Essai sur la bêtise : l’un et le multiple

Michel Adam
mercredi 5 février 2020
par  LieuxCommuns

Troisième partie des Prolégomènes de l’ « Essai sur la bêtise » de Michel Adam, Puf 1975, pp. 38-59. Les intertitres sont de nous.

On pourra également lire la partie précédente : « Essai sur la bêtise : le discernement »


Si la bêtise semble pouvoir caractériser une conduite humaine typique, elle n’est pas pour autant univoque. Mais vouloir rendre compte de sa diversité nous permettra de préciser sa spécificité. Peut-être n’y a-t-il pas de différence de nature d’une espèce de bêtise à une autre, mais dans les différences de degré que nous établirons ce sera certainement la nature profonde de la bêtise que nous dégagerons peu à peu. La condamnation de la bêtise est ordinairement sans nuances parce que notre réaction est une attitude polémique de protection [1]. Noli me tangere. La bêtise semble être à ce point manifestement signe d’elle-même qu’on la repousse avec ardeur, sans vouloir en chercher les variétés. Il est vrai, aussi, que le spectacle de la bêtise paralyse le jugement sain en le braquant dans une attitude défensive. Cette attitude se prolongera dans une signification donnée au problème de la bêtise qui en sera une altération ; la bêtise se trouvera confondue avec l’alternative vérité-fausseté. Le sot est dans l’erreur, alors que le sensé peut proclamer la vérité. Mais c’est en deçà de ce dualisme que la bêtise trouve son principe. Il faut la chercher dans la perspective d’une pensée non encore élaborée, offrant à la sagacité de la personne toutes les possibilités d’organisation et de jugement, puisqu’on n’est pas encore parvenu au stade de l’opinion qui sera une tentative de formulation du donné implicite préalable. Le vrai et le faux concernent une pensée déjà constituée à laquelle il s’agit d’appliquer une valeur intellectuelle. La bêtise renvoie à ce qui n’est pas encore une pensée, à ce qu’il s’agit de formuler pour pouvoir ensuite le juger. D’ailleurs on peut noter que le bon sens se situera au-delà de la dichotomie vrai-faux, puisqu’il sera capable de résoudre un problème mathématique par le biais de l’absurde, ainsi que de manier dans la pratique de la vie sociale la vérité et le mensonge, tant dans les processus les plus grossiers du manque de franchise que dans les conduites techniques de la vie diplomatique ou politique, qu’enfin le scrupule et les conflits de devoirs exigent une pensée qui ne se contente pas d’une perspective bipolaire. La bêtise n’est pas un problème intellectuel, c’est la question de l’origine même de la pensée, au moment où celle-ci se constitue comme telle. C’est la question du fondement de la pensée, de l’engagement de la réflexion envers elle-même. C’est pourquoi il faut que celui qui énonce sa pensée en soit responsable.

« un homme sensé se disputant avec un imbécile,
il ne récoltera que la honte »

Le premier stade est celui de la naïveté. Il s’agit précisément de l’acceptation de la pensée informulée, qui vit en nous sans nous, sous forme de pulsions naturelles ou de manifestations généreuses. Le naïf exprimera des grossièretés sans savoir qu’elles sont telles, ou maniera les pensées les plus idéales sans se douter qu’elles sont irréalisables. Insensible à ce jugement élémentaire qu’est la pudeur, ou à l’esprit critique qui renvoie au souci du réel, il énonce ce qu’il pense avec la plus grande candeur. L’absence de jugement sur ce qu’il énonce le fait proche de l’enfant ; on parle ainsi de puérilité. Et le contenu de ce qu’il énonce, n’ayant pas le charme du discours d’enfant, paraîtra simplement saugrenu. Est-on vraiment dans le domaine de la bêtise ? Ceux qui veulent l’identifier à un mauvais usage de la vérité le contestent [2]. Mais si la bêtise se qualifie par rapport au marais psychologique à partir duquel doit s’exercer le discernement humain, il faut bien y voir le premier stade, celui où l’on ne peut accéder à une pensée consciente d’elle-même, mais qui pourtant formule une pensée et la propose aux autres, sans penser l’autre comme susceptible d’une attitude critique sur cette pensée, comme l’enfant qui ne peut encore comprendre la distance qui existe entre son univers et celui de l’adulte.

Le niais est un insecte qui se donne toutes les peines
pour butiner du vent.

La seconde attitude que nous retiendrons sera la niaiserie. Un des traits les plus significatifs de la pratique niaise consiste à donner de l’importance à des réalités futiles. Le collectionneur de porte-dés est un niais. Sa niaiserie d’ailleurs s’aggrave d’elle-même, en devenant obsédante. On peut par manque de sensibilité au réel donner de l’importance à des riens. Mais la niaiserie devient un comble lorsque cette vanité des objets est convertie en principe d’action. Le niais est un insecte qui se donne toutes les peines pour butiner du vent. Il est le volontaire d’un rocher de Sisyphe qu’il se serait plu lui-même à détacher de la montagne. Le chat aime à jouer avec une bobine vide ; le niais s’en amuse, parce que secrètement il trouve dans ce spectacle l’image de sa futilité. Non seulement le monde de l’empirie est le sien, mais parmi les choses il semble avoir l’habileté de choisir uniquement ce qui n’a aucune valeur. Il possède l’art de naviguer dans le néant. Les objets sont bien des objets pour lui, mais il y projette une sensibilité entraînant une action sans rapport avec le monde adulte. Le niais est vain, car il agit avec un sérieux appliqué, mais aussi parce qu’en croyant vraiment agir il ne fait que jouer. Son univers n’est constitué que d’ombres ; il est dans la caverne et prend au sérieux son horizon de nursery.

La niaiserie a cette particularité qu’elle joint à la bêtise l’innocence, n’ayant pas plus de pensée que la naïveté, mais voulant se donner illusion. D’abord terme de fauconnerie, la niaiserie concerne l’oiseau qui n’est pas encore sorti du nid. Puis il qualifie les garçons simples, sans usage du monde. C’est ainsi que l’on pourra constater l’existence d’une démarche niaise, empruntée. Que l’on songe au rôle de la basse dans la pièce de clavecin de Rameau, appelée Les niais de Sologne. Cette formation inexistante fait de la niaiserie un comportement qui peut être temporaire, et ne relever que de la difficulté de formation. L’éducation est en cause, mais l’esprit n’est pas forcément mauvais ; il ne faut pas désespérer. En revanche, il semble que les qualificatifs de benêt et de cruche soient liés à des situations irrémédiables. Il y a bien la même lourdeur d’esprit, la difficulté d’expression et la maladresse de présentation. Cependant la possibilité curative manque ; c’est comme si rien ne pouvait être essayé. Pour le niais, on veut bien que cela soit la tâche d’un autre de tenter l’éducation. Mais pour le benêt ou pour la cruche il est inutile d’effectuer une tentative. Il suffit de les confiner dans leur coin ; tout espoir est perdu ; la vie sociale ne se nouera jamais avec eux, car ils seraient incapables de comprendre, et leur difficulté de présentation physique est la marque de leur impossibilité de manifester quelque forme de pensée que ce soit.

Avec le ridicule, nous trouvons surtout l’aspect social de la bêtise,
presque à l’état pur.

Avec le ridicule, nous trouvons surtout l’aspect social de la bêtise, presque à l’état pur. Ne pas avoir le sens du ridicule, c’est ne pas tenir compte du jugement possible d’autrui. On n’est ridicule que par et pour les autres. On est ridicule quand le groupe se moque. Le ridicule n’est pas nécessairement associé à la possibilité du jugement légitime faisant quelqu’un sot. « L’idée d’être ridicule ne doit d’ailleurs point nous troubler » [3], ce qui se peut entendre en deux sens. D’abord, il peut s’agir d’une réaction non fondée venant d’autrui. Mais cela peut être également pour celui qui s’aperçoit qu’il a été ridicule – et que cela se limite à cette conduite – l’occasion d’une réadaptation au milieu. « Il est parfois bon et même meilleur d’être ridicule : on est plus enclin au pardon mutuel et à l’humilité » [4]. Le ridicule sensibilise à la présence possible de la bêtise, mais il n’est pas constitutif de celle-ci. Il est là comme conduite ; le sujet correspondant n’est pas sot pour autant. Le ridicule est de situation, d’insertion sociale manquée. Il ne peut venir que d’un contexte. Le ridicule ne tue pas l’esprit ; il peut, comme nous l’avons noté, à l’inverse, le susciter.

Mais le ridicule est constitué par l’absence d’esprit. Il est platitude plutôt même qu’absence de pensée. Pour saisir cette nuance, il n’est que de rapprocher le ridicule du comique. Le comique appelle la réflexion, la situation présentée l’était selon un but et le rire conséquent montre que ce but a été atteint. Le ridicule, à l’inverse, ne fait pas rire, en raison de la futilité de la pensée et de la situation correspondante [5] C’est en cela que le ridicule renvoie à la bêtise. Il est incapable de constituer une pensée, de promouvoir l’expression d’une sensibilité signifiante. Il reste à fleur d’impression sans être capable de transformer celle-ci en expérience. La pensée est nulle, on ne peut donc pas attendre d’elle qu’elle rende manifeste le dédoublement réflexif qui dégagera la contradiction, entraînant le rire. Cela restera grossier, plat.

Mais il faut aussi distinguer le ridicule de ce qui en sera l’affectation, la prétention, où nous reconnaissons le grotesque : c’est le ridicule, content de lui, militant. Le grotesque est la prétention de la pensée avec le désir d’attirer l’attention sur soi, alors que justement il n’y a pas d’accès à la pensée. Mais le ridicule a en commun avec le grotesque l’importance de l’environnement. Ce sont les circonstances qui accentuent l’ampleur du désastre ; ces deux attitudes seront relatives à la situation, renvoyant à l’indifférence de leur agent à la qualité des situations [6].

Il faut enfin dire que le ridicule est une incapacité de se rendre sensible à ce qui a de l’importance ; il se constitue aussi par la médiocrité des objets auxquels il s’adonne, mais avec une résonance sociale. C’est le cas de Minard dont Balzac nous trace le portrait. « Son apparente bêtise était produite par la tension continuelle de son esprit : il allait de la Double Pâte des Sultanes à l’Huile Céphalique, des briquets phosphoriques au gaz portatif, des socques articulés aux lampes hydrostatiques, embrassant ainsi les infiniment petits de la civilisation matérielle » [7] C’est ce que l’on pourrait appeler la psychose du boutiquier.

L’attitude ridicule n’est faite que d’une suite de platitudes qui veulent passer pour de l’esprit et qui font de leur auteur un nigaud. Si les précieuses sont ridicules, c’est parce qu’elles se prennent au jeu du langage en croyant qu’elles créent la société de pensée correspondante ; elles se jouent une comédie qui ne serait pas risible sans Molière. La pensée n’est pas dans le maniement des objets ; le ridicule croit que l’apparence vaut pour le réel profond, et qu’il suffit de s’étonner de ce que les choses sont ce qu’elles sont pour se croire capable de réflexion. L’homme ridicule est inaccessible au ridicule, car il lui manque la profitable confrontation entre l’image des choses et la pensée à leur propos.

La bêtise nous paraîtra chronique, irréparable, alors que la stupidité est passagère. Leibniz cite le cas d’un joueur de cartes stupide qui faisait pester ses partenaires, car l’arrivée d’un engagement de jeu difficile le mettait dans de telles réflexions qu’il semblait incapable d’en sortir. Ainsi les stupides « ont le jugement bon, mais n’ayant point la conception prompte, ils sont méprisés et incommodes » [8] Il y a dans la stupidité une impossibilité à réagir rapidement ; les stupides manquent d’un jugement spontané devant une difficulté qui les laisse anéantis. Ils ne devinent pas d’emblée la solution ; on dit habituellement qu’ils ne sont pas très astucieux. Le stupide est celui qui dans ses réactions retarde, de la même façon que les connaissances scientifiques des temps passés peuvent paraître stupides au regard du savoir contemporain. L’homme stupide est aussi anachronique ; il sent le besoin d’utiliser sa pensée, mais il ne trouve pas d’emblée la possibilité de le faire.

Cet immobilisme de réaction renvoie à une image, celle de la bûche. Le stupide semble véritablement engourdi ; il est comme insensible à la difficulté [9]. Il manifeste une retombée dans la matière, si bien que sa sottise le renvoie à l’ordre des corps, mais un corps que rien ne viendrait sensibiliser, ou que tout exciterait dans sa corporéité. Les exigences du corps bloqueraient les possibilités de l’esprit. L’homme charnel est insensible aux requêtes de l’esprit. « Il n’y a que le corps qui appesantisse l’esprit : voilà le principe de notre stupidité » [10].

Il y a dans la stupidité une sorte de passivité qui désarme, c’est ce qui la fait apparaître comme la possibilité limite de la bêtise, et ce qui la rend désarmante, parce qu’elle n’est pas agressive. Certains même lui trouvent un aspect sympathique [11], Elle peut aussi sembler plus supportable. « Le stupide est un sot qui ne parle point, en cela plus supportable que le sot qui parle » [12]. Cependant ces jugements ne sont pas sans contrepartie. Ils se manifestent lorsque l’esprit confronté à la stupidité n’a pas envie de juger ; à l’inverse lorsqu’il veut utiliser son pouvoir judicatoire il s’impatiente de l’esprit borné de son interlocuteur. Il suffit de noter la nuance agressive mise à prononcer le mot « stupide » ; c’est bien ce qui frappe de stupeur. Et c’est l’insensibilité à l’appel de la pensée qui est l’objet du scandale. C’est comme un constat d’impuissance que l’on manifeste, un désarroi total.

La stupidité semble ne présenter aucune faille, elle est tout d’un bloc, comme en témoigne ce portrait de Saillard, proposé par Balzac. « C’était un gros et gras bonhomme très fort sur la tenue des livres, et très faible en toute autre chose, rond comme un zéro, simple comme bonjour, qui venait à pas comptés comme un éléphant… Personne ne doutait au ministère que le Père Saillard ne fût une bête, mais personne n’avait jamais pu savoir jusqu’où allait sa bêtise ; elle était trop compacte pour être interrogée, elle ne sonnait pas le creux, elle absorbait tout sans rien rendre » [13].

Devant de tels portraits, le vocabulaire se fait riche, parce que le stupide renvoie au problème de la dignité de l’homme, qui est comme chacun sait depuis Pascal dans la pensée. Le stupide semble me faire violence. Que l’on ne s’étonne pas des possibilités que donnera l’argot pour réagir à ce spectacle. La faiblesse désarmante de l’homme sensé devant la sottise se renversera en intolérance [14]. On rejette ainsi l’autre du groupe de ceux qui ont accès à la pensée. Mais on remarque que ces qualificatifs peuvent se ramener à l’unité derrière le mot traditionnel d’insensé qui ne prend une valeur que lorsqu’il est prononcé par une personne de bon sens.

La sottise se présente comme exigence de pensée,
mais incapable de décoller du réel.
Elle pense ce qu’il est inutile de penser.

En abordant la sottise, nous rencontrons une conduite faite de deux éléments antinomiques. D’une part, le sot propose sa pensée comme si elle était élaborée comme telle, mais d’autre part cette pensée est sans jugement ; elle n’est ni maîtrisée, ni contrôlée. C’est en quelque sorte l’étourdi qui joue au penseur, l’ignorant par inattention qui joue au savant. Tout ce qui bloque notre aptitude à la réflexion est capable de nous rendre sot ; ainsi en est-il des passions, au sens classique de ce mot [15]. La sottise est donc une conduite qui me lie à la prévention et à la précipitation ; c’est le souci du non-souci. Elle semble pensée, mais elle tourne le dos aux vraies caractéristiques de la pensée qui se contrôle elle-même. Momentanée, la sottise est la gaffe, durable elle est la confusion. Elle n’est pas ordonnée par rapport à l’essentiel. Ainsi les vierges folles sont des sottes, qui ne savent pas donner une orientation conséquente à leur comportement. Il y a, chez le sot, une ingénuité de conduite qui les montre comme sortant d’un rêve lorsque la confrontation avec le réel entraîne une révision de leur attitude première. Puisque la sottise est surtout inattention, elle est abandon de soi, faiblesse de caractère. Mais elle n’est pas pour autant absence de qualité. Les péchés de jeunesse sont des sottises, mais avec une légèreté d’engagement telle que ce n’est pas encore de la bêtise. La bête aura la disgrâce de la lourdeur, et la permanence de ses réactions [16]. Cependant le sot n’est ni prétentieux, ni combatif. Un sottisier n’est que le recueil de ses bourdes, et celles-ci sont énoncées avec calme, sang-froid et apparence de bon sens. C’est ce qui fait écrire à Claude Roy : « Le premier trait général des sots, c’est que la bêtise chez eux est paisible, forte, souvent tranchante, toujours assurée de son bon droit et de sa rectitude. La bêtise ne doute pas d’être l’intelligence » [17].

La sottise est ainsi manque d’attention ; c’est la faute par omission. On l’oppose à la réflexion et à la sagesse ; c’est une sorte de stérilité momentanée de l’esprit, une indigence de la pensée. Aussi le sot est-il malheureux, lorsqu’il peut constater sa faiblesse [18]. La sottise peut manier des connaissances, du savoir, des traits de mémoire à partir desquels elle veut conclure, mais elle n’en est pas véritablement capable, ce qui fait que sa pensée est décalée par rapport aux éléments pour l’échafauder.

C’est ce qui peut rendre la sottise hargneuse :
ne pas s’apercevoir qu’il fallait penser au lieu de percevoir.

On trouvera ainsi de la sottise dans l’impossibilité de l’interprétation symbolique d’une réalité. La circoncision, où l’Esprit-Saint n’intervenait pas, est devenue inutile pour les chrétiens ; l’Eucharistie est puérilité pour les non-croyants. Non vécu comme sacrement, cela devient sottise. « Tous ces sacrifices et cérémonies étaient donc figures ou sottises ; or il y a des choses claires trop hautes pour les estimer des sottises » [19]. Si cela prend un sens par rapport à une théologie, dès que l’esprit s’éloigne de l’acceptation des principes, les conséquences chiffrées dans la matière perdent leur signification et l’on ne trouve plus que de la matière à fonction humaine, rien qu’humaine. La sottise se présente comme exigence de pensée, mais incapable de décoller du réel. Elle pense ce qu’il est inutile de penser. C’est ce qui peut rendre la sottise hargneuse : ne pas s’apercevoir qu’il fallait penser au lieu de percevoir. Le sot se contentait de regarder et était inattentif à la tension que la vie de l’esprit devait susciter. On en veut alors aux autres d’obliger à réfléchir alors que cela semblait si inutile, le monde présentait des paradis de pensée artificielle où il n’y avait qu’à se laisser rêver le réel au lieu de le rendre signifiant.

Ayant peur de ne pas être détenteur de sa pensée jusqu’au bout,
on la durcit pour en faire un impératif absolu.

Avec l’imbécile, la perturbation est chronique et profonde. Il s’agit d’une incapacité de l’intelligence, d’une faiblesse durable de l’esprit [20]. On sait la violence que Pascal met dans l’emploi de ces mots. Cette faiblesse de l’esprit n’est pas toujours immédiatement sensible ; elle peut être cachée par une forte personnalité, par exemple l’attitude de quelqu’un dont on dit qu’il a du caractère parce qu’il possède une volonté extrême, mal réglée qui n’est autre qu’une volonté faible ayant peur de ne pas aboutir et qui se durcit pour ne pas succomber avant la réalisation de l’acte décidé. Derrière cette carapace de vouloir se cache une faiblesse profonde de la personne. Ayant peur de ne pas être détenteur de sa pensée jusqu’au bout, on la durcit pour en faire un impératif absolu. Il est facile à des imbéciles qui font illusion d’être des meneurs pour d’autres imbéciles aussi faibles, mais moins volontaires qu’eux.

Le comportement de l’imbécile consiste à se répéter, à pratiquer la tautologie. Ce qui signifie d’abord que sa pensée n’est pas liée ; il lui manque le souci du rapport, de la conséquence. L’expression en lui est toute mécanique, il est soumis au développement de ce qu’il dit, d’où l’importance de la crédulité, de la dépendance. C’est l’homme de la petitesse et de la médiocrité. La bêtise pourra montrer un certain lyrisme, l’imbécillité jamais. Les pensées de l’imbécile lui sont données, c’est l’homme de l’opinion. Le manque d’intelligence en lui consiste à ne pas pouvoir associer deux idées ensemble [21]. L’imbécillité se caractérise donc par un manque de force intellectuelle.

Mais ce sera aussi un souci de conformisme, de copie que l’on retrouvera dans des formules systématisant la répétition de mots : un chat est un chat, le goût est le goût, la loi c’est la loi [22]. Par des formules de ce genre, l’imbécile fait reculer la pensée et se pare de ce qui lui semble le bon sens. Ainsi personne ne le fera coupable de ne pas mener la pensée hors du sens commun. Ce sera l’autre qui délirera. Mais la signification de cette tautologie va plus loin encore : cela semble le bon sens, donc un renvoi à ce donné préalable de la sensibilité où la pensée n’a pas besoin de se formuler, où le réel est donné pour ce qu’il est, et que tout au plus l’opinion dans ce qu’elle a de public a permis d’énoncer dans la quotidienneté. Cette trivialité de chaque jour devient le principe d’autorité qui légitime la simple répétition des mots. L’imbécile attend de chacun qu’il s’y soumette, comme il le fait lui-même.

Ici encore il n’est pas question d’erreur et de fausseté,
pas plus d’ailleurs que d’ignorance.
Il s’agit plutôt de l’aptitude à acquérir un véritable savoir,
à fonder ses idées dans une réflexion personnelle.

La bêtise que nous abordons maintenant est un manque total de qualité de l’esprit. Elle consiste non pas tant à n’avoir pas d’idées qu’à avoir des idées courtes, plates, fausses. Ce sont des idées qui baignent encore dans le donné originaire dont la pensée devrait les faire sortir. La plus commode, pour l’analyse, sera de procéder par opposition. La bêtise s’oppose d’abord à la finesse. Ainsi des idées bêtes seront sans originalité, sans profondeur. Ce seront les grosses idées du commun, non décantées du marais affectif dans lequel elles baignent, et sans la vie qu’une personne sensée pourrait tirer de la sensibilité jointe à l’expression de la pensée [23] Mais le principe de cette absence de finesse se comprendra mieux si on compare la bêtise à la subtilité. Grâce à celle-ci les idées peuvent prendre des nuances, se préciser, devenir différentes les unes des autres. Mais pour ce faire, il faut une possibilité d’imagination que le bête ne possède pas. Il utilise les idées telles qu’il les trouve, sans aucune ingéniosité particulière. Pour l’homme sensé et de goût, il ne s’agit pas seulement d’être subtil, mais encore spirituel ; c’est-à-dire de ne pas s’en tenir aux idées, mais montrer que l’on a de la personnalité, ce qui veut dire ici de l’aisance. Au lieu d’insister d’une manière appuyée et ridicule sur ce que l’on fait et ce que l’on dit, on manœuvrera légèrement, laissant entendre que les idées proposées sont susceptibles de bien des sens, mais que l’interlocuteur est lui-même assez sensé pour pouvoir trouver seul, sans avoir besoin de cette pédagogie sotte de maître d’école borné. Comme nous aurons à le redire, c’est dans cette attitude d’apparence légère que réside le vrai sérieux, celui qui n’est pas d’énonciation et de comportement, mais de vie intérieure. La bêtise est la marque d’une limitation de la vie profonde de l’esprit ; le bête est borné, c’est ce qui l’empêche d’élaborer une pensée originale. Ici encore il n’est pas question d’erreur et de fausseté, pas plus d’ailleurs que d’ignorance. Il s’agit plutôt de l’aptitude à acquérir un véritable savoir, à fonder ses idées dans une réflexion personnelle.

Que l’on songe à la façon selon laquelle le bête juge autrui :
les jugements qu’il porte relèvent de sa haine et de son envie
et concernent ce que l’on appelle pudiquement la vie privée.

C’est en ce sens que la bêtise est insondable [24], car la pensée de celui qui est bête est sans prise : aucune pensée, aucun jugement ne peuvent être proposés, ce n’est pas à ce qui sera proposé que le bête répondra ; il ne le peut comprendre. Sa pensée ne va pas jusqu’à la compréhension des idées. Que l’on songe à la façon selon laquelle le bête juge autrui : les jugements qu’il porte relèvent de sa haine et de son envie et concernent ce que l’on appelle pudiquement la vie privée. Tout ceci est en rapport direct avec ce que nous avons appelé le marais. La pensée n’a pas besoin d’être élaborée ; elle trouve sa nourriture dans les pulsions les moins élaborées de la personne ; c’est ainsi que l’on passe facilement de la médisance à la calomnie, puisque nous nous trouvons en deçà du souci de la vérité, et en relation avec la rancœur envers autrui.

Mais il s’agit pour le fat de se croire pensant,
parce qu’il utilise les mots de la pensée.

Il y a enfin [25] une variété spéciale faite d’abord de pensée empruntée et de ce que nous avons déjà appelé la niaiserie. Ce mélange donnera une prétention intellectuelle procurant du sérieux : à une pensée utilisée sans y avoir accès. On peut alors parler de simagrées [26] pour qualifier ce comportement qui répond au type du fat. La pensée en tant que réalité sociale est perçue, mais non ses exigences profondes [27]. Le fat s’engage dans des expressions non comprises et se joue d’abord la comédie à lui-même. Il ne peut pas vérifier la validité de cette pensée, ni par rapport à son emploi, ni par rapport à sa constitution. Il se fera dogmatique ; il ne pourra jamais atteindre la qualité du langage qui exprime cette pensée ; il ne saura pas l’adapter à son auditoire. Mais il s’agit pour lui de se croire pensant, parce qu’il utilise les mots de la pensée. Le naïf maniait la pré-pensée ; le fat manie la pensée, mais ni chez l’un, ni chez l’autre il n’y a de véritable maîtrise de soi. L’univers critique n’existe pas ; la pensée pense à la place de celui qui énonce des mots. Cette paléontologie de l’expression humaine montre qu’il ne suffit pas de mots ni d’expression de sentiments pour accéder à l’effective réflexion et au discernement.

Une composante importante de la fatuité sera la vanité. C’est l’attachement à des riens avec lesquels on s’aveugle pour se faire valoir. Il y a là une servitude envers le monde des apparences ; le sot s’enchante de nullités et y trouve un principe de survalorisation [28]. On remarquera facilement ici de l’impertinence, de la grossièreté, de la goujaterie. C’est la bêtise sûre d’elle-même, pavanante, voulant faire violence aux autres. Il y a dans ce comportement une confiance en soi, une impression de pensée juste qui peut faire illusion, l’homme intelligent dans sa simplicité semblant aussi heureux que le fat qui plastronne [29]. En s’affichant, il donne l’impression de la valeur de soi que l’on connaît et qui permet de se manifester. À la limite, le comportement du fat est celui-là même de l’homme maître de lui devant les autres. La suspicion doit ainsi être partout ; l’homme très sensé n’est-il pas au stade extrême de la sottise ? Mais il suffira de peu de temps pour faire la différence ; l’homme sensé possède cette vertu irremplaçable et si bergsonienne qui est la simplicité.

On comprendra encore mieux le sens de la bêtise en disant pourquoi nous n’avons pas traité pour lui-même du problème de l’absurde. On peut schématiquement qualifier l’absurde comme ce dont le sens n’est pas accessible, donc posé comme inexistant au regard de la pensée cohérente. Cependant, il y a aussi des données mentales qui sont immédiatement inaccessibles, parce que surchargées de sens. Évoquons ainsi le joker des jeux de cartes qui peut remplacer toutes les autres valeurs, ou les récits mythiques qui, hors du temps, donnent l’interprétation des conduites humaines valable dans tous les temps. Mais dans ces deux exemples le sens est plutôt vécu que pensé. L’absurde véritable n’existe que dans l’univers du discours logique [30] ; il connote une volonté de rationalité et en même temps l’absence de rationalité du discours ou de la conduite jugé. La bêtise précisément ne peut pas atteindre ce niveau d’exigence, puisque la pensée logique et rationnelle ne fait pas partie de ses possibilités. C’est en deçà de la raison que la bêtise trouve son origine, dans ce magma indifférencié fait de pulsions et de vie affective qui cherche à s’exprimer par des idées toutes faites de l’opinion. Mais la vérité et le souci de la preuve qui lui est conjointe ne font pas partie des mêmes références.

En lui-même, pour la bêtise le sens n’est pas un problème ;
l’énonciation ne demande pas de vérification, encore moins d’expérimentation.
Elle convient dans la brutalité de son expression.

La bêtise doit aussi être différenciée du délire verbal, qui pratique le non-sens. Il s’agit ici d’une juxtaposition de mots ou d’attitudes qui ne manifestent pas de possibilités d’articulation. Tout reste sans signification ; le langage comme le comportement ne sont pas dominés et témoignent d’une impossibilité d’exprimer quelque pensée que ce soit. La bêtise se trouvera plutôt dans ce qu’on pourrait appeler l’absence de sens. Mais il faut encore préciser. Le sens de la bêtise appelle un jugement capable d’en discerner la présence. Le sot énoncera une sottise en toute bonne conscience. Disons donc que pour son interlocuteur le sot pratiquera l’absence de sens. Mais ne pas avoir le souci de la validité de la pensée nous conduit à situer la bêtise au niveau de la neutralité de sens ; il y a de la part du sot refus d’interrogation. En lui-même, le sens n’est pas un problème ; l’énonciation ne demande pas de vérification, encore moins d’expérimentation. Elle convient dans la brutalité de son expression. Le sot parle pour parler, ce qui est une certaine façon d’agir dans le monde. Son expression se limite à la validité lexicale et syntaxique. Du moment que la tournure est correcte, l’élémentaire bon sens doit être satisfait, le sens doit suivre ; il n’est pas cherché pour lui-même ; il doit aller de soi.

Il serait bon, pour terminer, de faire une distinction entre la bêtise et la folie. Disons d’abord que l’aliénation est un manque d’unité et de maîtrise de soi, ce qui peut très bien convenir à l’imbécile. Mais la folie est un trouble de l’affectivité, alors que la bêtise est un trouble de la pensée. On sait que la folie peut faire bon ménage avec l’utilisation de la raison et l’on cite le cas de mathématiciens internés consacrant leurs loisirs forcés à leur passe-temps favori. Une anecdote montrera la démarcation entre les deux attitudes : un magistrat, faisant une enquête dans une maison de santé, y rencontre un de ses anciens condisciples. Le magistrat n’avait pas été un élève des plus brillants. L’aliéné, après avoir dit son plaisir de le revoir lui demande s’il était toujours aussi peu intelligent [31]. Il me semble que l’on peut faire déjà une différence profonde entre la folie et la bêtise : encore apte au raisonnement, le fou n’a pas la possibilité régulière de l’associer au réel. Lorsque le bon sens lui est rendu, il trouve de suite la réponse aux difficultés que la vie peut présenter. On cite le cas d’un automobiliste qui perd une roue devant une maison d’aliénés. On ne peut retrouver les boulons. Un fou donne alors le conseil de prendre un boulon sur chacune des roues restantes, afin de faire tenir la roue qui s’est échappée. Et le fou explique : « Je suis fou, mais je ne suis pas bête. » La sottise n’aurait pas pu obtenir de réponse, car c’est chroniquement qu’elle est incapable d’avoir prise sur le réel. Mais ce qui est plus grave encore, c’est la passivité de leur esprit qui les empêche de disposer de leur aptitude à juger. Leibniz fait dire à Philalèthe : « Les imbéciles manquent de vivacité, d’activité et de mouvement dans les facultés intellectuelles, par où ils se trouvent privés de l’usage de la raison. Les fous semblent dans l’extrême opposé, car il ne me paraît pas que ces derniers aient perdu la faculté de raisonner, mais aient joint mal à propos certaines idées, ils les prennent pour des vérités, et se trompent de la même manière que ceux qui raisonnent juste sur de faux principes » [32] Le fou se prendra pour tel personnage et aura le comportement correspondant ; une folle qui se croyait panthère marchait à quatre pattes et ouvrait les tiroirs de commode pour manger des photos d’enfant, puisque la panthère dévore les enfants. Mais la sottise manquera de cette imagination qui incite à des emplois inattendus de la raison. Elle n’aura même pas le privilège d’être plaisante, car tout souci de découverte de l’inconnu lui fait défaut. La banalité terne des lieux communs est seule à attendre ; elle possède l’avantage de permettre à l’esprit la somnolence [33].


[1« Dans une dispute avec un imbécile, c’est l’homme sensé qui se retire » et « un homme sensé se disputant avec un imbécile, il ne récoltera que la honte », disent deux proverbes malgaches, Ohabolana ou proverbes malgaches, Tananarive, Imprimerie luthérienne, 1960, p. 27.

[2Claude Roy, Le verbe aimer et autres essais, Gallimard, 1969, p. 255.

[3Dostoievsky, L’idiot, IV, 7, Pléiade, 1957, p. 673.

[4Ibid.

[5Cf. Hegel, Esthétique : La poésie, Aubier, 1965, t. II, p. 381.

[6La Bruyère, Caractères, XII, 47 : « Une erreur de fait jette un homme sage dans le ridicule. »

[7Les employés, Pléiade, t. VI, p. 943.

[8Nouveaux essais sur l’entendement humain, II, II, Garnier-Flammarion, 1966, p. 120. Théophraste définit la stupidité comme une « pesanteur d’esprit qui accompagne actions et discours » (Caractères, XIV). Mais la stupidité est à comprendre par rapport à une évolution éventuelle. « Rien n’est plus difficile que de distinguer dans l’enfance la stupidité réelle de cette apparente et trompeuse stupidité qui est l’annonce des âmes fortes. » Rousseau, Emile, II (Pléiade, Œuvres complètes, t. IV, 1969, pp. 342-343). Rousseau évoque ensuite un cas qui décrit vraisemblablement Condillac.

[9Ainsi Gœthe, Wilhelm Meister, Les années d’apprentissage, IV, 19 (Pléiade, Romans, 1966, p. 621) : ’Seules les bûches sont de l’ordre incorrigible, qu’elles soient engourdies et inflexibles par suffisance, bêtise ou hypocondrie. »

[10Malebranche, Traité de morale, I, s, II (Vrin, Œuvres complètes, 1966, p. 64). Ainsi le mot pécore signifiant bête est tiré de pecus, le bétail, la bête de troupeau.

[11H. de Montherlant, Le treizième César, Gallimard, 1970, p. 191.

[12Caractères, XII, 49.

[13Les employés, Pléiade, t. VI, p. 897.

[14On en trouvera une liste, non exhaustive, dans Pierre Guiraud, L’argot, Presses Universitaires de France, 1969, p. 48.

[15Alain, Définitions, v° « C’est le contraire de la sagesse ; et c’est le vice qui nous jette dans toutes les erreurs auxquelles nos passions sont sujettes. Toutefois, les passions qui nous rendent sots sont plus précisément celles qui concernent nos jugements eux-mêmes et l’opinion que nous en avons ; par exemple, l’infatuation, le respect des autorités, l’institution, la coutume. Il y a toujours dans la sottise quelque chose de mécanique, et des fragments de raison mal attachés » (Les arts et les dieux, Pléiade, 1958, p. 1091).

[16Nous ne suivrons pas Casanova quand il dit (Mémoires, préface, Pléiade, t. 1, 1964, p. 3) que le sot est « insolent et présomptueux jusqu’à défier l’esprit (ce que nous appellerons le fat) alors que le bête ne doit son comportement qu’à une absence d’éducation et peut être honnête et sympathique »,

[17Le verbe aimer et autres essais, Gallimard, 1969, p. 255.

[18Saint Augustin, De vita beata, §§ 28 et 30 ; Contra Academicos, I, IX, 24. Voir aussi Voltaire, Histoire d’un bon Bramin, Romans et contes, Garnier, 1949, pp. 114-116.

[19Pascal, Pensées, Brunschvicg, 680 ; Lafuma, 267.

[20Au XVIIe siècle, imbécile signifiait encore faible, incapable. Voir par exemple François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, VII, 1 (Œuvres, Pléiade, 1969, p. 664) ou VII, 2 (p. 868).

[21Que l’on songe à la façon dont Joseph Prudhomme parlait de Napoléon : « Si Bonaparte avait su se contenter de son grade de général… sa dynastie serait peut-être encore sur le trône de France. »

[22Voir Baudelaire, Amœnitates belgicae, XV ; L’esprit conforme, Pléiade, 1956, p. 269, et Roland Barthes, Mythologies, Seuil, 1970, pp. 96-98 et 240-241 ; ainsi que Kant, Anthropologie, Vrin, 1964, p. 79.

[23Voir le portrait que Baudelaire nous propose de George Sand, Mon cœur mis à nu, Pléiade, 1956, XXVI-XXVIII, pp. 1214-1215.

[24Ainsi Théocrite dans Les Syracusaines (vers 17) qualifie le bête d’homme de treize coudées.

[25Nous n’avons pas fait de place à l’idiotie, car cette expression ne nous semble pas correspondre à une conduite typique. Le mot grec idiotes veut dire simple particulier, puis caractérise l’homme du commun, le vulgaire. L’idiotie a aussi un sens technique en psychopathologie. Dans la langue commune, il semble le plus souvent réservé à la simple critique, voire à l’insulte.

[26Kant s’est essayé à définir, par rapport au beau, quelques attitudes de divagation, évoquant la fatuité dans Observations sur le sentiment du beau et du sublime, Vrin, 1953, pp. 24-25. Voir aussi Anthropologie, Vrin, 1964, p. 78.

[27Ce peut être l’attitude de coquetterie, plus nuancée que la fatuité. Voir par exemple le portrait psychologique de Mme Récamier dans J. Baelen, Benjamin Constant en 1815, Bulletin de l’Association Guillaume-Budé, 1967, n° 4, pp. 447-454.

[28On trouve cette définition chez Théoophraste, Caractères, XXI : « La sotte vanité semble être une passion inquiète de se faire valoir par les plus petites choses, ou de chercher dans les sujets les plus frivoles du nom et de la distinction. » On peut évoquer ici le terme de pecque employé par Molière pour qualifier les Précieuses ridicules.

[29Claude Roy, Le verbe aimer et autres essais, Gallimard, 1969, pp. 257-258.

[30Camus, Le mythe de Sysiphe, Essais, Pléiade, 1965, pp. 204-205 : ’ … si Kafka veut exprimer l’absurde, c’est de la cohérence qu’il se servira. On connaît l’histoire du fou qui pêchait dans une baignoire ; un médecin qui avait ses idées sur les traitements psychiatriques lui demandait « si ça mordait » et se vit répondre avec rigueur : ’Mais non, imbécile, puisque c’est une baignoire.’ Cette histoire est du genre baroque. Mais on y saisit de façon sensible combien l’effet absurde est lié à un excès de logique. Le monde de Kafka est à la vérité un univers indicible où l’homme se donne le luxe torturant de pêcher dans une baignoire, sachant qu’il n’en sortira rien ».

[31Cité par le Dr Paul Voivenel, La raison chez les fous et la folie chez les gens raisonnables, Paris, Ed. du Siècle, 1926, pp. 49-50.

[32Nouveaux essais sur l’entendement humain, II, II, Garnier-Flammarion, 1966, p. 120. On connaît la formule de Chesterton selon laquelle le fou est celui à qui il manque tout sauf la raison. Voir aussi Eugène Minkowsky, Le temps vécu, Delachaux & Niestlé, 1968, p. 330.

[33Pour faciliter l’expression, nous ne suivrons pas à la lettre les oppositions effectuées entre les sortes de bêtise. Nous demandons cependant qu’elles ne soient pas totalement oubliées à la lecture de la suite de notre travail.


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