Considération sur la Grèce moderne
Extraits retranscrits de trois interviews différentes que C. Castoriadis a accordées aux médias grecs. Le premier est tiré d’une interview intitulée « Nous sommes responsables de notre histoire », donnée en 1994 à la télévision publique grecque. Le deuxième provient d’une autre interview télévisée (« De l’homme et de ces idées »), accordée en 1984, dans le cadre d’une émission consacrée à l’œuvre de Castoriadis. Le dernier est issu d’une longue interview accordée après la chute du régime des Colonels, en 1975, qui n’a jamais été publiée suite à l’intervention du propriétaire du quotidien de centre-gauche Tα Nέα, auquel elle fut accordée. Nous traduisons les deux premiers extraits à partir de l’édition T. Παπαδοπούλου (éd.), Του Κορνήλιου Καστοριάδη, Athènes, Polis, 2001, pp. 25-31 et 58-59, respectivement, et le troisième à partir de Κ. Καστοριάδης, Το επαναστατικό πρόβλημα σήμερα, Athènes, Ypsilon, 2000, pp. 50-52. Les notes et précisions entre crochets sont de nous.
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On dit souvent que la Grèce est un « cas problématique » : que « tout se fait à l’improviste », « sans rien planifier », « sans aucun sérieux ». Beaucoup s’accordent là-dessus, mais ils se bornent à ce simple constat. Je sais que la situation grecque vous préoccupe profondément, quelle interprétation en proposez-vous ? Pourquoi les choses se passent-elles ainsi en Grèce ? Quelles en sont les causes profondes ?
Cornelius Castoriadis : Tout d’abord, je n’en ai aucune idée. Ensuite, dans la mesure où je pourrais en savoir quelque chose, je dirais que la vie politique du peuple grec s’arrête aux alentours de 404 av. J.-C.
Je pense que cette réponse de votre part va beaucoup déranger…
Que voulez-vous… Je parle de la véritable vie politique du peuple, compris en tant qu’agent autonome. Je ne parle pas des batailles, des empereurs, des Alexandre et autre Basile Bulgaroctone. Après le Ve siècle av. J.-C. et l’autogouvernement du peuple au sein des cités démocratiques, la liberté grecque meurt – ou en tout cas elle disparait complètement après l’étrange IVe siècle. Les cités grecques tombent aux mains des rois macédoniens. Bien sûr, Alexandre et ses successeurs jouent un rôle historique majeur : ils conquièrent l’Asie et l’Egypte, ils diffusent la langue et la civilisation grecques. Mais à partir de ce moment, il n’y a plus de vie politique. Les royaumes des successeurs d’Alexandre, comme régimes politiques, sont essentiellement des monarchies. Par ailleurs, comme on le sait, Alexandre lui-même a dû faire face à une mutinerie de la part des Grecs qu’il avait emmenés avec lui, car il voulait les obliger à s’agenouiller devant lui, comme le faisaient les Perses devant le Grand Roi – une attitude totalement étrangère aux Grecs. Tout au long de la période hellénistique (323-30 av. J.-C.), les cités grecques – à l’exception de quelques cas marginaux et passagers – deviennent des jouets des dynasties hellénistiques. Suit la conquête romaine, sous laquelle les cités grecques ne possèdent qu’une vie communale. Ensuite, vient l’empire byzantin. Byzance est une monarchie orientale et théocratique, la vie politique s’y résume aux intrigues de Constantinople, de l’empereur, des « puissants » (1) et des eunuques de la cour. Et bien sûr, nos manuels scolaires n’évoquent jamais le fait qu’il y avait des eunuques à la cour byzantine, comme il y en avait à celle de Pékin…
Tout cela n’a à voir qu’avec un passé très lointain. Or la Grèce en tant qu’Etat moderne a déjà une histoire de 170 ans. Pourriez-vous vous focalisez sur cette période ?
Mais cette période est incompréhensible si l’on ne prend pas en compte les vingt-et-un siècles de non-liberté qui ont précédé. Donc après Byzance, vient la domination turque. Ne vous inquiétez pas, je n’entrerai pas dans les détails. Je signalerai seulement que sous la domination turque, le peu de pouvoir qui n’est pas directement exercé par les Turcs, est exercé par les kotzabasides [grands propriétaires fonciers et collaborateurs grecs récoltant les taxes pour les Turcs] qui tiennent les villageois sous leur emprise. Par conséquent, nous ne pouvons pas parler non plus de vie politique pour cette période. Quand la Révolution de 1821 commence, on constate d’une part l’héroïsme du peuple, et d’autre part –presque aussitôt – l’incapacité foncière de constituer une communauté politique. Au lendemain de la prise de Tripolizza (23 septembre 1821) commence la guerre civile.
D’où vient cette « incapacité foncière de constituer une communauté politique » ? Quelles en sont les causes ?
Personne ne peut répondre à la question de savoir pourquoi quelqu’un n’a pas créé quelque chose à tel moment donné. La constitution d’un peuple en communauté politique n’est pas quelque choqse qui va de soi, qui se donne, c’est quelque chose qui se créé. On peut simplement constater que lorsqu’une telle création est absente, les caractéristiques de la situation précédente se perpétuent, ou ne changent que de forme.
Et quelles sont ces caractéristiques dans le cas grec ?
On en repère déjà certains dans les guerres civiles de la Révolution de 1821. On voit par exemple que le respect de la loi et la solidarité ont un caractère local, relevant d’un esprit de clocher, souvent plus puissant qu’un sentiment national. On observe aussi que les positionnements et les divisions politiques tiennent plus souvent à la personne des « chefs » qu’à des idées, des programmes, sans parler des intérêts de « classe ». Encore une autre caractéristique est l’attitude face au pouvoir. En Grèce, jusqu’à aujourd’hui encore, l’Etat continue de jouer le rôle de dovleti (2), c’est-à-dire d’une autorité étrangère et lointaine dont on est le sujet (ragias (3)) plutôt que le citoyen. Il n’y a pas d’Etat de droit, ni d’administration impersonnelle, qui auraient affaire à des citoyens souverains. Le résultat, c’est le règne de la corruption comme caractéristique permanente. Le règne de la corruption continue la tradition centenaire de l’arbitraire des souverains et des « puissants » : princes de l’époque hellénistique, sous-consuls romains, empereurs byzantins, pachas turcs, kotzabasides, Mavromichalides (4), Kolettis, Diligiannis (5)…
Vous ne voyez pas d’exceptions ? Exceptions qui se situeraient notamment aux XIXe et XXe siècles ?
Bon, il y en a deux ou trois : Trikoupis, Koumoundouros [Alexandre Koumoundouros (1817-1883) : homme politique et homme d’Etat grec de réputation très honnête, qui a mené une politique d’importantes réformes], le mouvement vénizelien dans sa première phase (6). Toutefois leurs quelques résultats ont été détruits par la dictature de Métaxas (1936-1940), l’Occupation italo-allemande, la Guerre Civile (1946-1949), le rôle du palais, le régime des Colonels (1967-1974), la « Pasok-cratie » (7). Entre temps, il y a eu le stalinisme qui a réussi à corrompre et détruire le mouvement ouvrier et populaire naissant en Grèce (8) – on en paye encore les conséquences.
Vous me demandez de vous expliquer… Et vous pourriez-vous m’expliquer pourquoi les Grecs, qui luttèrent neuf ans durant et donnèrent leur vie pour se libérer des Turcs, ont voulu aussitôt après un roi ? Et pourquoi alors qu’ils ont chassé le roi Otto, ont-ils amené le roi Georges ? Et pourquoi par la suite ont-ils réclamé « olive, olive, et Constantin pour roi » (9) ?
Mais ce sont vos réponses qui importent, surtout quand ce sont des questions que vous avez vous-même posées. Pourriez-vous formuler vos opinions ?
Selon l’opinion traditionnelle, à « Gauche », tout cela a été imposé par la Droite, les classes dominantes et la réaction brune. Peut-on pour autant dire que tout cela a été imposé au peuple grec en son absence ? Peut-on dire que le peuple grec ne comprenait pas ce qu’il faisait ? Qu’il ne savait pas ce qu’il voulait, ce pour quoi il votait, ce qu’il tolérait ? Si c’est le cas, ce peuple est un petit enfant… Or s’il est un petit enfant, dans ce cas ne parlons pas de démocratie. Si le peuple grec n’est pas responsable de son histoire, alors trouvons lui un tuteur… Quant à moi, j’affirme que le peuple grec – comme tout peuple – est responsable de son histoire, et par conséquent il est aussi responsable de la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui.
Qu’entendez-vous par responsabilité ?
Il ne s’agit pas de faire le procès de qui que ce soit. Nous parlons de la responsabilité historique et politique. Jusqu’à aujourd’hui, le peuple grec n’a pas réussi à créer une communauté politique, fut-elle élémentaire. C’est-à-dire une communauté politique au sein de laquelle il serait au moins possible d’instituer et de sauvegarder en pratique les droits démocratiques tant individuels que collectifs.
Diriez-vous, au contraire, que dans d’autres pays, en Europe occidentale…
… Là, cela a été fait ! Feu Georges Kartalis disait pour me taquiner, à Paris en 1956 : « Corneille tu oublies qu’en Grèce, il n’y a pas eu de Révolution française ». En effet, il n’y a pas eu en Grèce – moderne – une période où le peuple a pu imposer, fut-ce à un niveau élémentaire, ses droits. Et la responsabilité dont je parle, s’exprime à travers l’irresponsabilité de la phrase devenue proverbiale : « C’est à moi de résoudre le problème grec (10) ? ». Bien sûr monsieur que c’est à toi de résoudre le problème grec, déjà à ton échelle et dans ton domaine.
[…]
Nous arrivons à la fin de cet entretien. Pourriez-vous parler de votre rapport à la Grèce, ainsi que de la façon dont vous la situez dans le monde contemporain ?
Pour moi, la Grèce c’est : les archétypes, la mer, les arbres, le ciel, un certain rapport du corps à l’espace, à d’autres corps et à la nature. Cela mis à part, mon rapport au pays est très problématique.
Qu’entendez-vous exactement par là ?
Je trouve très problématique – beaucoup plus que pour d’autres pays – la Grèce et le peuple grec modernes. Bien sûr, partout dans le monde aujourd’hui, se pose la question « où va la société ? » ; partout existent des contradictions entre certaines tendances à la désintégration et certains signes de renouvellement. Or en Grèce toutes ces contradictions sont démultipliées.
Tout d’abord, il y a la contradiction fondamentale que l’hellénisme moderne n’a jamais réussi à résoudre. J’entends par là l’invocation prodigieusement contradictoire de deux traditions absolument incompatibles entre elles : la tradition grecque antique, et la tradition byzantine. Ou l’on considère comme point de référence principale l’oraison funèbre de Périclès, ou l’on est pour les empereurs byzantins. Ou l’on considère la démocratie athénienne antique comme un modèle et comme un germe, où l’on est pour la théocratie byzantine. Or, ces deux traditions ne peuvent pas s’accommoder l’une l’autre.
Une autre chose relève de cette contradiction fondamentale. Je me réfère au fait que toute culture purement néo-grecque qui a tenté de se créer n’a jamais pu se maintenir ; elle n’a pas su produire d’œuvre de référence. Chaque fois que commençait un effort politique ou social important, il a été anéanti par des grandes catastrophes et des évènements historiques ; évènements qui, dans une certaine mesure, déterminent le rythme de l’histoire néo-grecque. La plus récente des ces catastrophes est évidemment l’invasion massive et brutale de la civilisation de consommation moderne. Ainsi un endroit qui d’une certaine façon n’avait pas changé depuis des siècles à été réduit en miettes, sur une période de seulement vingt ans. Et quand je dis « un endroit », je n’entends pas par là les paysages seulement ; j’entends surtout les gens : leur attitude et leur valeur.
Avez-vous déjà pensé à ce qu’aurait été votre évolution si vous n’aviez pas quitté la Grèce ?
Si je n’avais pas quitté la Grèce, il est évident que je n’aurais pas accompli ce que j’ai pu accomplir ; car cela c’est justement en partant de Grèce que je l’ai fait. Je ne veux pas dire que la Grèce m’aurait forcément dévoré, mais ce n’est pas loin de ce que je ressens…
[…]
Il y a quelques années, j’avais demandé à Xenakis (11) et Axelos (12) ce qu’était la Grèce moderne selon eux. Xenakis a pour sa part répondu de manière caractéristique : « La chouette de Minerve est partie de la Grèce », c’est à dire qu’il n’y a plus en Grèce de grande Pensée ni de grand Art. Axelos était d’accord avec lui et allait même encore plus loin, en disant que la Grèce moderne est peut-être une erreur historique de la même façon que Dostoïevski disait que la Russie était une erreur géographique. Sans vouloir vous faire entamer une polémique avec ces deux hommes, que pensez-vous personnellement qu’est la Grèce moderne ?
Sans vouloir faire monter la tension de la discussion, je ne comprends pas comment quelqu’un peut qualifier un endroit et un peuple d’erreur historique… Comment est-ce que 8 millions de gens peuvent-ils constituer une « erreur historique » ? D’où parle celui qui dit ça ? Connaît-il, lui, quelle est (ou quelle serait) « l’histoire correcte », pour pouvoir juger cela comme « histoire erronée » ? Et quand Xenakis dit que la chouette d’Athènes a quitté la Grèce, il faudrait lui demander : « Bien, elle est partie. Mais où est-elle allée ? ». En ce qui me concerne, je ne l’ai vue nulle part ailleurs. Je ne connais aucun pays dans le monde, aujourd’hui, où il y ait de grande Pensée ou de grand Art… Ce qui existe, ce qui se produit massivement à l’échelle industrielle, ce sont des produits « intellectuels » en plastique, de la « pensée » en nylon et de l’ « art » synthétique : par exemple, le structuralisme, quelques courants pseudo-psychanalytiques, Althusser, la « sémiotique », etc. D’ailleurs dans cette industrie de pensée en plastique, les Français se distinguent tellement, qu’ils arrivent même désormais à exporter ce type de mode – surtout vers les pays anglo-saxons –, de véritables articles de Paris (13) – comme c’était le cas avec les parfums et les robes. L’industrie « intellectuelle » parisienne lance chaque année une nouvelle vedette intellectuelle, comme on lance une mode vestimentaire à chaque printemps ou automne. Notez qu’il y a une certaine saturation du marché, et que la dernière vedette lancée au printemps 1974 a fait un flop.
Ce phénomène dans son ensemble, à mon avis, ne relève pas du hasard. D’une part, il exprime l’usure et la désintégration interne de la civilisation occidentale, la désorientation, la crise des formes établies de pensée et d’art, et l’incapacité d’en créer de nouvelles dans ce monde. D’autre part, quand une époque n’a pas ses propres « grands hommes », elle se les invente – comme on le sait. Et bien sûr l’époque contemporaine se les invente à une échelle et d’une manière industrielle. En tout cas, pour moi, l’idée que la création intellectuelle (je ne parle pas ici des sciences « dures ») contemporaine – disons à partir des années 1940 – puisse être comparée, fût-ce même pour un seul moment, à celle de n’importe quelle autre époque à partir de la Renaissance, sans parler de l’Antiquité, me fait irrésistiblement rire. A côté de quel pays, pose-t-on donc la Grèce comme pays privé de Pensée et d’Art ? Où existe-il en ce moment de grande Pensée, de grande Poésie, de grande Peinture, de grande Musique ? La Grèce ne jouit aujourd’hui d’aucun privilège, ni positif, ni négatif. Elle a ses immenses particularités qui sont le résultat de son histoire ancienne et moderne. De plus en plus elle connaît la même évolution, et ainsi la même désintégration, que la civilisation occidentale. De ce point de vue, en tant que province de la civilisation occidentale, elle subit les invasions des mêmes modes, avec un certain décalage. Il y a un énorme travail d’analyse et d’interprétation de la société grecque moderne à mener de tous les points de vue, et particulièrement du point de vue culturel au sens général du terme : idées, valeurs, mentalité, psychisme, attitude des gens, etc. Prenons un exemple : le poids particulier que la « mythologie historique » (la mythologie de l’histoire grecque) avait et a toujours en Grèce. Autre exemple : l’antithèse frappante entre l’authenticité du peuple et le caractère dérisoire et superficiel des « éduqués » et « officiels ».
Il ne faut pas oublier non plus les catastrophes continuelles qu’ont successivement subies les générations de la Grèce moderne. Ma génération, la génération des années 1940, a été plus que décimée. Il en est de même pour les premières générations de l’après-guerre. Puis des catastrophes naturelles telles que Papadopoulos, Ioannidis (14), tout aussi bien que les professeurs gréco-chrétiens illettrés de l’Université se payent cher… Bien sûr ces choses-là ont aussi quelques aspects positifs : les étudiants comprennent vite au bout de quelques cours quels sont les profs illettrés, et s’ils veulent apprendre quelque chose, ils recherchent par eux-mêmes – et quelque part, c’est mieux. Et en même temps, ils se font une juste opinion de ce que sont les profs, l’Université et l’Etat.
En tout cas, ce qui me frappe chaque fois que je viens en Grèce et que je rencontre des jeunes gens, c’est leur esprit vif, le fait qu’ils soient toujours très informés, ainsi que leur vivacité. Et puisque nous parlons de la Grèce, je voudrais faire une remarque finale. Je pense que cette préoccupation constante d’une partie des intellectuels grecs à propos de la Grèce, de l’hellénité, etc. dégénère en un nombrilisme maladif et stérile qui, d’une part, leur permet d’éviter de faire face aux véritables enjeux actuels, et d’autre part contribue à la perpétuation de quelques idées, représentations et mythes nationalistes et réactionnaires. Même les aveugles ont été forcés de voir au cours des 35 dernières années, que les problèmes qu’on affronte aujourd’hui sont internationaux et universels, et que leur véritable résolution n’est pas possible dans le cadre « national ». Une véritable politique révolutionnaire aujourd’hui ne peut-être qu’internationaliste. Les peuples n’ont aucun intérêt à se diviser entre eux ; ils ont tous des comptes à régler avec les dirigeants et les privilégiés, qui essentiellement sont partout la même clique – et de ce fait liés et solidaires entre eux – qu’on les appelle « américains », « russes », « chinois », « français », « grecs » ou « turques ».
Notes
1 Les dynatoi (les puissants) ou epiphaneis (célèbres) sont mentionnés dans les textes de caractère narratif et juridique byzantins pendant l’époque médiobyzantine. Il s’agit de dignitaires de l’administration ou de l’Église, des grands propriétaires fonciers et généralement des membres de la classe dirigeante, qui utilisent souvent leur pouvoir ou leur influence aux dépends de leurs voisins et les autres propriétaires fonciers. Du milieu du Xe siècle et de Romanos I jusqu’à Basil II, l’administration impériale s’efforce de réduire leur pouvoir, avec des mesures fiscales et de réformes, telles que l’impôt de l’allelegyon. Après 1037, les dynatoi ne sont plus mentionnés. (http://asiaminor.ehw.gr/Forms/flemmaAdds.aspx?Mode=Glossary¶mid=4141&boithimata_State=&kefalaia_State=).
2 Du mot turc devlet qui signifie « État ». Par ce mot, on entend en grec une conception « orientale » de l’Etat, selon laquelle celui-ci se comporte de façon arbitraire et autoritaire, en étant, en même temps, le fief exclusif des divers clans et factions.
3 Ραγιάς : Le terme signifiait le subordonné, le soumis, l’obéissant et a été largement utilisé par les Ottomans. En effet, l’Empire ottoman a fonctionné autour autour de deux axes d’organisation principaux : l’extrême polarisation des résidents (et par conséquent l’absence de communication et d’échange) ainsi que l’établissement de la plus grande distance possible entre l’empire et les indigènes. Ce modèle d’organisation politique des Ottomans a été reproduit dans les pays conquis, réservant aux peuples colonisés une place comparable à celle d’un troupeau dompté : à l’instar des moutons de bergers qui leur donnent le lait et la laine en échange des soins qu’ils prodiguent, le peuple esclave a du renoncer à leurs propres produits, les réservant aux Turcs en échange d’une protection. Aujourd’hui, l’expression française ‘j’ai travaillé comme un nègre’ constituerait l’équivalent de l’expression ‘Δούλεψα σαν ραγιάς’ en grec qui signifie celui qui travaille très durement, comme un esclave.
4 Grande famille grecque, originaire du Magne, qui a donné plusieurs politiciens et militaires. C. Castoriadis fait ici référence au rôle joué par les membres de cette famille pendant la Révolution de 1821, et notamment de Petrobey Mavromichalis (1765-1848), le dernier chef (bey) du Magne, représentant typique de l’autoritarisme et de l’esprit régionaliste évoqué ici : Il s’est opposé aux tentatives du premier gouverneur grec, Ioannis Kapodistrias (1776-1831) pour instaurer un Etat centralisé et lutter contre les clans et les factions, par le refus des impôts et l’organisation d’une révolte au nom de l’autonomie administrative traditionnelle de Magne sous l’Empire ottoman. Suite à l’échec du soulèvement du Magne, Mavromichalis fut emprisonné en 1830 ce qui entraîna l’assassinat du Gouverneur par un de ses fils (Georges Mavromichalis) et son frère (Constantin Mavromichalis) l’année suivante.
5 Ioannis Kolettis (1773-1947) et Theodoros Deligiannis (1820-1905) hommes politiques et hommes d’Etat grecs, réputé pour leur corruption et leur népotisme. Le second a été l’opposant principal de Charilaos Trikoupis (1832-1896), un des premiers représentants du courant « moderniste » et pro-occidental.
6 Il s’agit du mouvement inspiré par l’homme politique libéral et modernisateur, Elefthérios Venizélos (1864-1936) – qui a assumé plusieurs mandats comme premier ministre - et de son parti, Le Parti des Libéraux. Le père de C. Castoriadis appartenait au mouvement venizélien. Il distingue ici la première phase du mouvement, ayant probablement en tête les premières réformes (établissement d’une sorte d’Etat social, etc.) de la seconde, à partir de l’éclatement de la Première Guerre mondiale, vers une politique nationaliste et impérialiste, accompagnée par les mesures prises en 1929 contre le mouvement syndicaliste et les militants de gauche et anarchistes en général.
7 Néologisme qui se base sur le mot « PASOK », le nom de l’équivalent grec du PS. Il s’agit du parti fondé en 1974 par Andreas Papandreou (1919-1996), le père du premier ministre en place, George Papandreou. Se réclamant d’une idéologie social-démocrate / tiers-mondiste et nationaliste, il a accédé au pouvoir en 1981 et règne depuis presque 25 ans (1981-1989, 1993-2004, 2009-2011). Pendant toute cette période son appareil a imprégné l’Etat grec, en diffusant une culture de corruption qui se présentait comme une sorte de redistribution de la richesse d’inspiration social-démocrate qui aurait eu comme but d’intégrer au système social toutes les couches qui en auraient été exclues sous le régime autoritaire de droite établi à partir de la fin de la Guerre Civile, en 1949.
8 Sur ce côté peu connu de l’histoire de la Grèce moderne, on peut consulter les excellentes mémoires de Spyros Stinas, l’ancien camarade de C. Castoriadis : A. Stinas, Mémoires. Un révolutionnaire dans la Grèce du XXe siècle, Paris, La Brèche-PEC, 1990.
9 Slogan du camp royaliste lors du « Schisme national » de 1916. Le pays fut alors divisé en deux suite au désaccord entre Venizélos, alors Premier ministre, et le roi Constantin I, beau-frère du kaiser Guillaume II, à propos du camp que devait choisir la Grèce lors de la Première Guerre mondiale. Les vénizéliens, côté britannique et pour l’alliance avec l’Entente, contrôlaient le nord du pays plus la Crète, les royalistes, proche des allemands et pour la neutralité, le sud. Afin de faire pression sur le roi, les forces franco-britanniques ont imposé un blocus naval à Athènes, condamnant la population de la ville à la famine. C’est précisément à ce moment que les royalistes lancèrent le slogan en question : « Même si on ne vit qu’en ne mangeant que des olives, nous continuerons d’aimer Constantin ».
10 Castoriadis fait ici usage du terme ‘ρωμέικο’ pour dire ’grec’ alors qu’il aurait pu employer le terme moderne ελληνικό <έλληνας utilisé puis le déclin de l’empire ottoman et l’éclatement de ses provinces, et qui dénote clairement un caractère national. Le terme ‘ρωμιός’ était utilisé par les grecs eux-mêmes pour inclure tous les citoyens libres de l’empire romain tandis que ce dernier se christianisait.
11 Iannis Xenakis (1922-2001) : le fameux compositeur et architecte.
12 Kostas Axelos (1924-2010) : philosophe grec, qui a écrit essentiellement en français. Ami de Heidegger et représentent du courant heideggero-marxiste. Né à Athènes, il est venu à Paris à la même occasion que Castoriadis, en adoptant une bourse par l’Institut Français d’Athènes en 1945, en embarquant, à l’instar de celui-ci, sur le fameux bateau Mataroa.
13 En Français dans le texte.
14 Dictateurs, membres du régime des Colonels (1967-1974).
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