Enjeux politiques et anthropologiques du mouvement grec pour la démocratie directe

jeudi 27 octobre 2011
par  LieuxCommuns

Ce texte fait partie de la brochure n°18bis « Le mouvement grec pour la démocratie directe - Le »mouvement des places« du printemps 2011 dans la crise mondiale », seconde partie.

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Enjeux politiques et anthropologiques du mouvement grec pour la démocratie directe

Interview d’un membre de notre collectif, fin septembre 2011

Pendant plus d’un mois, le mouvement spontané de contestation en Grèce a impressionné par son courage, ses mots d’ordre radicaux et sa détermi­nation, parallèlement aux mobilisations en Espagne. Et, comme là-bas, il s’est inscrit pleinement dans une réaction aux mesures d’austé­rité imposées par l’Union européenne. Comment les gens expliquent-ils leur situation et leur mobilisation ?

Comme j’ai essayé de l’expliquer dans le bref reportage que je vous avais envoyé à la mi-juin (1), la particularité principale du mouvement grec, qui le distingue des autres versions du mouvement des « Indignés », tient en ceci qu’il se caractérise par un étrange mélange - voire une contradic­tion - entre une orientation plutôt républicaine et une visée ouvertement dé­mocratique et radicale. C’est cette contradiction qui le fait sortir du cadre habituel anti-néolibéral et vaguement social-démocrate des mouvements espagnol, israélien, portugais, américain (dans le Wisconsin et récemment à New York, avec l’ « occupation » de Wall Street) etc. D’un côté le mou­vement grec réclame l’unité du peuple comme facteur indispensable à la lutte contre l’intervention de la Troïka (FMI, UE, BCE) dans les affaires intérieures du pays (intervention rendue possible suite à la « trahison » des politiciens grecs qui servent à la Troïka de « collaborateurs »), avec comme but l’annulation des diverses Memoranda et des mesures d’austérité qu’en découlent. Dans le cadre de cette approche, on reconnaît la conception ré­publicaine traditionnelle, selon laquelle le peuple souverain, en tant que na­tion, s’unit afin de faire tomber le Souverain arbitraire, c’est-à-dire le mo­narque. Dans le cas grec, le rôle de ce Souverain arbitraire et autoritaire est joué par un gouvernement presque complètement délégitimé, qui a accédé au pouvoir en disant des mensonges au peuple et en lui faisant de fausses promesses. Bien sûr le peuple devrait savoir que le PASOK est un parti d’arnaqueurs, spécialistes en manipulations et en stratagèmes électoraux. Or, en ce qui concerne la logique « symbolique » de l’imaginaire qu’on dé­crit, cela n’a qu’une importance secondaire.

De l’autre côté, on a la composante proprement démocratique et radicale du mouvement, qui constitue sa particularité (2). Selon cet imaginaire, les problèmes auxquels doit faire face la société grecque ne sont nullement de nature économique uniquement. La question qui se pose, en d’autres termes, c’est celle de la transformation radicale de la société vers un mo­dèle de démocratie directe. Pour cette approche, il est hors de question de se contenter de la demande de l’annulation des Memoranda juste pour re­venir au status quo ante. Les partisans de cette approche perçoivent la dé­mocratie directe non seulement comme un moyen de lutte contre l’imposi­tion des mesures d’austérité mais aussi bien comme un projet politique glo­bal, qui pourrait nous aider sortir de la crise économique et politique qui frappe la société grecque.

D’après ce qu’on a lu et étendu, les gens font souvent un rapproche­ment avec le soulèvement de 1973 qui a mis fin à la dictature des colo­nels. Toi tu parles, pas exemple, dans ton reportage, du slogan « Pain, paideia, liberté [slogan des étudiants en 1973], la junte n’est pas finie en ‘73 ». Comment s’inscrivent ces références dans les conceptions poli­tiques dont tu viens de parler ? Est-ce qu’il y a quelque continuité entre 1973 et 2011 ?

Les références à la révolte de l’Ecole Polytechnique d’Athènes contre les Colonels s’inscrivent précisément dans la première composante, répu­blicaine, du mouvement. C’est pour cela que le gouverne­ment grec est vu comme une dictature. Car ce ne sont pas seulement les gauchistes et les anarchistes qui, habitués à traiter à peu près tous les ré­gimes non démocra­tiques comme « fascistes », parlent de dictature et de junte. Pour une partie considérable du peuple, la Grèce est actuellement gouvernée par une dicta­ture qui ne prend nullement en compte les désirs du peuple. Cette idée est bien sûr un peu exagérée, puisque mis à part le fait que la signature des Memoranda transforme le parlement grec de­vient le mandataire des autori­tés étrangères, il n’y a pas de mutation poli­tique du régime.

Or, ce qui est intéressant c’est d’essayer d’analyser pourquoi le système parlementaire en place est perçu de cette manière par les grecs. Je pense qu’une telle perception reproduit l’image symbolique que j’ai décrite tout à l’heure : le peuple uni se soulève contre un pouvoir autoritaire et – princi­palement – arbitraire. Et la dictature est un régime de ce type par excel­lence.

Dirais-tu qu’il s’agit d’une illusion qui entrave l’évo­lution du mouvement, en empêchant les gens de comprendre la nature du régime contre lequel ils sont censés lutter ?

Oui et non à la fois. Tout d’abord, sur le plan strictement politique, le slogan concernant la continuation de la dictature est un slogan très perti­nent. Et cela parce qu’il met en cause les lieux communs libéraux-moderni­sateurs, comme quoi les problèmes de la société grecque contemporaine sont le produit et l’achèvement de l’itinéraire qu’a suivi la Grèce à partir de la chute du régime des Colonels : forte politisation de la société, virage à gauche dans le cadre duquel a émergé le populisme social-démocrate/natio­naliste de PASOK qui a servi de base à la politique clientéliste de ce parti etc. De ce point de vue, le slogan en question souligne bien le fait que la montée du PASOK au pouvoir ne constitue pas une véritable rupture dans la vie politique grecque, du moins une rupture telle que celle qu’ont en tête les libéraux. La « seule » différence fut que le vieil Etat autoritaire (et à la fois clientéliste) de droite, fut remplacé par un Etat clientéliste qui ne chas­sait plus les gens de gauche.

D’autre part, cette idée, qui fait partie intégrante de la composante répu­blicaine du mouvement, soulève une série de questions très importantes. Le modèle symbolique « soulèvement du peuple contre le Souverain arbi­traire » – dont on a, nous aussi, analysé (3) les ambiguïtés – situe aussi la base sur laquelle fut lancée l’idée de « faire notre propre place Tahrir », une idée qui, fut-ce implicitement, a déterminé considérablement la nature du mou­vement. Car on pourrait transposer notre analyse des deux composantes contradictoires de l’imaginaire ou de l’idéologie du mouvement, aussi sur le plan organisationnel. En d’autres termes : alors que les AG et les groupes thématiques (ou « commissions ») des places (4) incarnent un modèle de démocratie directe (et il en est de même pour les places Espagnoles), l’occupation des places, en tant que moyen de lutte, semble reproduire plutôt une approche « anti-autoritaire », qui vise le renversement d’un pouvoir dictatorial voire totalitaire. L’occupation d’une place ou d’un autre endroit publique est par elle-même un acte contestataire au sein de tels régimes, où le droit au rassemblement n’existe pas. Et on a vu comment il a marché pour le cas égyptien.

Or, dans le cas d’un régime parlementaire, où les principaux droits civils sont plus ou moins respectés, un tel moyen de lutte, en tant que tel, n’a rien de proprement contestataire. Car, dans de telles circonstances la question politique ne se résume nullement à la libéralisation du régime et à la reven­dication du respect et de la protection de nos droits politiques et civils. Le modèle de lutte « anti-autoritaire » ne marche pas dans le cas de régimes li­béraux. Là, le problème se pose d’une manière tout à fait autre : le but principal de la lutte n’est plus la libéralisation d’un régime autoritaire, mais la création de formes de lutte (tout d’abord) et de pouvoir (ensuite) propre­ment démocratiques, qui permettront au peuple de s’autogouverner. Selon cette conception, l’occupation d’une place (même s’il s’agit de la place centrale de la capitale d’un pays) et l’établissement, sur son pavé, d’une micro-société démocratique n’a de sens qu’à condition que cette « micro-société » serve de base ou de centre de coordination d’une série de mouve­ments déjà en acte dans la société en question (des grèves non contrôlés par les bureaucraties syndicales, des occupations, des mouvements locaux, etc.). Selon cette hypothèse, la micro-société démocratique des places cen­trales des principales villes d’un pays, pourrait jouer le rôle d’une agora et d’un lieu de délibération et de rencontre des divers mouvements, de gens de différents endroits, différentes catégories sociales, etc.

En Grèce, par contre, le fait que la majorité de la société reste passive, piégée, dans une large mesure, par la rhétorique auto-culpabilisatrice libé­rale, entraîne qu’au lieu de commencer par en bas, on semble avoir com­mencé par en haut : l’occupation des places ne surgit pas « naturellement » comme une tentative de la part de divers mouvements déjà existants, de se rencontrer et de se coordonner ; ce qu’on fait c’est plutôt l’inverse. Au lieu de s’appuyer sur de mouvements déjà existants et, comme tels, enracinés dans des secteurs de la société, on institue la « démocratie des places » afin de jouer le rôle du levier qui pourrait et devrait produire les mouvements que la société grecque n’a pas encore pu faire naître. Bien sûr, malgré cette contradiction majeure, le mouvement a réussi à exercer une certaine influence (en faisant pression sur les syndicats, par exemple, et en les obligeant à répondre à ses appels avec l’organisation d’une grève générale de 48 heures). Pourtant, sur le long terme, cette conception a eu pour principal résultat que le mouvement fut poussé, à partir d’un moment, à un peu se fermer sur lui-même, tout en ayant l’impression que la société le suivait. Malheureusement on a vu qu’il y avait un décalage assez important entre la radicalité du mouvement et l’humeur de la société grecque. Et de ce point de vue, le mouvement a échoué à jouer le rôle de « réveil » politique de la société – du moins pour le moment. Or, étant donné la mentalité du grec moyen, je dirai que c’est plutôt à la société grecque qu’au mouvement que revient la « responsabilité » de cet échec…

La prochaine question qu’on voudrait de te poser est la suivante : Quels regards les grecs ont-ils sur les soulève­ments arabes, particulière­ment tunisien et égyptien, ainsi que sur le mouvement espagnol ? La Grèce, comme tous les autres pays, se trouve devant une impasse à la fois économique, mais aussi écologique, politique et culturelle : quels sont les perspectives des gens mobilisés ? Mais il me semble que tu y as déjà ré­pondu d’une certaine manière…

…du moins en ce qui concerne la première partie de ta question, celle qui concerne les regards des Grecs sur les soulèvements arabes… Or, en ce qui concerne sa seconde partie, on pourrait, ici aussi, faire appel au schéma concernant les deux composantes du mouvement. Car un de ses défauts principaux tient en ceci que l’influence de la composante anti-autoritaire / républicaine a fait que, même les partisans de la démocratie directe, ont négligé un petit peu les côtés « culturel » et « anthropologique » du problème. La démocratie directe est très souvent interprétée d’une façon « arendtienne » (5), c’est-à-dire d’une manière stricte­ment « politique », voire constitutionnelle. Même si pendant les séances des AG il y a eu plein de discussions sur diverses questions concernant le mode de vie et ce que les situationnistes appelaient « usage de vie » et « critique de la vie quoti­dienne », la plupart des gens perce­vaient la démocratie directe plutôt comme une forme de gouvernement, sans toucher au fond des questions que leur revendication posait (mode de vie et type anthropologique corres­pondant à ce régime politique, pourquoi est-on pour la démocratie, etc.). Bien sûr, nous, avec les autres membres du groupe athénien et à l’instar de quelques camarades anarchistes, on a es­sayé de poser ces questions, no­tamment lors de la lutte contre la tendance des gauchistes à réduire la dé­mocratie directe à un simple moyen de lutte contre les mesures d’austérité. Là, on disait que le positionnement pour la démocratie directe en tant que projet global devrait nous faire parler de la culture et du type de société qu’on voudrait faire émerger et réaliser en choisissant de rejeter la concep­tion essentiellement sociale-démocrate des gauchistes, selon laquelle l’ho­rizon indépassable du mouvement serait la suppression de la dette et l’an­nulation du Mémorandum. Si on ne se contentait pas à ça, on devrait donc expliquer par quel type de société vou­drait-on remplacer la société de consommation que défendent, au fond, les positions sociale-démocrates et keynésiennes.

Donc tu penses que cette problématique n’a pas pu vraiment préoccu­per les gens ?

Si, mais pas d’une manière cohérente. Car c’est la question politique et économique (au sens strict des termes : question de l’opposition entre dé­mocratie directe et régimes « représentatifs » et question de la dette, sur le niveau économique) qui a occupé le devant de la scène.

Passons maintenant à la question des origines historiques et sociales du mouvement. Toi, tu participes à toutes les mobilisations politiques de­puis des années en Grèce : dans quelle mesure l’assemblée de Syntag­ma est-elle la continuité avec les émeutes de décembre 2008 qui ont em­brasé le pays ?

Bon, ça c’est une question à laquelle il est difficile de répondre… Tout d’abord – et pour faire la liaison avec ce dont on a déjà parlé –, il faut sou­ligner deux grandes différences entre décembre et Syntagma : en décembre 2008, ex­ception faite de quelques immigrés, la majorité des catégories so­ciales qui ont participé aux évènements ont été de catégories qu’on ne pourrait pas définir à partir de leur position dans la production. Bien sûr il y a eu les analyses marxistes sur le rôle des précaires et de ladite « généra­tion 700 euros » (ce qui correspond à un salaire de 1000 euros en France en termes de ni­veau de vie). Or il est clair que, « du point de vue objectif », la majorité des gens qui ont participé aux mobilisations de décembre, appar­tiennent à de catégories qui ne sont pas encore entrées au processus de la production (ly­céens, étudiants, « jeunesse rebelle », etc.). Mais il en est de même « du point de vue subjectif » : même les catégories qui pourraient être définies à partir de leur position socio-économique n’ont pas participé aux évène­ments en tant que telles. En d’autres termes, leurs membres ne se sont pas révoltés comme représentants de leur catégorie. Leurs aspirations ne cor­respondaient pas à une certaine classe ou catégorie sociale précise. Les questions qui ont préoccupé les gens n’étaient pas de l’ordre de l’éco­nomie, exception faite, bien évidemment, des gauchistes et les libéraux qui, pour les premiers, travaillaient pour imposer à la révolte leur rhéto­rique pourrie et les demandes également comico-tragiques qui en dé­coulent ; alors que les derniers attaquaient la révolte, en le traitant de politi­quement lumpen et de nihiliste, précisément parce qu’elle n’a pas formulé quelque demande claire (comme, par exemple, l’augmentation des salaires).

Syntagma, par contre, fut un mouvement beaucoup plus conditionné par l’appartenance de classe des participants. Dans ce cas, une large partie des gens sont descendus dans la rue à cause des problèmes intrinsèquement liés à leur position dans la hiérarchie sociale. Les questions concernant l’éco­nomie, le travail et, plus généralement, le côté « matériel » de la so­ciété ont prévalu, ce qui a rétréci l’horizon de pensée du mouvement – d’importantes questions de type anthropologiques ou culturelles, notam­ment liées à la so­ciété de consommation, ont été négligées : modes de vie, comportements, mentalités, etc.

Décembre 2008 était plutôt un éclatement « existentiel » qui, comme tel, n’a pas été articulé autour de quelque revendication précise. Le fameux « nihilisme » de décembre (que déplorent les libéraux), tenait exactement en ceci que les questions posées en décembre furent d’ordre anthropolo­gique : elles étaient liées au destin de la société grecque contemporaine, à la place de la jeunesse dans la société, etc. Ce fut une des rares fois qu’il y a eu un véritable débat publique en Grèce. Et c’est à peu près à partir de ce moment que se sont formées de manière si claire et explicite les diverses tendances intellectuelles qui jouent, aujourd’hui, un rôle essentiel dans le débat concernant les causes de la crise des finances grecs et les moyens de s’en sortir. Surtout pour les libéraux-modernisateurs (qui aujourd’hui sont foncièrement pro-FMI), décembre 2008 sert de point de repère, jouant le rôle de point de démarcation des divers camps politiques et idéologiques (6). Selon cette perspective, on pourrait dire que décembre 2008 a réussi à po­ser les questions que le mouvement des places n’a pas pu articuler d’une manière cohérente.

Et en ce qui concerne la continuité entre les deux mouvements ?

Je pense que celle-là devrait être recherchée sur le niveau « organisa­tionnel » (7). La révolte de décembre 2008 fut une des rares occasions où une mobilisation n’était pas contrôlée par l’extrême gauche. Un des traits de décembre 2008 fut l’autonomie du mouvement par rapport aux partis et aux syndicats de gauche traditionnels, de même que la forte participation des groupes sociaux qui d’habitude ne participent pas à des mobilisations sociales (comme les ultras – supporters de foot quasi-hooligans –, les ly­céens, les immigrés, etc. en décembre 2008 ; et les gens « non affiliés » pour le mouvement de Syntagma). Ces deux éléments ont aussi caractérisé le mouvement des places ; et il en est de même pour sa diffusion dans toute la Grèce, même dans des endroits qui n’ont jamais connu de mobilisations sociales. De ce point de vue, on pourrait dire qu’il existe une continuité entre les deux mouvements, même si sur le plan « idéologique » il y a des différences considérables. Il s’est agi, dans les deux cas, d’une sortie des cadres bureaucratiques traditionnels et c’est pour cela que ni la gauche ni les anarchistes n’ont pu vraiment comprendre l’un comme l’autre.

Les grecs sont les seuls à affirmer explicitement une « démocratie di­recte », même si les espagnols de la Puerta del Sol la pratiquent aussi : Comment expliquer le surgissement d’un tel mot d’ordre, qui semble contraster fortement avec ce qui est vécu quotidiennement par la popula­tion depuis des décennies ?

Ça c’est une question vraiment costaud ! Car il s’agit d’analyser com­ment dans une société largement hétéronome – où pour une partie très considérable de la population, la politique fut toujours conçue comme une négociation entre l’État et les divers groupes d’intérêts, afin que ceux-ci acquièrent des privilèges – a pu surgir une revendication si radicale. Car il faut toujours garder à l’esprit que la Grèce n’est ni la France, ni tel ou tel autre pays occidental, dont l’histoire serait ponctuée de périodes de mouve­ments contestataires et de luttes sociales. Cela étant dit, je suis d’avis que ce qui est le plus intéressant ce n’est pas d’essayer d’analyser comment le slogan de démocratie directe fut lancée (à ma connaissance c’était le fait de quelques étudiants espagnols, inspirés de l’exemple madrilène, ainsi que de quelques grecs non-affiliés influencés – le plus probablement de manière vague – par C. Castoriadis et son analyse de la démocratie directe (8)) ; ce qui serait plus important sociologiquement et anthropologiquement c’est d’es­sayer de comprendre pourquoi le slogan en question a pu tant se diffuser, malgré sa radicalité.

En ce qui concerne cette question, donc, je dirais que ce n’est nullement par hasard qu’une partie considérable des partisans de la démocratie directe étaient de gens non-affiliés. Cela devenait évident notamment lors des ten­tatives de s’opposer aux manipulations gauchistes pendant les séances des AG. Là on pourrait assez clairement voir que pour la plupart de ses parti­sans, la démocratie directe, en tant que slogan désignant une forme tout à fait autre et nouvelle de faire de la politique, signifiait, tout d’abord, l’op­position aux diverses versions bureaucratiques et bureaucratisées de la po­litique, qu’elles soient « systémiques » ou gauchistes. Du moins c’était ain­si que je le comprenais chaque fois que je discutais avec de gens non-af­filiés. Ce que les gauchistes et les anarchistes appelaient, dans un sens tout à fait péjoratif, « démocratie directe petite-bourgeoise » et « apo­litique », fut la tentative du mouvement de se protéger contre les tentatives de noyautage. Sur le plan pratique, la tentative en question a pris la forme d’un attachement très fort à l’idée de démocratie directe. Et je pense qu’il en est de même à l’échelle de la politique « instituée » : là, la démocratie directe fut conçue comme une manière de faire de la politique capable de nous permettre de nous libérer de l’emprise des diverses mafias et clans parlementaires et bureaucratiques, dont les choix nous ont amenés à la si­tuation actuelle.

Comme l’accumulation d’expérience – pour utiliser une vieille express­ion – politique et pratique de la part des gens qui ont participé aux AG et aux commissions (ou « groupes thématiques »), cet aspect du mouve­ment constitue une de ses réalisations les plus importantes. Car il a réfuté dans la pratique toute cette rhétorique fataliste et auto-culpabilisatrice de la plupart des grecs (nourri, bien évidemment, et renforcée par les média et les intellectuels libéraux-modernisateurs). Ainsi faisant elle a mis en cause un des traits les plus enracinés à la mentalité néo-grecque.

Cette auto-organisation est appliquée localement – tu as, toi aussi, déjà parlé d’une « micro-société » démocratique : quelles sont donc les difficultés internes auxquelles les gens sont confrontés ? Imaginent-ils vraiment s’approprier la gestion du pays entier ?

Là, on touche à un des côtés problématiques du mouvement. J’ai essayé d’analyser comment la composante républicaine/anti-autoritaire a posé une série d’entraves assez importantes au déploiement de l’élan créateur des gens sur le plan pratique. Je voudrais donc mentionner un autre facteur qui a largement caractérisé le mouvement. Je laisse par conséquent de côté l’analyse des difficultés auxquelles sont confrontés les gens sur le plan quotidien, à savoir ce qui concerne le fonctionnement interne des AG, puis­qu’on en a déjà parlé (9).

Ce que je voudrais, par contre, souligner, ce sont les difficultés du mou­vement à diffuser ou à propager les principes et le modèle de démocratie directe hors de la place. Exception faite des AG locales, qui existaient déjà avant l’éclatement du mouvement des places (créées dans divers quartiers d’Athènes et de banlieues lors des luttes autour des questions concernant l’écologie, l’urbanisme local, etc.), ainsi que des tentatives d’autogérer quelques petites entreprises en faillite de la part de leurs employés, le slo­gan de démocratie directe n’a pas dépassé le niveau politique, au sens strict du terme. Bien sûr, comme on l’a vu, ceci est largement dû au fait que la société grecque, dans sa majorité, reste encore passive et « figée », inca­pable de faire face à l’offensive qu’elle subit. Syntagma, par exemple, a, dès le début, dénoncé les syndicats bureaucratiques, en parlant d’auto-orga­nisation des luttes. Mais cela est resté lettre morte, puisqu’il manquait les forces sociales qui pourraient incarner et porter cette idée.

Toutefois, cette incapacité à dépasser le niveau politique/constitutionnel est aussi le résultat de la puissance symbolique et imaginaire de la compo­sante proprement républicaine/anti-autoritaire du mouvement. Car un tel imaginaire, qui s’articule autour de l’idée de l’unité du peuple, va à l’en­contre de toute tentative d’analyser la société en termes de division de classes ou en termes d’intérêts conflictuels et opposés, etc. Toute tentative voulant établir la démocratie directe dans le domaine de la production (en d’autres termes l’autogestion des entreprises et l’égalité des rémunérations et des salaires), serait obligée de critiquer les rapports de production en place, en mettant, ainsi, en question le rôle économique des divers petit-propriétaires ou patrons des PME qui participaient aux événements ou sympathisaient avec les participants (en étant, eux aussi, frappés par la crise, à cause de la baisse de la consommation, provoquant jusqu’à la faillite de leurs entreprises).

Ce n’est nullement mon intention de reprendre, ici, la critique paléo-marxiste de certaines ouvriéristes « autonomes » (inspirés par ladite Auto­nomie Italienne), comme quoi seule la classe ouvrière ou (dans le contexte contemporain) les membres de l’Underclass peuvent jouer un rôle vérita­blement révolutionnaire. L’histoire montre que dans la plupart des cas les révolutions ont été le résultat de l’établissement de quelques « coalitions » de classe, qui ont fait que la majorité (ou une partie importante) du peuple s’est opposée au régime en place. Le problème avec Syntagma tient en ceci que la manque de tradition autonome et démocratique en Grèce a fait que les diverses classes ou groupes sociaux n’ont pu s’unir que sur la base d’un discours qui laissait presque entièrement de côté la question concernant la transformation du modèle économique capitaliste (hiérarchie, exploitation, etc.). Pour le formuler d’une façon marxiste, on dirait que, de ce point de vue, le mouvement a reproduit le modèle de révolution « bourgeoise » ainsi qu’un certain imaginaire rousseauiste : on parle de démocratie et d’égalité sur le plan politique mais sur le plan économique on vote la fameuse loi « Le Chapelier » (de 1791), etc. Si cette manière d’aborder – ou d’éviter – le côté économique du pro­blème est si répandue, c’est parce qu’elle reflète la structure économique de la société grecque (importance des « petits bourgeois » dans cette structure). Encore une fois, la Grèce est un pays qui présente de différences considérables avec les pays proprement occidentaux. Le capitalisme grec, par exemple, qui n’a jamais été un capitalisme de l’envergure de celui de la France ou même de ses homologues Italien et Espagnol, n’a pas conduit à de séparations de classe aussi profondes que celles qu’on rencontre dans les pays occidentaux.

Un très grand pourcentage des entreprises grecques sont des PME, de telle sorte qu’une partie considérable de l’ossature de la société grecque est constituée de couches de petits propriétaires, eux aussi frappés par la crise. Or, la tentative d’établir une unité du peuple de type républicaine (compa­rable, par exemple, à celle de janvier 1848 à Paris), qui devrait concilier les demandes de protection qu’énoncent ces petits propriétaires avec les reven­dications plus radicales et égalitaires de la partie du mouvement des places qui est pour la démocratie directe, nous conduit au rejet de toute discussion sur le rôle et la mentalité d’exploiteurs de ces couches. Beau­coup de gens bien intentionnés pensent qu’ils doivent critiquer la politique du gouverne­ment, qui suit le principe « diviser pour mieux régner », et donc appellent à l’unité des diverses catégories sociales frappées par la crise. Or, il s’agit d’une voie peu pertinente, car elle tend, généralement, à éviter toute cri­tique de la mentalité corporatiste de beaucoup de ces catégories. Tous ces facteurs amènent à la conception « arendtienne » de la démocratie directe, qu’on a évoquée tout à l’heure.

Pourtant, comme tous les pays, la Grèce est un pays profondément cli­vé : Qui sont ces athéniens rassemblés et quels sont leurs relations avec le reste de la population ? La contestation et les opinions qui s’expriment lors des assemblées générales correspond-elle à ce qui est vécu par le reste de la population ? Quels sont les sujets qui divisent ?

Je profite de cette question pour aborder un sujet essentiel, qu’on ne de­vrait pas négliger si on veut comprendre le comportement politique de la grande majorité de la société grecque. Car la focalisation sur les clivages censés la déchirer voilent certains traits anthropologiques qui constituent la particularité culturelle grecque tout aussi bien que la ma­nière dont l’imagi­naire grec moderne perçoit la politique et les luttes so­ciales.

Il faut tout d’abord rendre clair le fait que la société grecque moderne n’a jamais été travaillée par quelque tradition d’autonomie, comme ce fut le cas en France. En Grèce il n’y a jamais eu de mouvements autonomes, pour ne pas parler de révolutions sociales. Faisant ce constat, Castoriadis souligne plutôt les exceptions libérales à cette règle (10) ; or, en ce qui concerne les exceptions proprement radicales, il n’y aurait pas grand chose à ajouter : le mouvement (anarcho-)syndicaliste des années 1890 (notam­ment dans le côté occidental du Péloponnèse où il y a eu des immigrés ita­liens), son homologue ouvrier des années 1930, une certaine contre-culture des années 1970-1980 et une vague de grèves pendant la même période. De ces événements et périodes-là, on passe directement à la révolte de dé­cembre 2008 et aux événements de ces derniers mois.

De ce point de vue, il faut être très prudent quand on parle des divisions et des guerres civiles qui ont caractérisé l’histoire récente de la Grèce. Comme le dit bien Castoriadis, en Grèce les divisions sociales ne suivent pas, dans la plupart des cas, de critères politiques ou d’appartenance de classe, comme c’est le cas dans les pays proprement occidentaux.

Prenons un exemple. Un camarade grec, Spyros, a parlé des accords de Varkiza (11). Or, hormis le fait que cet accord n’était rien d’autre qu’un com­promis typiquement opportuniste entre les Anglais et les leaders staliniens – qui ont sauvé leur peau, en laissant la base sociale du PC grec et de ses organisations-vitrines (censées constituer un Front Populaire antifasciste) à la merci des Anglais et des forces paramilitaires de la droite grecque-, il est entièrement erroné d’essayer d’établir des parallèles entre ce qui se passe aujourd’hui en Grèce et ce qui s’est passé entre 1940-1949 (Occupation al­lemande, mouvement de Résistance Nationale, Guerre Civile entre le PC et les forces de la droite soutenues par les Américains).

Même si on peut admettre que les gens perçoivent les accords de Varki­za comme une défaite pour le mouvement de libération du pays, etc., je n’ar­rive pas à comprendre pourquoi, pour notre part, nous devrions accep­ter tel qu’il est ce récit – tout à fait erroné – des événements en question. Si on critique les « Indignés » pour avoir refoulé la question des divisions so­ciales, on devrait également critiquer l’imaginaire qui pense que la guérilla stali­nienne était une force qui promettait la libération nationale, laquelle aurait finalement été empêchée par les Anglais et les Américains. Castoria­dis, comme le reste de ses camarades internationalistes (dont certains furent chassés voire assassinés par les forces des staliniens), insistait beau­coup sur le véritable rôle du mouvement dit de libération nationale (un mouvement de type Front Populaire, essentiellement dominé et contrôlé par les staliniens, même s’il avait réussi à attirer des parties considérables de population non-communistes (12)), car cette mythologie sur le rôle préten­dument libérateur de ce mouvement – tout aussi bien que celle de la Guerre Civile de ’46-’49 –, constitue le noyau idéologique dur du stalinisme grec, récupéré, pendant les années 1981 par PASOK, afin de servir de base idéo­logique à la « réconciliation nationale » (et il faut aussi noter qu’en Grèce la victoire militaire et politique de la droite, dans la Guerre Civile, est contrebalancée par la victoire idéologique de la gauche : presque tous les grands artistes et intellectuels de l’après guerre ont été des sympathisants de gauche, voire des staliniens du type d’Aragon et Eluard).

C’est précisément cette idéologie de nationalisme tiers-mondiste qui constitue, de nos jours, l’essence idéologique des milieux les plus réaction­naires (populistes socialistes du « vieux PASOK », nationalistes de gauche, nationalistes et populistes de droite qui condamnent les « spéculateurs » et les allemands, néo-orthodoxes etc.) ainsi que de l’aile la plus hétéronome de la composante républicaine/patriote du mouvement des places. Donc, pour moi, la démythologisation de cette période de l’histoire moderne grecque est une tâche politique de premier ordre.

Et de ce point de vue, j’oserai dire que c’est précisément au nom de cette idéologie stalino-nationaliste que les tendances les plus hétéronomes des « Indignés » voilent la question des divisions sociales : c’est le stalinisme grec qui, à l’instar de tous les communismes des pays sous-développés (Mao, Castro, Kim Il Sung, Pol Pot, etc.), a abandonné l’analyse marxiste en termes de lutte de classes au profit d’une analyse « anti-impérialiste » et tiers-mondiste, qui s’articule autour de l’opposition centrale entre « peuple grec » et « forces impérialistes » ou « forces du fascisme ». La seule divi­sion sociale qui pourrait exister dans ce cas, c’est la division entre le « peuple » (toujours uni et unitaire) et les « collaborateurs » des Grandes Puissances, à savoir les Quisling et les « traîtres ». Il s’agit d’une version modernisée du vieil anti-occidentalisme Byzantin, qui considérait les Ca­tholiques comme une menace plus grave que les Ottomans, surtout après le saccage de Constantinople en 1204, lors de la Quatrième Croisade. Ce n’est nullement un hasard si le compositeur et ancien député Mikis Theo­dorakis, chef spirituel du nationalisme contemporain et ancien stalinien, est peut être la figure symbolique par excellence de la « réconciliation natio­nale » (ancien membre de l’EAM (13) et député de EDA – la façade légale du PC sous le régime de l’après-guerre –, qui a aussi été ministre d’un gouver­nement de droite, au début des années 1990). Récem­ment il a lancé un « mouvement de citoyens indépendants », l’Etincelle, qui lutte pour « l’in­dépendance nationale, la souveraineté populaire et la re­naissance patrio­tique » et dont le slogan principal est « Etincelle signifie Grèce unie ». C’est pour la même raison qu’on trouve des historiens de gauche, tels que Nicolas Svoronos (qui avait participé à la Résistance comme membre de l’EAM), qui ont essayé d’élaborer des versions « pro­gressistes » du mythe fondamental du nationalisme grec, à savoir la préten­due continuité histo­rique et culturelle entre la Grèce Antique, Byzance et la Grèce moderne.

Exception faite des stalino-gauchistes et l’aile pro-terroriste des anar­chistes, pour la plupart de la population grecque, le discours stalino-natio­naliste / anti-impérialiste de la gauche grecque fait partie d’un imagi­naire nationaliste traditionnel qui, comme tel, n’a rien à faire avec une concep­tion de la société en termes de divisions de classes. Pour cet imagi­naire na­tionaliste, si division il y a, c’est seulement celle entre une poignée de Quisling – politiciens « traîtres » –, et un « peuple » qui serait sociologi­quement homogène et politiquement uni. C’est pour cette raison que je pense que l’évocation de l’accord de Varkiza par les anarchistes n’est que démagogie de mauvaise qualité qui, d’ailleurs, sert les intérêts micro-poli­tiques du stalino-gauchisme grec ; comme c’est également le cas avec ceux qui traitent décembre 2008 de « Dekemvriana », en faisant le parallèle entre la révolte de décembre de 2008 et la tentative échouée du PC grec de faire un coup d’État en décembre 1944 (14).

Et c’est précisément cet imaginaire nationaliste-patriotique – qui semble constituer « l’horizon indépassable » des sociétés sous-développées de la périphérie occidentale, comme on le retrouve en Tunisie, par exemple (15) – qui fait principalement entrave à la diffusion de l’idée de démocratie di­recte sur les lieux de travail et, plus généralement, dans la sphère de l’éco­nomie, comme on l’a déjà vu. Si la société grecque n’a pas encore pu se constituer en communauté politique (16), c’est à cause du fait qu’elle n’est pas encore passée par ce qu’on pourrait appeler, en em­pruntant une terminolo­gie traditionnelle, sa phase « de révolution bour­geoise ». Le nationalisme grec n’a pas encore réussi à passer à ce stade que G. Fargette appelle « na­tion comme Cité » (17) : à savoir celui d’un patrio­tisme « républicain » et « progressiste », qui naît du dépassement des parti­cularismes et de l’esprit de clocher régionaliste qui caractérisent presque toutes les sociétés non-oc­cidentales ainsi que celles-ci pendant leur phase féodale. Il suffit, pour me­surer les divergences entre ce modèle anthropolo­gique et le modèle propre­ment républicain, de citer ce que disaient les fé­dérés de la Bretagne et de l’Anjou en février 1790, pendant la Révolution française : « Nous décla­rons solennellement que n’étant ni Bretons ni An­gevins, mais Français et citoyens du même empire, nous renonçons à tous nos privilèges locaux et particulières, et que nous les abjurons comme anticonstitutionnels ; nous nous déclarons heureux et fiers d’être libres » (18).

En Grèce, par contre, même pendant la Guerre d’Indépendance (qu’en grec on appelle « Révolution de 1821 »), ce qui prévaut n’est pas l’imagi­naire du patriotisme ou nationalisme républicain qu’essaient de diffuser les bourgeois et les « Philosophes » grecs habitant en Occident. Ce qui prévaut c’est le régionalisme et la mentalité séparatiste de la grande aristocratie foncière byzantine. Ce régionalisme et cette mentalité séparatiste furent per­pétués et incarnés en la personne des kotzabasides, des beys et du reste des mandataires des Ottomans qui, en payant un certain impôt au sultan, réus­sissaient très souvent à préserver leur autonomie régionale. Cet esprit ré­gionaliste était si puissant et était tellement considéré comme allant de soi, que beaucoup d’intellectuels de la diaspora grecque de l’époque lan­çaient l’idée de la création d’un Etat fédéraliste, inspiré des modèles améri­cain et suisse. Ce sont les représentants de cette « aristocratie » terrienne qui ont grandement fait obstacle à la fondation d’un Etat grec moderne et centrali­sé après la libération (19).

Cette tradition a eu comme résultat le fait qu’en Grèce la politique se confond avec les luttes et les conflits entre les diverses clans et factions. Et c’est évident que dans ce cadre les divisions sociales et politiques ne se fondent pas, le plus souvent, sur de différences idéologiques et politiques ni, non plus, sur de séparations de classe. Un trait fondamental de la société grecque et de la mentalité politique et sociale du Grec moyen est ce que Tocqueville appelait « individualisme collectif » (20). C’est cette attitude qu’avait en tête Edmond About, quand il parlait – en exagérant un petit peu, bien sûr – de l’amour des grecs pour la « liberté » (21) : cette liberté était plutôt la forme que prend l’insoumission de divers groupes et clans face à l’Etat et les lois (22).

De ce point de vue, on dirait que l’analyse de Tocqueville sur les consé­quences socialement corrosives du centralisme absolutiste, vaut plutôt pour les sociétés de type « oriental » ou, du moins, pour des sociétés telles que la société grecque où il n’y a jamais eu de véritable centralisme. Car la Grèce est essentiellement une société qui n’a pas encore traversé sa phase proprement « bourgeoise », phase qui se caractérise par une unification na­tionale faite sous l’égide d’un nationalisme « progressiste ». C’est pour­quoi les grands événements de son histoire politique moderne pourraient être compris comme une série d’occasions ratées ou de tentatives échouées de se constituer en peuple souverain qui essaie de s’autogouverner en tant que nation indépendante.

Bien évidemment, le fait que le pays à toujours été un protectorat des di­verses Grandes Puissances (dès l’époque de la Révolution nationale de 1821) a rendu encore plus difficile cette tâche. Comme le remarquait un politologue français qui a étudié le cas grec, « la Grèce semble vouée à la condition d’un peuple dominé et exploité par l’étranger » (23). Et cette posi­tion géopolitique particulière du pays fait qu’en Grèce, toutes les idéologies progressistes « glissent » vers diverses formes de nationalisme. Très tôt, en Grèce la libération sociale et politique fut presque identifiée à la libération nationale. La gauche, pour sa part, n’a fait autre chose que théoriser ce glissement, en ayant recours à une forme vulgarisée de la théorie léniniste de la lutte anti-impérialiste. Le résultat majeur de cette évolution est que la revendication de libération nationale repousse toujours toute discussion sur la modification des rapports sociaux en place dans la société grecque.

Les propositions sociales-démocrates sur la « sortie de la crise » ajoutent une dimension économique à cette configuration idéologique. En mettant l’accent sur la suppression de la dette et la prétendue opposition entre « peuple grecque » et « spéculateurs » étrangers, elles voilent un as­pect du problème tout à fait fondamental : à savoir le fait qu’il y a aussi de « spéculateurs » grecs (puisqu’il y a aussi de banques grecs qui possèdent des bonds nationaux) ; est tout aussi bien occultée la remarque essentielle que ce ne sont pas seulement les « Allemands » (le dit « quatrième Reich », avec son porte-parole, le « Gauleiter » (24) H. Reichenbach) qui profitent des diverses mesures d’austérité, mais également les couches supérieures et le patronat grecs.

Tu serais donc d’accord avec les analyses de certains représentants du discours libéral-« modernisateur » grecs, selon lesquelles la Grèce constitue un cas tout à fait exceptionnel, dont les problèmes n’ont pas grande chose à faire avec les enjeux auxquels fait face le monde propre­ment occidental ?

Pas du tout ! Il doit être clair que, malgré les particularités dont on vient de parler, les enjeux socio-économiques sont, dans une large mesure, com­muns avec ceux des pays proprement occidentaux (25). Tout d’abord, en ce qui concerne le côté « objectif » du problème : la crise de dette pu­blique, la non-tenabilité du modèle keynésien et social-démocrate de capi­talisme des Trente Glorieuses, l’offensive néolibérale, etc. La spécificité du cas grec tient en ceci que, d’un côté, il s’agit d’un pays dont la base pro­ductive n’a jamais été très développée, ce qui fait que le manque de finan­cement de la part des occidentaux (américains pendant l’Après Guerre avec la fameuse doctrine Truman et le Plan Marshall, U.E. pendant ces der­nières décennies, etc.) a des conséquences très graves ; de l’autre côté, il s’agit d’une société dont la phase de capitalisme proprement social-démocrate a eu lieu pen­dant les années 1980, c’est-à-dire à une époque où, dans le monde occiden­tal, commençait l’offensive néolibérale. Cela fait que la brutalité de l’inter­vention de la Troïka semble nécessaire afin que la Grèce « rattrape » les autres pays occidentaux.

Il en va, à peu près, de même pour le côté « subjectif ». Ce qui est im­portant pour moi, c’est que l’étude de ce qui se passe dans des sociétés non-occidentales soit « semi-occidentales », nous éclaire aussi en ce qui concerne l’évolution de l’Occident contemporain lui-même. Certains com­portements hétéronomes que l’Occident avait réussi à briser, réapparaissent dans le cadre du recul du projet d’autonomie qui est à l’œuvre depuis les années 1970. La facilité avec laquelle ces aspects de l’Occident contempo­rain sont accueillis par des pays non-occidentaux, en trouvant leur corol­laire dans les traits proprement hétéronomes des sociétés en question, pour­rait nous permettre de mesurer l’importance du recul dont on vient de par­ler.

Prenons l’exemple de la mentalité clientéliste de « l’individualisme col­lectif » grec. Ce type de comportement politique, qui est un trait de toutes les sociétés de type oriental, où il n’y a jamais eu une véritable centralisa­tion du territoire national et du pouvoir et où le local et le « tribal » est tou­jours plus important que le national, s’est exacerbé pendant les dernières décennies à cause de l’importation du modèle de la société de consomma­tion, c’est-à-dire d’une création éminemment occidentale. Et c’est pour cela que, même en Occident, la politique se transforme, de plus en plus, en un rapport clientéliste, où les groupes sociaux, voire les classes, se trans­forment en lobbies qui ne se préoccupent que de leur propre sort ainsi que de la protection de leur place dans la hiérarchie sociale. Il s’agit de la réali­sation des analyses des libéraux lucides ayant une finesse et sensibilité an­thropologique, tels que Benjamin Constant ou Tocqueville : ce dont rêvent les sociétés contemporaines, c’est un « État tutélaire » (26), capable de « ga­rantir leurs jouissances privées » (27). C’est aujourd’hui que l’Occident se transforme en ce type de société émiettée et fragmentée dont parlait Toc­queville, en élaborant la notion d’ « individualisme collectif ». Ne nous en déplaise, une dimension fondamentale des condamnations des maux du néolibéralisme n’est que le produit direct de cet imaginaire corporatiste qui glorifie l’État providence.

Prenons aussi l’exemple de la dépense, en tant que norme sociale. Les pseudo-libéraux grecs expliquent la crise des finances publiques en disant qu’en Grèce « on dépensait au dessus de nos capacités économiques ». Cela est vrai, jusqu’à un certain point. Or, c’est également vrai que cette re­marque vaut aussi pour la plupart des pays occidentaux pendant ces der­nières décennies. La bulle des prêts « subprime » aux États-Unis n’était qu’une des expressions les plus éloquentes de ce fait. Ce qu’on constate en Grèce, en conséquence, c’est un mélange entre les pires dimensions de l’imaginaire capitaliste dégénéré de l’Occident contemporain (irresponsa­bilité, consumérisme, spéculation, mentalité nouveau riche, etc.) et les traits traditionnellement hétéronomes de la composante proprement orien­tale de l’imaginaire néo-grec (émiettement du corps social en une foule de groupes particularistes, manque de tradition émancipatrice, micro-corrup­tion, etc.). En plus, on pourrait dire que cette importation des pratiques so­ciales de l’Occident contemporaine, sape, de plus en plus, tous ces traits qui constituaient cet ensemble de vertus sociales de base, cette sociabilité élémentaire qui a caractérisait les gens populaires en Grèce.

Quelles sont les comportements des organisations « de gauche », par­tis, syndicats, groupuscules ? Et quelles sont les attitudes des gens ras­semblés vis-à-vis des discours déjà existants ? Et, finalement, quelle est la tactique de l’extrême-droite aujourd’hui, et ses probabilités de bénéfi­cier de la situation ?

Au début la gauche n’a pas accordé tant d’importance au mouvement, en le traitant d’apolitique et de petit-bourgeois, censé manquer, en tant que tel, de conscience de classe. Seule la jeunesse d’un parti social-démocrate -de Gauche « alternative » et « eurocommuniste » - SYN, ainsi que quelques autres petits groupes qui participent, à son instar, à une coalition, SYRIZA (« Coalition de gauche radicale ») ont soutenu dès le début le mouvement. La plupart de leurs membres ont réussi à s’implanter dans les Groupes qui étaient chargés de la gestion quotidienne du campement, et notamment du secrétariat qui organisait le déroulement des AG et de la commission communication qui est, en quelque sorte, le bureau de presse du mouvement. Le PC, qui reste encore 100% stalinien, ne soutient pas le mouvement.

Or, il y a aussi quelques autres petites organisations stalino-mao-trots­kystes qui, dès qu’elles se sont rendu compte du fait que le mouvement n’est pas juste un truc médiatique, ont commencé de participer aux AG des places, en essayant de noyauter les diverses Commissions. L’agenda poli­tique secrèt des toutes ces organisations c’est de discréditer l’idée de démo­cratie directe, en réduisant celle-ci à un simple moyen de lutte. Leur ap­proche est essentiellement social-démocrate et pose comme but ultime la formation d’un nouveau gouvernement de Gauche, qui annulera les Memoranda, supprimera la dette et, selon chaque variation gauchiste, soit luttera pour « une Europe des peuples et non des banquiers » soit pour la sortie de la Grèce tant de la zone d’Euro que de l’U.E. En plus, et dans le cadre général qu’on décrit, tous les gauchistes ont ac­cordé beaucoup d’attention à la question de l’éducation. Dès que le ministre d’éducation a rendu publique le nouveau projet de loi concer­nant les Universités – qui, depuis fut finalement voté -, ils ont propo­sé la formation d’un Commission d’éducation. Il s’agit d’une des aspects les plus drôles du mouvement, car il s’agit d’un groupe qui pourrait servir de zoo exposant de toutes les espèces et les variétés du gauchisme grec. Il n’y avait que de gauchistes dans ce groupe, qui se bagarraient comme des enfants. De la même façon, les membres de SYN ont proposé, fin août, l’organisation d’une conférence ouverte sur la question. L’AG – très facile­ment manipulable en cette période de moindre participation en pleine période de vacances - a voté pour, sans pour autant proposer de noms d’invités. Evidemment, se sont les gauchistes eux-mêmes qui les ont décrétés, en imprimant des affiches où ils annon­çaient la conférence et la participation de quatre universitaires plus ou moins proche d’eux. D’après ce que j’ai entendu (puisque j’étais en France à cette date), le public a bien dénoncé cette manipulation ainsi que les bavardages sociale-démocrates des participants.

Si la gauche accorde tant de priorité sur la question de l’éducation natio­nale, c’est parce que sa base sociale appartient essentiellement à ce secteur social (jeunesse étudiante, professeurs etc.). De ce point de vue, la défense virulente du « caractère publique de l’université » n’est, en réalité, qu’une tentative de protéger son propre lobby, qui s’est fort implanté dans les uni­versités grecques. Il ne s’agit que d’une autre dimension du même imagi­naire, qui, sous une rhétorique social-démocrate, cache le désir d’ascension sociale de la part d’un nombre considérable de militants gauchistes.

La plupart des milieux libertaires marxistes (ouvriéristes, partisans de la dite « autonomie ouvrière » etc.) et anarchistes restent réticents face à ce qui se passe, quand ils n’y sont pas ouvertement hostiles (en ne distin­guant pas entre les deux côtés de la place de Syntagma (28), ils traitent le mouve­ment de mouvement d’extrême droite, en imputant à toutes ses compo­santes les traits de sa composante proprement nationa­liste).

En ce qui concerne l’extrême droite, heureusement elle n’a pas essayé de noyauter le mouvement, du moins d’une façon organisée. LAOS, l’équi­valent grec du FN (29), a voté pour la signature du premier Mémorandum, tan­dis que la principale organisation néo-nazi, l’Aube Dorée (Chrisi Avgi), qui a réussi à faire élire un conseilleur municipal à la municipalité d’Athènes aux élections d’Octobre 2010, a jugé le mouvement comme trop gau­chiste, en proposant, à ses supporteurs, d’aller « faire de la résis­tance » à Aghios Panteleimonas. Il s’agit d’un quartier du centre d’Athènes défa­vorisé (30), où habitent un très grand nombre d’immigrants et ou les ra­cistes se sont fort implantés depuis il y a 3 ans, en essayant d’y construire leur QG. Le fait que les gens ont déclaré publiquement, à maintes reprises, que les immigrés sont bienvenus à Syntagma, a rendu encore plus difficile toute tentative de noyautage de la part de l’extrême droite raciste.

On pourrait, donc, dire que la présence d’extrême droite organisée est insignifiante. N’empêche qu’il y a une certaine mentalité qui reproduit la dimension nationaliste de l’extrême droite. Il s’agit d’un mélange de popu­lisme et de patriotisme, qui s’articule autour de l’élément républicain-pa­triote des mobilisations. Par exemple, Mikis Theodorakis, qui se veut « à gauche », a organisé un « mouvement politique », l’Etincelle (Spitha), dont le slogan principal est « Etincelle signifie la Grèce unie ». Selon Theodorakis, le problème n’est pas politique ou social, au sens qu’on de­vrait l’analyser en termes de classe ou, du moins, en termes de hiérarchies et d’inégalités sociales ; c’est un problème essentiellement national, qui op­poserait « la Grèce » aux spéculateurs étrangers. On peut voir dans ce personnage comme une sorte d’idéal-type d’une certaine tendance politique, issue d’un milieu plus aisé que ce que l’on a pu observer dans la partie haute de la place de la Constitution.


Notes

1 Cf. « Récit d’un participant sur la place Syntagma », publié dans la première partie de notre brochure : Le mouvement grec pour la démocratie directe. Le « mouvement des places » du printemps 2011 dans la crise mondiale (Brochure n° 18), pp. 32-36.

2 En faisant que le regard libéral-social-démocrate des journalistes de « gauche » d’aujourd’hui n’arrive pas à comprendre ce qui se passe en Grèce. C’est peut être à cause de ce fait que le numéro récent du Courrier International consacré aux mouvements so­ciaux de 2011 (« 2011 année révoltée », n° 1089, 15-21/9/2011), ne consacre qu’un bref article sur le cas grec, dont le rédacteur se préoccupe plutôt de la manière dont la police grecque projet d’affronter les manifestants en cas de révolte que de ce qui se passe sur Syntagma et le reste des places. Et il en va de même pour toute la presse écrite française.

3 Cf. notre « Introduction générale » dans notre brochure, Les mouvements arabes face au vide occidental. L’exemple tunisien, première partie (Brochure n° 17), avril 2011, section « Révolution ou soulèvement ? », p. 7.

4 Sur le modèle et l’organisation interne du mouvement, on peut consulter notre brève présentation : « Les assemblées générales de Syntagma : Structure et fonctionnement » (Le mouvement grec pour la démocratie directe…, op. cit., pp. 37-39).

5 Cf. sur ce sujet les dernières pages de l’ouvrage de H. Arendt, Essai sur la Révolu­tion (1963), trad. par M. Chrestien, Gallimard 1985.

6 Un représentant très caractéristique de ce courant libéral, « anti-décembriste », est N. Ma­rantzidis, l’inénarrable auteur de l’article « La farce grecque : bilan d’une fausse révolte » (Le Monde, 28/4/2009).

7 Car, en ce qui concerne le niveau proprement événementiel, on pourrait renvoyer lecteur à la chronologie détaillée (« Les prémisses du mouvement ») qu’on a publiée dans la première partie de notre brochure : op. cit., pp. 24-31.

8 Du moins il y a eu de pareilles rumeurs à Syntagma, comme quoi il y a eu de « castoria­diens » parmi les premiers « campeurs ». Il faut par ailleurs savoir que C. Castoriadis est très célèbre en Grèce - « notre grand penseur national », même si la réception de ses idées y est très confuse et se fait, assez souvent, à travers le prisme patriotique, voire nationa­liste. Son analyse sur la démocratie directe est souvent plus connue que le reste de ses idées, car elle est liée à l’étude de la Grèce Antique. Et il faut savoir qu’un des lieux com­muns du nationalisme grec est la prétendue continuité entre la culture grecque antique et la culture byzantine-néogrecque. Sur cette dernière question, Cf. « Considérations sur la Grèce moderne », in Le mouvement grec pour la démocratie directe…, op. cit., p. 14.

9 Cf. les textes de la première partie de notre brochure, « Récit d’un participant sur la place Syntagma », p.32, et « Le mouvement des places en Grèce. Les réalités grecques aux prises avec les exigences de la démocratie directe », p. 40.

10 Cf. son interview « Considérations sur la Grèce moderne », in Le mouvement grec pour la démocratie directe…, op. cit., p. 18.

11 Cf. son interview« Nous sommes à un stade embryonnaire de la démocratie directe », in Le mouvement grec pour la démocratie directe…, op. cit., p. 38.

12 Cf. sur ce point, C. Castoriadis, « Préface » in La société bureaucratique, t. 1 Les rap­ports de production en Russie, Paris, 10/18, 1973, réédité dans la brochure n°7 « De la dissidence marxiste au projet d’autonomie, un parcours intellectuel et politique » (dispo­nible sur notre site, rubrique Nos textes > Brochures) pp. 4 - 7.

13 « Front National de Libération ». Organisation censée incarner la logique des Fronts Populaires, créée par le PC grec, en 1941, dans le but d’organiser la lutte contre les conquérants allemands. En vérité il luttait aussi contre EDES, la principale organisation de résistance de la droite, afin de conquérir le pouvoir après la fin de la guerre (à l’époque Staline n’avait pas encore laissée la Grèce dans la zone d’influence britano-américaine).

14 Ce n’est pas du tout un hasard si les néo-nazis du groupe Aube Dorée suivent aussi le même parallèle entre décembre 2008 et décembre 1944 et, plus généralement, cette conception du monde qui interprète encore la société grecque en termes de guerre civile (ils organisent des fêtes pour l’anniversaire de la défaite des staliniens en 1949, etc.).

15 On lira par exemple dans notre brochure n°17 bis Les soulèvements arabes face au vide oc­cidental – l’exemple tunisien, seconde partie, le texte « Retours de Tunisie », entre autres pp. 29 – 32 et p. 45 sqq.

16 Cf. l’interview de Castoriadis qu’on a déjà mentionnée.

17 G. Fargette, « La crise économique comme régime durable », Le Crépuscule du XXe siècle, n° 21, novembre 2009, disponible sur notre site.

18 F. Furet, D. Richet, La Révolution française, Paris, Fayard, 1973, p. 112.

19 Cf. C. Castoriadis, « Considérations sur la Grèce moderne », op. cit., p. 18, n. 16.

20 « Chacune de ces petites sociétés ne vit que pour soi, ne s’occupe que de soi, n’a d’affaires que celles qui la touchent. Nos pères n’avaient pas le mot individualisme, que nous avons forgé pour notre usage, parce que, de leur temps, il n’y avait pas en effet d’individu qui n’appartînt à un groupe et qui pût se considérer absolument seul ; mais chacun des milles petits groupes dont la société française se composait ne songeait qu’à lui-même. C’était, si je puis m’exprimer ainsi, une sorte d’individualisme collectif » (A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution [1856], Garnier-Flammarion, 1988, p. 188).

21 E. About, La Grèce contemporaine (1855), ch. II, section 5 : « Passion pour la liberté : il y a toujours eu des hommes libres en Grèce », Cf. Bibliographie brochure n°18, op. cit.

22 « Chez les Grecs, l’amour de la liberté est doublé du mépris des lois et de toute autorité régulière ; l’amour de l’égalité se manifeste souvent par une jalousie féroce contre tous ceux qui s’élèvent ; le patriotisme étroit devient l’égoïsme […]. La masse du peuple n’a jamais obéi qu’à la force et ne se croit obligée à rien envers un gouvernement faible ; […] l’autorité ne sait pas se faire respecter et semble douter d’elle-même : bref, tout contribue à faire du peuple grec le peuple le plus indiscipliné de la terre. » (E. About, La Grèce contemporaine, ch. II, section 8, Cf. Bibliographie brochure n°18, op. cit.)

23 Jean Meynaud (avec le concours de P. Merlopoulos et G. Notaras), Les forces politiques en Grèce , Lausanne, 1965, p. 467. Cf. Bibliographie brochure n°18, op. cit.

24 Comme l’appellent quelques maos nationalistes.

25 Cf. « Grèce : Les impasses du capitalisme néolibéral et les pratiques maffieuses de l’oligarchie européenne », infra, p. 26 sqq.

26 Cf. le deuxième volume de De la Démocratie en Amérique (1840) de Tocque­ville.

27 B. Constant, « De la liberté des anciens comparée à celle des modernes » (1819), Écrits politiques, Paris, Gallimard, folio-essais, 1997, p. 603.

28Cf. “Le mouvement des places en Grèce” in Le mouvement grec pour la démocratie di­recte…, op. cit., p. 43.

29 Et dont un des députés (qui est le plus instruit politiquement), Makis Voridis, est proche de Le Pen-père et également admirateur d’Alain de Benoist, de la Nouvelle Droite.

30 Puisque, à l’inverse de ce qui se passe en France, en Grèce on suit le modèle américain, selon lequel les quartiers défavorisés se trouvent dans le centre de la ville et non pas dans les banlieues.


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