Première phase : 17 décembre - 6 janvier
Violentes émeutes en province
- Le 17 décembre, à Sidi Bouzid, un jeune marchand ambulant, Mohamed Bouazizi, se voit saisir sa marchandise et molester par des policiers municipaux. Il s’immole par le feu. Il est transféré au service des grands brûlés à Ben Arous, près de Tunis. Le lendemain, la marche d’indignation des habitants de Sidi Bouzid est réprimée à coups de bombes lacrymogènes. Des affrontements éclatent dans toute la ville, avec barricades et voitures brûlées. Plusieurs dizaines d’arrestations ont lieu.
- Jusqu’à début janvier, les manifestations s’étendent un peu partout en province : Bouziane, Kasserine, Bizerte. Les gens et beaucoup de jeunes s’en prennent aux commissariats, aux véhicules de la Garde nationale, aux banques, aux sièges locaux du RCD, aux commerces réputés appartenir aux membres du clan Trabelsi-Ben Ali. Les manifestants réclament plus de dignité, dénoncent le chômage et la hausse des prix. Au fil des manifestations, ils dénoncent de plus en plus la politique sociale et économique de Ben Ali, le non-respect des libertés élémentaires et la corruption du pouvoir et de l’administration.
- Le pouvoir répond par une répression violente : arrestations, torture, tirs à balles réelles. Il tente de minimiser le geste de Bouazizi (« un acte isolé »), dénonce une « instrumentalisation politique » par « une minorité d’extrémistes et d’agitateurs à la solde d’autrui » (Ben Ali, le 28/12), annonce des mesures sociales : déblocage de 15 millions DT pour la région de Sidi Bouzid (le Ministre du Développement, le 23/12). Cela ne suffisant pas, Ben Ali commence à limoger des « fusibles » : le ministre de la Communication (29/12), le gouverneur de la région de Sidi Bouzid (30/12). La soeur de Bouazizi refuse les 100.000 DT que le pouvoir propose à sa famille, affirmant à la télévision que c’est l’équivalent « d’un simple hors-d’oeuvre de Ben Ali ». Le 23 décembre, plusieurs centaines de personnes (militants syndicaux et politiques) se rassemblent devant le siège de l’ UGTT à Tunis pour demander le « droit de travailler », la « libération des prisonniers de Sidi Bouzid » et dénoncer la corruption du pouvoir et sont durement réprimés. Le 27, manifestation de chômeurs diplômés à Tunis, brutalement dispersés par la police.
- Le 4 janvier, Mohamed Bouazizi décède de ses blessures.
Seconde phase : 6 - 14 janvier
Vers la chute du régime
- Le 6 janvier, les avocats manifestent contre la répression policière et pour l’Etat de droit. C’est le début de la mobilisation des classes aisées (médecins, intellectuels, …), dont les manifestations sont violemment dispersées. L’armée est déployée dans tout le pays.
- Le 7, l’ambassadeur de Tunisie à Washington est convoqué.
- 7-9 janvier. Emeutes sanglantes à Kasserine, Thala et Regueb. Des snipers de la police tirent dans la foule avec des silencieux, faisant plusieurs dizaines de morts. C’est le point de non-retour pour tous les Tunisiens.
- Le 10, Ben Ali dénonce des « actes terroristes » perpétrés par des « voyous cagoulés » et des « éléments étrangers » et promet la création de 300 000 emplois supplémentaires d’ici 2012, la liberté de la presse et la libération des personnes arrêtées lors des émeutes. Il limoge le ministre de l’Intérieur et le chef de l’état-major militaire Rachid Amar, qui aurait refusé de tirer sur les manifestants.
- Le 11, les lycées et universités sont fermés par décret. Les étudiants se mobilisent. Ils protestent notamment contre la confiscation par les milieux proches du pouvoir des rares emplois proposés aux jeunes diplômés à la fin de leurs études. Les quartiers populaires se mobilisent à leur tour (cité Ettadhamen, Intilaka) et convergent vers l’avenue Bourguiba.
- Le 12, ces heurts se poursuivent. Grève générale des travailleurs de Sfax, encouragée par la bourgeoisie locale. L’état de siège est décrété dans Tunis. L’armée prend position autour des bâtiments publics. Un couvre-feu nocturne est instauré et Alliot-Marie, ministre français des Affaires étrangères, propose « le savoir-faire de nos forces de sécurité ».
- Le 13 au soir, Ben Ali intervient à la télévision en arabe dialectal et promet l’arrêt des violences policières, la liberté de la presse, et son départ pour 2014. ses « partisans » défilent le soir dans les rues de la capitale.
- Le 14, une manifestation historique a lieu sur l’avenue Bourguiba. L’UGTT appelle pour la première fois à une grève générale de quelques heures et se prononce « contre la violence, d’où qu’elle vienne ». Des heurts ont lieu avec la police dans l’après-midi : quatre morts. Ben Ali annonce le limogeage de tout le gouvernement et des élections anticipées. Durant la manifestation, des blindés encerclent le palais présidentiel. Ben Ali comprend le message de l’armée soutenue par la diplomatie américaine, et s’enfuit. Son premier ministre, Mohamed Ghannouchi, assure l’intérim. Au nom du respect de la Constitution, il est remplacé dans les heures qui suivent par Foued Mebazaa, président du Parlement. Ghannouchi redevient Premier ministre.
- Le soir et les jours suivants, les miliciens de Ben Ali, cagoulés, habillés en policiers ou en civil, sortent des gens des maisons, tabassent, violent. La population s’organise en comités de surveillance, tandis que l’armée s’efforce de la protéger en arrêtant les véhicules suspects et en abattant les francs-tireurs. L’UGTT appelle à la distribution des armes à la population.
Troisième phase : 17 - 28 janvier
Ghannouchi I contre Kasbah I
- Le 17, un nouveau gouvernement est constitué, avec d’anciens ministres aux postes-clés. L’UGTT et les partis d’opposition légale (PDP, FDTL et Ettajdid l’ex-PC) acceptent d’y participer.
- Le 18, la population manifeste contre ce nouveau pouvoir à Tunis et dans d’autres villes. La police réprime violemment ces manifestations. Sous la pression, les ministres de l’UGTT et de l’opposition légale démissionnent. Ghannouchi et Foued Mebazaa quittent le RCD et promettent « une rupture totale avec le passé ».
- Le 20, Ghannouchi annonce que l’Etat va se séparer du RCD et prendre possession de ses biens. Le « Front du 14 janvier » est créé à l’instigation de partis de gauche qui se sont réunis partout dans le pays en « comité révolutionnaires ».
- Le 23, une caravane d’habitants de Sidi Bouzid rejoint la place de la Kasbah à Tunis et les manifestants contre le maintien au pouvoir des anciens ministres de Ben Ali. Le général Amar intervient au milieu des manifestants et demande que « cette place se vide, pour que le gouvernement travaille, ce gouvernement ou un autre. »
- Des centaines de personnes se mettent à assiéger les bâtiments publics, les ministères. Des responsables sont attaqués. Des portraits de Ben Ali sont jetés par les fenêtres des ministères. Même certains policiers manifestent contre le nouveau pouvoir. Dans les journaux, des comités de rédaction remplacent les anciens directeurs aux ordres.
- Le 27, un remaniement ministériel a lieu. Les ministres RCD démissionnent. Ghannouchi fait appel à Hakim El Karoui, homme d’affaires tunisien vivant en France, ancien conseiller technique du Premier ministre Raffarin. Karoui fait venir de France des Tunisiens, patrons, banquiers, universitaires, qui entrent au gouvernement. Les partis de l’opposition reviennent également.
- Le 28, la place de la Kasbah est évacuée par la force.
Quatrième phase : 29 janvier – 27 février
Ghannouchi II contre Kasbah II
- Le 31 janvier, une manifestation s’attaque au ministère de l’Intérieur, réclamant le départ de tous les fonctionnaires compromis sous la dictature, forçant le ministre lui-même à s’enfuir du bâtiment. La police donne l’assaut violemment. De hauts fonctionnaires sont suspendus, notamment dans la police. Les gouverneurs des vingt-quatre provinces sont tous remplacés par d’autres, parmi lesquels dix-neuf proviennent du RCD. Plusieurs d’entre eux sont à leur tour chassés par les manifestants.
- Dans les premiers jours de février, dans plusieurs villes du pays, des manifestants s’en prennent aux commissariats, aux sous-préfectures. Parallèlement, des grèves éclatent, notamment dans les mines de phosphate de Gafsa. Des ministères et des sièges d’entreprises sont occupés. A Tunis, des manifestations viennent réclamer du travail, des aides. Les grévistes revendiquent des augmentations de salaire.
- Le 6, le RCD est suspendu en vue d’une dissolution. Le Parlement accepte que le gouvernement use de décrets-lois sans en passer par des votes à l’Assemblée, toujours dominée par les élus RCD.
- Le 18, une « Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique » (organe purement consultatif) est créée. Le 20, des jeunes de plusieurs villes de province (notamment Kasserine, Sidi Bouzid, Gafsa et Bizerte), sous l’égide d’un « comité d’organisation » entament un sit-in place de la Casbah en réclamant la chute du gouvernement, la dissolution du RCD, de la Chambre des députés, celle des conseillers et aussi du système de la police politique, la mise en place d’une Assemblée constituante.
- Le 27 février, ils obtiennent la démission de Ghannouchi, et d’une partie du gouvernement. Béji Caïd Essebsi devient Premier ministre.
- Parallèlement à Kasbah II, à la Menzah, quartier résidentiel de Tunis, tous les soirs, des centaines de Tunisois se réunissent pour soutenir Ghannouchi contre la « dictature » de la Kasbah. Partisans d’une « transition douce », ils voient dans la Kasbah une manipulation d’Abdessalam Jrad, président de l’UGTT, et de Hamma Hammami, secrétaire général du POCT.
Vers les élections du 24 juillet
- Le 3 mars, Fouad Mebazaa annonce l’organisation d’élections le 24 juillet pour former un conseil représentatif chargé d’amender la Constitution.
- Le 4, Kasbah II lève le camp. Le pays retrouve un rythme normal : tous les établissements, entreprises et administrations rouvrent.
- Le 9, sur décision judiciaire, le RCD est dissous et ses biens liquidés.
- Le 15, Foued Mebazaa s’engage à poursuivre sa tâche de président par intérim au-delà de l’expiration du mandat légal.
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