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IV. La prétendue radicalité de Badiou. L’hypothèse communiste. Le maoïsme de Badiou.
1. La mise en avant de la prétendue radicalité politique de Badiou par les médias
Dans une conférence donnée en 2002 et publiée sous le titre « La révolution culturelle : la dernière révolution ? » (37), Badiou se paie le luxe de revenir une énième fois sur la chronologie de la Révolution culturelle afin de dédouaner son personnage historique préféré : Mao. Il n’était déjà pas glorieux d’être maoïste dans les années 1970, mais que dire de quelqu’un qui l’est toujours en 2002, voire en 2009, qui plus est quand il s’agit d’un philosophe aussi médiatisé que Badiou ? Pour ce dernier, le fait d’être resté fidèle à l’esprit maoïste n’est pas du tout reconnu comme une tare ou un signe de bêtise et d’avachissement mental, bien au contraire ! C’est une qualité indéniable qui témoigne d’une grande constance morale et d’un engagement radical sans faille. Ainsi, à un journaliste qui lui demande de revenir sur son succès médiatique en tant que « symbole d’une nouvelle radicalité intellectuelle [critiquant] le libéralisme, le réformisme et même la démocratie » (sic), Badiou répond : « Si les intermédiaires médiatiques ont récemment découvert ma « radicalité » politique et intellectuelle, c’est parce que je n’ai pas changé depuis les années 70, une période où, sous l’adjectif « révolutionnaire », la radicalité politique se portait bien. Pendant les années 80, beaucoup ont renoncé et moi, je suis resté fidèle. » (38) Cette posture étant systématiquement mise en avant dans de nombreuses interviews pour permettre à Badiou d’avoir le beau rôle face au cirque médiatique, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a ici connivence ou, du moins, convergence d’intérêts. Voici un exemple de notice apologétique trouvée sur le fameux site de la gauche « ultra-chic », Rue89 : « Vénérable mandarin de l’École normale supérieure (ENS), oû les étudiants font la queue pour suivre son séminaire annuel (cette année consacré à Platon), Alain Badiou est, après Jacques Derrida, l’un des philosophes français les plus connus au monde. Très estimé par ses collègues, il a bâti un univers conceptuel cohérent, mélange néo-platonicien et marxiste pur et dur. Il est réputé pour sa capacité à synthétiser l’histoire des idées. Aujourd’hui, il se définit encore comme « ultragauchiste ». » Mais on franchit un degré supplémentaire dans la complaisance et le contentement de soi avec l’interview récente de Badiou réalisée par Frédéric Taddéi à la télévision lors de l’émission « Ce soir ou jamais » (39).
Frédéric Taddéi : Alain Badiou bonjour. Vous êtes philosophe, vous êtes peu connu du grand public, vous fuyez plutôt la télévision, d’ailleurs on vous remercie de l’honneur que vous nous faites, ainsi qu’aux téléspectateurs de « Ce soir ou jamais », d’avoir accepté notre invitation. Vous êtes ce qu’on appelle un « maître à penser ». Vous avez enseigné à Paris VIII, au Collège International de Philosophie, à l’École Normale Supérieure où vous animez un séminaire extrêmement couru, comme on dit, pas seulement en France puisque c’est le cas en Amérique, en Asie, jusqu’en Australie, dans toute l’Europe bien entendu. Vos séminaires de philosophie sont extrêmement fréquentés par les intellectuels, par les étudiants. C’est beaucoup dû à votre engagement politique : vous êtes considéré comme le dernier penseur français radical, pour ne pas dire révolutionnaire, en totale rupture avec les valeurs de notre société ...
Alain Badiou : Je ne vais pas protester contre une description aussi radicale elle-même, n’est-ce pas. Après tout quand on construit une philosophie et une pensée en rupture avec le système du monde tel qu’il est, on doit en accepter les conséquences y compris les descriptions que vous en donnez ...
Pourquoi Badiou est-il à ce point courtisé par les journalistes dits « de gauche » ? Pourquoi vouloir à toute force en faire le chantre de la radicalité révolutionnaire, tel David s’opposant à Goliath (Goliath incarnant, au fil des pages, aussi bien Sarkozy que le capitalisme ou la démocratie) ? Trois facteurs semblent jouer un rôle déterminant dans cette affaire :
- la nostalgie, très présente dans le milieu journalistique décrit plus haut, pour la figure de « l’intellectuel engagé » à la française, du type Sartre ou Foucault, favorise cette idôlatrie en faveur de Badiou puisque, justement, il se pose en héritier de ce courant-là, comme nous l’avons évoqué plus haut.
- l’état déplorable dans lequel se trouvent et la gauche et l’extrême-gauche en fait un « radical » puisque, parmi le désert des idées, celui qui est assez habile pour répéter à qui veut l’entendre qu’il incarne « la gauche de la gauche », sans jamais la définir de manière précise et au prix de contorsions réactionnaires et de falsifications historiques évidentes, devient une sorte de héros capable de faire voler en éclats le « consensus » actuel. Il est significatif que Badiou soit toujours présenté, dans les médias, comme un « ultra-gauchiste » sans qu’il soit pour autant interrogé plus avant sur le contenu réel et effectif qu’il associe à ce terme. Qu’il représente la version la plus dure de la gauche stalinienne ne semble déranger personne. Du moment qu’il est du bon côté et qu’il critique Sarkozy, inutile d’aller chercher plus loin !
Cette rhétorique bien rôdée s’accompagne, quand elle est utilisée par les partisans de Badiou, d’une apologie du courage politique du « maître » qui est tout bonnement grotesque. Après l’avoir comparé tour à tour de manière implicite mais néanmoins calculée à Socrate, Platon ou Diogène, Alain Brossat fait de Badiou un redoutable adversaire de la « doxa liquide » et un farouche partisan du « dire-vrai » : « Il est sans doute moins « dangereux » dans nos sociétés que dans d’autres de ne pas vivre et penser comme le plêthos, de ne pas plier au fait majoritaire, tout en cultivant le différend avec les gouvernants, mais il y est assurément plus difficile d’y maintenir des conditions dans lequel (40) la véridiction conserve un sens et une portée - tout particulièrement là où sont en jeu les questions de la politique et du pouvoir. [...] Or, ce que montre l’essai de Badiou (41) contre ou plutôt « à propos » de Sarkozy, c’est qu’une telle scène peut encore, dans notre présent, être formé - mais qu’il y faut, en effet, beaucoup de fermeté morale et de courage intellectuel. » (42)
- L’absence d’esprit critique et de véritables débats de qualité dans le domaine des sciences humaines et de la presse dite « intellectuelle » favorise l’émergence de figures comme celles de Badiou qui développent une vision manichéenne et simpliste des choses.
2. « L’hypothèse communiste » et ce qu’elle implique
Dans les interviews qu’il accorde de façon régulière à la presse, Badiou n’a de cesse de revenir sur ce qu’il appelle « l’hypothèse communiste ». Voici comment il décrit cette notion dans une interview accordée au journal L’Humanité datant du 11 février 2008 : « manière de vivre en commun non fondée sur la séparation ». Dans une édition précédente de ce même journal (6 novembre 2007), Badiou répond tout aussi vaguement à la question qui lui est posée et qui concerne la façon dont cette « hypothèse » pourrait s’appliquer concrètement :
J’aimerais pouvoir en dire plus. Pour l’instant, je soutiens qu’il faut affirmer sans peur que nous sommes dans le maintien de cette hypothèse. Il faut dire que l’hypothèse de l’émancipation, fondamentalement, reste l’hypothèse communiste. Ce premier point peut trouver des formes d’élaboration. Il faut comprendre ensuite qu’il s’agit là d’une idée au sens fort. Je propose de la travailler comme telle. Ce qui signifie que dans une situation concrète, conflictuelle, nous devons l’utiliser comme critère pour distinguer ce qui est homogène avec cette hypothèse égalitaire et ce qui ne l’est pas.
Pour bien comprendre ce qu’est en train de nous dire ici Badiou, il faut mettre ce passage en parallèle avec un autre : « Il s’agit en somme d’une Idée, pour parler comme Kant, dont la fonction est régulatrice, et non d’un programme » (43). Ces déclarations mettent au jour une série de paradoxes qu’il faut expliquer. D’abord, l’expression « Idée communiste » en elle-même est contradictoire, puisque, si l’on s’en tient à la définition kantienne de l’Idée, celle-ci est absolument séparée de l’expérience et de la réalité vécue : elle n’est donc pas compatible avec la doctrine communiste qui prend appui sur le domaine politique et social. En effet, Kant appelle « Idées transcendantales » ou « Idées de la Raison » ce qui, « dans notre pensée, non seulement ne dérive pas des sens, mais dépasse même les concepts de l’entendement, puisque l’on ne peut rien trouver dans l’expérience qui en fournisse une illustration. » (44) Dans la Critique de la raison pure, il consacre toute une section à définir cette notion : « J’entends par idée un concept rationnel nécessaire auquel nul objet qui lui corresponde ne peut être donné dans les sens. Les concepts purs de la raison, que nous considérons en ce moment, sont ainsi des idées transcendantales. Ce sont des concepts de la raison pure, car ils considèrent toute connaissance expérimentale comme déterminée par une totalité absolue des conditions. Ils ne sont pas formés arbitrairement, mais ils sont donnés, au contraire, par la nature même de la raison et se rapportent nécessairement aussi à tout l’usage de l’entendement. » (45)
Ainsi, la pseudo-théorie de Badiou ne tient pas, puisque le communisme ne peut pas être à la fois une « Idée » et une « hypothèse ». Une hypothèse est en effet une affirmation provisoire en attente de confirmation ou de réfutation par les faits, elle doit donc être, à un moment donné, en contact avec la réalité. Badiou utilise de manière frauduleuse le vocabulaire scientifique et philosophique pour donner à son discours un « vernis » qui ne résiste pas à l’analyse. Il aggrave encore son cas dans ce domaine en affirmant : « Il est absurde de qualifier les principes communistes (au sens que je viens de dire) d’utopie, comme on le fait si souvent. Ce sont des schèmes intellectuels, toujours actualisés de façon différente, et qui servent à produire, entre différentes politiques, des lignes de démarcation. » (46) Là encore, l’utilisation du vocabulaire kantien brouille les pistes et ne sert qu’à impressionner le lecteur. Qu’est-ce qu’un schème ? Selon Maurizio Ferraris - dont le dernier ouvrage paru nous semble être bien plus pertinent pour réfléchir sur l’histoire de la philosophie que tous les livres de Badiou réunis - les schèmes kantiens sont des « instruments par l’intermédiaire desquels les objets sont déterminés par les concepts » et possédant trois propriétés : « 1. ils diffèrent de l’imagination ; 2. ils consistent en méthodes de construction ; 3. ils représentent la forme du Temps ». (47) On ne voit donc pas très bien en quoi le schème kantien aurait quelque chose à voir avec le communisme. Qui plus est, Badiou se contredit une nouvelle fois : il nous dit d’abord que le communisme est une « manière de vivre en commun non fondée sur la séparation » pour ensuite nous expliquer que les principes communistes — les fameux « schèmes » — « servent à produire [...] des lignes de démarcation ». Il faudrait donc choisir entre ces deux idées, à moins que Badiou ne soit pas non plus très au point sur la définition même du mot « séparation » !
Ce jeu conceptuel sert essentiellement à deux choses : d’abord à masquer son vide théorique (comme il n’a aucune idée nouvelle et concrète à proposer pour construire quoi que ce soit, il est donc obligé de poser « l’hypothèse communiste » comme une sorte de paradigme essentiellement abstrait, un absolu ne reposant sur rien mais qu’il agite tel un étendard pour donner l’impression d’une radicalité extrême), et ensuite à éviter de parler des expériences concrètes du communisme (qui furent toutes sans exception des échecs lamentables) autrement que par allusion, ce qui impliquerait de revenir sur les régimes bureaucratiques totalitaires, chose qui répugne à Badiou (48).
Dans De quoi Sarkozy est-il le nom ?, il consacre justement un passage entier à l’évolution de l’hypothèse communiste, sous la forme de ce qu’il appelle des « séquences » (49) qui se succéderaient toujours selon le même schéma comme il s’en est expliqué dans Abrégé de métapolitique : « Sylvain Lazarus a établi qu’entre Marx et Lénine il n’y a non pas continuité et développement, mais rupture et fondation. Il y a également rupture entre Staline et Lénine, puis entre Marx et Staline. » (50) Badiou en vient donc à nier l’existence d’une idéologie marxiste (« le marxisme n’existe pas » (51)) au nom du déploiement du paradigme idéal de « l’hypothèse communiste » qui s’incarnerait dans différents « héros révolutionnaires » au fil des siècles (52). À partir de cette affirmation, on serait en droit d’attendre de la part d’un cacique de l’agrégation le déploiement rigoureux d’une perspective historique expliquant les origines du communisme et qui nous permettrait au moins d’en percevoir les articulations logiques ; mais ce serait mal connaître Badiou, toujours prêt à privilégier les allusions aux affirmations fondées sur des faits précis. L’analyse présentée dans De quoi Sarkozy est-il le nom ? n’a d’ailleurs rien à envier à une mauvaise copie de terminale quand on voit les banalités et les approximations qui s’y trouvent mêlées : « En tant qu’Idée pure de l’égalité, l’hypothèse communiste existe à l’état pratique depuis sans doute les débuts de l’existence de l’État. Dès que l’action des masses s’oppose, au nom de la justice égalitaire, à la coercition de l’État, on voit apparaître des rudiments ou des fragments de l’hypothèse communiste » (53). Badiou cède ici à la facilité de formules toutes faites - on pense à « de tous temps, les hommes » - qui n’expliquent rien mais donnent l’impression que la personne qui s’exprime a embrassé l’histoire universelle en une seule phrase. Un peu plus loin, toujours dans le même chapitre, il énumère quelques événements historiques qui serviraient, selon lui, de fondement à « l’hypothèse communiste »
Depuis la Révolution française et son écho progressivement universel, depuis les développements les plus radicalement égalitaires de cette révolution - entre les décrets du Comité robespierriste sur le maximum et les théorisations de Babeuf - nous savons (quand je dis « nous », c’est l’humanité abstraite, et le savoir concerné est le savoir universellement disponible sur les chemins de l’émancipation) que le communisme est la bonne hypothèse. En vérité, il n’y en a pas d’autre, en tout cas, je n’en connais pas d’autre. (54)
Cet extrait est emblématique de la pensée de Badiou qui fonctionne par simplifications, ellipses et raccourcis historiques. D’abord, premier constat, en affirmant que le communisme « est la bonne hypothèse », il se contredit une nouvelle fois lui-même et nie de facto que c’est une hypothèse : comment peut-il affirmer cela alors qu’elle n’a pas encore été prouvée et que, comme nous l’avons vu plus haut, elle ne peut pas l’être ? Si on pose que quelque chose est une hypothèse, on sous-entend qu’elle n’est pas isolée et qu’il y en a d’autres ; or, lui dit qu’il n’en connaît qu’une seule ! De plus, en mettant sur le même pied d’égalité les « décrets du Comité robespierriste sur le maximum » et les « théorisations de Babeuf », Badiou cède au procédé - bien connu des maoïstes - de la falsification historique dans le but de valoriser son « Idée » du communisme. Il s’agit ni plus ni moins d’un amalgame, car qu’est-ce que la loi sur le maximum général ? C’est une tentative d’économie dirigée instituant le maximum décroissant du prix des grains de blé et qui, face à la crise des subsistances et à la hausse des prix, s’est peu à peu étendue à toutes les denrées alimentaires, aux matières premières et aux salaires. Cependant, loin d’être un succès égalitariste, cette mesure se révéla être un échec fortement impopulaire puisque les paysans se mirent à cacher leurs récoltes pour ne pas avoir à les vendre à perte et les spéculateurs, eux, se précipitèrent pour acquérir tout ce qu’ils pouvaient. La Convention tenta alors de contrer l’insuccès de la loi par la répression en emprisonnant et en guillotinant les contrevenants, contribuant ainsi à l’instauration de la Terreur. Ainsi, le fait même d’associer, dans une même phrase, Robespierre et Babeuf (55) tend à jeter le trouble dans l’esprit du lecteur tout en faisant de « l’Incorruptible » un précurseur du communisme. Badiou est fidèle en cela à la ligne marxiste-léniniste qui a toujours cherché à valoriser Robespierre. Peut-être, tout simplement, s’est-il inspiré de la rigueur et de l’intransigeance de son ami Slavoj Zizek qui a présenté, selon une recette bien connue (56), en mars 2008, un choix de textes de Robespierre réunis sous le nom de Terreur et Vertu.
Ce ne sont pas des exemples isolés dans l’oeuvre de Badiou, l’argumentation inconsistante étant l’une des marques de son « style ». Il considère en effet l’histoire comme une sorte de « réservoir » de faits dans lequel il va piocher des éléments au gré de sa démonstration, quand cela soutient sa thèse, sans jamais se soucier de la continuité historique ni de l’exactitude de ses dires ! C’est d’ailleurs une « méthode » qu’il assume pleinement et qu’il revendique en tant que telle :
Je suis un platonicien sophistiqué, et non un platonicien vulgaire. [...] Le temps est toujours le temps d’un monde. [...] C’est du reste pourquoi la présentation « culturelle » des oeuvres d’art, avec restitution soigneuse du contexte, obsession de l’Histoire et relativisation des hiérarchies de valeur, si à la mode aujourd’hui, n’est finalement qu’un éteignoir : elle opère au nom de notre conception du temps (la conception historique et relativiste du matérialisme démocratique) contre l’éternité des vérités. (57)
Nous en verrons un autre exemple avec l’expression « pétainisme transcendantal » que Badiou fait remonter à 1815.
Un peu plus loin dans le livre, en faisant mine de vouloir préciser ce qu’il entend par « communisme », Badiou avance des idées tout aussi contestables : « « Communisme », qu’est-ce à dire ? Comme l’expose Marx dans les Manuscrits de 1844, le communisme est une idée relative au destin de l’humanité générique. Il faut absolument distinguer cet usage du mot, du sens, entièrement usé aujourd’hui, de l’adjectif « communiste » dans les expressions comme « partis communistes », « monde communiste », pour ne rien dire de « État communiste », qui est un oxymore auquel on a prudemment et logiquement préféré l’obscur syntagme « État socialiste ». Même si [...] ces usages du mot font partie du devenir historique, par étapes, de l’hypothèse » (58). Tout ce développement répétitif ne vise en réalité qu’à faire admettre une seule idée au lecteur : à savoir que les expériences concrètes du communisme n’invalident en rien « l’hypothèse », et qu’il faut donc la poursuivre. Cette idée revient encore une fois à séparer l’idéologie de son application concrète, ce qui nous semble être une posture intenable et qui a été maintes fois réfutée, y compris par Marx lui-même dans L’Idéologie allemande : « Pour nous, le communisme n’est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses »(59). C’est bien le contraire de ce que nous dit Badiou, qui réussit l’exploit remarquable de faire du marxisme contre Marx puisqu’il transforme la théorie communiste en un pur idéalisme qui consiste précisément à considérer « que le monde est dominé par des idées, que les idées et les concepts sont des principes déterminants, que des idées déterminées constituent le mystère du monde matériel accessible aux philosophes. » (60)
Cette conception idéaliste du communisme (61) va de pair, non seulement avec le refus de prendre réellement en considération son passé totalitaire, mais également avec une valorisation à peine voilée du bilan stalinien. Comme le relève la notice Wikipedia qui lui est consacrée, Badiou ne renie rien « ou presque » de son héritage maoïste dont il se déclare être, aujourd’hui, « l’un des rares représentants notoires » (62) et « considère que les phénomènes comme le goulag et la Révolution culturelle ne doivent pas conduire, concernant le communisme, à « jeter le bébé avec l’eau du bain ». » Dans De quoi Sarkozy est-il le nom ?, il procède même à une réhabilitation en bonne et due forme du passé stalinien de l’URSS au moyen de plusieurs arguments :
- Il affirme d’abord que Staline, malgré tous ses crimes, aurait été un rempart efficace pour freiner l’avancée du capitalisme : « Du temps de Staline, il faut bien dire que les organisations politiques ouvrières et populaires se portaient infiniment mieux, et que le capitalisme était moins arrogant. Il n’y a même pas de comparaison. » (63) Cette fausse opposition entre « capitalisme » et « système soviétique » - qui a alimenté toute la période de la « Guerre froide » du côté de la propagande communiste - est répétée à satiété dans la presse par Badiou : « En faisant peur au capitalisme [les États socialistes] permettaient aux organisations ouvrières des pays occidentaux d’obtenir des concessions importantes. Ce sera mon seul coup de chapeau à Staline : il faisait peur au capitalisme. » (64) Il est bien évident que les relations entre le système soviétique et le système capitaliste n’étaient pas aussi simples ; derrière l’opposition spectaculaire entre ces deux camps fictifs s’était installée une sorte de connivence. Comme le remarque Karl Korsch, en Russie, le marxisme ne fut dès le début qu’un « écran idéologique » (65) qui n’avait de communiste que le nom.
- Badiou cherche ensuite à minimiser le « bilan stalinien » en le comparant avec notre situation actuelle : « Mon ami le philosophe slovène Slavoj Zizek a dit quelque part que ce qu’on n’avait pas compris, lorsqu’on a mis en scène l’opposition du stalinisme et de la démocratie parlementaire, c’est que le stalinisme était l’avenir de la démocratie parlementaire. Nous y venons, lentement, tortueusement.[...] Après tout, les moyens techniques du contrôle des populations sont aujourd’hui tels que Staline, avec ses fichiers manuscrits interminables, ses fusillades de masse, ses espions à chapeau, ses gigantesques camps pouilleux et ses tortures bestiales, apparaît comme un amateur d’un autre âge » (66). Nos deux grands philosophes découvrent, bien tardivement, un fait connu depuis au moins cinquante ans : le caractère bureaucratique des « démocraties parlementaires », que l’on pourrait définir aussi bien comme des « sociétés de contrôle ». Mais en quoi cela constitue-t-il un argument en faveur du socialisme bureaucratique soviétique ? Cette remarque de Badiou est d’autant plus surprenante que, dans la citation de Zizek, le « stalinisme » est décrit défavorablement comme le cauchemar à venir de nos sociétés actuelles.
- enfin, si Badiou met tout en oeuvre pour éviter de considérer le passé « totalitaire » de l’URSS, c’est en fonction d’un objectif précis : il s’agit coûte que coûte de séparer la théorie de sa réalité pratique pour en préserver le caractère idéal (cette illusion a au moins deux noms : « l’hypothèse communiste » et le « communisme de l’Idée »). Badiou ne veut pas prendre le risque d’employer la notion de « totalitarisme » et préfère ranger les « antitotalitaires » du côté des idéologues libéraux pour ne pas avoir à les affronter : « Les antitotalitaires du XXe ne sont pas différents des idéologues du début du XIXe siècle (Constant, Tocqueville, ...). Les restaurations s’accompagnent toujours d’une intelligentsia libérale qui refuse d’assumer le passé révolutionnaire et se tourne vers l’increvable doctrine libérale, dont elle profite : la liberté des opinions, l’État de droit, les élections, tout cela sans qu’on touche, sur le fond, aux inégalités et à la propriété privée » (67). Il est tout à fait symptomatique que Badiou désigne généralement, sous le vocable « antitotalitaires », les pantins que sont les « nouveaux philosophes », au lieu de s’attaquer aux innombrables théoriciens et romanciers qui ont mis en exergue les impasses du communisme comme George Orwell, Arthur Koestler, Hannah Arendt, Simone Weil, les représentants du « marxisme critique », et cela au nom d’une critique du totalitarisme qui ne peut pas être réduite à une adhésion aveugle aux dogmes du libéralisme.
3. Le maoïsme de Badiou
nonfictionfr : Vous aimez citer Lénine - vous l’avez fait tout à l’heure - Marx (c’est moins dangereux), Mao, etc. Y croyez-vous vraiment vous-même ? N’y a-t-il pas une part de provocation à citer Mao ?
Alain Badiou : Là-dessus, je ne vais pas me sauver moi-même. J’aime bien faire savoir que je ne cèderai pas à l’intimidation. Vous savez, j’ai connu l’époque où des maos, il y en avait partout, avec des nuances différentes, des organisations nombreuses. Et puis, mon rapport à Mao a été un rapport qui se servait de choses dites, prononcées dans la politique effective. Si vous lisez une bonne partie du Petit livre rouge, ce que vous voyez, ce sont des recettes militantes, très précises et très utiles : « qu’est-ce que vous faites dans telle et telle situation ? » ; « qu’est-ce qu’il faut savoir distinguer quand on est dans un lieu déterminé ? » ; « quelles sont les principales choses dont il faut se garder si on veut tenir le processus militant ? ». Je me servais de ça exactement comme une cuisinière se servirait d’un livre de cuisine ; c’est le meilleur livre de cuisine politique qui existe. J’aime bien citer mon livre de cuisine, et faire savoir qu’en un certain sens, après tout, certaines choses que je fais ne sont pas en substance très différentes de celles que je faisais à l’époque. Sur une situation populaire, arriver à organiser vraiment une réunion de gens de manière à pouvoir décider de quelque chose, c’est ce que je faisais, c’est ce que je fais encore actuellement, et sur ce genre de questions tous ces repères sont vraiment très intéressants. (68)
Dans sa conférence sur « La Révolution culturelle : la dernière révolution ? » (69), Badiou donne trois raisons pour y voir un modèle de l’action politique dans le monde actuel :
- d’abord, la Révolution culturelle a fondé l’existence du courant maoïste, « seule véritable création des années 60 et 70 », et Le Petit livre rouge de Mao, qui en est le socle théorique, a été le « guide » de ce courant, « non pas du tout, comme les sots le disent, à des fins de catéchisation dogmatique, mais, tout au contraire, pour nous éclairer et inventer des voies nouvelles dans toutes sortes de situations disparates. »
- ensuite, la Révolution culturelle serait « l’exemple type d’une expérience politique qui sature la forme du parti-État » et, en cela, elle aurait beaucoup à nous apprendre sur la réalisation d’une « nouvelle séquence » de « l’Hypothèse communiste ».
- enfin, la Révolution culturelle est « une grande leçon sur l’histoire et la politique, sur l’histoire pensée à partir de la politique ». Cette même idée est répétée de manière plus forte dans sa « Lettre à Slavoj 2iiek » : « Il faut rendre justice à ce que l’échec terrible de la Révolution culturelle contient d’universalité. » (70)
Reprenons successivement ces trois points de manière à mettre en évidence les contradictions et autres aberrations qui leur sont attachées :
- le maoïsme est loin d’avoir été le courant politique dominant des années 60 et 70, et encore moins leur « seule véritable création » : les situationnistes, en particulier, s’opposèrent radicalement aux « bureaucrates » trotskistes, maoïstes, etc. En outre, les rapports entre le « maoïsme français » et la révolution culturelle chinoise relevaient bien davantage « d’une vision largement imaginaire de la Chine » (71) que d’une analyse sérieuse de la situation réelle de la Chine de l’époque. Quant au Petit Livre rouge métamorphosé en un « guide » de sagesse millénaire et de stratégie pratique digne des grands classiques de la pensée chinoise, c’est encore une nouvelle falsification. Il suffit de quelques aphorismes pour s’en rendre compte : « Grand n’est pas synonyme de redoutable. Le grand sera renversé par le petit, et le petit deviendra grand. » Au vu de la profondeur de pensée qui s’y exprime, il n’est guère étonnant qu’il ait été le livre de « cuisine » intellectuel préféré de Badiou !
- usurpation de plus grande ampleur cette fois-ci, Badiou veut nous faire croire que la Révolution culturelle aurait été une manière de faire exploser de l’intérieur le parti-État (c’est ce qu’il faut comprendre, sans doute, par l’expression « sature la forme du parti-État »), alors même qu’elle n’a été qu’un processus de renforcement du pouvoir étatique au travers du personnage de Mao par élimination de tous ses concurrents (72) ! Ce que Badiou cherche en réalité à faire, c’est de montrer que la Révolution culturelle a été un échec, non pas en raison de la personnalité de Mao, mais malgré lui en quelque sorte. Voici ce qu’il répond à Nicolas Truong à ce sujet : « Mao a constaté [...] que le parti accaparait l’État et organisait la perpétuation de son pouvoir », et il a voulu remettre en cause cet état de fait pour « rectifier le cours du socialisme d’État » (73). Il répète à peu près la même chose dans De quoi Sarkozy est-il le nom ? : « Il faut à tout prix tremper le parti dans le mouvement de masse pour le régénérer, le dé-bureaucratiser, et le lancer dans la transformation du monde réel. La Révolution culturelle tente cette épreuve, et devient vite chaotique et violente » (74) ainsi que dans sa « Lettre à Slavoj Zizek » : « On discerne très vite chez Mao, à l’intérieur d’un stalinisme apparent tout à fait classique [...], des réticences singulières envers tout ce qui accorderait au Parti le monopole de la direction du processus politique populaire. [...] La pensée dialectique de Mao est au service d’une relativisation des pouvoirs du Parti. » (75) Bafouant la vérité historique, ces affirmations laissent très nettement entendre que Mao se serait battu contre les instances du Parti au nom d’un souci de « dé-bureaucratisation », d’égalité et d’équité ! Or, Mao a cherché à déstabiliser le pouvoir bureaucratique, non pas pour rendre service au peuple ou pour rétablir « l’Idée » égalitariste communiste, mais pour en reprendre la tête, ayant été un temps écarté du pouvoir (de 1958 à 1965 environ) (76). Comme l’a montré Simon Leys, depuis la conférence de Lushan en 1959, les dirigeants chinois n’ont eu de cesse de « chercher un moyen d’aiguiller Mao sur une voie de garage : leur idée était de le consacrer comme une sorte de fétiche suprême, et, donc, de le réduire à un glorieux état de paralysie, neutralisant ainsi une fois pour toutes, par cette apothéose même, tout le potentiel destructeur présenté par son redoutable talent d’invention. » (77) Cette lutte pour reprendre le pouvoir n’est pas du tout prise en compte par Badiou, qui pousse même le vice jusqu’à remettre en cause « la version historiographique dominante » de l’événement, telle qu’elle a été établie par le même Simon Leys : « Le livre qui donne le style général des versions officielles ou « critiques » de la révolution culturelle est celui de Simon Leys ».
- la Révolution culturelle ne peut être considérée comme une « grande leçon sur l’histoire et la politique » que si l’on oublie les massacres perpétués en son nom et la nature même du régime de Mao. Et c’est bien ce que tente de faire Badiou qui, outre ses blagues de mauvais goût (78), a l’audace de sous-entendre que, finalement, nous ne sommes pas allés jusqu’au bout de cette expérience : « Rappelons à ce propos que l’échec sanglant d’une entreprise n’est pas son jugement dernier. Là aussi [il s’adresse à Zizek], tu argues trop facilement de l’échec de la Révolution culturelle pour en effacer l’importance et l’actualité (rappelons ici que Mao soutenait qu’il faudrait encore dix ou vingt révolutions culturelles pour pousser la société vers le communisme) » (79). Face à de telles énormités, il convient de rétablir les faits : « La Révolution culturelle » qui n’eut de révolutionnaire que le nom, et de culturel que le prétexte tactique initial, fut une une lutte pour le pouvoir, menée au sommet entre une poignée d’individus derrière le rideau de fumée d’un fictif mouvement de masses (dans la suite de l’événement, à la faveur du désordre engendré par cette lutte, un courant de masse authentiquement révolutionnaire se développa spontanément à la base, se traduisant par des mutineries militaires et par de vastes grèves ouvrières ; celles-ci, qui n’avaient pas été prévues au programme, furent impitoyablement écrasées) » (80). Badiou veut à tout prix redorer le blason d’un maoïsme depuis longtemps discrédité, et qui redevient branché grâce à la mode rétro des seventies.
Ainsi, loin d’avoir tiré les enseignements de l’histoire, il déclare, en bon althussérien, que « la philosophie autorise une perception non historiciste de la politique » (81) . Et il continue de chanter les vertus de la pensée-Mao tout en poussant l’indécence, avec la complicité de son éditeur et « ami » Éric Hazan, jusqu’à en faire une « victime » de notre temps : « Mao, dont il est à la mode de dire le plus de mal possible, reste une grande figure marxiste révolutionnaire » (82). Il fallait y penser, Badiou et ses amis l’ont fait : la présentation négative de la Révolution culturelle n’est qu’un tigre de papier fabriqué par le monde occidental et médiatique pour désamorcer la charge subversive du maoïsme et traîner dans la boue la figure du guide Suprême de la Révolution !
4. Démocratie parlementaire et dictature
Badiou est un fervent adversaire de la démocratie parlementaire et du suffrage universel, comme il le dit lui-même aussi bien dans Abrégé de métapolitique (pour la version théorique prétentieuse) que dans De quoi Sarkozy est-il le nom ? (pour la version « grand public »). Dans ce dernier ouvrage, il consacre un chapitre entier à ce qu’il appelle la « Terreur démocratique ». Il s’appuie sur la façon dont Adolf Hitler, en 1933, a accédé au pouvoir, pour généraliser et étendre son propos en allant jusqu’à affirmer que le suffrage universel a produit une « quantité d’abominations » dans l’histoire. Le point central de son analyse est de démontrer le lien étroit qui existerait entre démocratie et corruption de manière à prouver que la démocratie n’est qu’un outil de propagande du capitalisme. Pour Badiou, en effet, la corruption serait « l’essence » de la démocratie : « Si la démocratie est représentation, elle l’est d’abord du système général qui en porte les formes. Autrement dit : la démocratie électorale n’est représentative qu’autant qu’elle est d’abord représentation consensuelle du capitalisme » (83). Badiou ne peut s’empêcher d’invoquer deux de ses figures tutélaires préférées, Platon et Robespierre, pour qu’ils puissent servir de garants à sa thèse : « L’idée remonte en fait à Platon. Dans sa critique radicale du régime démocratique, Platon note qu’un tel régime considère que ce sur quoi une politique doit se régler est l’anarchie des désirs matériels. Et que, en conséquence, un gouvernement démocratique est inapte au service de quelque Idée vraie que ce soit, parce que si la puissance publique est au service des désirs et de leur satisfaction, au service, finalement, de l’économie au sens large du mot, elle n’obéit qu’à deux critères : la richesse [...] et l’opinion [...] » (84). Badiou surinterprète les idées développées par Platon dans le Livre VIII (555b-566d) de La République où il est avant tout question de la différence entre oligarchie et démocratie, puis des critères de ce régime politique, et enfin de ce que serait la définition de « l’homme démocratique ». L’économie n’est pas du tout convoquée en tant que telle, car ce qui intéresse Platon est de montrer que la démocratie est un type de gouvernement « anarchique » qui « dispense une sorte d’égalité aussi bien à ce qui est inégal qu’à ce qui est égal » (85), donc qu’il met sur le même plan les « désirs nécessaires » et les « désirs superflus ». Platon critique ce type de gouvernement qu’il considère comme le plus instable et le plus incohérent qui soit puisque construit sur le « désir insatiable » de la liberté. En utilisant le terme de « désirs matériels », absent du dialogue de Platon, Badiou opère donc une réduction et une falsification du texte de manière à lui faire dire ce qu’il voudrait y trouver, c’est-à-dire la preuve du lien soit-disant intrinsèque entre démocratie et capitalisme (86) ! Il suffit de se reporter à la description de « l’homme démocratique » pour se rendre compte que l’optique de Platon est bien différente de celle de Badiou : « Aujourd’hui il s’enivre au son de la flûte, demain il boira de l’eau claire et jeûnera ; tantôt il s’exerce au gymnase, tantôt il est oisif et n’a souci de rien, tantôt il semble plongé dans la philosophie. Souvent, il s’occupe de politique et, bondissant à la tribune, il dit et il fait ce qui lui passe par l’esprit ; lui arrive-t-il d’envier les gens de guerre ? Le voilà devenu guerrier ; les hommes d’affaires ? Le voilà qui se lance dans le négoce. Sa vie ne connaît ni ordre ni nécessité, mais il l’appelle agréable, libre, heureuse, et lui reste fidèle » (87). Selon le principe « badioulien » par excellence de l’amalgame grossier consistant à enchaîner deux arguments d’autorité au sein d’un même passage sans citer les auteurs dont il est question, le parallèle est ensuite très vite établi avec « les révolutionnaires français, qui sont républicains et non démocrates, [et qui] appellent « corruption » l’asservissement de la puissance gouvernementale au cours des affaires. » (88)
La stratégie de Badiou concernant le vote repose donc essentiellement sur un jeu d’inversion rhétorique : il fait du suffrage universel un instrument de terreur pour dédouaner l’expérience robespierriste et la dictature stalinienne. En effet, en réduisant la démocratie au « consensus capitaliste », et en partant du présupposé que la lutte contre le capitalisme est le seul combat valable, Badiou estime que la fin justifie les « moyens », si odieux soient-ils. Il valorise même l’expression de « dictature du prolétariat » en disant qu’elle symbolisait une résistance puisqu’elle mettait le communisme « à l’écart du capitalisme consensuel » (89). Cette défense n’est pas étonnante quand l’on connaît les maîtres à penser de Badiou. Quels sont-ils ? Robespierre, Staline, Lénine, Mao, saint Paul. Tous ont en commun le dogmatisme : soit qu’ils aient mis en place eux-mêmes un régime violent et coercitif (Robespierre, Staline, Mao), ou qu’ils en aient été à l’origine (Lénine a créé le « marxisme-léninisme », saint Paul a créé le christianisme). L’aveuglement idéologique dans lequel se trouve Badiou l’empêche de voir l’essentiel du problème, à savoir que, comme le dit George Orwell : « Ce qui décide de tout, c’est le bannissement de la démocratie. Une fois cela acquis, Staline - ou quiconque lui ressemble assez pour tenir ce rôle - a désormais la voie toute tracée. » (90)
V. Le « pétainisme transcendantal »
Cette notion de « pétainisme transcendantal » a fait fureur dans les médias lors de la sortie de De quoi Sarkozy est-il le nom ? ; elle a été reprise par Badiou et par certains de ses amis comme Éric Hazan pour qualifier les multiples actions mises en place par le gouvernement Sarkozy. Puisqu’elle est censée répondre à la question posée par le titre du livre, cette notion mérite qu’on s’y intéresse de près. D’abord, que signifie-t-elle ? Si l’on prend le terme de « transcendantal » au sens kantien, alors l’expression forgée par Badiou n’a aucun sens puisque ce mot désigne, chez Kant, le domaine des conditions de possibilité : « J’appelle transcendantale toute connaissance qui, en général, s’occupe moins des objets que de nos concepts a priori des objets. Un système de concepts de ce genre s’appellerait philosophie transcendantale » (91). Badiou utilise donc un terme « ronflant » de la philosophie, détaché de son contexte (kantien ou husserlien) dans l’unique but d’impressionner le lecteur. Si le stratagème fonctionne, ce dernier doit pouvoir se dire en son for intérieur : « attention, l’expression est compliquée, c’est qu’elle doit être profonde ! ». Nous nous trouvons une nouvelle fois face au cas bien connu : Badiou détourne le sens d’un concept philosophique à des fins personnelles, de manière à le faire « rentrer » dans son idéologie. Voici la définition qu’il donne de « transcendantal » dans De quoi Sarkozy est-il le nom ? : « [C’est] quelque chose qui, sans apparaître à la surface (d’où que notre situation ne « ressemble » pas à la séquence du règne de Pétain), configure de loin, donne la loi et son ordre, à une disposition collective » (92). Il réussit l’exploit d’en proposer deux nouvelles définitions tout aussi obscures mais encore plus prétentieuses dans son Second Manifeste : « Ordre, maximum et minimum, conjonction et enveloppe suffisent à penser l’écart entre l’être et l’être-là. J’ai proposé d’appeler transcendantal le système de ces règles. [...] Comme Kant en avait eu l’intuition, suivi sur ce point par Husserl, le motif du transcendantal est essentiellement un motif logique. L’erreur, cependant, est de parler de logique transcendantale en l’opposant à la logique formelle. Car la logique des mondes est de part en part prélevée sur certaines inflexions de la logique formelle. » (93) Un peu plus loin, il ajoute : « Formellement, l’étude du transcendantal est l’étude de quelques types d’ordre structural, c’est une question technique. » (94) Comprenne qui pourra ce charabia pseudo-philosophique, en attendant, nous n’en savons pas plus sur cette notion de « transcendantal » à part que, si l’on s’en tient à la première définition, la plus compréhensible, elle serait un synonyme de « tendance ». Les choses se compliquent quand elle est associée au terme non moins nébuleux de « pétainisme » : « Je propose de dire que « pétainiste » est le transcendantal, en France, des formes étatiques et catastrophiques de la désorientation. Nous avons une désorientation majeure, elle se présente comme un tournant dans la situation, elle est solennellement active à la tête de l’État. De ce point de vue, encore formel, il y a une tradition nationale du pétainisme qui est bien antérieure à Pétain. Le pétainisme commence en réalité en France avec la Restauration de 1815. » (95) Le lecteur doit alors s’armer de son sens commun pour essayer de débrouiller les différents fils conceptuels tissés ici par Badiou et pour comprendre, au final, que le terme de « pétainisme transcendantal » n’est ni plus ni moins qu’un équivalent de « réaction ». Badiou nous refait donc le coup de « l’hypothèse communiste » puisque, si l’on suit son raisonnement, le « pétainisme » serait une sorte d’invariant, de paradigme, qui resurgirait de temps en temps dans l’histoire, sous forme de « séquences », et qui incarnerait les forces réactionnaires, hostiles à « l’Idée » révolutionnaire. Ce terme de « pétainisme » a un grand avantage : il est bien plus provocateur et a un impact beaucoup plus grand dans les médias que la notion de « réaction », du seul fait qu’il est associé à une période sombre de l’histoire de France. Une telle expression ne correspond à rien ; on peut même la considérer comme un oxymore au sens où elle associe un terme abstrait se voulant universel ( « transcendantal ») à un autre désignant une doctrine ayant partie liée à une période historique (le « pétainisme »). Si le « pétainisme » commence en 1815, alors il est impossible de définir le pétainisme réel, celui qui a été en vigueur de 1940 à 1944.
Cependant, Badiou juge plus prudent, quand il s’agit de s’adresser au « grand public », d’édulcorer son discours pour parer à d’éventuelles critiques. Dans l’interview qui suit, il est frappant de voir qu’il accompagne son propos de tant de précautions oratoires qu’il finit par n’être plus du tout lisible :
Alain Badiou : Je précise bien dans le livre [il s’agit de De quoi Sarkozy est-il le nom ?] que ce n’est pas de l’ordre de la ressemblance [ ... ]. C’est vraiment une analogie formelle. Je donne du pétainisme une définition assez large. C’est, je pense, une constante de l’histoire française depuis la Révolution [de 1789], à savoir l’existence d’une figure de la réaction nationale, qui a des caractéristiques communes.
Premièrement, c’est un régime dominé par la peur de quelque chose. Deuxièmement, c’est un régime qui com-
pose avec l’étranger, évidemment. Troisièmement, c’est un régime qui suppose qu’on peut mettre fin, véritablement, à la tradition révolutionnaire française [...]. Ce que Sarkozy a lui-même énoncé sous la forme : « il faut mettre fin à Mai 68 une fois pour toutes » [...].
Voilà, l’ensemble de ces facteurs, je les appelle "pétainistes”, uniquement parce que Pétain leur a donné évidemment la forme la plus violente. Je ne compare pas du tout Sarkozy à cette forme-là en tant que forme de violence : mais c’est le même esprit. (96)
Bref, « Pétain et Sarkozy, ce n’est pas la même chose sauf que c’est la même chose » ! Voici un discours typiquement badioulien associant des phrases contradictoires et que l’on peut aisément relever : « Ce n’est pas de l’ordre de la ressemblance [...]. C’est vraiment une analogie formelle. » Qu’est-ce qu’une analogie ? C’est précisément « une mise en rapport, par ressemblance » (97) comme nous le rappelle l’étymologie grecque du mot analogia, rapport. Que nous dit donc Badiou ? Qu’il n’y a pas ressemblance entre Pétain et Sarkozy, mais « analogie formelle », c’est-à-dire une ressemblance. Néanmoins, il « ne compare pas du tout Sarkozy à cette forme-là », « mais c’est le même esprit. » Autrement dit, Badiou admet qu’il n’y a aucun rapport entre Pétain et Sarkozy, mais il tient à en établir un quand même pour montrer à quel point Sarkozy est infréquentable. Cela ne nous en apprend pas davantage sur le sarkozysme que sur le pétainisme. Mais, comme il est dans l’air du temps de traiter le gouvernement Sarkozy de fasciste, Badiou s’est empressé de prendre sa plume pour donner à ces récriminations une dimension plus « philosophique » afin de pouvoir se positionner en analyste suprême de la situation. En réalité, ses analyses ne recouvrent que des banalités dignes du « café du commerce » car il ne dit rien de plus que ce que l’on entend partout dans la presse « de gauche » branchée comme Les Inrockuptibles & Co., assimilant la politique de Sarkozy à une forme de « barbarie », en évitant bien évidemment de rentrer dans les détails d’une véritable analyse. Badiou et son récent succès ne sont que le reflet de cette critique factice du pouvoir en place.
VI. Badiou et ses disciples
« En matière de relations sociales aussi, chacun préfère nettement celui qui lui ressemble ; ainsi, pour un imbécile, la fréquentation d’un autre imbécile est infiniment plus agréable que celle de tous les grands esprits réunis. Chacun est donc amené à prendre le plus grand des plaisirs avant tout dans ses propres oeuvres, simplement parce qu’elle sont le miroir réfléchissant de son propre esprit et qu’elles font écho à ses propres pensées. Ensuite, seront à son goût les oeuvres de ceux qui lui sont homogènes. Un homme plat, sec et à l’esprit à l’envers, en un mot : désordonné, n’accordera donc ses applaudissement sincères et vraiment sentis qu’à un homme plat, sec et à l’esprit à l’envers ; bref, au pur verbiage. » (98)
Vous pensiez avoir atteint avec Badiou une sorte de point de non-retour, le comble de la vanité absconse au-delà duquel il serait inenvisageable de construire des théories plus vaines et plus absconses ? Attendez d’avoir lu ses disciples qui, encore plus prétentieux, tentent, à travers leurs ouvrages, à la fois de légitimer le « maître » en en perpétuant la pensée, mais aussi de se frayer une voie « personnelle » dans le but d’accéder à la reconnaissance médiatique.
Prenons le cas du disciple le plus « célèbre » de Badiou : Mehdi Belhaj Kacem. Il a d’abord connu un petit succès d’estime puisque Godard, dans son Histoire du Cinéma, a cité plusieurs extraits de ses ouvrages. Voici comment il est présenté dans Wikipedia : « La plupart de ses ouvrages, d’accès parfois difficile en raison d’un style très prolifique, sont unanimement salués par la critique : il a ainsi été sélectionné comme l’un des « Cent écrivains du XXe siècle » dans un numéro spécial hors-série de Libération paru à l’occasion des célébrations de l’an 2000. »
Ainsi, quand « MBK » se laisse aller à son goût pour l’écriture d’essais pseudo-philosophiques, après le relatif succès auprès du public journalistique parisien de ses romans délirants, c’est tout naturellement vers Alain Badiou qu’il se tourne afin de bénéficier de son prestige critique et universitaire. Celui-ci lui rédige une préface tout à son honneur pour son livre Événement et Répétition publié chez Tristram en 2004 et dont le titre n’est pas sans rappeler l’ouvrage-somme du même Badiou, L’Être et l’Événement (99) : « Mehdi Belhaj Kacem, je ne vois pas d’autre image pour éclairer sa façon si singulière d’entrer par effraction dans la pensée, que d’évoquer l’abordage. Par sa pratique de l’abordage textuel simultanément sauvage et rigoureux, il est pirate de tout ordre spéculatif académiquement formulable. Il est la forme « anti » de cet ordre. Par sa discipline conceptuelle intime, il sert la philosophie, mieux que personne peut-être » (100) Le procédé est connu et rebattu : MBK est présenté comme le nouveau philosophe subversif du XXIe siècle - après Badiou bien sûr -, qui, à ses risques et périls, tel un « pirate », entreprend le sabordage systématique de la pensée conformiste et académique. Qu’en est-il en réalité ? Le lecteur se doute bien que nous n’allons pas nous lancer ici dans l’analyse précise et détaillée de l’oeuvre de MBK, ce qui est tout à fait inutile puisqu’une seule lecture suffit pour se faire une idée du personnage et de sa prétendue entreprise d’« abordage textuel », saluée par Technikart (101). Voici un extrait de son pseudo-essai L’Affect : « L’angoisse, impossible de la représentation désir et angoisse : quel objet ? Angoisse et désir, peur et jouissance la parade deleuzienne du désir la consistance du désir la loi de la jouissance du désir comme excès le manque : vide ou virtuel ? La jouissance supposée de l’événement l’animal les couleuvres de wittgenstein heidegger dans la batcave heidegger et les bêtes la vérité si tu trouves la mort apagogique la présence absolue. » (102) Tout MBK est dans cette logorrhée, ainsi décrite par Pierre Jourde à propos de son premier roman, Cancer : « Écrire, pour Mehdi Belhaj Kacem, c’est s’employer à faire signe qu’on est un grand écrivain, audacieux, moderne (c’est-à-dire tout ce que l’écrivain populaire ne fait pas) : absence de ponctuation, auto-commentaire permanent, scatologie omniprésente (le grand écrivain est celui qui transcende les fonctions basses dans un lyrisme échevelé). Tout a une fonction très précise dans cette fabrication. Le sexe, le vomi, le caca, c’est pour montrer qu’on ne triche pas, qu’on baigne dans le réel (parce qu’on en fait de la poésie). La syntaxe dépourvue de liens et de pauses, c’est pour montrer, de même, qu’on ne s’arrête pas à des vétilles et à des petitesses de réflexion, on ne coupe pas, on est en ligne directe avec l’inspiration, l’inconscient, tout le bazar. Bref, le bon vieux schéma de la littérature à l’épate. » (103) Depuis qu’il a rencontré Alain Badiou, MBK prétend à présent faire de la philosophie, mais le style et la méthode restent les mêmes. MBK remercie d’ailleurs Badiou dans son dernier ouvrage, publié par Badiou lui-même, en lui rendant hommage sur le mode de la révélation :
Le différend qui oppose la scolastique anglo-saxonne et ... son Autre est le donc le différend lui-même, à savoir : le statut de la singularité. Celle-ci n’existe tout simplement pas dans la constellation de la philosophie analytique. Elle dresse une cartographie interminable des particularités dans leur « instanciation » (sic) par l’universel ; elle ne pense pas cette nouvelle problématique philosophique qui surgit avec force au vingtième siècle avec Heidegger, se prolonge avec Deleuze, Derrida et Foucault, et se « consacre » avec Badiou." (104)
Dans l’ouvrage récent d’un autre partisan du même Badiou, La soustraction de l’Être de Rémy Bac (105), on tombe incidemment sur une préface rédigée par son ami personnel « MBK » :
Comme tout événement, même discret, ma rencontre avec Rémy Bac est faite de coïncidences tressées. Tout d’abord, elle eut lieu le jour même où je rencontrais empiriquement Alain Badiou pour la première fois. C’était un an et demi après avoir passé quatre mois, littéralement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à lire L’Être et l’Événement. Rémy collaborait à une revue auto-éditée qui répond au nom prédestiné d’Ironie, concept auquel je consacre la partie initiatique de mon travail actuel sur le nihilisme - qui doit beaucoup à Rémy, mais j’y reviens. (106)
On voit, à travers ces quelques exemples, combien le petit cercle des disciples de Badiou est fermé jusqu’à produire une littérature critique encore plus inconsistante que les oeuvres du maître.
Conclusion
L’« oeuvre » de Badiou n’est qu’une illustration supplémentaire de cette « confusion mentale » qui se donne libre cours dans le post-modernisme philosophique : « La confusion philosophique a ceci de diabolique qu’elle est attirante. La rhétorique philosophique a maints atouts. L’un des principaux est de donner le sentiment d’appartenir à un petit groupe de gens éclairés qui combat bravement les superstitions des masses. Au coeur de la pire confusion, ce sentiment est souvent décuplé. La confusion intellectuelle est généralement arrogante. La volonté de surprendre, d’être original, brillant, voire de choquer, joue un rôle déterminant en philosophie. Mais c’est aussi parfois le désir de se couler dans la pensée ambiante, tout en se présentant comme subversif, qui encourage à adopter certaines thèses. [...] Le plaisir pris à se gausser de ceux qui ne sont pas parvenus à s’élever à un niveau de pensée supposé supérieur n’est pas non plus sans encourager des attitudes dans lesquelles le désir de vérité ne joue plus qu’un rôle mineur » (107). Il serait tentant, pour finir, de retourner une icône badioulienne contre Badiou lui-même : « Prenez garde qu’il ne se trouve quelqu’un pour vous réduire en esclavage par le vain leurre de la « philosophie » » (108).
37 - Conférence sous forme de brochure aux éditions du Rouge-Gorge, 2002.
38 - Libération du 27 janvier 2009, interview de Badiou, alors « invité spécial » du journal.
39 - Se reporter à la note 7 du présent article.
40 - Il y a indéniablement une faute de syntaxe ici : on attendrait « dans lesquelles » au lieu de « dans lequel ».
41 - Brossat parle du livre De quoi Sarkozy est-il le nom ?
42 - Alain Brossat, « Badiou is not bad for you », article se trouvant sur le site internet des éditions Lignes à l’adresse suivante : http://blog.edi-tions-lignes.com/20....
43 - Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit., p. 132
44 - André Lalande, Vocabulaire de la philosophie, PUF « Quadrige », 1991, p. 446. C’est nous qui soulignons.
45 - Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, section « Des idées transcendantales », PUF, Paris, 1997, p. 270.
46 - C’est nous qui soulignons.
47 - Maurizio Ferraris, Goodbye Kant, L’éclat, 2009, p. 133. Traduction et notes de Jean-Pierre Cometti.
48 - « L’ennemi de la démocratie n’a été le despotisme du parti unique (le mal nommé « totalitarisme »)... » Alain Badiou, Second Manifeste pour la philosophie, op. cit., p. 123.
49 - L’un des petits plaisirs de Badiou, en parfait lacanien, est de jouer avec le vocabulaire pour donner l’impression qu’il est incroyablement fin et profond : « De façon générale, je préfère la lutte pour une nouvelle appropriation des noms à la pure et simple création de nouveaux noms, bien que cette dernière soit souvent requise. C’est pourquoi aussi je conserve sans hésiter, en dépit des sombres expérL-nces du siècle dernier, le beau mot de « communisme ». » (ibid. p. 123) Dans ce cas, pourquoi crée-t-il sans cesse de nouveaux mots dans ses ouvrages hautement philosophiques (Abrégé de métapoétique, Petit Manuel d’inesthétique, etc.) ?
50 - Alain Badiou, Abrégé de métapolitique, op. cit., p. 68.
51 - Ibid.
52 - En cela, il reprend exactement la tendance bolchévique déjà dénoncée par les marxistes critiques dans La Contre-révolution bureaucratique : « La seule réalisation idéologique du bolchévisme a été de relier sa propre théorie politique, dans son ensemble, au matérialisme philosophique. Protagoniste radical de la révolution bourgeoise, il retombe sur l’idéologie radicale de la révolution bourgeoise, dont il fait le dogme de sa propre conception de la société humaine. Cet attachement au matérialisme philosophique s’accompagne d’un glissement en arrière continu vers un idéalisme qui veut que la pratique politique émane en dernier lieu de l’action des chefs (la trahison du réformisme, l’idolâtrie de Lénine et de Staline). » « Thèses sur le bolchévisme », La Contre-révolution bureaucratique, 10/18, Paris, 1973, p. 32.
53 - Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit., p. 133.
54 - Ibid., p. 129-130.
55 - Alors que Babeuf a pu être considéré par Marx et Engels comme un précurseur du communisme, et sa Conjuration des Égaux comme « le premier parti communiste », on ne peut pas dire qu’ils aient véritablement apprécié Robespierre. Comme le relève Jacques d’Hondt dans un article intitulé « Marx et la Terreur » « [Marx et Engels] s’intéressent à ceux qui, dans la Révolution, envisageaient déjà plus ou moins confusément un au-delà de cette révolution. Les hommes à qui va leur affection ne sont pas, quelque rôle historique irremplaçable qu’ils aient tenu, les royalistes, les constitutionnels, les thermidoriens [...] même pas Robespierre, Saint-Just,Carnot ! Leur attention sympathique va aux fondateurs du Cercle social, à l’abbé Fauchet, [...] à Anarchasis Cloots, l’orateur du genre humain, et surtout à Babeuf [...]. Mais Fauchet, Cloots et Babeuf, avec leurs amis, ont tous été guillotinés, soit par Robespierre, soit par Carnot. Babeuf s’était montré, à l’époque même de la Grande Terreur, l’adversaire le plus véhément et le plus intrépide de cette terreur, et notamment dans ses publications au titre accusateur : Du système de la dépopulation, ou la vie et les crimes de Carrier... » Le Pouvoir, ouvrage collectif, Vrin, Paris, 1994. Rappelons cependant, afin de rétablir complètement les faits, que Babeuf, après avoir critiqué violemment Robespierre - le qualifiant notamment d’« Attila » et d’« exterminateur » - se montre plus nuancé après sa mort en 1794 en distinguant « deux Robespierre » : le tyran et le démocrate. Certains des conjurés, comme A. Darthé, étaient d’ailleurs d’anciens robespierristes. Babeuf fut arrêté par la police le 16 mai 1796, sur les ordres de Carnot, et guillotiné un an après suite au procès dit de Vendôme.
56 - Il a fait la méme chose pour Mao, avec la complicité de Badiou. Mao : de la pratique et de la contradiction, La Fabrique, Paris, 2008. Sur 2iiek, voir dans ce même numéro l’article d’Adam Kirsch.
57 - Alain Badiou, Second Manifeste pour la philosophie, op. cit., p. 36.
58 - Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit., p. 130.
59 - Karl Marx, L’Idéologie allemande, oeuvres t.III, Philosophie, Gallimard, Paris, p. 1067.
60 - Karl Marx, manuscrit de L’Idéologie allemande, consultable sur le site internet suivant : http://www.marxists. org/francais/marx/works/1845/00/ kmfe18450000a.htm.
61 - Elle n’est pas sans rappeler la vision maoïste du « Grand bond en avant » (1958) telle qu’elle est décrite par Simon Leys : « Pour catapulter la Chine vers le communisme, Mao voulait remplacer le facteur matériel par le facteur spirituel. [...] C’est l’une des idiosyncrasies les plus remarquables de Mao [que d’adopter] une approche idéaliste et volontariste des problèmes. [...] [C’est] la démarche d’un artiste ou d’un poète pour qui la réalité doit s’inventer et épouser les impératifs d’une vision purement subjective et intérieure. » Simon Leys, Les Habits neufs du président Mao [1971], in : Écrits sur la Chine, Robert Laffont, Paris, 1998. Le mao-idéalisme de Badiou, ne serait-il pas une variante de la vision intérieure du Grand Timonier ?
62 - Cette expression se trouve dans la « Lettre d’Alain Badiou à Slavoj 2i2ek concernant l’oeuvre de Mao Tsé-Toung », Mao : de la pratique et de la contradiction, La Fabrique, Paris, 2008, p. 285.
63 - Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit., p. 34.
64 - Libération, 27 janvier 2009.
65 - Karl Korsch, « L’idéologie marxiste en Russie », La Contre-révolution bureaucratique, op. cit., p. 251-254.
66 - Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit, p. 37.
67 - Libération, 27 janvier 2009.
68 - http://www.nonfiction.fdarticle-888- entretien_avec_alain_badiou 3 lasubjectivite_du_sarkozysme.htm
69 - Conférence donnée par Badiou en 2002 et que l’on peut trouver sous la forme de brochure aux éditions du Rouge-Gorge. Badiou signale d’ailleurs en note que ces conférences du Rouge-Gorge ont été créées et dirigées par lui-même, avec la complicité de Natacha Michel, « grande romancière » (sic), du moins pour ce qui concerne la période allant de 2001 à 2005. Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit, note 16 p. 146.
70 - « Lettre d’Alain Badiou à Slavoj Ziziek concernant l’oeuvre de Mao TséToung », Mao : de la pratique et de la contradiction, op. cit, p. 291.
71 - Kristin Ross, op. cit., p. 101.
72 - On pourra se reporter, pour plus de précisions, à un article du n°11 de l’Internationale situationniste intitulé « Le point d’explosion de l’idéologie en Chine ».
73 - Philosophie magazine du 29 mai 2008, interview d’Alain Badiou par Nicolas Truong.
74 - Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit., p. 145-146.
75 - « Lettre d’Alain Badiou à Slavoj Zizek concernant l’oeuvre de Mao TséToung », op. cit., p. 290-291.
76 - C’est d’ailleurs le sens même du terme de « Révolution culturelle » puisque « quanli douzheng » signifie précisément « lutte pour s’emparer du pouvoir ». Définition mentionnée par Simon Leys, op. cit., p. 14.
77 - Simon Leys, « Post-scriptum de 1976 : le maoïsme momifié », op. cit., p. 190.
78 - « Bush lui-même, connu pour ne rien lire, a lu avidement, dit-il, une biographie de Mao, et y a appris, à sa grande et pathétique stupeur, que Mao avait personnellement tué soixante-dix millions de personnes, ce qui en fait indubitablement le plus grand serial killer de l’histoire... ». « Lettre d’Alain Badiou à Slavoj 2iiek concernant l’oeuvre de Mao TséToung », op. cit., p. 286.
79 - Ibid. , p. 291.
80 - Simon Leys, op. cit., p. 13-14.
81 - Alain Badiou, Abrégé de métapolitique, op. cit., p. 68-69.
82 - On trouve ces inepties dans la présentation destinée à la presse du livre Mao : De la pratique et de la contradiction ainsi que sur la quatrième de couverture.
83 - Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit., p. 122.
84 -Ibid., p. 120.
85 - Platon, La République, Livre VIII, Garnier-Flammarion, Paris, 1966, 558b-559b, p. 318.
86 - Dans son Second Manifeste pour la philosophie, Badiou va même jusqu’à affirmer que, « en ce qui concerne l’aristocratie dirigeante », la solution proposée par Platon est « de type communiste ». Cette incongruité n’étant pas davantage expliquée, elle ne peut apparaître que comme un contresens, car la société idéale décrite dans La République est une société divisée en classes strictement séparées, or Badiou est contre la séparation. Alain Badiou, Second Manifeste pour la philosophie, op. cit., p. 138-139.
87 - Platon, La République, op. cit., p. 321. C’est nous qui soulignons.
88 - Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit., p. 121.
89 - Ibid., p. 34.
90 - George Orwell, Essais, articles, lettres, Ivrea / Encyclopédie des Nuisances, Paris, 1995, Volume 1, p. 478.
91 - Kant, Critique de la raison pure, op. cit., Introduction, paragraphe VII, p. 46.
92 - Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit., p. 103-104.
93 - Alain Badiou, Second Manifeste pour la philosophie, op. cit., p. 50-51.
94 - Ibid., p. 64.
95 - Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, op. cit., p. 104.
96 - C’est nous qui soulignons. Interview accordée par Badiou sur la « webtv » du Nouvel Observateur et consultable à l’adresse : http:// videos.nouvelobs.com/video/iLyROoafYcvV.html.
97 - Lexique des termes littéraires, sous la direction de Michel Jarrety, Le Livre de poche, Paris, 2001.
98 - Arthur Schopenhauer, « Sur le jugement, la critique, les acclamations et la gloire », Parerga et Paralipomena, 2ème partie, Coda, Paris, 2005, p. 781.
99 - Concept que Badiou reprend lui-même à l’un de ses « maîtres », à savoir Heidegger, puisque, comme on le sait, l’« Événement » (écrit « É-vénement ») est, chez lui, une notion-clé : « Une ambiguïté fondamentale, qui correspond à la question fondamentale [« que nous est-il donné ? »] traverse donc la pensée de Heidegger à tous ses niveaux. On ne peut dire ce qu’est le « quoi » qui nous est donné parce que le donné n’est pas un « quoi ». C’est pourquoi, de cet « autre commencement », de cette alternative à la philosophie métaphysique à laquelle il espère nous préparer, Heidegger dit : « la question n’est plus de discuter »à propos« de quelque chose et d’en tirer quelque chose d’objectif, mais d’être porté à l’É-vénement. » D’après Heidegger, le terme « É-vénement » (Ereignis) est « depuis 1936 le terme phare de [s]a pensée. » Stanley Rosen, La Question de l’être : Heidegger renversé, Vrin, Paris, 2008.
100 - Alain Badiou, extrait de la préface à Événement et Répétition, Tristram, Auch, 2004.
101 - « Événement et répétition et L’Affect [Tristram, 2004] reformulent les motifs existentiels de la génération post-68, innervée par les moeurs porno, la mécanique hypermarchande et l’attitude hip-hop mais désertée par le politique. Il y est question de névrose amoureuse, d’ennui occidental et du 11 septembre 2001. Avec une hauteur de vue inouïe pour un jeune homme de 31 ans, Mehdi Belhaj Kacem crée des concepts en croisant Deleuze et Lacan, en réfutant Heidegger et Wittgenstein ou en reprenant Bergson et Marx. » Philippe Nassif, Technikart.
102 - http://www.lekti-ecriture.com/ editeurs/L-affect.html
103 - Pierre Jourde, La Littérature sans estomac, L’Esprit des Péninsules, Paris, 2002, p. 15.
104 - Mehdi Belhaj Kacem, L’Esprit du nihilisme : une ontologie de l’Histoire, op. cit., p. 580.
105 - Rémy Bac, La Soustraction de l’être (La question ontologique de la vérité de Heidegger à Badiou), Le Grand Souffle, Paris, 2008.
106 - Ibid., p. 9.
107 - Roger Pouivet, Philosophie contemporaine, PUF, Paris, 2008, p. 247.
108 - Saint Paul, Épître aux Colossiens (2,8), cité par Roger Pouivet, op. cit., p. 249.
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