On peut dégager quatre grandes tendances des élections tunisiennes qui se sont déroulées fin octobre.
- La première est sans doute le faible taux de participation, moins de 60 % (contrairement à tous les commentaires démagogiques qui ne se basaient que sur les inscriptions volontaires !), qui relativise évidemment les résultats.
- Il y a ensuite, évidemment, la forte poussée du parti islamique Ennahda, qui n’est (ou ne devrait être) une surprise pour personne,
- et en face la faiblesse relative de tous les autres partis, sans même parler de l’extrême-gauche, rendue inexistante.
- la dernière est le vote des tunisiens émigrés en France ou ailleurs (Allemagne, USA, Monde arabe), qui présente partout des proportions similaires, sinon plus importante, de vote pour l’extrême-droite religieuse.
Comment interprétez-vous toutes ces données ?
Premièrement il y a eu libération de milliers d’islamistes qui se sont faits passer pour des victimes, voire même les seules victimes du régime de Ben Ali.
Secundo, ils ont eu le soutien de Qatar et des milliards ont été versé à Ennahdha . Son siège est aujourd’hui plus grand que celui du RCD à l’époque....
Les américains jouent aujourd’hui un sale jeu : ils disent "au lieu de combattre les islamistes, essayons de les contenir, aidez-nous à avoir le pouvoir" (exception faite de l’armée et du ministère de l’intérieur)... Si jamais ils tombent, ça sera l’oeuvre du peuple.
Par ailleurs, et vu la crise économique, ces islamistes seront de leur côté obligés de collaborer avec le capitalisme mondial. Mais il faut dire que c’est un jeu dangereux pour notre peuple mais également pour les intérêts de l’Occident.
Par ailleurs les ex-RCDistes (au moins une partie) ont peur d’être poursuivis et on dit que 700.000 d’entre eux ont voté pour les intégristes.
Quant à la gauche, elle s’amuse à scander des slogans qui datent de 50 ans. Ils se sont associés aux intégristes dans le comité de défense de la révolution et donc ils sont responsables de leur propre défaite.
Actuellement de nouveaux groupes de jeunes gauchistes apparaissent chaque jour et se font passer pour des anarchistes (Noir et Rouge ou le drapeau d’alternative libertaire) mais ce sont plutôt des jeunes inexpérimentés et sans aucune formation théorique. Ils sont actuellement dirigés par des opportunistes qui veulent jouer le rôle de leaders. Mais la soit-disant gauche agonise.
Le populaire M. Marzouki a été nommé sans surprise à la présidence sur des positions incohérentes qui ménagent la chèvre islamiste et les choux droits-de-l’hommiste. Cette situation symbolise bien la situation du pays, où les partis d’oppositions semblent être capables de faire pièce à Ennahda dans l’assemblée, tandis que l’extrême-droite salafiste est de plus en plus présente dans les rues. Comment analysez-vous cette situation de crise et comment les différents secteurs de la population la vit-elle ?
Marzouki fut élu par 7.000 voix...
Il s’est allié aux islamistes. N’oublions pas que c’est un nationaliste arabe et que nous sommes devenus arabes par l’islamisation ! Il est avide de pouvoir et a accepté la présidence sans qu’il ait la moindre capacité de décision, qui est concentrée dans les mains du premier ministre et ce selon l’accord. Il s’est fait passer pour un modéré attaché à la culture arabe. Mais après les élections, et au vu ses positions politiques et ses déclarations hasardeuses, il perd du terrain et la majorité des adhérents de son parti ont démissionné... On peut dire que son parti est devenu une aile du parti Ennahda. C’est une personnalité politique brûlée.
Les grèves encore nombreuses sont accusées d’aggraver la situation du pays, économiquement et politiquement. Après près d’un an de multiples mouvements de contestation multiples mais éparpillés, voit-on émerger de nouvelles pratiques de lutte, et une convergence entre des milieux qui s’ignoraient jusque-là ? D’autres revendications émergent-elles ?
Les revendications ne cessent de surgir (augmentation des salaires, refus de la sous-traitance, emplois stables, exigences écologique, ...) mais ces mouvements restent éparpillés.
Mais d’autre part ils deviennent aussi plus violents (Makthar, Jendouba, Tala, Gafsa, Ghardimaou, Gabès….). Même la police, à travers son syndicat, manifeste...
Ce qui est plus intéressant c’est le développement d’un mouvement associatif qui regroupe des simples citoyens qui commencent à agir sur le terrain.
La « crise économique » est très loin d’être terminée et les tunisiens risquent de voir leur niveau de vie baisser continuellement. De nouveaux troubles pourraient certainement amener à une critique virulente contre l’islamisme, voire à la « dégager » mais existe-t-il aujourd’hui un discours capable de proposer des perspectives crédibles ?
Gauche comme droite croient que la seule solution c’est d’investir et de « développer ». Ennahda attend l’aide occidentale qui traîne évidemment, car les occidentaux ne sont pas satisfaits des événements et de la politique des islamistes.
D’ici quelques mois il y aura 1 million de chômeurs. Ennahda veut qu’on arrête les mouvements de revendications et de contestation pour créer la paix civile et encourager les capitaux étrangers à investir. Mais partout dans les pays des mouvements de grève et de contestation surgissent et Ennahda n’y peut rien, sauf utiliser sa milice salafiste pour contrecarrer les sit-in et les grèves, sachant que la police n’est pas prête à agir.
Par ailleurs 13 partis bourguibistes se sont rassemblés en un seul parti (soutenu par Béji Kayed Sebsi l’ancien premier ministre qui a une réelle popularité). Je pense que les intégristes vont perdre les élections prévue dans un an et il faut tout faire pour les faire tomber.
Les gauchistes quand à eux ne font pas la différence entre la bourgeoisie libérale et les nahdhaouis : ils affirment qu’ils sont les premiers ennemis et que la seule différence réside dans les barbes...Encore une fois, ils jouent le jeu des fascistes intégristes.
Je suis arrivé à une conclusion :
- Nous sommes dans une phase de lutte pour la démocratie (dans ses limites bourgeoises) ;
- Nous devons renforcer le travail intellectuel (théorique) et associatif ;
- En plus de ce travail théorique, il faut procéder à des expériences sur le terrain, notamment écologiques, même si celles-ci ne vont pas changer la nature de la société mais, au moins, elles serviront d’exemples.
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