Entre le moment de l’invasion de son pays par les troupes du Pacte de Varsovie et la signature des accords de Moscou, le peuple tchécoslovaque a mis en œuvre spontanément une multitude d’actions de non-collaboration avec l’occupant. Cette résistance opiniâtre et non-violente a montré son efficacité pendant une semaine. Bien qu’improvisée, la résistance tchécoslovaque a su s’organiser très tôt, utilisant en particulier l’infrastructure du PC tchèque, ce qui lui donna une vigueur et une opérationnalité certaines.
Les faits de la résistance sont innombrables ; aussi nous contenterons-nous d’évoquer les plus importants. L’héroïsme quotidien de tout un peuple, observant scrupuleusement les consignes de ses dirigeants et des résistants qui s’étaient emparés des médias (radio, télévision), a représenté pour l’occupant l’obstacle majeur à la prise de contrôle du pays.
1 - COORDINATION ET INFORMATION
Instrument de l’unité de tout le peuple, fer de lance de la lutte, la télévision, et surtout les radios, ont été les catalyseurs de la résistance non-armée.
Pendant les heures décisives de l’invasion, la télévision nationale a rendu compte jusqu’au dernier moment des événements tragiques que nous connaissons. Multipliant les appels au calme et à la non-collaboration, elle transmettait les déclarations des dirigeants du Printemps de Prague, et les réactions de tout ce que la Tchécoslovaquie comptait de mouvements et d’organisations représentatives.
Les speakers commentaient à chaud et en se relayant l’évolution de la situation, donnant des indications brèves et précises à la population pour qu’elle manifeste son hostilité à l’invasion. De 7 h 30 à 12 h, presque sans discontinuer, la télévision a émis sur tout le territoire national malgré l’occupation et les recherches incessantes des soldats soviétiques pour déterminer le lieu d’émission. L’astuce, les fausses indications données par les voisins, l’empressement trompeur du personnel de la télévision à faire visiter le moindre recoin de l’établissement, tout cela permit de gagner quelques heures irremplaçables pendant lesquelles se mettaient en place les émetteurs radios. Ainsi, lorsque la télévision cessa de fonctionner, plus d’une douzaine de radios furent en mesure d’émettre. Elles ne devaient plus se taire jusqu’au retour de l’équipe dirigeante tchèque de Moscou. Grâce à un système d’émetteurs cachés et se relayant, la radio tchécoslovaque libre se fit entendre sur l’ensemble du territoire. L’armée tchèque, puis les radios amateurs lui apportèrent leurs concours en mettant à sa disposition leur matériel et leurs voitures radios. Chaque émetteur diffusait pendant une durée n’excédant pas neuf minutes, puis passait le relais au suivant. Il était donc impossible aux Soviétiques de localiser le lieu d’émission. Ils utilisèrent les installations de la télévision et de la radio nationales, mais le peuple ne s’y trompa guère, et reconnut spontanément la voix de l’occupant. C’était d’ailleurs bien la voix seule, car aucun « collaborateur » des Soviétiques n’osa, fait significatif, montrer son visage à la T.V. La radio libre et légale appelait à des quarts d’heure de protestation et informait de la situation par des messages codés (ceci permettra la réunion, le 21 août, du congrès du PCTI ; enfin elle dénonçait les collaborateurs et permettait de les repérer, donnant leur adresse et les numéros de leurs voitures. Elle conseillait à la population de se méfier de la provocation, qui fournirait des prétextes à l’occupant ; enfin, elle empêchait l’isolement de la population.
Les troupes soviétiques, ayant perçu l’importance de la radio dans la résistance, se mirent à supprimer tous les transistors qu’ils voyaient. « Aussitôt, les Praguois trouvèrent une solution pour ridiculiser les mesures prises par les Russes et les retourner contre eux. L’après-midi du 21 août, une charrette de briquettes de charbon fut déchargée dans la rue du Fossé. Peu après on pouvait voir une centaine de jeunes gens, garçons et filles, se promener le long de la rue. Tous tenaient un cube brun appuyé contre l’oreille et semblaient écouter attentivement. Deux camions de soldats russes s’approchèrent et s’arrêtèrent. Les militaires sautèrent des véhicules, cernèrent les groupes isolés de jeunes gens et s’emparèrent de ce qu’ils croyaient être des récepteurs radio. Un Russe porta une briquette à son oreille et, comme il n’entendait rien, il regarda d’un air décontenancé la jeune fille à qui il avait pris l’objet. Le jeune garçon qui se trouvait à côté dit : « Radio cassée. Mauvaise qualité. Fabrication russe » (A main nues, p. 941).
Ailleurs, la radio locale émet au nez et à la barbe de l’occupant. Dans la ville d’Usti, le commandant polonais qui devait occuper la région se présenta à la maison de la radio en demandant d’arrêter immédiatement l’émission : il avait reçu l’ordre de se saisir de l’émetteur. On lui répondit qu’il ne pouvait pénétrer à l’intérieur du bâtiment qu’avec l’autorisation écrite du ministère de l’intérieur tchécoslovaque ; comme il n’en avait pas, on le pria de sortir et de ne revenir que muni de ce papier. Le commandant ne revint jamais.
Moins de 24 heures après l’arrêt des émissions de télévision tchèques par l’envahisseur, les techniciens réussirent le tour de force de reprendre les émissions de 14 h 30 à 20 h 30, et ce malgré la destruction Par les Soviétiques de deux importants émetteurs relais. Ils s’offrirent le plaisir de chasser du canal, à plusieurs reprises, l’émetteur collaborateur, puis de brouiller complètement ses émissions. Les Soviétiques réagirent en tentant de faire venir d’Union Soviétique une station de brouillage ultra-puissante. Les cheminots tchécoslovaques chargés de convoyer la précieuse cargaison firent preuve d’une négligence et d’une maladresse peu ordinaires. La station de brouillage après maintes péripéties qui sont racontées plus loin finit par arriver à destination, mais fut inutilisable, les pièces essentielles à son fonctionnement ayant été égarées !
A côté de cela, la presse libre et légale ne désarmait pas. Des éditions spéciales furent conçues pendant l’occupation, d’une page d’abord, puis plus fournies par la suite. Les Tchécoslovaques éditèrent et distribuèrent beaucoup de tracts et de journaux pendant cette semaine. Les Soviétiques essayèrent d’en faire autant pour expliquer les raisons de leur intervention. Ils utilisèrent un hélicoptère pour lâcher par milliers des tracts au-dessus de Prague. Soucieux de la propreté de leur belle ville, les Praguois les ramassèrent pour les brûler ou en faire des paquets qu’ils allaient porter aux forces d’occupation en disant : « Votre hélicoptère a perdu quelque chose ». Un article de presse décrit les scènes de la rue : « Sur la place Degvice, une longue queue s’est formée devant un magasin d’alimentation. Une vieille voiture passe, et de la fenêtre est jeté un paquet de journaux libres. La queue ondule, les gens les ramassent pour les lire. Brusquement, une jeep soviétique arrive, l’officier assis derrière lance lui aussi des journaux dans la queue. Les gens les déchirent, les foulent aux pieds ou les jettent dans les poubelles ».
Dans toute la ville, les murs en disaient autant que les journaux. Quelques heures après l’occupation, les murs et les vitrines étaient couverts de graffitis, d’affiches et de slogans hostiles aux troupes d’occupation. La connaissance de la langue russe fut une aide précieuse pour les Tchécoslovaques. Voici quelques exemples de slogans que les Russes pouvaient lire sur les murs :
- Vous avez les tanks, camarades, nous sommes là avec nos mains nues, mais nous avons le droit pour nous !
- On ne construit pas le socialisme avec des chars !
— On ne met pas en prison tout un peuple ! - Staline applaudit, Lénine désapprouve !
- Où trouve-t-on l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques ? Qui est uni ? Où est la république ? Que reste-t-il de socialiste chez les despotes du Kremlin ? Ne dites plus URSS, lites Empire russe !
- Américains, quittez le Vietnam, Soviétiques, quittez la Tchécoslovaquie !
- Nous avons survécu à Hitler, nous survivrons à Brejnev !
— Seul peut être libre un peuple qui ne prive pas un autre peuple de sa liberté (karl Marx) ! - SSSR-SR = SS (SSSR : transcription en tchèque et en russe de URSS).
- Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !... ou je tire !
- A défaut de violettes, nous sommes obligés de vous lancer des pierres !
- Chez nous, il y a eu des morts ; une fois rentrés chez vous, que direz-vous à votre mère ?
- Lénine, réveille-toi, Brejnev est devenu fou !
- Russes, méfiez-vous, les Chinois vous observent !
- Que faites-vous là ? Il n’y a donc pas de travail chez vous ?
2 - ACTIONS DE DEMORALISATION
A l’arrivée des chars et des convois militaires, les Tchécoslovaques, saisis de stupeur, descendent dans la rue en masse pour connaître les véritables raisons de la présence des troupes soviétiques et satellites sur leur sol. Ceux-là mêmes qui avaient été accueillis en libérateurs à la fin de la Deuxième Guerre mondiale étaient maintenant conspués et sommés de s’expliquer. L’intensité de ces discussions fut très vive, surtout dans les tout premiers jours de l’invasion.
Les Tchécoslovaques demandaient aux soldats : « Potschemu ? Proc ? Pourquoi ? ». Les soldats répondaient en montrant la Pravda où on parlait de « contre-révolution » tchécoslovaque.
Certains soldats se croyaient en manœuvre en Pologne, d’autres disaient venir rétablir la démocratie. Un Tchécoslovaque demanda à l’officier qui disait cela : « Savez-vous ce qu’est la démocratie ? » Réponse : « oui, elle règne chez nous depuis 50 ans !... » Un autre soldat disait : « Nous sommes venus combattre les anarchistes ; il y en a 2 millions en Tchécoslovaquie ; il faut absolument les supprimer ! » Un Tchécoslovaque lui demanda : « C’est quoi un anarchiste ? » - « Un contre-révolutionnaire fasciste », répondit le soldat.
Ailleurs un journaliste demande à un officier : « Pourquoi êtes-vous venus chez nous ? Pourquoi êtes-vous venus nous envahir ? Pourquoi est-ce que vous ne nous laissez pas libres ? - N’écoutez pas la propagande, répond l’officier, nous ne sommes pas venus vous envahir, mais seulement pour des manœuvres.
- Si ce sont des manœuvres, pourquoi vos fusils ne sont-ils pas chargés à blanc ?
- Vous savez bien que jamais nous ne tirerions sur le peuple.
- Pourtant des soldats ont tiré sur la foule dans la ville voisine.
- Ce n’est pas vrai, c’est de la propagande contre‑révolutionnaire... ».
A des Tchécoslovaques qui défendaient passionnément leur droit à suivre une voie vers le socialisme qui leur fut propre, un caporal soviétique de Lettonie, qui n’osait les contredire, dit avec résignation : « Vous finirez bien par vous habituer, nous nous sommes bien habitués, nous aussi... ».
Par ces nombreuses discussions, les Tchécoslovaques se sont vite aperçus que les soldats des troupes d’occupation étaient complètement perdus, ne savaient visiblement pas la véritable raison de leur présence. Ils commençaient à comprendre la mystification gigantesque dont ils étaient l’objet. Leurs chefs, en qui ils avaient quelque confiance, les avaient complètement trompés.
Verceni Praha, le plus important des quotidiens du soir, relata dans son édition spéciale du 24 août l’épisode suivant : « Deux soldats soviétiques se tiennent derrière leurs tanks à quelque distance du Parlement. Sales, fatigués, peut-être aussi affamés. Un monsieur d’un certain âge vient à passer. Il dit qu’il a connu plusieurs héroïques libérateurs qui ont apporté la liberté à Prague en 1945. Ceux-là ont été emmenés dans les maisons, on les a fait dormir, on leur a donné à manger et à boire. Vous, on ne vous veut pas ! Vous êtes venus alors qu’on ne vous le demandait pas. Vous n’êtes pas les bienvenus ! Les soldats se regardent, ne sachant que répondre. Peut-être voudraient-ils retourner dans leur ville, dormir dans leur lit. Sera-ce bientôt ? »
Ailleurs les actions de démoralisation prenaient parfois une tournure plus irrespectueuse : des vieilles femmes se réunissaient devant les chars et se déculottaient en leur tournant le dos ! Il faut bien leur montrer, aux Russes, qu’on ne veut pas d’eux et qu’ils n’ont rien à faire ici... Une autre méthode mise en pratique pour démoraliser l’occupant consistait, pour les jeunes gens et les jeunes filles, à se mettre exprès tout à côté des fantassins russes pour s’embrasser longuement ! Ils signifiaient ainsi aux occupants qu’ils n’existaient pas à leurs yeux : on faisait comme s’ils n’étaient pas là. De plus, ces jeunes manifestaient ainsi que tout le déploiement de force ne leur faisait pas peur, tout en rappelant ironiquement aux malheureux bidasses que les bonnes choses de la vie n’étaient pas pour eux...
Les Tchécoslovaques ne savent plus qu’inventer pour empoisonner chaque instant des journées d’Ivan.
Un petit garçon s’approche du chauffeur d’un camion soviétique et lui dit : « Si vous me donnez quelque chose, je vous dirai ce que mon papa a défendu de vous dire ! » Affaire conclue, le petit garçon, regardant bien autour de lui comme pour s’assurer qu’il n’est pas surveillé, murmure :
- « Tous les pains des boulangeries du quartier sont empoisonnés ; les Tchèques, eux, ont été prévenus ».
Les soldats d’occupation sortent peu de leurs camions et tanks ; ils y dorment la nuit : tout ce qu’il faut pour améliorer leur moral ! Leur ration de nourriture était prévue seulement pour deux jours, car on espérait que les Tchécoslovaques les nourriraient ! Or personne ne veut les nourrir ; sur les vitrines d’une crèmerie, il est écrit : « Pas de lait pour toi, Ivan ! » ; chez une fleuriste : « les fleurs, Ivan, ne sont pas pour toi. » On leur refuse le pain ; et la radio avertit la population de ne pas laisser traîner dans la rue les chiens et les chats, car Ivan a faim...
On leur refuse aussi l’eau : une délégation russe était allée chercher de l’eau dans une caserne tchécoslovaque ; on lui répondit qu’ils en auraient seulement s’ils la demandaient poliment et en se présentant en civil...
Dans la rue, les gens les ignorent, personne ne les craint, personne ne les aime, personne ne les attaque avec des armes, ils ne sont rien. Les Tchécoslovaques donnent de petits papiers aux Russes sur lesquels est écrit : « Ivan, rentre chez toi, Natacha a besoin de faire l’amour ». « Ivan, reviens vite, Natacha fréquente Igor. Signé : Maman ».
Finalement, le mépris et l’indifférence que rencontre Ivan, l’inconfort de ses conditions de vie, sont tels qu’il commence sérieusement à se demander où se trouve ce qu’on lui a raconté dans la Pravda ! Le haut commandement doit relever rapidement, dès le 5ème jour, les troupes démoralisées. Dès le deuxième jour, on avait dû retirer tous les soldats de RDA, bien qu’ils aient été déguisés en soldats russes (l’uniforme allemand rappelait les souvenirs de 1938). Les Tchécoslovaques disaient : « Comment ? Ils osent nous amener les fils des nazis qui ont tué nos pères ! ».
Les suicides de soldats continuent. Plusieurs organes de Presse encouragent les efforts de démoralisation de l’armée : « Pour la quatrième fois, nous nous sommes réveillés aujourd’hui dans le bruit des chenilles des tanks ; c’est la quatrième nuit consécutive où nous avons été réveillés par le fracas des coups de feu. Nous sommes occupés. Je pense que c’est la plus bizarre des occupations de l’histoire. En effet, celui qui est attaqué et veut se défendre doit avant tout veiller à ce que n’éclate aucun coup de feu, ou alors il se défend contre les armes les plus terribles, seulement par son calme, son sang-froid et son astuce. C’est une occupation où bien des soldats d’occupation versent des larmes de regret et de honte, car ils commencent à comprendre qu’ils ont été abusés, que soudainement ils doivent tirer sur des gens inoffensifs, dont leur propagande officielle a affirmé 23 années de suite qu’ils étaient leurs amis.
J’ai vu personnellement comment l’équipage d’un tank dans la rue Opletalova a refusé l’ordre d’un officier de disperser la foule autour du tank avec des baïonnettes. Malgré l’ordre, ils ont remis leurs baïonnettes dans leur fourreau. J’ai vu un jeune soldat se mettre à pleurer quand une vieille femme lui a demandé : « Que va dire ta mère ? Sait-elle que toi, son fils, tu assassines des innocents ? » Pourtant, malgré ces exemples, il ne faut pas s’attendre à une hésitation massive des soldats d’occupation, si ordre leur est donné de tirer sur nous. Certainement pas ; pour le soldat, l’ordre est un ordre. C’est pourquoi, faisons-leur continuellement sentir (mais de telle sorte qu’ils ne puissent considérer qu’il s’agit d’une provocation) qu’ils sont des hôtes indésirables, qu’ils étaient nos amis, mais que, aujourd’hui, ils sont nos ennemis jurés. Qu’ils ne mangent que ce qu’ils ont amené avec eux ; ne leur donnons pas à boire, ne laissons pas sentir un seul instant que nous compatissons à leur situation, ne serait-ce que par un geste. Ils photographient. Pourquoi votre bon coeur devrait-il être utilisé pour la propagande qui doit prouver que nous sommes d’accord avec eux, et que nous les accueillons comme des amis, alors que ce n’est pas vrai ! ».
Le journal Lidova Demokracie écrit : « Vendredi, le quatrième jour de l’occupation, il y a eu un mouvement des troupes soviétiques. Depuis 72 heures, de nouvelles unités arrivent de tous les côtés pour prendre la place de certaines divisions du Pacte de Varsovie, moralement décimées et fatiguées. Quatre jours seulement ont suffi pour que les commandants de l’occupation comprennent que, bien que les deux cent mille soldats soviétiques, est-allemands, polonais, bulgares et hongrois soient restés à leur poste, leurs réactions, leur vigilance et leur calme ne sont plus intacts ».
Un autre extrait de Rude Pravo (quotidien du Comité Central du Parti Communiste Tchécoslovaque) relate une discussion s’achevant de manière tragique : « Cela se passait le jeudi, nous parlions encore avec eux.
- Kolia, que fais-tu là ?
Sur le tank, un jeune homme de 19 ans est assis ; il a de la peine à me reconnaître. Jamais, à l’époque préhistorique comme me semble maintenant ma visite en Union Soviétique, il n’avait vu de l’horreur dans mes yeux.
- Kolia, que fais-tu là ?
- Nous avons reçu l’ordre. Nous sommes venus en amis...
- En amis, mais vous tirez...
- Moi, je n’ai pas tiré...
- Que te dira Sacha, ta soeur quand tu arriveras à la maison... ?
- Je n’ai pas tiré ; ils nous ont envoyés. Il montre sa cartouchière.
- Mais d’autres tirent, ils ont tué un jeune de vingt ans, qui certainement vous aimait ; nous vous aimons tous... ».
- Nous avons reçu l’ordre, il y a la contre-révolution, la confusion...
- Kolia, ici, c’était le calme avant que vous veniez ; imagine-toi seulement que tant de soldats arrivent à Kharkov. Il se produirait aussi de la confusion, non ?
Une idée lumineuse me vint : « Kolia, qu’est-ce que c’est d’après toi la contre-révolution ?
- C’est lorsqu’on est pas d’accord avec Lénine.
- Kolia, tu aimes Staline ?
- Non, Staline était mauvais.
- Tu vois, Novotny était tout aussi mauvais. Et nous ne le voulions pas. Nous voulions tout faire à notre manière, non d’après vous. Vous êtes un grand pays, et c’est autre chose qu’un petit...
- Je ne comprends pas, nous avons reçu l’ordre...
Longtemps Kolia n’a pas compris. Auparavant, il avait parlé à des dizaines d’autres personnes et entendait toujours la même chose : « Dites, pourquoi êtes-vous venus, pourquoi ? »
Je suis restée environ une demi-heure un peu plus loin et fus témoin d’un événement bouleversant. Kolia leva sa propre arme contre lui-même et pressa sur la gâchette... ».
Cette résistance spontanée des Tchécoslovaques sans armes a moralement décomposé les unités armées de l’occupation. Un plan pareil n’avait été envisagé par aucun Etat-Major ; il est né simultanément dans la tête des 14 millions de Tchèques et de Slovaques.
Très vite, les Tchécoslovaques ont dû abandonner ces méthodes de discussion. Ils se sont, en effet, rendus compte que les Russes pouvaient en tirer argument pour la propagande. Il leur suffisait de prendre des photos et de les publier avec des légendes : « Le peuple tchécoslovaque parle en grande confiance avec nos soldats », « La population accueille avec joie les troupes fraternelles », « Regardez comme nos fils sont bien accueillis en Tchécoslovaquie », etc. La radio donne rapidement à la population cet avertissement : « Les photos sont muettes, pensez-y ! ». Elle conseille d’ignorer les occupants : « Ne parlez pas avec eux. L’esclave ne peut comprendre l’homme libre. Et d’ailleurs, pourquoi essayer de les convaincre ? Ils sont si bêtes ! » Le peuple a donc assez vite abandonné cette méthode qui avait tout de même eu de sérieux effets sur les soldats et les officiers : doutes, refus d’obéissance, désertions, suicides.
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