Au sort, citoyens !

dimanche 8 septembre 2013
par  LieuxCommuns

Article paru dans Libération du 11.04.13.

Où l’on voit que les apprentis-oligarques ne tardent pas à se servir des références à la démocratie directe pour « préserver le dispositif représentatif » du système oligarchique actuel...

Par PIERRE-ANDRÉ ACHOUR, Ancien secrétaire régional des Verts-Lorraine, président de Forum les débats

Notre pays est au bord d’un abîme de gros soucis et la classe dirigeante s’affronte devant le peuple, tétanisé. C’est elle, la principale responsable de notre misérable place au classement IDH (Indice de développement humain) et, si nous continuons sur cette pente, c’est la descente en Ligue 2 pour quatre générations. L’accumulation des mesures à prendre est vertigineuse mais il est indispensable d’engager sans frémir la plus décisive sur le long terme. Modifier durablement la composition et le fonctionnement de la classe dirigeante, ce groupe de quelques milliers de personnes aux commandes : personnel politique, haute fonction publique, haute fonction privée (les managers) et leurs patrons, haute fonction (privée, publique) syndicale, enfin, personnel académique, visiteurs du soir…

Si tout, absolument tout, a été écrit sur l’absolue nécessité de réformer la formation de nos élites, pour le personnel politique en revanche, c’est l’augmentation du désarroi et de la désillusion - de la méfiance même à son endroit - qui rend la situation encore plus sombre. Si les raisons de l’éloignement progressif des citoyens de leurs représentants sont nombreuses et pas toutes d’ailleurs de la seule responsabilité des élus, cette dernière est par contre engagée, totalement, absolument, imparablement engagée, dans leur manière de « faire de la politique ».

Que faire ? Fin du cumul des mandats et arrêtons les simagrées : un mandat unique non renouvelable. Un beau progrès certes, mais encore insuffisant. Nos futurs élus, ceux qui doivent nous intéresser, sont les citoyens qui comprennent et exercent la fonction d’élu comme une mission de service public, puis retournent à leurs activités professionnelles à l’issue du mandat. Aussi, cette mesure pourrait être accompagnée d’une autre réforme, plus radicale encore, qui viendrait compléter le dispositif : l’utilisation, pour la désignation d’une partie des représentants du peuple, de la sélection aléatoire, plus connue sous le nom de tirage au sort.

Fondement de la démocratie athénienne, utilisé par des républiques italiennes au Moyen Age, le tirage au sort retrouve en effet une nouvelle jeunesse dans les pratiques politiques modernes [1]. Mais son usage, consultatif, est limité aux dispositifs d’accompagnement de la décision politique (jury citoyen, conférence de consensus par exemple). La décision politique, elle, reste le bac à sable d’un personnel politique élu à la suite d’un vote entre des candidats qui se préparent à faire don de leur vie à la chose publique. L’expérience décrite maintenant montre que des alternatives sont possibles.

En 2010, dans la vieille et prestigieuse cité gallo-romaine de Metz - ancienne république (1234-1552) du Saint Empire romain germanique -, un acte novateur est posé. Le 12 décembre, le groupe local d’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) désigne ses candidats aux élections cantonales de mars 2011 par tirage au sort parmi une dizaine de volontaires. Les militants font campagne sur les thèmes du parti, sans dissimuler le mode de désignation des candidats.

L’opération est renouvelée aux législatives de 2012 : comme aux cantonales, les résultats sont en tout point identiques à la moyenne obtenue sur l’ensemble des circonscriptions du pays. Cette fois, l’affaire est évoquée dans les publications académiques, une jeune chercheure en sciences politiques vient sur place faire le point avec le groupe concerné, la presse nationale en ligne consacre un article à cette curieuse histoire.

Quel bilan tirer de ce geste fondateur qui pourrait bien révolutionner la vie politique d’ici une ou deux générations ? Dans le système classique de désignation des candidats, les problèmes d’egos compliquent et biaisent les procédures. Les tensions et les rancœurs restent puissantes après l’élection, et le travail collectif est rendu pénible, voire impossible. De ce point de vue, le tirage au sort se révèle une méthode apaisante qui rend légères voire absentes les blessures narcissiques. Le travail collectif - indispensable aux militants - est facilité par cette conviction que l’on ne travaille pas entre concurrents aux postes de pouvoir, mais avec des pairs, dont l’un pourrait être choisi, au hasard, pour représenter ses concitoyens. Cette méthode permet la découverte de personnes peu charismatiques, redoutant la prise de parole en public, mais qui, à l’usage, se révèle d’excellents élus. Elle est aussi un pari : des personnes tirées au sort sont plus neutres et plus rigoureuses dans l’étude des problèmes que celles motivées par l’ambition personnelle. Enfin, la méthode permet d’écarter les aspirants à l’exercice professionnel des mandats qui leur sont confiés.

L’exercice a aussi des limites. Le tirage s’opère à partir d’un ensemble non représentatif. Il s’agit de celui constitué de citoyens intéressés par la vie de la cité : des militants politiques volontaires. Dès l’instant où ils s’inscrivent dans leur mouvement politique, les règles du jeu leur sont connues. Ils savent qu’ils peuvent être appelés à siéger dans un des nombreux parlements où des représentants sont nécessaires (ils peuvent cependant refuser d’être candidats si le sort les désigne). Bien entendu, la désignation aux fonctions exécutives - dans les systèmes actuels - demandera la mise en place de systèmes mixtes : être député exige des qualités différentes de celles nécessaires à l’exercice d’un mandat exécutif.

En conclusion, dans l’urgence, il faut préserver le dispositif représentatif et en faire le meilleur usage possible. Parmi les mesures à notre portée : créer une représentation citoyenne qui ne considère plus comme un métier l’exercice du mandat que nous lui avons confié.


[1« Le pouvoir au peuple », éd. La Découverte, par Yves Sintomer dont les travaux sont à l’origine de l’expérimentation messine.


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