Sur les fondements idéologiques et les destinées politiques du revenu d’existence (3/4)

lundi 19 mars 2018
par  LieuxCommuns

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3 - Le Travail

C’est sans doute ce troisième élément idéologique qui est le plus spectaculaire. Car les partisans de « Gauche » de la Rente Universelle le sont essentiellement afin d’abattre l’« idéologie du travail », commune aux marxismes et au capitalisme, selon laquelle le travail est investi de toutes les vertus ; unique facteur de production, réalisation des potentialités humaines, source de reconnaissance, de protection sociale. La réalité masquée par ce discours serait plus lugubre : l’humain serait condamné, pour survivre, à s’adonner à des tâches pénibles, répétitives, ingrates et difficiles. Ils proposent donc de le restreindre au maximum, de le cantonner à une périphérie de l’existence.

Mais ce faisant, l’idéologie du travail n’est nullement attaquée, celui-ci restant tel qu’il est dénoncé : ils en inversent seulement le signe algébrique en forgeant une « idéologie anti-travail ». Celle-ci ne peut que reconduire symétriquement le fantasme d’une malédiction, comme si le travail était une entité totale, absolue, maléfique et finalement intransformable, intouchable, que l’on ne pourrait qu’essayer de contenir dans son antre, et de réduire.

Les néo-post-marxistes (Gorz et les post-opéraïstes) avancent une vision plus élaborée, en posant la distinction élémentaire entre travail et salariat : la richesse sociale n’est pas créée que dans les centres de production, mais dans la totalité de la société, et c’est ce travail informel qu’il faudrait rétribuer par la Rente Universelle [1]. Le constat est fondamentalement exact [2], mais ce remède non seulement entérine, on l’a vu, la rentabilisation sociale de toutes les sphères de la vie par l’industrialisation du temps libre, mais, plus dramatiquement, reconduit le conditionnement généralisé des comportements humains par ce biais. Ce sont donc les caractéristiques du salariat qui s’étendent ainsi à toute l’existence, ou plus précisément la participation pleine et entière à l’émergence d’un néo-salariat permettant de capter le profit généré par toutes les activités humaines.

Les uns comme les autres avalisent donc finalement l’institution capitaliste du travail telle qu’elle s’est élaborée dans l’histoire [3], et accompagnent ses transformations actuelles. Pourtant le travail pris dans le salariat est un rapport social très déterminé, enchâssé dans une multitude de contraintes, de hiérarchies, de techniques qui n’ont rien d’éternel ni de naturel, comme le montre le matériel ethnographique (Mauss) et historique (Polanyi), ou les réalisations des révolutions modernes qui ont tenté d’abolir le caractère hétéronome du travail capitaliste. La possibilité d’un travail libre, c’est-à-dire volontaire, compris, discuté, sensé, travaillé à son tour collectivement et sans cesse adapté aux désirs individuels et aux besoins collectifs, est une conception présente dès le début des mouvements ouvriers à l’origine des conquêtes sociales dont nous bénéficions encore. Et en effet : en quoi faire pousser des tomates ou élever des poules du mieux possible pour le bien commun serait, en soi, une torture, pour les uns comme pour les autres ? Pourquoi chercher sous la terre les minéraux qui nous sont nécessaires ne pourrait-il être source d’immense fierté et de profonde reconnaissance ? Les tâches dites « ingrates » n’existent isolées des autres que par réflexe de domination. Plus radicalement : il est concevable de reconnaître que notre animalité nous assujettisse à ce « royaume de la nécessité » et d’en faire une voie pour l’émancipation – et c’est bien le propre de l’humanité de sublimer des besoins physiologiques en purs plaisirs, voire en Arts. C’est le sens radical que Marx jeune donnait au travail, parallèlement à Sigmund Freud : la réalisation de soi par la confrontation au monde, et son modelage comme le nôtre propre [4].

En reconduisant ainsi la véritable idéologie du travail qui nous enferme dans le salariat tel qu’il existe, et face auquel on ne pourrait que se soumettre ou fuir en le laissant à d’autres, les partisans de la Rente Universelle ne peuvent qu’en aggraver les caractéristiques actuelles – comme le productivisme tel qu’il est conçu – et enterrer toute possibilité de le métamorphoser pour en faire le véhicule de l’autonomie individuelle et collective. Certes, ils invoquent la désertion (l’«  exit  » de Albert Otto Hirschman) pour forcer l’emploi à redevenir humain, sans s’apercevoir qu’il s’agit là de l’argument même du salariat depuis qu’il existe... Le projet de Rente Universelle entretient l’illusion d’une « égalité » économique qui ne peut être qu’une farce sans égalité politique (et réciproquement), soit la participation de tous au pouvoir, y compris et surtout dans le monde de la production. À défaut, les conséquences connues du salariat sont reconduites : la tâche est rendue extérieure, étrangère au travailleur, et cette hétéronomie s’étend, conduisant à désimpliquer l’individu de la société dans laquelle il vit, le déposséder, l’en exclure, le ravaler au rang de consommateur de tout – et l’on n’aura pas de contre-définition plus exacte de la démocratie. On ne s’en étonnera pas : le fantasme d’une Rente Universelle est un rêve infantile qui ne peut que modeler le monde à son image.

4 - L’Anomie

Le dernier élément idéologique ici retenu véhiculé par le projet d’une Rente Universelle se distingue des autres par son caractère récent, complexe et surtout très singulier : il s’agit de l’anomie [5].

Le terme est à prendre au sens étymologique d’un refus des normes, des valeurs, des limites. Ainsi, il ne s’agit pas de décider quelle activité mérite d’être ou non rétribuée par la collectivité, en fonction de ses besoins ou de ses projets, puisque tout est reconnu a priori comme digne d’être rémunéré. On voit ici à l’œuvre l’idée, répandue, selon laquelle la collectivité est aliénante en soi car faisant obstacle à la réalisation de « ses » désirs – sans soupçonner apparemment les vertigineux entrelacements de la première et des seconds. Ce n’est qu’ici rationalisation de la dislocation sociale et même de cette étrange haine de la société qui se diffuse dangereusement. Comme pour les écologistes avides de « petits gestes » déculpabilisants qu’il faudrait multiplier, il n’y a donc aucune délibération à prendre, aucun choix à faire collectivement, aucune orientation à discuter en commun, aucunes valeurs à perlaborer  : ce sont les « individus » dans leurs « libres » interactions qui font émerger par cette radicale « auto-organisation » – au sens physico-chimique – un ordre social spontanément coordonné, cohérent et évidemment bienveillant [6].

On retrouve là l’expression la plus pure du Progressisme déjà évoqué et, sous les meilleures intentions du monde, la vision la plus libérale qui soit de la main invisible du marché, ou la plus gauchiste de l’« autogestion » nouvelle formule qui fait totalement l’économie de la notion d’institution sociale, sinon comme émanation à sanctifier a posteriori. On rencontre étonnamment cette position proprement anomique chez un fin observateur de la naissance du totalitarisme, Julius Martov, qui identifiait dans le bolchevisme naissant « l’absence de toute compréhension de la production sociale et de ses besoins ; c’est, comme nous l’avons vu chez les soldats, la prédominance du point de vue du consommateur sur celui du producteur. (…) Dans les masses prolétariennes, on constate aujourd’hui partout le triomphe d’un ’communisme de consommateur’ qui ne cherche même pas à organiser la production sur des bases collectives. » [7]. Difficile de ne pas trouver dans le fantasme de la Rente Universelle tel que le rêvent à voix haute ses partisans de forts échos à ce « communisme de consommateur ».

Il n’y a pas à s’étonner de trouver ici le terme de totalitarisme (bien que la « Gauche » rechigne à admettre qu’elle en fut l’inventeur) puisque le fantasme de Rente Universelle implique un État Grand Redistributeur surplombant une population émiettée car privée de toute appartenance aux institutions collectives de solidarité qu’avaient longuement mûri les mouvements ouvriers. En détruisant les corps intermédiaires où la vie et l’activité humaines s’épanouissent, il s’agit, derrière l’affirmation consensuelle d’un « individualisme », de déraciner l’individu, de le décollectiviser, soit de lui refuser toute élaboration de lui-même, toute élucidation de ce qui le constitue, toute instance critique lui permettant de mettre à distance ce que la société a fait de lui et lui demande d’être et de faire, à chaque instant. C’est, en un mot, refuser la formation de personnalités réellement autonomes, c’est-à-dire se sachant déterminées par une infinité de mécanismes magico-religieux, culturels, ethniques, sociaux, familiaux, psychologiques, et capables d’élucider d’elles-mêmes les enracinements, les arrachements et les attachements qui leur seraient propres. L’éloge de l’anomie est, autrement dit, la perversion de l’autonomie qui ne peut que verser dans un retour à l’hétéronomie d’autant plus fort qu’il est invisible.

Cette partie consacrée aux éléments idéologiques qui structurent la Rente Universelle pourrait être close en examinant l’enracinement de ces derniers dans les grandes mythologies religieuses véhiculant le rêve d’un paradis d’opulence, ou dans les fondements psychologiques qui poussent à une telle évacuation du réel [8]. Mais ce fantasme de consommateur absolu est tellement évocateur qu’on ne peut que le rapprocher de travaux qui voient dans l’évolution de nos sociétés le passage vers des régimes sociopsychanalytiques de type matriarcal [9] : un État-nourricier, une Société-Mère, aussi mystérieuse et inaccessible que l’est inconsciemment la Nature, qui pourvoit aux besoins de ses enfants-membres, plongés dans une recherche effrénée de jouissance en même temps qu’étouffés par l’angoisse et la culpabilité [10]. On y verra la seule explication satisfaisante de l’engagement presque unanime mais déroutant des écologistes en faveur d’un revenu garanti. Cette étrange utopie de consommateurs qu’il représente semble sonner le glas des authentiques projets de société qui ont été portés des siècles durant et pour lesquels l’état adulte passait par une appropriation par tous du pouvoir social, réel et symbolique.

La Gauche fossoyeur des mouvements d’émancipation

Ces quelques jalons idéologiques montrent suffisamment que la Rente Universelle ne remet en rien en cause les postulats capitalistes-libéraux, les reprend même, les entérine voire les radicalise et paraît même renouer avec des postures fondamentalement régressives. Cette parenté de substance et cette situation interrogent et doivent être expliquées.

Les mouvements d’émancipation individuelle et collective nés en Europe dans le haut Moyen Âge ont remis progressivement en cause la totalité de l’institution sociale. Ce sont les villes libres médiévales qui refusent la subordination seigneuriale ; ce sont les courants réforma­teurs qui veulent contrôler la monarchie ; c’est la Renaissance qui inaugure la réinstitution des goûts, normes, valeurs, principes, visées de l’héritage féodal ; ce sont les Lumières qui font de la remise en cause des superstitions, croyances, religions, inégalités, pouvoirs, oppressions de toute sorte la singularité occidentale, que les révolutions anglaises, américaine, puis française mettront en œuvre ; c’est, enfin, le mouvement dit « ouvrier » (regroupant artisans, soldats, étudiants, femmes...) et ses multiples révolutions qui ont dessiné un horizon de justice sociale, de démocratie directe et de liberté, incarnées dans des institutions profondément novatrices – syndicats, caisses de solidarité, associations, bibliothèques publiques, éducation laïque, etc.

L’épuisement de ce projet d’autonomie est aujourd’hui évident : les conflits sociopolitiques internes qui ont traversé l’Occident depuis quatre siècles ont aujourd’hui disparu, tout autant que la perspective d’un changement radical de société. On peut en chercher les racines dans l’écrasement de la Commune de Paris et les fourvoiements du courant anarchiste, mais c’est sans doute la saignée de la première guerre mondiale, l’émergence graduelle de la société de consom­mation et surtout la stérilisation marxiste-léniniste qui ont rendu impensable une auto-transformation radicale de nos sociétés.

L’évidence de ce dernier point, pour qui a tiré bilan de l’URSS, de la Chine maoïste ou simplement du parti communiste français, cache un phénomène bien plus profond : c’est l’inoculation dans les mouvements ouvriers de tous les postulats idéologiques du capitalisme (progressisme, technicisme, économisme, etc.) [11] qui est au fondement de l’idéologie de la « Gauche » contemporaine, ce gauchisme culturel qui s’épanouit depuis les années 1980 [12]. On peut même définir ce dernier comme le processus par lequel toute volonté d’émancipation est conduite insensiblement, par glissements successifs, en terrain anomique.

Ce regard pourrait nous permettre d’envisager les destinées possibles de la Rente Universelle. Car cet effacement progressif du projet d’émancipation au profit d’une fausse subversion qui accélère les grandes orientations de nos sociétés crée une situation très singulière : alors que le projet d’autonomie, à travers les luttes permanentes des gens (femmes, travailleurs, artistes, riverains, etc.), a contrebalancé pendant des siècles les tendances les plus délirantes du capitalisme (en imposant des droits, des réductions du temps de travail, des augmentations de salaires, l’ouverture du marché intérieur...), le modelant largement (émergence de la rationalité, de la pensée scientifique, du libéralisme [13]…), celles-ci se trouvent aujourd’hui seules aux commandes. Après des siècles durant lesquels les classes dominantes ont dû partager leur domination avec des peuples mouvants, revendicatifs, rebelles, révolutionnaires, forçant sans cesse à des compromis (droit du travail, protections sociales, laïcité…), l’oligarchie qui règne aujourd’hui a les mains libres. Cette situation est radicalement nouvelle et une phase de l’histoire s’ouvre au rythme de la disparition progressive des garde-fous hérités de l’histoire de ces luttes.

C’est dans ce contexte et à cette aune qu’il faut s’interroger sur la récente popularité de la revendication d’une Rente Universelle et essayer d’envisager les desseins qu’elle pourrait servir autant que le modelage des sociétés occidentales qu’elle pourrait provoquer [14].

III – Les destinées possibles de la Rente Universelle

Il pourrait sembler purement spéculatif de s’interroger sur un avenir qui n’est pas écrit, et il est courant d’utiliser – mal – quelques phrases de Marx pour décourager le contrevenant [15]. Mais cela revient précisément à tomber dans les travers ici dénoncés. Dans les faits, la « Gauche » n’autorise à regarder le futur que selon ses schémas manichéens, et condamne donc aujourd’hui ses partisans au présentisme et au bluff, deux antidépresseurs largement prescrits mais à forte accoutumance.

À bien regarder l’histoire, les mouvements révolutionnaires ont toujours tenté d’anticiper les événements et les transformations à venir. Ils n’ont cessé de le faire que lorsqu’un appareil idéologique est venu leur annoncer la certitude scientifique de la réalisation de leurs désirs, pavant ainsi l’enfer totalitaire de bonnes intentions subversives. Il y a à renouer, ne serait-ce que pour soi-même, avec la liberté de lever les yeux pour tenter d’apercevoir la ou les destinations où nous condui­sent présentement nos pas, et s’il n’y aurait pas quelques chemins de traverse possibles. Au demeurant, l’exercice met à l’épreuve de l’histoire ce que nous tenons pour notre lucidité.

1- Un leurre durable pour le « peuple de Gauche »

Un destin possible pour la Rente Universelle serait de constituer progressivement un axe central dans les revendications de la « Gauche ». Jusqu’il y a peu réservé à quelques cercles, le projet s’est étendu au fil des ans à des milieux bien plus autorisés, quel que soit le « camp » politique, pour finir par être porté haut et fort par le Parti « socialiste » lors de la campagne présidentielle de 2017. Plusieurs éléments pourraient converger pour que cette montée en puissance continue, au fil de la crise à perpétuité dans laquelle nous nous enfonçons [16].

D’abord le vide idéologico-intellectuel à peu-près complet de ces cénacles oligarchiques qui pourraient trouver là, enfin, un « projet » à faire valoir à bon compte et largement compatible avec la plupart des réorganisations de la scène partisane. Car cela fait longtemps que la « Gauche » a abandonné tout projet de transformation sociale, de lutte contre les inégalités ou de justice sociale, et même toute pensée économique au profit d’un keynésianisme improbable couplé à un culte de l’État-providence, attelage dont la Rente Universelle pourrait constituer la version attractive et séduisante la plus aboutie comme formulation possible d’un « communisme de consommateur ».

Ensuite, elle pourrait ainsi satisfaire le poids croissant en son sein de l’électorat issu des couches moyennes, citadines et mobiles. Celles-ci se révèlent globalement favorables à l’économie de rente et aux métamorphoses du salariat, et surtout avides d’« utopies » généreuses pleines de bons sentiments entretenant l’espérance, plus ou moins religieuse, d’un « monde meilleur » fait d’abondance, de gratuité et de gentillesse. Cela permettrait parallèlement de tenter de reconquérir un électorat plus populaire, certes encore attaché au travail productif mais rongé par la crainte de plus en plus étendue d’un déclassement, et par le déclassement effectif de parties de la population : la version « charitable » de la Rente Universelle pourrait amener une grande partie du peuple à adhérer à la promesse d’un tel « filet de sécurité » susceptible, a minima, de contrecarrer le spectre d’une paupérisation sans fond que semble annoncer la rupture par l’oligarchie de tous les liens contractuels qui s’étaient tissés historiquement entre le peuple et ses dominants. Les multiples expérimentations qui se déroulent aux quatre coins du globe, dans des sociétés fort différentes et selon des modalités d’une infinie variété mais montrant, indubitablement, que les pauvres bénéficiant d’un versement régulier d’argent sont... moins pauvres, devraient finir de décharger de leur culpabilité les belles âmes réticentes [17].

La Rente Universelle possède ainsi cet insigne avantage de présenter une véritable utopie politique, tout en constituant une mesure charitable extrêmement prosaïque. Elle s’inscrit donc parfaitement dans ce christianisme mielleux et angélique à quoi se réduisent les discours de ce que l’on appelle la « Gauche ».

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[1… sur le modèle de l’indemnisation des intermittents et par la valorisation d’un précariat, énième substitut à un prolétariat décidément trop décevant.

[2Toutes les activités humaines étant profondément interpénétrées quelle que soit l’échelle considérée. Soit dit en passant, il faudrait se demander dans quelle mesure le travail de Toni Negri s’est inspiré de la trajectoire de la revue Socialisme ou Barbarie prolongée par la pensée de Castoriadis, pour en remarxiser l’approche. Cf. « Le crépuscule de l’opéraïsme italien et ses environs » dans la brochure Insurrezione, Prolétaires si vous saviez…, Italie 1977-1980. Paris, Ombre hérétique, 1984, traduction extraite d’une brochure du même titre, parue à Milan en 1981.

[3Voire sa réduction à une marchandise, dont la valeur (la fameuse « valeur-travail ») dépendrait de l’équilibre entre son offre et sa demande sur le marché du travail. Sur cette conception très capitaliste du travail par Marx qui élimine logiquement tous les comportements des travailleurs, impossibles à quantifier, et notamment leurs résistances collectives, voir C. Castoriadis, « Sur la dynamique du capitalisme » [Socialisme ou Barbarie n° 12, 1953] dans Sur la dynamique du capitalisme et autres textes, à paraître aux éditions du Sandre et « Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne » [1960] dans La Question du mouvement ouvrier. Tome 2 (Ecrits politiques, 1945-1997, II), Sandre 2012, pour une analyse détaillée, et pour une synthèse « Sur la ’rationalité’ du capitalisme » dans Figures du pensable. Les Carrefours du labyrinthe – 6, Seuil 2009. On trouvera également un argumentaire philosophique dans Valeur, égalité, justice..., op. cit.

[4Le mot est-il si mal choisi, avec sa célèbre étymologie (tripalium/torture) ? Il est étonnant que les utopistes aient toujours proposé comme travail idéal la réflexion philosophique, la réalisation artistique, la recherche scientifique, sans jamais y voir, alors qu’ils en étaient, pour la plupart, les efforts, les affres, les angoisses, les souffrances que représentent les processus de création d’une œuvre. Nous y voyons, pour notre part, une donnée consubstantielle à la condition humaine.

[5On lira sur l’anomie comme tiers dans la célèbre dualité hétéronomie / autonomie « Effondrement et permanence de l’idéologie », dans Idéologies contemporaines, op. cit.

[6Réside sans doute ici le point central de l’évolution idéologique des cinquante dernières années, la convergence entre la pensée libertaire et la courant libéral, entre l’autogestion et le marché, à travers la notion si ambiguë d’auto-organisation naturelle, figure obsédante, et fertile, des sciences durant les années 1970. Sur ce dernier point, voir L’auto-organisation : de la physique au politique, Paul Dumouchel & Jean-Pierre Dupuy (dir.), Seuil, 1983. Le pamphlet de Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs. De l’incitation à l’envie et à l’ennui dans les démocraties-marchés [1999] (Gallimard 2012) constitue une des dénonciations les plus efficaces de ce salmigondis de pensée.

[7Le bolchevisme mondial, 1923. Référence tirée de « L’impuissance du keynésianisme aujourd’hui  », Guy Fargette, Le Crépuscule du XXe siècle, n° 29-30, octobre 2014 - mars 2015.

[8Sur ces deux points, on lira « Effondrement et permanence de l’idéologie », op. cit., p. 52.

[9Voir par exemple Gérard Mendel La révolte contre le Père. Essai de sociopsychanalyse, Payot 1968, ou plus récemment l’analyse approfondie de Michel Schneider dans Big Mother : psychopathologie de la vie politique (Odile Jacob, 2005 [2002]), repris notamment par Jean-Claude Michéa dans L’empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale, Flammarion 2010 [2007].

[10Situation condensée de manière fulgurante par le terme de tittytainment, élaboré lors d’une rencontre d’oligarques en 1995 qui se demandaient quoi faire des 80 % de la population mondiale que la productivité croissante rendaient surnuméraire. Cf. J. C. Michéa dans L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, éd. Micro-Climats, 1999, p. 46-49.

[11On lira à ce sujet, de Castoriadis, « Sur la question de l’histoire du mouvement ouvrier », dans Cornelius Castoriadis, La question du mouvement ouvrier, tome 1, écrits politiques 1945-1997, Sandre, 2012.

[12Sur le gauchisme culturel, voir Jean-Pierre Le Goff, « Du gauchisme culturel et de ses avatars », revue Le Débat n° 176, septembre-octobre 2013.

[13On ne se satisfait donc pas d’une simple dénonciation en règle comme la mène Daniel Zamora dans « Histoire et genèse d’une idée néolibérale », Contre l’allocation... op. cit, ni des thèses pourtant stimulantes d’un Jean-Claude Michéa qui nous semble identifier un peu rapidement le libéralisme au capitalisme, question sur laquelle il faudrait longuement revenir.

[14Sur la métamorphose de la revendication d’un revenu d’existence née dans un contexte de luttes ouvrières transposées dans la société atomisée d’aujourd’hui, on lira l’excellent article de Nicole Thé « ’Revenu garanti’ : quelques interrogations malvenues » dans la revue Les Temps Maudits, n° 11, octobre 2001 (disponible ici).

[15Cf. « Fausses figures de l’avenir » dans Démocratie directe... op.cit.

[16Cf. Guy Fargette, « La crise économique comme régime durable » dans Le crépuscule du XXe siècle, n° 21, novembre 2009.

[17Même si la chose mériterait d’être sérieusement discutée. Cf. « L’allocation universelle comme solution au chômage ? » Seth Ackerman, dans Contre l’allocation universelle... op. cit.


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