revendique la République française) ne faisait aucun doute à mes yeux au cours de mon enfance. Je comprends maintenant avec du recul que notre génération était un galop d’essai pour créer des descendants d’immigrés tiraillés entre l’Europe et leur continent d’origine.

Pour être clair, mes études m’ont permis de m’émanciper, car je n’ai pas vécu d’enfermement communautaire. Le processus d’assimilation républicaine a fonctionné dans mon cas, et mes parents y ont contribué en parlant uniquement français au sein du foyer familial. J’ai appris le guin (la langue de mes ancêtres) de ma propre volonté à l’âge adulte. Mais j’insiste : le français est ma langue maternelle. Je suis chrétien de confession protestante luthérienne (eh oui, je ne suis pas athée) et cela a son importance au niveau des liens extra-communautaires que j’ai pu nouer à l’âge adulte.

Tu veux dire que les liens multiples que tu avais tissés lors de ta jeunesse dans le « creuset républicain » n’ont pas survécu par la suite au communautarisme ? À quel moment as-tu senti ce retour des « origines » dans la sphère publique ?

En fait, ces liens sont demeurés, mais le communautarisme les a modifiés. Les référents culturels communs demeuraient ceux de la société de consommation, mais la question de l’identité propre nous a quelque peu éloignés. Il s’insinuait de plus en plus un constat : « Il y a nous et eux  ». Si je peux donner un exemple concret, je me rappelle à l’école primaire d’un jour où nous avons visité une exposition sur l’esclavage, et une chose s’est fissurée en moi ce jour précis. Mon aversion à l’égard des Français de souche ne s’est quasiment jamais exprimée verbalement, mais elle était latente. Cependant je tiens à dire que j’ai toujours eu un tropisme européen, car mes relations amicales étaient principalement nouées avec ceux d’origine européenne, et les cours de latin que j’ai suivis au collège m’ont enraciné dans la beauté des langues antiques.

Étant donné mon âge, le retour des « origines » a été ressenti très fortement lors des émeutes de 2005. Et pour couronner le tout, il y a eu des arrestations en nombre dans la ville juste à côté de la mienne (il s’agit de celle où vit le rappeur Nick Conrad [2]). Pour ma part, je n’ai jamais vécu de racisme, pourtant il y avait une tendance diffuse à la victimisation. Et dans ce genre de cas, tu t’enfermes dans des considérations différentialistes, même si elles sont basées sur des fictions : nous sommes distants culturellement et linguistiquement des Afro-Américains, mais on s’identifie à leur situation de descendants d’esclaves.

Pourrais-tu décrire de l’intérieur, à partir de ton expérience, ce communautarisme, sa mentalité, ses manifestations, ses ressorts, tel qu’on le voit maintenant se généraliser ?

Bien sûr, il faut tout d’abord rappeler que ce communautarisme est dermique, et que la couleur de peau est considérée comme un aspect de notre identité. L’un des ressorts les plus puissants de cette communautarisation est le complexe d’infériorité à l’égard des Blancs (j’insiste sur ce mot, le terme « Européens de souche » n’est jamais utilisé).

Toute personne se sent plus à l’aise dans un territoire lorsqu’elle côtoie ses semblables, cela est un fait. On noue ainsi des liens avec la première personne qui parle notre langue ou qui est proche de nous physiquement. Cette tendance est exacerbée chez beaucoup de personnes d’origine subsaharienne, et la formation de diasporas subsahariennes s’opère de manière systématique. C’est la chronologie que Paul Collier a traitée dans son dernier livre « Exodus » [3]. Parce que le processus d’apparition des diasporas est rapide, on crée des personnes avec une identité profondément écartelée. Ces personnes, parce qu’elles sont minoritaires, vont s’édifier une identité par le biais des célébrités qui lui sont semblables génétiquement. Je ne compte plus les focalisations sur Serena et Venus Williams au tennis, Usain Bolt, Donovan Bailey, Carl Lewis, Will Smith, Morgan Freeman, Christiane Taubira ou Pelé. Il faut savoir que lors de la Coupe du monde de football 2002, la victoire du Sénégal sur la France et son parcours jusqu’en quarts-de-finale nous avaient rendus fous de joie ; seules les équipes d’origine africaine trouvent grâce pour les Français d’origine africaine lorsqu’elles font face à une équipe européenne où il n’y a que des Blancs dans l’équipe. Le complexe d’infériorité que j’ai introduit s’alimente également par le ressentiment. On n’a pas idée de la colonne vertébrale identitaire qui est constituée par la traite négrière (principalement celle effectuée par les Européens, celle des Arabo-musulmans est très peu relatée) et la colonisation européenne chez les Subsahariens. La série à succès « Roots », le film « La Couleur pourpre » sont des référents culturels permanents. Nietzsche avait très bien décrit ce ressentiment.

Leur discours est qu’on est là pour réussir dans un pays de Blancs et pour coopter nos semblables afin que notre visibilité s’accroisse. Les communautés turques, pakistanaises, tamouls de France ne raisonnent pas différemment de nous, même si elles sont plus discrètes. Les manifestations non exhaustives de ce communautarisme sont la création de médias communautaires (les chaînes télévisuelles Trace Urban, BBLACK), un tribalisme aveugle lorsqu’une personne d’origine subsaharienne se fait contrôler par la police, une spécialisation dans les métiers tertiaires, une tendance à porter sur un piédestal les Noirs qui exercent des activités prestigieuses exercées en très grande majorité par les Blancs (on s’intéressait au patinage artistique uniquement parce que Surya Bonali en faisait).

Les membres de la communauté subsaharienne tirent pour beaucoup d’entre eux (je déteste généraliser) leur force de la victimisation. C’est ainsi que le soutien communautaire peut se mettre en place et que des pions sont avancés pour faire de la France un pays semblable à ceux des Anglo-Saxons. De ce que j’ai remarqué, les liens noués avec les Blancs et les Asiatiques sont majoritairement superficiels. On se lie à eux parce que c’est nécessaire de le faire. Il y a peu de référents culturels communs, hormis ceux de la société de consommation, comme je l’ai dit précédemment.

L’exemple extrême de ce mélange de ressentiment, de complexe d’infériorité, de victimisation et de cooptation aveugle est Rokhaya Diallo. Elle est une femme caricaturale car ses réactions sont prévisibles et qu’elle n’a aucune subtilité dans son approche colonisatrice (j’insiste sur ce mot). Le morcellement de l’Hexagone en communautés est une étape transitoire de son projet. Elle veut que les Noirs prennent le pouvoir et mettent les Blancs en minorité politique. Pour ceux qui ne le savent pas, elle a écrit une tribune dans le magazine bimestriel Koï (à destination des Français originaires d’Asie de l’Est) où la victimisation suintait de chacune de ses phrases, elle voulait susciter du ressentiment chez les Est-Asiatiques afin qu’ils rejoignent sa lutte [4]. Le format en écriture inclusive de cette tribune donne une idée des ravages de l’intersectionnalité des luttes. Le joueur de football Kilian Mbappé a grandi dans cet enfermement communautaire où les modèles sont principalement issus de l’univers du divertissement. L’une des stratégies mises en œuvre par les communautaristes est de mettre en haut lieu des représentants qui véhiculeront des messages polarisants. Cela est rendu de plus en plus facile car les Français de souche sont pour beaucoup d’entre eux soumis aux diktats communautaristes, et plus on se soumet à ce type d’injonctions, plus l’ennemi voudra soumettre. Les personnes comme Danièle Obono, Leonora Miano (qui a dit que le remplacement de population va se passer), Rokhaya Diallo, Christiane Taubira, Samia Ghali, Morsay, Bassem Braiki ne comprennent que la force. Ce n’est pas avec des circonvolutions qu’on lutte contre ce genre de personnes.

Pour toi, il y a donc une véritable volonté de faire scission. Mais, au fond, sur quelles bases ? Ethniques, religieuses, idéologiques, politiques ?… Tu parles d’alliance avec les asiatiques, et il y a beaucoup de liens entre les communautaristes que tu cites et les franges islamistes. Tout cela a l’air très hétéroclite, sans même évoquer l’« écriture inclusive » qui a bien peu à voir avec les cultures d’origine…

J’ai expliqué que la communautarisation s’appuyait sur la couleur de peau. Les bases sont donc principalement idéologiques et politiques. Mais pour discuter des questions nationales, les diasporas se forment bien sûr en accord avec le pays auquel on appartient. On va dire que pour obtenir une visibilité accrue dans les pays occidentaux et lutter contre le « racisme », seule la couleur de peau importe. Mais pour former des groupes de pression à l’étranger contre les chefs d’états africains, le pays est le dénominateur commun.

Tu as donc raison en indiquant que c’est un pot-pourri revendicatif. À bien y réfléchir, c’est très peu organisé comme pour d’autres communautés (chinoise, turque…). Vu que les personnalités en vue font figure de modèles (Christiane Taubira, Rost, Hapsatou Sy, Omar Sy…), on laisse énormément parler ces personnes en notre nom. Je vais le répéter : les célébrités incarnent en quelque sorte la pensée collective des Subsahariens. L’indépendance d’esprit est difficile à exprimer, car l’esprit de communauté prédomine sur toute expression publique.

Il y a en effet beaucoup d’accointances entre les organisations subsahariennes et les organisations islamiques. C’est l’union des « damnés de la terre » en quelque sorte. Il y a des exceptions, en particulier avec les Subsahariens de confession protestante évangélique qui embrassent le discours fondamentaliste d’Amérique du Nord. Eux n’hésiteront pas à critiquer l’islam et à se distancier de ceux qui ne sont pas de leur confession. Stephen Smith a très bien mis cela en exergue dans son dernier livre « La Ruée vers l’Europe » [5].

De ce que j’ai lu, seule Rokhaya Diallo utilise de manière systématique l’écriture inclusive. En ayant une vue d’ensemble du communautarisme subsaharien, on trouve beaucoup d’incohérences et de liens improbables. Je ne vois en effet pas comment des personnes qui ne sont pas athées (l’athéisme n’existe pas en Afrique subsaharienne) et conservatrices au niveau des mœurs (j’en fais partie) peuvent converger avec des associations gauchistes, sauf si c’est pour faire de l’entrisme dans leurs rangs.

De ce que je sais, les alliances avec les organisations asiatiques ont été uniquement tentées par Rokhaya Diallo. Les communautés asiatiques agissent vraiment dans leur coin, et cela devrait inquiéter les Européens. La ville de Vancouver au Canada est une ville tenue par les Chinois désormais. L’occupation des bureaux de tabac par des Chinois a aussi lieu en Suisse. Des instituts Confucius ont ouvert il y a peu en Suisse. En résumé, les pays occidentaux sont un terrain de chasse pour les visées communautaires et hégémoniques de plusieurs communautés. La communauté à laquelle j’appartiens mais dont je me suis émancipé insistera sur le racisme systémique, le manque de diversité au niveau médiatique ou répétera les antiennes sur la colonisation et l’esclavage. Il faut savoir que, plus encore que les Européens, les Subsahariens fonctionnent au récit fondateur de l’identité africaine par des récits plus ou moins faux. Cela a sûrement un lien avec la socialisation des griots sur le continent (que je n’ai pas vécue, mais que je côtoie par procuration) qui permet de souder le collectif.

Je vais le répéter, mais il faut que les visiteurs du blog intéressés lisent le dernier livre de Stephen Smith. Pour se faire une idée des conflits intercommunautaires qui sont exportés sur le continent européen, je conseille la chanson « Blokkk Identitaire  » qui a Médine et Youssoupha pour interprètes [6].

… qui se réconcilient finalement par l’invocation de Mahomet et la haine du «  saucisson-pinard  » ! Là, c’est vraiment l’islamisation de l’Afrique noire qui continue sur le continent européen en se prétendant facteur de pacification face aux affrontements inter-ethniques. Mais tu as parlé des « récits fondateurs » de la communauté subsaharienne, qui aujourd’hui intègrent la colonisation, l’esclavage, et le « racisme » : pour toi, cela recoupe-il une réalité vécue ou ne serait-ce qu’un levier culpabilisant et revendicatif ?

Pour ce qui concerne le racisme, cela recoupe pour beaucoup un vécu. Une proportion non négligeable de personnes subsahariennes préfère les pays anglo-saxons, car on est considéré dans ces pays selon sa compétence, alors que l’obligation d’embrasser les codes culturels en France est de plus en plus mal vu. Il y a de plus dans les strates administratives des préjugés dus à l’origine qui perdurent selon les témoignages que j’ai entendus. Cela se manifeste par de la condescendance voire du mépris de la part du personnel administratif. De plus, à un niveau élevé de qualification, il y a un refus d’engager des personnes issues de la diversité. Je dis cela car je l’ai entendu plusieurs fois de la part de personnes ayant des parcours différents. Les raisons de ce plafond de verre me sont inconnues, mais je sais que ce plafond est fissuré (il n’y a qu’à voir les figures médiatiques de notre époque pour remarquer le changement).

Pour ce qui concerne la colonisation, il faut savoir qu’on nous inculque la Françafrique depuis longtemps, et qu’il y a toujours des agents d’influence français dans les pays francophones d’Afrique. On sait tous que nos dirigeants sont corrompus jusqu’à l’os et qu’ils spolient le peuple, mais la rancœur à l’égard de la métropole reste tenace quant à ses actions colonisatrices. Les paroles fréquentes sont : ’Ils ont volé nos richesses, et maintenant ils nous les achètent au rabais !!’, ’Le franc CFA est un marqueur du néocolonialisme français’, ’Le gouvernement français installe et consolide les présidents qui lui sont fidèles’. Pour moi, il y a du vrai dans tout cela. Le problème est que ça ne fait pas aller de l’avant, en particulier si on pense au projet chinois du collier de perles [7]. Il reste collectivement une naïveté politique chez les Subsahariens, et cela ne pourra que changer lorsque les réalités géopolitiques fracasseront les revendications personnelles.

Je vais revenir sur un point que j’ai abordé concernant l’esclavage. En Afrique, on adhère très facilement à des récits émouvants, que les faits relatés soient étayés ou pas. L’esclavage est un fait historique pluriséculaire qui mobilise d’une manière très forte les imaginations. On le remarque tout de suite à l’île de Gorée (même si je n’y suis jamais allé). Les historiens ont battu en brèche ce lieu de mémoire, mais la ’communauté de destin’ qui s’est formée par le truchement de l’esclavage maintient le mythe. Cette ’communauté de destin’ est, comme je l’ai dit, chromatodermique. Il y a une très forte identification aux Afro-Américains chez les Subsahariens. Par exemple le mariage du fils de la famille royale anglaise Harry avec Meghan, afro-américaine, a fait beaucoup parler dans nos cercles familiaux. Cette identification a pour conséquence principale l’édification d’une colonne vertébrale identitaire dont l’esclavage constitue le cœur. Le chantage à l’esclavage que subissent les Français est un moyen pour beaucoup de Subsahariens de se faire une place dans l’Histoire de France et de torpiller le ’Roman national’. Il y a, je le reconnais sans problème, un processus d’auto-mystification qui a été à l’œuvre. En effet, les ethnies africaines se réduisaient mutuellement en esclavage. Il est donc ridicule qu’autant de Subsahariens se disent descendants d’esclaves. Mais le message de base que véhiculent le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) et autres organisations victimaires est celui-ci : ’Considérez nos souffrances ! La France en est responsable et il faudra les prendre en compte.’ C’est bas-de-plafond, et je reconnais que c’est immature. Ils veulent exister, et l’esclavage leur permet de le faire. Je suis sorti de ce carcan communautaire, et je dis sans broncher que je n’ai pas grand-chose à voir avec les Afro-Américains. Je n’ai pas subi de racisme et mon ethnie traitait avec l’un des plus grands négriers d’Afrique de l’Ouest (le Brésilien Francisco de Souza). Mon ethnie a fait sa place après l’émigration et il n’y a aucune honte à tirer de cela. La logique binaire dans laquelle beaucoup de Subsahariens sont enfermés est incapacitante et un Rost ou une Christiane Taubira sont à plaindre.

On ne voit pas trop comment répondre à de telles attitudes, qu’on retrouve aussi dans des sociétés qui n’ont aucun passé colonial, comme la Suède ou la Suisse… Et on dirait que toute concession faite n’est, au fond, qu’un aveu de culpabilité « blanche ». C’est une sorte de cercle vicieux où la culpabilité narcissique d’un côté et le complotisme victimaire de l’autre s’auto-alimentent. Comment serait-il possible dans ces conditions de faire collectivité, d’une manière ou d’une autre ? Sur quoi tout cela peut-il déboucher, d’après toi, dans quel type de société sommes-nous en train d’entrer ?

Il est très difficile de répondre à la première question que tu as posée. Il est fort probable que des personnes célèbres d’origine subsaharienne doivent sortir du bois pour véhiculer des discours à rebours du politiquement correct. Vu l’importance qu’ont les modèles de réussite chez les Subsahariens, c’est pour moi une solution possible. Comme toujours, le problème pourrait venir de certains qui insulteront ces personnes de « Bounty » [8] afin de les décrédibiliser. Une autre solution pourrait être la floraison de livres écrits par des Africains pour remettre les choses à l’endroit, comme Ernest Tigori [9] l’a fait. Je vais être clair sur ce point : le rétablissement de relations un tant soit peu normales ne peut être que l’œuvre de personnes d’origine subsaharienne. Il faut pourtant se rendre à une évidence, qui est qu’on ne pourra pas faire collectivité avec tous ceux d’origine subsaharienne. Certains sont trop lobotomisés pour revenir en arrière. Je ne suis pas un inconditionnel de l’entrisme médiatique, mais véhiculer une pensée mobilisatrice par le biais des médias que plébiscitent les Subsahariens pourrait aider. Ce ne sont bien entendu que de vagues propositions de ma part, le travail dans cette direction n’a même pas encore commencé. Il se peut aussi que les impératifs économiques et écologiques unissent la population derrière un objectif commun.

Pour ce qui concerne ta deuxième question, on s’achemine vers une société à l’anglo-saxonne. Le travail de sape a été bien entamé avec tous les magazines communautaires (Amina, Koï, Gazellemag) et les entrepreneurs victimaires. La communautarisation ne sera pas ethnique à mon avis, elle devrait être chromatoderme. Je doute que des enclaves peule ou hmong se créent en Seine Saint-Denis. C’est à ce niveau que la France différera du Royaume-Uni, puisqu’à Londres même, tu as des quartiers bangladais, nigérians ou indiens. Je fais une différence avec les Chinois ou les Turcs, qui sont vraiment des communautés constituées avec des objectifs hégémoniques définis. Il y aura bien entendu plus de conflits inter-communautaires, et les Français de souche seront une communauté comme une autre. Une autre différence avec les pays anglo-saxons est que les Français de souche n’ont pour la plupart aucune conscience communautaire, il sera par conséquent difficile pour eux de faire front contre d’autres communautés. On l’a vu avec les affaires de viols de Telford, Rochdale ou Rotherham [10].

Il faut absolument parler des Métis afro-européens, car ils sont sans cesse tiraillés entre les deux continents. Les Africains les veulent pour eux, vu qu’ils ne sont pas considérés pour la plupart comme des Blancs. La conséquence est que les Français de souche perdront de plus en plus de terrain au niveau démographique. Les seuls Métis qui pourront se déclarer du côté français sont ceux avec une force de caractère significative, car ils devront briser le lien communautaire. Je dis cela car il y a les exemples concrets de Barack Obama, Colin Kaepernick ou Dominique Sopo. Le cas dont je vais traiter vient de Suède, mais il est éclairant sur le tiraillement que subissent beaucoup de Métis. L’Américain David Cole avait rencontré l’actrice Fransesca Quartey qui est ghanéo-suédoise et cette actrice a dit de manière claire qu’elle veut rendre la Suède méconnaissable par l’immigration africaine. Je déteste faire de la psychologie de bazar, mais les Métis veulent comme tout un chacun côtoyer des personnes qui leur ressemblent. Ce sont donc des sociétés multiculturelles que beaucoup appellent de leurs vœux. Ils seront ainsi fondus dans la masse indifférenciée des villes cosmopolites. La Métisse nippo-américaine Melody Yoko Reilly est dans ce mouvement de déstructuration.

Tu décris un « conditionnement culturel délétère », un déterminisme de type anthropologique qui se maintient en terres étrangères et maintenant se rationalise, et passe à l’offensive. Comment entretenir dans ce contexte des perspectives d’émancipation, l’émergence d’individus autonomes capables de mettre à distance les héritages traditionnels, familiaux, religieux, etc. dont étaient porteurs les mouvements historiques occidentaux ?

Cette question que tu poses est un véritable casse-tête auquel les émancipés devront s’atteler rapidement. Il faut souligner le fait qu’on parle d’individus, car à mon avis, cette émancipation ne pourra pas être un mouvement de masse. Trop de personnes ont essayé de changer la vision du monde de populations entières avec les conséquences funestes que l’on sait (Staline, Mao, Pol Pot…).

C’est par des débats continus que les personnes pourront définir ce qu’elles veulent comme société. On vit dans des vases clos idéologiques où on n’arrive même pas à se mettre d’accord sur ce qui a lieu dans la vie réelle. Les gens ne se parlent plus entre eux pour la plupart, et ils n’arrivent pas à réfléchir sur ce qui les conditionne. Un premier travail est de repérer les personnes qui savent que quelque chose cloche, un deuxième travail est de les confronter aux problèmes présents. Je sais que ma démarche est élitiste, mais j’ai été trop confronté au nivellement de la pensée par des discussions creuses et superficielles. Une chose qui pourra peut-être te choquer doit être dite : je suis devenu un apostat de l’égalité. Seule l’égalité en droits m’importe, une hiérarchie naturelle est pour moi nécessaire, car nos dons et capacités personnelles diffèrent forcément. Certaines personnes ont les capacités intellectuelles pour se remettre en question, d’autres ne l’ont pas. Je considère que l’élitisme de la démocratie athénienne n’est pas un hasard historique. Il faut avoir l’intelligence et la vision adéquate pour contribuer de manière constructive aux assemblées. Une démarche didactique devra être effectuée pour mettre les citoyens en face de leurs responsabilités.

Les perspectives d’émancipation ne peuvent être entretenues que si une culture commune est partagée. Or, on vit dans des sociétés balkanisées culturellement. C’est peut-être parce que l’Ukraine n’est pas si balkanisée que la révolte de Maïdan a pu avoir lieu. Je connais le discours des nationalistes ukrainiens, et le refus de la corruption est ancré chez eux. Ils sont contre les oligarchies et défendent la responsabilisation du peuple. On peut être en désaccord idéologiquement avec eux, mais on ne peut pas leur nier une volonté farouche de mettre en échec l’impérialisme russe. Je fais ce détour par l’Ukraine, car c’est l’un des pays qui a le plus souffert au XXe siècle.

La dimension culturelle doit être abordée sans fard. Il faut mettre à bas tous les mythes qui n’ont aucune conformité avec la réalité. En tant que chrétien, j’ai baigné dans un nombre significatif de mythes, mais je sais relativiser ce qui m’a été enseigné et ce en quoi j’ai cru (une expérience mystique m’y a conduit). Je tends à être sceptique et à envoyer paître les croyances, car seuls les faits importent. C’est ensuite le traitement qu’on accorde à ces faits qui devrait déterminer les différences politiques. Par exemple, un antispéciste doit dire clairement que le monde tel qu’il est l’horrifie et qu’il veut le changer, un raciste doit dire clairement qu’il place la race au-dessus de tout. J’ai renoncé à une vision iréniste, je considère donc qu’il y aura de tout dans les sociétés futures, car l’homme est mû principalement par ses solipsismes. Comprendre les courants philosophiques qui font l’état français tel qu’il est permettra de faire le ménage nécessaire. En ce qui me concerne, j’ai compris que l’état français est messianique dans son essence. L’absolutisme de l’Ancien Régime a pris la forme du monarchisme qu’est le système de la Ve République. Le républicanisme est une laïcisation extrême de la France « fille aînée de l’Église ». La colonisation du XIXe siècle est une évangélisation internationale des principes républicains. Si on veut une émancipation à grande échelle, il faudra se pencher sur la préservation ou la mise à bas du mythe républicain. Aucune question ne devra être éludée. Ainsi les habitants pourront se positionner pour incarner dans leur quotidien le projet qui prévaudra. S’ils ne l’aiment pas, qu’ils partent du territoire ou qu’ils en soient exclus par la force. Cette condition est peut-être trop extrême, mais un peuple conscient de lui-même n’autorise pas les ennemis intérieurs ou les traîtres potentiels. Les cinquièmes colonnes ne manquent pas sur notre territoire, leur traitement est donc une question brûlante.

Il faut se poser par conséquent la question de l’homogénéité/hétérogénéité ethnique du peuple qui émergera. Comme tu l’as remarqué, les tensions interethniques s’exacerbent, y compris lorsque les Français de souche ne sont pas concernés. Je pense qu’il devrait y avoir une quantité infime d’étrangers au sein des communautés, car s’ils sont submergés par la majorité, ils adopteront les codes culturels et s’émanciperont de leur culture d’origine. Le multiculturalisme n’est plus dans mon logiciel politique. Mon élitisme me porte à défendre l’exemplarité du peuple pour que la culture soit embrassée par l’étranger. Une incarnation authentique des principes par les émancipés garantira une assise culturelle, c’est ce qu’on voit au Bhoutan ou dans certaines parties des États-Unis avec des habitants non-émancipés.

Parlons de la question religieuse désormais. Je vois très bien les avantages de la laïcité en France, mais il ne faut pas oublier que ce système peut disparaître car tout ce qui a un commencement a une fin. La laïcité peut poser problème, car on crée une duplicité chez les personnes ayant une culture trop éloignée de celle qui est séculière. Des facteurs discriminants seront nécessaires pour traiter avec les citoyens dans la période de transition politique (j’assume le mot « discrimination », car tout le monde discrimine). Je méprise le principe théocratique, car il est imposé par la force et est totalement à rebours de l’émancipation que toi et moi défendons. La réforme intérieure de chacun doit avoir lieu, car l’autonomie est à ce prix. Sache que j’ai lu les « Douze preuves de l’inexistence de Dieu » de Sébastien Faure et qu’elles m’ont paru très pertinentes. Il faut savoir si on veut un peuple fort de ses certitudes car il aura remis en cause tout ce qui peut l’être ou si on doit véhiculer des mythes mobilisateurs. J’ai une petite idée de ce que tu privilégies, mais il ne faut pas oublier que le communisme est une religion athée tout aussi dogmatique que les religions révélées. Les athées ne doivent pas oublier qu’ils peuvent avoir des biais handicapants et que l’intolérance peut les toucher. Vu que j’ai de l’humour, je pourrais préconiser des lectures de philosophes comme Arthur Schopenhauer, Friedrich Nietzsche, Ladislav Klima, Albert Carraco (pour les personnes solides mentalement), Emil Cioran ou Douglas Harding. Tout cela demeure un ensemble de propositions, mais je considère qu’il faut ancrer les personnes dans le continent où elles vivent. J’aime bien Amadou Hampâté Ba, mais ce n’est pas le substrat européen, et puis les philosophes occidentaux ont pour une bonne part d’entre eux défriché le terrain pour la recherche de la vérité. Une formation scientifique solide est un moyen efficace pour élever les personnes émancipées et leur donner les clés pour résoudre des problèmes concrets. Plus je te réponds, plus je me rends compte que je défends une alternative proche de La République de Platon.

Beaucoup de choses sur lesquelles nous ne serons pas d’accord et pas mal de questions qui mériteraient de grandes discussions… Mais nous nous retrouvons en tous cas sur les constats que tu tires.


[1« Ô France ! le temps des palabres est révolu / Nous l’avons clos comme on ferme un livre / Ô France ! voici venu le jour où il te faut rendre des comptes / Prépare-toi ! voici notre réponse / Le verdict, Notre révolution le rendra / Car nous avons décidé que l’Algérie vivra / Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin ! »

[2… connu pour avoir commis un clip, « Pendez Les Blancs », en septembre 2018 où il chantait : « Je rentre dans les crèches, je tue des bébés blancs / attrapez-les vite et pendez leurs parents », qui lui a valu quelques milliers d’euros d’amendes. Il récidive en mai 2019 dans une nouvelle vidéo, « Doux pays  », où il parodie la chanson de Charles Trenet tout en mettant en scène le viol d’une femme blanche.

[3Exodus. Immigration et multiculturalisme au XXIe siècle, 2019, Ed. L’Artilleur.

[4« Et si on avançait main dans la main ? Par Rokhaya Diallo. », Magazine Koï n°5, mai/juin 2018.

[5La Ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent, 2018, Ed. Grasset. Voir notre recension.

[6Album « Protest Song » de Médine, 2013.

[7Stratégie offensive chinoise d’encerclement de l’océan indien

[8Barre chocolatée fourrée aux éclats de noix de coco, utilisée pour insulter les individus qui seraient « noirs dehors mais blancs dedans »...

[9On lira par exemple L’Afrique à désintoxiquer : Sortir l’Europe de la repentance et l’Afrique de l’infantilisme, 2018, Ed. Dualpha, Prix Mandela de littérature 2017.

[10Viols collectifs de dizaines de milliers de très jeunes filles blanches par des gangs pakistanais dans plusieurs villes britanniques depuis les années 1980, tus pendant trente ans par les autorités par peur de faire le jeu du racisme…


Commentaires

« Les pays occidentaux sont un terrain de chasse pour les visées communautaires »
vendredi 24 juillet 2020 à 14h17

Votre site est merveilleux, chaque article me donne la sensation d’être plus instruit. J’espère que vous continuerez à progresser et à vous faire connaitre à la place des sites/journaux de tous bords.

Au niveau de l’article en lui-même, je ne peux que saluer Aimé. Sa position peut sembler compliqué mais pourtant, il parle de l’immigration, du communautarisme sans aucun à priori ou refus de parole pour une question de droite/gauche ou purement idéologique, en particulier sur l’homogénéité/hétérogénéité ethnique du peuple. Je partage sa position mais je ne sais pas l’exprimer sans être mis dans une boite politique... Si seulement nous pouvions contacter plus facilement ce type de personne !

Encore merci et à plus tard.

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