Adoption du référendum d’initiative populaire, sans initiative populaire

jeudi 28 novembre 2013
par  LieuxCommuns

Le premier texte est extrait du site Contrepoints, le second, « Le référendum d’initiative partagée, trop compliqué pour être vraiment efficace », est un article du Monde du 19.11.13.


Adoption du référendum d’initiative populaire, sans initiative populaire

En réalité, les parlementaires n’ont jamais voulu du référendum d’initiative populaire, et le projet leur donne entière satisfaction.

Par Roseline Letteron.

Le 21 novembre 2013, la Commission mixte paritaire a adopté les textes relatifs au référendum d’initiative partagée, une loi organique et une loi ordinaire. Aussitôt adopté, la loi organique a d’ailleurs été transmise au Conseil constitutionnel, puisque ce dernier est obligatoirement saisi de toutes les lois organiques. Il est bien peu probable que le texte soit déclaré non conforme à la Constitution, et il va sans doute bientôt entrer en vigueur. C’est lui qui pose les principes généraux du référendum, la loi ordinaire étant consacrée à la procédure référendaire.

Cinq ans après…

On doit observer la lenteur de la gestation de ces textes qui trouvent leur origine dans la révision constitutionnelle de 2008 qui modifiait la rédaction de l’article 11, en ajoutant : « Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an« . Rappelons cependant que cette procédure ne s’applique que dans le champ de l’article 11, ce qui signifie que la consultation populaire doit porter sur l’organisation des pouvoirs publics ou les réformes relatives à la politique économique sociale ou environnementale, ou encore avoir pour objet d’autoriser la ratification d’un traité qui aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Cinq années se sont donc déroulées entre la révision constitutionnelle et le vote des lois permettant sa mise en œuvre. Le Président Sarkozy qui se proposait, par cette réforme, de « redonner la parole au peuple français« , n’a rien fait que pour cette prise de parole devienne une réalité. Si deux projets de loi ont bien été déposés en décembre 2010, ils n’ont été adoptés par l’Assemblée nationale en première lecture qu’en janvier 2012. Il a donc fallu attendre l’alternance pour que la procédure législative soit menée à son terme, sans enthousiasme particulier.

En réalité, les parlementaires n’ont jamais voulu du référendum d’initiative populaire, et le projet leur donne entière satisfaction sur ce point. Ce texte rappelle ainsi la fameuse lettre de Joseph Caillaux, écrivant en substance : « J’ai enfoncé l’impôt sur le revenu en ayant l’air de le défendre« .

La réforme apparaît donc purement cosmétique, marquée à la fois par l’étroitesse de son champ d’application, et la possibilité offerte au parlement de contrôler entièrement la procédure.

Un champ d’application restreint

Le domaine des libertés publiques n’est pas réellement concerné par la nouvelle procédure, sauf dans l’hypothèse où la réforme se traduirait par une modification de nos institutions. Certes, les opposants au mariage pour tous ont allègrement affirmé que la liberté du mariage relèvait de la « politique sociale », oubliant au passage que Nicolas Sarkozy avait oublié de faire voter les lois d’application. Mais cette analyse ne reposait sur aucun argument juridique. De même, ceux qui souhaiteraient aujourd’hui utiliser ce référendum pour imposer le droit des vote des étrangers aux élections locales seront sans doute déçus. Car le droit de suffrage ne concerne pas les « pouvoirs publics », et pas davantage la politique économique, sociale ou environnementale. Pour empêcher toutes interprétation un peu trop libérale du champ du référendum, l’objet de toute initiative dans ce domaine doit être soumis au Conseil constitutionnel pour être préalablement contrôlé.

Une initiative parlementaire

Contrairement au slogan lancé par l’ancien Président, le nouvel article 11 ne redonne pas la parole au peuple français. Il ne s’agit pas d’un référendum d’initiative populaire, mais plus modestement d’une initiative parlementaire. Le texte doit être présenté par 1/5è des membres du Parlement, soit 185 députés et sénateurs qui déposent une proposition de loi, dans les conditions du droit commun. Le peuple n’intervient qu’ensuite, pour appuyer l’initiative parlementaire. La démocratie directe est donc entièrement absente de l’élaboration du texte, qui demeure la compétence exclusive du parlement.

L’intervention du peuple se réduit à une forme un peu modernisée du droit de pétition, mise en œuvre de telle manière qu’il ne puisse jamais être mis en œuvre. En effet, pour qu’un référendum puisse effectivement avoir lieu, le texte doit recevoir le soutien du dixième de l’électorat, soit environ 4 500 000 électeurs. Un tel chiffre suppose une mobilisation qui, à dire vrai, a bien peu de chances d’être atteinte. Souvenons nous que lors du débat sur le mariage pour tous, ses partisans étaient très fiers de remettre au Conseil économique social et gouvernemental une pétition regroupant 690 000 signatures.

Même si, par l’effet d’une mobilisation peu probable, un projet de texte parvenait à réunir les 4 500 000 signatures indispensables, il ne ferait pas pour autant obligatoirement l’objet d’un référendum. Le texte prévoit que le parlement peut alors reprendre le contrôle de la procédure. Après avoir contrôlé le nombre de signatures, le Conseil constitutionnel déclare, dans une décision publiée au Journal officiel, que la proposition a le soutien d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. À l’issue d’un délai de six mois après cette publication, le Président de la République la soumet au référendum…. sauf si le parlement en décide autrement.

Cela peut sembler compliqué, mais c’est très simple. Il suffit à la majorité de l’Assemblée et du Sénat d’ « examiner » le texte une fois pour l’enterrer définitivement (art. 9 de la loi organique). Il n’est même pas indispensable de susciter un vote, il suffit de l’inscrire à l’ordre du jour, et d’organiser un débat, un seul. Dans ce cas, la proposition est alors purement et simplement enterrée, oubliée, comme sont enterrés les espoirs des malheureux citoyens qui auraient eu la naïveté de croire que cette réforme avait pour but de « redonner la parole au peuple ».

Bien entendu, l’actuelle majorité s’est trouvée plus ou moins contrainte de mener à son terme une réforme figurant déjà dans la Constitution, depuis la révision de 2008. Et puisque le principe de ce référendum figure dans la Constitution, le Conseil constitutionnel ne pourra évidemment pas le déclarer inconstitutionnel.

Ce référendum d’un genre nouveau, caractérisé surtout par son caractère inapplicable, est pourtant une sorte de monstre juridique qui va certainement empêcher longtemps l’adoption d’une vraie initiative populaire. Plus grave peut-être, il illustre parfaitement une tendance récente à intégrer dans la Constitution des dispositions inutiles, uniquement destinées à assurer une mission conjoncturelle de communication politique. Cette forme de pollution de la Constitution conduit à saper lentement sa crédibilité et la confiance que les citoyens ont à son égard. Ne sont-ils pas les premières victimes d’une procédure dont ils sont finalement exclus ?


Le référendum d’initiative partagée, trop compliqué pour être vraiment efficace

Mardi 19 novembre, les députés devaient voter un texte déposé il y a trois ans

Par Hélène Bekmezian

C’est une histoire commen­cée en 2008 sous Nicolas Sarkozy qui devait se clore mardi 19 novembre. Après avoir — sauf surprise — adopté ce mardi le projet de loi de finances pour 2014, les députés devaient entériner le projet de loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution, soit le « référendum d’initiative populaire », qui erre dans les limbes parlementaires depuis trois ans. Mais en pratique, le dispositif sera si lourd et si long à mettre en œuvre qu’il risque de ne jamais voir le jour.

Un parcours tortueux. Le projet de loi organique, censé mettre en application un point de la réfor­me constitutionnelle de 2008, est signé le 22 décembre 2010 par le ministre de l’intérieur d’alors, Bri­ce Hortefeux. Laissé aux oubliet­tes, il est remis à l’ordre du jour et adopté en janvier 2012 par l’As­semblée. La gauche arrivée au pou­voir, le texte est de nouveau enter­ré jusqu’à ce que l’UMP s’en ressai­sisse comme instrument de bataille lors des débats sur le « mariage pour tous ».
Qu’importe que le texte n’en­tre pas dans le champ d’applica­tion de la Constitution (carne rele­vant pas d’une réforme de la politi­que sociale), le Sénat, à l’initiative de l’UMP, vote la loi à l’unanimité le 28 février, presque un an après l’Assemblée.
Il faudra attendre ensuite le 3 octobre et l’annonce du chef de l’État lors des 55 ans de lave Répu­blique, sur le «  référendum d’ini­tiative populaire  » : «  J’ai demandé au gouvernement de soumettre un projet au Parlement avant la fin de l’année.  » En fait de nouveau­té, c’est simplement l’accéléra­tion du calendrier qu’annonce François Hollande. Le 30 octobre, une commission mixte paritaire (sept députés et sept sénateurs) trouve donc un accord entre les textes votés par les deux Cham­bres — légèrement différents — , que les députés devaient approu­ver mardi après-midi.

Un référendum d’initiative « par­tagée ». De «  populaire  », ce réfé­rendum n’en aura que le nom. Pour être effectif, celui-ci devra prendre la forme d’une proposi­tion de loi présentée par au moins un cinquième des parlementaires (185 élus) et soutenue par 4,5 millions de Français (10 % du corps électoral). Le Conseil constitution­nel devra par ailleurs donner son accord après avoir vérifié que le sujet entre bien dans le champ d’application de la Constitution (organisation des pouvoirs publics ou réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale) ainsi que la validité des soutiens.
De plus, il faudra que ni le Sénat ni l’Assemblée ne se saisissent du texte pendant les six mois sui­vants, sans quoi le président ne pourra pas déclencher le référen­dum. Si jamais toutes les condi­tions sont réunies, il faudra alors compter près de deux ans entre le lancement de l’initiative et la véri­table tenue d’un référendum.

Un texte dont le PS ne voulait pas. Enfin, ironie de l’histoire, François Hollande et sa majorité se retrouvent aujourd’hui à faire voter un texte dont ils ne vou­laient pas. Non seulement la gau­che s’était majoritairement oppo­sée à la réforme constitutionnelle de 2008 mais, en outre, ni Jean-Marc Ayrault ni François Hollan­de, alors député, n’avaient voté le texte sur l’article 11 fin janvier 2012.
Le compte rendu détaillé du scrutin indique d’ailleurs, en bas de page, une précision apportée par François Hollande, absent au moment du vote mais qui a sou­haité « faire savoir » qu’il avait voulu «  s’abstenir volontaire­ment  ». Et qu’il ne s’agissait en rien d’un oubli ou d’une erreur.


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