Vous avez raison : il n’y a aucune opposition entre spontanéité et organisation – ou plutôt : cette opposition, récente dans les termes qui nous occupent et obsédante en France depuis 1968 (voir « la révolution anticipée » de C. Castoriadis), est une double impasse typique de notre époque : il y aurait d’un côté une spontanéité « naturelle », sauvage, intrinsèquement bonne, issue et matérialisation d’un « authentique » désir (?), de l’autre l’organisation planificatrice et rassurante, castratrice et rigide mais s’inscrivant dans la rationalité et la durée... La quasi-totalité de notre site s’inscrit dans ce double refus.
Le « revenu d’existence » verse systématiquement dans la première, vous en conviendrez, du moins tel qu’il est perçu, prôné, bien souvent argumenté et, par-dessus tout, désiré : ce qui est voulu, à travers lui, n’est pas l’auto-organisation des producteurs, mais un moyen de « faire ce que je veux »... Tout le reste ne serait que quincaillerie pour le rendre possible. C’est ce fantasme que nous voulions pointer et décrire à travers la notion de « rente universelle ».
Vous évoquez les travaux d’Elinor Ostrom – que nous connaissons peu. Depuis des années, les travaux autour de « commons » nous semblent essentiellement, et salutairement, réfuter les absurdités de l’économie contemporaine (notamment ses postulats anthropologiques, culturels, psychologiques, bref l’individu présupposé), mais apporter bien peu à la réflexion ou à la pratique politique : qu’une collectivité soit capable de gérer des ressources collectives n’a rien de bien nouveau historiquement... mais pose la question démocratique (et culturelle et anthropologique) par excellence qu’évitent soigneusement les militants du « revenu d’existence ». Et pour cause : si nous faisons l’inventaire des ressources planétaires disponibles pour dix milliards de personnes en vue d’une gestion intelligente (équitable, durable, prudente) maintenir le rêve d’un revenu d’existence pour tous avec un niveau de vie occidental nous semble relever de la pensée magique... Les constats écologiques, par exemple d’un H. Stoeckel, sont sans appels.
Par ailleurs, nous sommes également prêts à convenir que notre système actuel de protection sociale se fait au prix de la liberté (sans doute moins qu’il perde en comparaison à d’autres – passons), mais il faudrait préciser. Car ce n’est pas du tout le cas des théoriciens et militants du revenu d’existence, qui ne visent, au fond, qu’à un « super État providence », fusionnant et maximisant le RSA (ex-RMI), les allocations, le chômage, les aides, etc. sans qu’il ne soit jamais question de l’origine de cette richesse redistribuée ni de la constitution d’institutions démocratiques souveraines... Voilà, pour nous, l’aliénation : Panem et circenses, du pain et des jeux, c’est-à-dire un revenu en contrepartie de la passivité, équivalent exact de la posture infantile.
Finalement, une question semble se dégager de nos échanges : Lorsqu’on discute un peu sérieusement « revenu d’existence » version « émancipatrice », on s’aperçoit que ses défenseurs sous-entendent une quantité de transformations sociales et politiques absolument radicales (démocratie directe, responsabilité écologique, socialité populaire etc.) et très éloignées de ce que tout le monde entend par « revenu d’existence »... Il y a là quelque chose de l’ordre d’une charrue mise avant les bœufs, comme on dit, ou alors d’un choix tactique très discutable (un « noble mensonge ») ou encore d’une conscience lointaine des réalités contemporaines. Le texte en question posait l’hypothèse qu’il s’agissait, au fond, d’une adhésion à un fantasme, celui d’une Rente Universelle, qui sert des causes étrangères aux bonnes intentions affichées.
Amicalement
LC
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