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dimanche 23 août 2015
par  LieuxCommuns

Islam, phobie, culpabilité (1/2)

Ce compte-rendu du livre de D. Sibony nous a été envoyé par un sympathisant, Jaufré, dont nous reproduisons le préambule. Les thèses ici présentées sont très stimulantes et nous les partageons. Un aspect nous semble néanmoins nécessaire d’être précisé, de notre point de vue, qui ne nous paraît (…)

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jeudi 26 novembre 2015 à 14h42 - par  Anne Vernet

Merci pour cette retranscription du livre de Daniel Sibony.

La question qui m’occupe tient à deux aspects : celui de la violence fondatrice qui serait particulière à l’Islam d’une part et celui de la culpabilité narcissique attribuée (si j’ai bien compris) à l’Occident judéochrétien considéré dans sa prétention de dominance.

Violence.

Pour ce qui est de la violence fondatrice, Judaïsme et Christianisme n’ont rien à envier à l’Islam. Violence fondatrice du Judaïsme : condamnation radicale de l’existant, arrachement, déterritorialisation, stérilité surcompensée (exception biologique) immédiatement frappés par les meurtres les plus radicaux : consentement à l’infanticide qui, même évité de peu et comme par magie, ouvre après le fratricide des origines des siècles de massacres, d’efforts s’écroulant, d’injustices absurdes (Job) interdisant la territorialisation.

La violence fondatrice des Evangiles chrétiens relève, elle, de la violence du délire en tant que négation, ici, du réel même. Procréation “abiologique” au milieu d’un épouvantable massacre d’enfants, suite insensée de miracles – encore autant d’impossibilités biologiques que la magie désigne précisément telles en les surmontant, réduisant par là (conformément au modèle dont elle est issue et auquel elle veut s’opposer) l’humanité livrée à elle-même à l’impasse, à l’échec, au non-vivre (alors qu’elle promet évidemment le contraire). Le recours chrétien au magique est l’octave supérieur des esquisses miraculeuses dont la Thora restait prudemment économe. Sur ce rapport au magique, ou contre lui, vont se fonder les schismes chrétiens. La violence qui obsède aussi le discours paulinien explose, en toute logique, dans le cauchemar apocalyptique. Le cortège des martyrs chrétiens n’avait peut-être rien à envier aux martyrs de l’Islam contemporain malgré l’insistance, suspecte, donnée à leur gratuit sacrifice – ce dont on peut douter lorsqu’on mesure les appels à la violence, plus ou moins maladroitement censurés, des Epîtres. C’est précisément cette censure, bien lisible pour qui a des yeux pour lire, qui signe la violence du christianisme : si on y regarde avec soin l’autocensure est caractéristique du discours évangélique et c’est elle, et son “intenabilité” toujours plus lourde, qui imprègnera chaque fois davantage ses schismes successifs. La violence évangélique est réelle, elle se lit à son auto-censure et au recours délirant niant le réel, débordant un “message d’amour” précisément construit pour échouer – de même que l’était le message de reterritorialisation thoraïque.

Que l’Islam, dans sa fondation, affirme sa violence à l’encontre de l’une et de l’autre forme est donc parfaitement logique. Cela signe à la fois sa distinction et sa conformité aussi bien à chacune qu’à leur ensemble déjà lui-même conflictuel et corrélé. La magie saute. La censure aussi. Mais seulement du point de vue de la violence exprimée. Ici c’est justement tout ce qui ne peut pas être assumé par cette violence qui va se retourne contre le discours violent porté. Les schismes islamiques (pour autant que j’en connaisse quelque chose) se fonderaient sur la volonté de réinjecter, dans cette violence, de ce qui n’en est pas... situation intenable. Ce conflit profond est d’abord intrinsèque à l’Islam. Je n’en connais malheureusement pas assez bien le texte pour argumenter plus avant sa corrélation oppositionnelle avec les deux autres monothéismes.

[Sur la remarque si juste du comique, si on ose dire, d’un monothéisme éclaté : oui, les monothéismes reconstituent eux-mêmes ensemble l’hénothéisme que chacun d’eux prétend abattre. D’ailleurs, les myriades de figures sacrées, saints, martyrs, prophètes et prophétesses, anges et archanges, démons et diables, Nephilim et Elohim constituent aujourd’hui un casting polythéiste qui doit à peu près frôler le milliard... Dans “A quatre pattes devant son dieu”, texte écrit après le 7 janvier dernier que je voulais le plus subtilement comique possible (parodie respectueuse et légère de Totem et tabou), je rapportais le concept freudien meurtre du père de la horde primitive au meurtre du “chaînon manquant” et les trois monothéismes à l’inévitable éclatement héno- puis poly-théiste. A ma surprise, non seulement ce texte n’a fait rire personne, mais tout le monde l’a prit au pied de la lettre... ].

La reprise de l’éclatement polythéiste mériterait qu’on s’y arrête – au moins qu’on en parle et le considère. Car nous y sommes toujours, nous n’en sortons pas, nous le produisons et là, effectivement, est un grand non-dit, un gros refoulé, “honteux secret” partagé par les trois monothéismes confrontés à l’échec de leur commune mégalomanie.

Culpabilité narcissique.

Elle est bifide. D’une part elle signifie le narcissisme comme coupable : “La culpabilité narcissique ne se laisse pas ramener en dernier ressort à ce qu’inculque la morale de la religion chrétienne qui ordonne d’aimer les autres et qui considère que l’amour de soi est un pêché majeur, sinon mortel, parce qu’il est antagoniste de l’amour pour autrui. Elle doit être rapportée à une dimension singulière du surmoi qu’on rencontre chez un bon nombre de sujets qui n’ont subi aucune influence religieuse. Elle est le résultat d’une forte tension conflictuelle entre le moi et le surmoi qui s’acharne à condamner l’amour de soi bien davantage que l’amour pour l’objet œdipien.” (Jean-Michel Porret, “Echecs de la cure analytique et résistances à la guérison” in Psychothérapies 2005-1, Vol. 25, pp. 29-37).

J’ajouterai qu’elle affirme tout autant d’un autre côté la culpabilité comme porteuse de gratification narcissique. Dont il faut dire que, sous la violence s’instituant aujourd’hui sans ménagement, aménagement ou autre travestissement (et nous sommes sous cette coupe) après la grande vague du modèle “décomplexé” dont on a vu les superbes effets, intérioriser la culpabilité se pose aujourd’hui comme exigence narcissique partagée. Voir la déferlante de harcèlement moral attisant la culpabilité (y compris celle des victimes) sur les “réseaux sociaux” après le 13 novembre. Cette introjection visant à cimenter l’agrégat, évidemment anonyme, d’une foule de “peine à jouir repentis” conduite à accepter voire désirer la mort – comme rétribution et rédemption de ses errements passés dans la fange des plaisirs occidentaux postmodernes.

Anne Vernet, 26 novembre 2015.

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