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c) Le Proche et le Moyen Orient de 1945 à 1979.
Ce qui sort de la guerre est visiblement instable. Assez symboliquement les trois alliés, Etats-Unis, Angleterre, URSS avaient tenu une conférence à Téhéran en 1943. C’était la première et dernière fois que Staline acceptait de sortir des frontières de l’Union.Tous les trois voulaient montrer, entre autres, que toute cette région leur était soumise, même s’ils s’étaient prononcés officiellement pour son indépendance. Il n’était certainement pas question d’abandonner le contrôle des sources de pétrole.
Pourtant partout commencent à se faire jour ouvertement des mouvements d’opposition aux pouvoirs en place. Pour l’essentiel, ils visent derrière eux la puissance dominante : c’est-à-dire l’Angleterre. Mais celle-ci n’est plus ce qu’elle était. Elle a peut être gagné la guerre contre l’Allemagne, mais le véritable vainqueur est ailleurs : à New York. On peut dire que ces mouvements se trompent de cible. Quoi qu’il en soit, on aurait pu penser qu’allait se dérouler un processus de décolonisation classique, avec ou sans conflits. Mais le Proche Orient ne serait pas conforme à sa tradition si les choses y étaient simples. Et la complication va être une conséquence inattendue de la politique de Hitler : la création de l’état d’Israël.
Pour parler de cette question il faut revenir plus en détail sur le cas de la Palestine en général et remonter avant la guerre. Nous avons vu que l’Angleterre s’était réservé le mandat sur ce pays et avait accepté la création d’un foyer juif. Au début les immigrants sionistes sont peu nombreux et, même, dans les années 1926-1928, il y a excédent de redéparts de Palestine. Les juifs de Pologne préfèrent alors s’établir en Europe occidentale ou aux Etats-Unis. L’établissement de colonies juives en Palestine n’est pas vue d’un mauvais oeil par les habitants, peut être même au contraire, car les immigrants, en général des cultivateurs, y amènent des progrès dont il peuvent s’inspirer et profiter. Mais en 1929, sans doute inquiète de la baisse de l’immigration, l’Agence Juive Internationale s’agrandit pour inclure des sympathisants non-sionistes, et ainsi accroître son influence et ses revenus. En 1930, les Anglais, conformément à leur politique de bascule, annoncent qu’ils donneront la priorité aux intérêts arabes locaux sur ceux des sionistes. Ceux-ci contre-attaquent et obtiennent l’abandon de cette politique. En 1933, l’immigration monte brutalement à cause des persécutions hitlériennes. 130.000 juifs, qui ne venaient d’ailleurs pas d’Allemagne, entrent dans le pays. En 1935, les Arabes commencent à manifester. Les Anglais proposent de créer une sorte de conseil gouvernemental de 28 membres dont 14 musulmans et 8 juifs. Les musulmans sont fortement sousreprésentés, mais prêts à accepter la proposition que les sionistes refusent car elle viendrait à soumettre l’immigration au diktat arabe. Le parlement anglais rejette ce projet, conservateurs et travaillistes le condamnant comme antisioniste. Poussés par le grand mufti de Jérusalem, les partis arabes appellent la population à une grève générale en avril 1936 qui dure six mois et ne s’arrête qu’à la demande ... des chefs des autres pays arabes. Entre temps cette grève avait déclenché un véritable soulèvement national. En 1937 une commission royale britannique déclare le maintien du mandat impossible et propose ... une partition du pays avec expulsion forcée des arabes d’une partie des terres destinées à l’état juif. Finalement personne n’en veut. En 1939, le gouvernement anglais publie un livre blanc par lequel il veut mettre fin à l’immigration juive. Les sionistes y voient un retournement de politique. C’en est fini de la bonne entente avec la Grande Bretagne. Le nombre de juifs dans le pays est alors de 450.000 personnes.
Pendant la guerre, les sionistes mettent un peu une sourdine à leur opposition aux Anglais et au contraire les aident, mais dès 1944, ils recourent aux attentats terroristes et assassinent lord Moyne au Caire. Ils peuvent mettre sur pied une véritable armée car ils bénéficient d’une industrie d’armement mise en place, avec le concours des Anglais !, pendant la guerre. En 1945, l’Angleterre reprend son projet de partition, mais les sionistes s’y opposent. Les attentats se multiplient contre les Britanniques.
La situation leur échappe. Il y a d’abord l’immigration clandestine. Bien des juifs qui avaient pu échapper aux massacres hitlériens voient, et on les comprend, en la terre de Palestine un refuge où enfin ils pourront s’arrêter. En 1946, le nombre de juifs atteint presque 700.000. Il y a ensuite l’arrivée d’un nouveau protagoniste : les Nations Unies qui proposent une partition accordant 55% du pays aux juifs. Les sionistes acceptent, mais les arabes refusent soutenus par les chefs d’états arabes. La guerre éclate. Dans un premier stade, où seuls les habitants de la Palestine sont en cause, les sionistes prennent par surprise un grand nombre de villes, et mènent une politique d’expulsion des habitants arabes en propageant des fausses nouvelles et en faisant une sorte d’Oradour sur Glane à Deir Yasin.Telle est l’origine du grand nombre de réfugiés palestiniens qui croupissent plus ou moins dans des camps au Liban et ailleurs. Les états arabes sont obligés d’intervenir. Ils le font le jour de la fin du mandat britannique qui coïncide avec la déclaration de fondation de l’état d’Israël (15 mai 1948). Ils sont battus à plates coutures par une armée israélienne qui se montre supérieure dans la guerre de mouvement . Celle-ci n’est bloquée qu’au voisinage de Jérusalem, par la Légion Arabe de Jordanie. Les Nations Unies envoient Bernadotte négocier un cessez le feu qui n’est pas observé. Au bout les Israéliens ont occupé le territoire que leur proposait la partition, plus une partie importante de la Samarie et de la Judée, et ils tiennent l’ouest de Jérusalem. Il est remarquable que l’URSS soit le premier pays à reconnaître de jure le nouvel état, dès le 16 mai mais que les Etats-Unis le reconnaissent de facto dès le 17. En fait, tous essaient de se positionner sur la place laissée vide par la Grande Bretagne. Mais rapidement les Russes, qui viennent pourtant d’aider les Israéliens à s’armer, verront qu’ils ne peuvent rien en faire et que ceux-ci vont déjà vers les Américains. Ils se retourneront vers les états arabes. La création d’Israël a de toute façon une conséquence importante : le départ des juifs de tous les états musulmans ou presque. Une bonne partie d’entre eux vont rejoindre l’ex-Palestine et renforcer le pays.
Depuis lors toute l’histoire d’Israël est comme masquée par ses relations avec les pays arabes. En 1956, Nasser nationalise le canal de Suez. C’est le prétexte pour une opération militaire des Israéliens, des Français et des Anglais, sans que l’on puisse savoir s’il y a vraiment collusion entre les premiers et les autres. En fait les Israéliens profitent de ce que l’attention mondiale est fixée sur la Hongrie où se déroule le début de la Commune de Budapest pour attaquer avec succès l’Egypte. Les Français et les Anglais suivent peu après, et les Russes profiteront à leur tour du détournement de l’attention vers l’Egypte pour réduire les Hongrois. Le débarquement franco-anglais s’est fait contre une décision de l’Assemblée des Nations Unies et contre l’avis des Américains. Les Anglais ont même usé de leur droit de veto contre eux au Conseil de Sécurité. Sans doute est-ce là la dernière manifestation d’indépendance du capital anglais face au capital américain. Les Etats-Unis et l’URSS forcent les franco-anglais à se retirer et les Israéliens à revenir sur leurs bases de départ. Ceux-ci y gagnent cependant la liberté de naviguer dans le golfe d’Akaba ce qui leur permet de poursuivre leur expansion politique et économique en Afrique.
Israël continue sa vie tant bien que mal. Le pays se modernise passablement, mais le côté pionnier des premiers arrivants, souvent à idéologie socialiste, s’estompe devant les nécessités de l’état moderne. L’unité interne s’effectue grâce à la menace des arabes qui l’entourent. Paradoxalement, ce sont les dirigeants arabes qui, en utilisant l’existence de l’état israélien comme ciment théorique entre leurs divers pays, réalisent du même coup la fusion des Israéliens eux-mêmes, pourtant formés de l’agglomération d’immigrants venus de tous les coins du monde et des sabras nés sur place et que rien n’unit a priori. De plus leur propagande ne parle rien moins que d’exterminer les juifs et a des forts relents d’antisémitisme à la nazi. Elle remue nécessairement les juifs de la diaspora qui mettent la main à la poche pour financer Eretz Israël . Ici encore le résultat est le contraire de ce qui est attendu. En 1967, la cohésion interne d’Israël est mise à mal par une forte crise économique. La croissance du PNB est tombée de 10% à moins de 1% et le chômage s’accroît aussi à cause de la modernisation de l’industrie et de la montée de la productivité. S’il y a un cas où la théorie qui fait de la guerre un moyen d’échapper à la crise est valable c’est bien ici. La décision de Nasser en 1967 de fermer le golfe d’Akaba n’est pas accueillie avec des cris de joie par Israël, et moins encore par la diaspora qui voit renaître les menaces d’anéantissement. Et pourtant elle va résoudre nombre de problèmes. Elle déclenche la guerre dite des six jours pendant lesquels l’armée israélienne, Tsahal, va créer sa légende d’invincibilité, occuper les hauteurs du Golan syrien, l’ensemble de l’ancienne Cisjordanie, la bande de Gaza, le Sinaï, et s’installer sur les bords du canal de Suez, où la navigation va cesser pour de nombreuses années.
A partir de cette date, Israël, qui d’une certaine manière a atteint ce qu’on aurait appelé autrefois ses frontières naturelles, continue de vivre dans la paix armée. Si d’un côté il doit lutter contre les incursion de guérilleros, d’un autre il utilise les arabes des territoires occupés comme main d’oeuvre à bon marché. Le sentiment de supériorité s’enracine profondément dans la population, ce qui contribue à faire disparaître les dernières traces de la diaspora dans la mentalité. Une véritable nation est née.
En 1973, les Egyptiens sous les ordres de Sadate franchissent le canal et enfoncent les premières lignes israéliennes le jour de Yom Kippour. Le choix de ce jour est révélateur de l’évolution d’Israël devenu nettement un état confessionnel, et du sentiment de supériorité de l’armée qui a passablement négligé la surveillance. Les Syriens s’en mêlent et commencent à attaquer le Golan. Les arabes attaquent avec 5000 tanks, plus que ce que Hitler avait pu mettre en route pendant la seconde guerre mondiale. La réaction israélienne est assez lente à se manifester, mais, en quelques quarante huit heures, s’organise et stoppe l’offensive. Puis elle commence par régler le sort des Syriens avant de percer le front égyptien et de foncer sur le Caire. Quand les troupes israéliennes s’arrêtent, sous la pression diplomatique des Etats-Unis et de l’URSS, elles sont à trente kilomètres de Damas et à soixante du Caire. Ce fut cependant une victoire à la Pyrrhus, car Israël se retrouve isolé sur la scène diplomatique internationale. Mais ce n’est pas plus une victoire réelle pour les nations arabes. Elles ont été une fois de plus vaincues, elles se sont inféodées à l’URSS sans que celle-ci puisse les aider à sortir de leur marasme. Il faudra bien qu’elles finissent par en tirer un jour les conclusions. Le premier à le faire sera Sadate qui, en novembre 1977, se rend en Israël. Les conversations de paix commencent entre les deux pays. Bien entendu ce sont les Etats-Unis qui sont derrière, et ces conversations montrent que sonne déjà le glas de l’influence soviétique dans le Moyen orient et que l’Amérique est en train de gagner. Elles se déroulent sous l’égide de Carter qui, pour la première fois, fait allusion à la nécessité de “donner une patrie au peuple palestinien qui a tant souffert”. Joli scandale en Israël qui s’ajoute à un autre plus classique de corruption et de trafic, où les dirigeants travaillistes sont mouillés jusqu’au cou. Le parti travailliste perd les élections de mai et doit abandonner le pouvoir qu’il détient depuis la création de l’état. Le Likoud, dirigé par Begin, vient au pouvoir. Il le fait dans une situation délicate d’autant plus qu’au mois de janvier suivant le shah d’Iran doit quitter Téhéran. Les discussions avec les Egyptiens traînent en longueur. Mais finalement Israël abandonne le Sinaï. A partir de cette période Israël se débat dans des difficultés économiques importantes et continue de refuser tout accord sur le problème palestinien. En particulier, l’accord avec Sadate prévoyait une certaine autonomie interne des territoires occupés que Begin se refuse à mettre en place. Le général Dayan, le vainqueur des deux guerres, démissionne du gouvernement pour protester contre cette décision qu’il estime imbécile. Le gouvernement, quant à lui, oscille perpétuellement entre l’interdiction et l’encouragement aux installations de colons juifs dans les territoires occupés.
Mais avant d’en venir à cette période très récente, revenons aux pays arabes à la fin de la guerre. Certains d’entre eux (Egypte, Arabie Saoudite, Liban, Syrie, Jordanie, Irak et Yemen) se sont en principe unis par un pacte signé au Caire le 22 mars 1945 qui crée la Ligue Arabe. En théorie elle n’a rien de religieux, s’appuie sur la culture et la langue arabes, et prévoit des modes de règlement pour des conflits entre états arabes. Aux huit fondateurs viendront ultérieurement se joindre la Libye, le Soudan, la Tunisie, le Maroc, l’Algérie et les Palestiniens de l’OLP. Cette belle unité ne résistera pas aux divers aléas de politiques guidées par autant de nécessités locales.
Pour l’instant il reste toujours à liquider les séquelles de l’ancienne domination britannique et ceci va se faire avec pas mal de soubresauts. Au début, les choses semblent vouloir se calmer quelque peu.
Ainsi en Egypte, le sort du canal de Suez est apparemment réglé par une renégociation des accords avec la compagnie, la concession devant cesser en 1968. En 1950 le roi Farouk doit appeler au pouvoir le dirigeant du Wafd, Nahas Pacha. Celui-ci se montre tout à fait incapable de résoudre les problèmes sociaux encore aggravés par la poussée démographique. Il cherche à dévier la colère populaire dans la haine contre les Anglais et la volonté d’annexer le Soudan. Il encourage des opérations de guérilla contre les troupes anglaises qui sont sur le canal. Mal lui en prend, tout cela entraîne des mouvements populaires profonds qui se terminent par un soulèvement au Caire au cours duquel 400 immeubles appartenant à des étrangers sont détruits. L’armée réprime avec brutalité, mais c’en est fait de Farouk et du Wafd. Un certain Nasser s’assure du contrôle de la capitale (1952). Une junte militaire prend le pouvoir et nomme le général Naguib à sa tête. En, 1953, l’Egypte devient république. Nasser prend définitivement le pouvoir en 1954. Il négocie le départ des Anglais qui, entre temps ont déclaré le Soudan indépendant. Nasser et les officiers de sa junte sont des nationalistes convaincus qui veulent sortir l’Egypte de son retard plus que séculaire. Ils veulent lutter contre la corruption et améliorer le niveau de vie du peuple. Programme évidemment irréalisable. La natalité galopante rend pratiquement illusoire tout bénéfice de la montée de la productivité agricole. De plus l’Egypte n’a pas de pétrole. Ses devises proviennent de la vente des agrumes et surtout du coton. Celui-ci ne fait plus prime sur le marché, maintenant conquis par les Américains. Nasser veut alors construire la digue d’Assouan pour fournir l’énergie électrique, et compte pour cela sur des prêts français, anglais et américains. Mais Nasser, à l’image de l’Angleterre, avait inauguré une politique de bascule et amorcé un rapprochement avec l’URSS et même favorisé le développement d’un parti communiste autochtone (qui ne contient plus maintenant de juifs pour une raison évidente). Le secrétaire d’état Foster Dulles, grand partisan de la politique de roll back, décide de ne rien accorder (il semble qu’il y ait eu aussi des pressions israéliennes). Comme je l’ai rappelé plus haut à propos d’Israël, Nasser nationalise le canal de Suez en 1956. Dans l’euphorie panarabe qui suit l’échec de l’expédition franco-britannique, la Syrie crée avec l’Egypte la République Arabe Unie (1958), beau programme s’il en fut et qui devait durer.... trois ans. L’Egypte continuera pourtant d’utiliser ce nom jusqu’en 1971. Nasser joue alors nettement la collaboration avec l’URSS dont il espère la modernisation du pays. Il adopte pas mal de mesures “socialistes”, nationalise le commerce extérieur, et une grande partie de l’industrie, cherche à résoudre le problème agricole par une redistribution de la terre, et en particulier des hectares créés grâce au barrage d’Assouan. En fait l’URSS se montre parfaitement incapable de l’aider vraiment. La seule chose qu’elle peut faire, parce que c’est la seule qu’elle sache faire, c’est fournir de l’armement classique.
La Syrie avait de son côté connu quelques aléas pour sortir de la protection française, mais contrairement aux autres pays du Proche Orient elle y avait été aidée par ... les Anglais. En 1951 l’Angleterre, la France, la Turquie et les Etats-Unis avaient voulu faire une sorte de pacte militaire avec les Etats de la Ligue Arabe. Inutile de dire que ça n’avait guère soulevé l’enthousiasme des populations, et les dirigeants qui y avaient songé furent obligés de revenir en arrière voire de démissionner. Ce fut le cas en Syrie et cette démission ouvrit la voie à la fusion avec l’Egypte et au resserrement des liens avec l’URSS. En Irak, devenu royaume, l’entourage du monarque, (le roi est encore mineur), reste attaché aux Anglais. Il n’est guère enclin aux réformes, ni à l’évolution vers un quelconque modernisme et s’oppose à toute démocratisation. Cependant les revenus du pétrole finissent quand même par influer sur la structure du pays et donc à pousser vers une évolution. Le jeune roi Fayçal II monte sur le trône en 1953, mais la transformation va venir d’ailleurs : de la création de la République Arabe Unie. Cette création avait déterminé en Irak un mouvement qui aboutit au renversement de la monarchie (1956) et au rapprochement avec l’Egypte et l’URSS, à la proclamation d’une loi agraire révolutionnaire, etc. mais déboucha rapidement sur la dictature du général Kassem, devenu antinassérien , anticommuniste, etc., etc qui, lui, s’empressa de revendiquer ... le Koweit. Kassem fut à son tour renversé en 1963 par un coup d’état du Baath irakien. Celui-ci se dépêcha de se fâcher avec son homologue syrien qui venait lui aussi de prendre le pouvoir. Les coups d’état et les révolutions de palais se succèdent alors dans les deux pays. En Irak ils aboutissent à la prise du pouvoir par le général Hasan Bakr (1968) toujours en principe baathiste et socialiste, qui cherche à mener au début une politique d’apaisement, accordant une certaine autonomie interne aux Kurdes (on pense aux politiques des nationalités staliniennes), tout en continuant de s’opposer aux Syriens. En 1972 il nationalise l’Irak Petroleum Company, la compagnie anglaise, se brouille de plus en plus avec les Etats-Unis et se rapproche de l’URSS et... de la France. Mais entre temps, le Baath syrien avait continué de se déchirer. La victoire de son aile gauche en février 1966 qui se traduit par un soutien accru aux Palestiniens, joue un rôle pour lancer la guerre des six jours, à laquelle l’Irak se garde bien de participer (1967). En septembre 1970, la Syrie a la malencontreuse idée d’intervenir auprès des guérilleros palestiniens que Hussein de Jordanie est en train d’écraser. Elle est obligée de retirer ses chars sous la pression des Russes. La population syrienne proteste contre cet abandon, demande le départ du général Hafez el Assad, ministre de la défense, un baathiste du centre, lequel se dépêche...de renverser l’aile gauche du Baath et de prendre le pouvoir (octobre 1970). Depuis Hafez el Assad règne en maître sur le pays. Originaire d’une petite secte locale, les allaouites, en principe chiite mais particulière avec des rites secrets, il règne sur le pays, par une dictature implacable, mais, dit-on, “intelligente”, c’est-à-dire efficace. Il lui a imposé une constitution athée, a continué le rapprochement avec l’URSS, puis a participé à la guerre du Kippour en 1973. Depuis il s’est rapproché des Américains, s’est offert le Liban, avec leur permission et celle d’Israël avec lequel il mène dans la réalité une politique de coexistence musclée.
En Irak, la situation s’est calmée, si l’on peut dire. Le contentieux avec la Syrie reste important mais sous la pression des autres pays arabes, il a tendance à se régler, au moins jusqu’en juillet 1979 ou Bakr se retire, officiellement pour mauvaise santé, et est remplacé par Saddam Hussein qui tirait depuis longtemps les ficelles. Celui-ci se livre à pas mal de purges, s’entoure de gens originaires de sa ville natale, Takrit, et commence à construire systématiquement son armée. Il reprend la politique hostile à la Syrie et ne fait rien pour diminuer les tensions avec l’Iran et le Koweit, avec le résultat que l’on sait.
Venons en maintenant à la Jordanie. Elle fut tout d’abord placée sous mandat britannique, mais avec une grande autonomie interne et ne devint officiellement monarchie indépendante qu’en 1946, l’émir Abd Allah prenant le titre de roi. Les Anglais avaient aidé à la création à l’armement et à l’entraînement de la plus forte armée du Proche Orient de l’époque : la Légion arabe commandée par un certain Glubb pacha. Cette armée prit part à la première guerre israélo-arabe avec un relatif succès comme nous l’avons vu, et en profita pour occuper la Cisjordanie, que le roi annexa la sachant beaucoup plus fertile et beaucoup plus riche que le reste de son royaume qui est pratiquement un désert. Abd Allah fut assassiné en 1951 à Jérusalem, et après un interrègne, son fils Husayn lui succéda. Il est toujours sur le trône, ayant fait une remarquable démonstration d’équilibrisme. Il mena d’abord une politique ouvertement pro-occidentale mais fut obligé par la rue de se séparer du sinistre Glubb pacha (1956) puis de renvoyer les garnisons anglaises qui existaient encore dans le pays (1958) ! S’alliant d’abord avec l’Egypte, il renversa cette alliance lors de la création de la République Arabe Unie pour se rapprocher de l’Irak, encore royaume hachémite à l’époque (1958). Cela ne dura guère comme on l’a vu plus haut. La situation intérieure se dégrada passablement, surtout à cause des Palestiniens qui occupaient certaines bases d’où ils lançaient des raids contre Israël, mais aussi à cause de l’action d’une version locale du Baath. Après la guerre des six jours de 1967, à laquelle il participa à reculons, il perdit la Cisjordanie, ce qui n’améliora pas la situation économique tout en aggravant les tensions avec les Palestiniens réfugiés. En 1969 il nomma un gouvernement à poigne, et en septembre 1970 partit réduire les groupes de feddayins comme je l’ai rappelé plus haut. En Octobre 1973, pendant la guerre du Kippour, il se décida à soutenir la Syrie, d’ailleurs en compagnie de l’Irak, y envoya quelques chars mais se garda bien d’attaquer sur le Jourdain. Cela n’améliora pas ses relations avec les Palestiniens qui étaient déjà houleuses et qui le sont toujours. Considéré comme relativement calme, il reçoit des subsides d’à peu près tout le monde et en particulier des Américains. Il continue de louvoyer et a été contraint de changer la loi électorale les partis politiques sont en principe toujours interdits) ce qui eut pour effet d’amener des intégristes et des “gauchistes” au parlement.
Passons maintenant au Liban. Le Liban est une création française. Au siècle dernier, la population d’origine chrétienne (essentiellement maronite) est en expansion démographique. Elle tente d’imposer une sorte de territoire libre et montre même des velléités expansionnistes.Elle va jusqu’à s’allier avec Méhémet Ali mais doit partager sa défaite. En 1860 un soulèvement des Druzes se termine par des massacres de maronites. La France de Napoléon III envoie un corps expéditionnaire, et la souveraineté chrétienne, nominalement vassale des Turcs, est établie. Après la guerre de 1914, la France aide à la création du Grand Liban. Cette création est relativement artificielle, et, dès le début, il y eut des mouvements de musulmans demandant leur rattachement à la Syrie. Les Français mènent une politique de bascule mais néanmoins avec une dominante pro-maronite. Toutefois ils y développent les communications et l’éducation nationale (tout en laissant l’éducation supérieure aux mains des communautés religieuses. L’indépendance sera proclamée par le général Catroux en 1941 et deviendra effective en 1943. Après la guerre, le Liban participe avec réticence, et de fait fort peu, à la guerre israélo-arabe de 48-49. La création du nouvel état se traduit pour lui par la construction de nouveaux pipes lines aboutissant à Tripoli, pour le pétrole de l’Irak, et Saïda (l’ancienne Sidon), pour celui de l’Arabie Saoudite, ce qui joue sûrement un rôle dans la grande prospérité économique que le pays du cèdre va connaître. La situation politique est cependant relativement instable.La constitution est très bizarre à l’image de ce pays hétéroclite. Le président de la république est chrétien, le premier ministre musulman, le parlement élu selon une loi électorale qui favorise les maronites. Les rivalités de personnes, exacerbées par de telles dispositions, se règlent par l’intermédiaire de milices armées et se terminent souvent par des assassinats. En fait tout le monde est divisé, tant les musulmans que les chrétiens. Ces derniers passent pour fascistes et réactionnaires, les premiers seraient progressistes. Evidemment ces caractérisations n’ont guère de sens. Le gouvernement est systématiquement pro-occidental et, en 1958, il fait venir 10.000 soldats américains pour se protéger des...Irakiens qui viennent de renverser la royauté. A la même époque il y a une insurrection armée qui est finalement matée par le nouveau président, le général Chehab, un descendant de l’ancienne famille princière qui avait joué un tel rôle au XIXe. En 1961, un coup d’état qualifié d’extrême droite, mené paraît-il par le Parti Populaire Syrien, échoue. Le pays continue sa vie hectique mais avec une relative prospérité. Les méchantes langues l’attribuent à des trafics divers allant du trafic de drogue (le hachisch d’origine libanaise passait pour le meilleur), à un autre certainement plus juteux : la contrebande de produits interdits à l’exportation entre les Etats-Unis et les pays communistes. Plus sûrement encore, le Liban a servi de passage obligé au commerce entre tout le Proche et Moyen Orient et l’Occident. Il ne faut pas négliger non plus l’activité de la diaspora libanaise, très active et dispersée dans le monde entier, particulièrement en Afrique et en Amérique du Sud, mais aussi aux Etats-Unis et en Europe. La bourgeoisie de Beyrouth est, à l’époque, très fière d’être transconfessionnelle. Mais cette tolérance et cette collaboration réciproque, qui se fondent sur les affaires communes, ne touchent qu’une couche superficielle. Elles sont complètement déconnectées de ce qui se passe dans le fond de la nation et qui va éclater brutalement.
Car le Liban a en son sein un terrible ferment d’instabilité supplémentaire : la présence de réfugiés palestiniens qui, eux aussi, ont leurs milices armées et qui règnent en maîtres sur certaines régions dont ils partent pour faire des coups de main sur Israël. Leur présence sert de prétexte à des interventions répétées des Israéliens dans le sud du pays. Tout cela ne peut qu’accentuer les clivages. Les musulmans se sentent solidaires des Palestiniens et veulent faire entendre leur voix, d’autant plus qu’avec leur natalité plus puissante que celle des chrétiens ils ont la majorité dans le pays. Nombre de leurs leaders, en particulier le Druze Walid Joumblatt, veulent leur part du gâteau. En 1975, commence la guerre civile libanaise, vraisemblablement par un soulèvement des musulmans à Tripoli. On ne peut cependant pas exclure des manoeuvres provocatrices de la part des phalanges de la famille Gemayel. Le président Franjieh essaie bien de mettre sur pied un gouvernement militaire (l’armée est en principe lieu de coexistence pacifique des religions) mais il échoue. La guerre fait rage et des atrocités sont perpétrées par tous les camps. La caractéristique essentielle de cette guerre c’est que, pour la première fois, il y a tentative de regroupement territorial des diverses confessions, pour faire disparaître l’ancienne structure où cohabitaient des gens de fois différentes (avec une religion dominante par région). La bataille se déroule dans Beyrouth même, et la partition de la ville commence. L’Organisation de Libération de la Palestine qui était restée en dehors des combats, (seuls des éléments “incontrôlés” avaient soutenu les musulmans), s’en mêle. Elle s’assure une part de Beyrouth. La “gauche”, entendez les musulmans et, plus particulièrement, les Druzes (Joumblatt a été membre de l’Internationale socialiste) et les Palestiniens, marche sur le palais présidentiel de Baabda et veut s’emparer du président. Elle est stoppée par les … Syriens qui soutiennent maintenant ouvertement la “droite” chrétienne et veulent mettre au pas les Palestiniens. La guerre fait rage. La constitution est modifiée sur un point de détail pour permettre l’élection anticipée du nouveau président qui se fait dans un hôtel sous la protection de l’armée syrienne (déjà). Finalement une sorte de cessez le feu est accepté et la Ligue Arabe, réunie au Caire, envoie une force d’interposition dans le pays. Cependant la rupture est consommée ; l’unité (factice) du Liban vient de voler en éclats.Dans les années qui suivent le président Sarkis tente vainement de ressouder le pays et d’obtenir des prêts substantiels des producteurs de pétrole. La belle prospérité libanaise n’est qu’un souvenir. Le coup de grâce est porté au pays par l’accord égypto-israélien. Celui-ci laisse sur les bras du Liban les effets néfastes de la non solution de la question palestinienne. De fait, on va assister à un renversement des alliances. Les Israéliens accentuent leurs raids dans le sud du pays et finissent même en 1978 par occuper une bande qui va de la côte au mont Hermon. L’entente entre la “droite” chrétienne et les Syriens est rompue et les combats reprennent à Beyrouth. Cette fois les Syriens interviennent contre les chrétiens. Ceux-ci se séparent en deux groupes : ceux qui veulent garder une certaine entente avec les Syriens (le groupe de la famille Franjieh) et ceux qui prennent partie pour les Israéliens (la famille Gémayel). Pour faire bonne mesure, les règlements de compte entre ces deux groupes se multiplient. Le fils de Franjieh est assassiné à Tripoli, vraisemblablement par des phalangistes de Béchir Gémayel. A la fin de l’année 1979 le pays est passablement détruit. Le gouvernement central n’a plus guère qu’un pouvoir nominal. Les Israéliens règnent dans le sud où ils font des incursions régulières contre les Palestiniens et où ils fondent et équipent une armée chrétienne. Les chrétiens, et plus particulièrement les phalangistes, tiennent le réduit chrétien, autour de Jounieh. La Syrie domine une grande partie du reste du pays, surtout depuis que pratiquement tous les autres arabes ont fui ce merdier et ont retiré leurs troupes de la force d’interposition. Les Palestiniens sont eux aussi implantés dans diverses parties. Si en plus on tient compte de la montée de l’ancienne minorité musulmane des chiites, qui est en train de devenir la majorité, on comprendra que tout est prêt pour exploser de nouveau et continuer de détruire un des plus beaux pays du monde, où Aphrodite avait rencontré Adonis, c’est tout dire, et de bousiller ses habitants. La mèche va être allumée par de nombreux artificiers. J’en parlerai plus loin.
Comparés à tous les pays envisagés jusqu’ici l’Arabie saoudite et les émirats donnent l’exemple du calme et de la stabilité. D’abord, la région est désertique, la population essentiellement bédouine, à l’exception de quelques villes, et le problème agraire est tout à fait différent de celui des autres pays arabes. Dans les émirats, après la période des pirates, l’économie s’est organisée autour de la pêche. De plus, ces pays n’ont pas eu à subir directement la domination de l’Angleterre, et donc n’avaient pas le même problème de “décolonisation” que les autres. Ceci explique au moins en partie pourquoi ils n’ont pas vu se développer de mouvements nationalistes à tendance socialisante et ce d’autant plus que les dirigeants maintiennent des régimes islamiques fondamentalistes, en particulier en Arabie. La découverte du pétrole a changé complètement la vie et l’avenir de la région pour en faire une des plus riches du monde, mais surtout de la rattacher aux Etats-Unis. L’Arabie saoudite est ainsi devenue le premier producteur de pétrole de la région supplantant l’Irak, suivie par le Koweit. En 1960 avait été créée l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole qui regroupait l’essentiel des producteurs de pétrole à l’exception des deux principaux : les Etats-Unis et l’URSS. Après une existence falote, l’OPEP devait faire parler d’elle lors du premier choc pétrolier de 1973 où elle multiplia les prix par cinq. Il s’agissait rien moins que de partager les bénéfices du boom économique que connaissait l’Occident à cette époque. Symptomatiquement l’URSS ne joua aucun rôle dans toute cette affaire. Finalement le choc fut assez bien absorbé par l’économie mondiale et digéré en quelques années. Il y eut bien une vague tentative d’évoquer à cette occasion les problèmes des relations Nord Sud, selon la nouvelle formulation, mais sans véritable effet. Le résultat de tout cela fut une augmentation substantielle de la richesse de l’Arabie et des Emirats et donc une certaine modernisation de ceux-ci. Des raffineries font leur apparition, des villes gigantesques se créent dans le désert ou au bord de la mer, des ports en eau profonde s’ouvrent dans le Golfe persique. Pour faire fonctionner tout cela, on importe de la main d’oeuvre qui se stratifie selon l’origine : Srilankais et Pakistanais en bas de l’échelle, Palestiniens en haut, Egyptiens au milieu. Simultanément les émirs et les riches de la région font leur entrée dans le capital mondial, créant et entretenant la légende de la puissance des pétrodollars. En fait cette puissance est illusoire, car elle est complètement subjuguée par celle du capital industriel international et surtout américain, mais elle crée néanmoins des balourds générateurs d’instabilité relative dans l’économie mondiale.
Reste enfin le cas de l’Iran. A la fin de la guerre, il est occupé à la fois par les Russes et les Anglais. Dans un premier stade les négociateurs persans persuadent les Russes de quitter le pays et de mettre fin aux républiques indépendantes qu’ils avaient crées, en leur faisant miroiter l’espoir de revenir rappelés par la population lors des prochaines élections ! S’ouvre alors une période étrange où le pouvoir est exercé par le premier ministre d’un shah inexistant : Mossadegh. Celui-ci est proprement génial. Il se fait porter sur un brancard, en apparence quasi mourant, devant ses interlocuteurs ou le Parlement chaque fois qu’il y a une décision importante à prendre. Ainsi décide-t-il de nationaliser la production de pétrole. Il y laissera son poste, car le shah Mohammed reviendra après un coup d’état de l’armée, mais il aura mis fin aux beaux jours de l’Anglo Iranian ( l’ancienne Anglo Persian ). Le shah est lié aux Etats-Unis et cela va permettre aux compagnies américaines d’entrer dans le pays, mais elles doivent accepter de partager le gâteau avec la compagnie nationale. L’Iran en retire une certaine richesse qui va permettre au shah de mener une politique vraiment originale : tenter de faire franchir à marche forcées les étapes menant à la modernisation, tout en gardant de bonnes relations avec le capitalisme occidental et surtout américain. En particulier le shah accepta une aide militaire importante qui faisait de son pays une sorte de fer de lance des Etats-Unis, et en tout cas un contre poids face aux autres pays de la région, armés par l’URSS et en flirt avec elle. On a beaucoup attaqué la dictature de Mohammed Reza et plus particulièrement dans la gauche tiers-mondiste. Certes il entretenait une sinistre police la SAVAC, mais elle n’était pas pire que le KGB ou tous les autres organismes semblables sur lesquels s’appuyaient les régimes dits progressistes. Le shah se heurtait à de nombreuses difficultés. D’abord les forces réactionnaires des propriétaires terriens nobles et des commerçants du bazar. Il essaya à la fois de mener une réforme agraire et de se concilier les nobles par son mariage avec Farah Diba, une fille de la famille des Qadjar détrônés par les Pahlavi. Ensuite il s’opposa au clergé musulman chiite dès qu’il tenta de séculariser son régime. L’Iran possède en effet une version particulière de l’Islam qui présente toute une hiérarchie de religieux qui sont maintenant devenus célèbres : les ayatollahs. Ceux-ci déclenchèrent un soulèvement en 1963 contre la réforme agraire présentée comme impie. Le shah le réprima avec sa douceur coutumière. Il exila certains religieux dont le célèbre Khomeyni. Il tenta de contrer l’idéologie musulmane dominante en faisant appel au souvenir de l’ancienne Perse achéménide dont il se proclamait l’héritier (comme Saddam Hussein se prétend héritier de Nabuchodonosor). Il dût aussi prendre en compte les étudiants, travaillés par l’idéologie tiers-mondiste, dont la sympathie allait vers le Toudeh, le parti communiste iranien, et qui maintenaient dans les universités une quasi rébellion permanente. Il dût aller contre les commerçants du Bazar maintenant saignés par les banques. Enfin il dût faire face à la population dans son ensemble, peu encline à accepter les sacrifices et les changements brutaux du mode de vie qu’exigeait l’industrialisation forcée, avec sa paupérisation, le dépeuplement des campagnes, le déracinement qui en résulte, etc. En 1979, abandonné par les Etats-Unis, il dût quitter l’Iran dans une ambiance de soulèvement général. Les Occidentaux, inquiets de voir des mouvements populaires aller trop loin et craignant peut-être de voir revenir l’URSS dans la région, favorisèrent le retour de l’ayatollah Khomeyni exilé en France, ouvrant ainsi la nouvelle crise de la région, dont un des aboutissements est la guerre du Golfe d’aujourd’hui. Mais avant d’en venir à ce dernier point, il est bon de faire une petite pause et de tirer un bilan des trente cinq peu glorieuses années qui viennent alors de s’écouler depuis la fin de la guerre.
d) Conclusions provisoires. L’échec du nationalisme arabe au Proche et Moyen Orient.
Le long passage qui précède donne une image événementielle de l’histoire de cette partie du monde depuis le VIIe siècle. Dans tout ce qui touche la période récente on peut s’y perdre. J’ai fait cependant ce résumé parce que le temps écoulé est de l’ordre de grandeur d’une vie d’homme, la mienne, et aussi parce que, pour le lecteur, il n’est pas nécessairement mauvais de rassembler en quelques pages des informations qui se trouvent disséminées dans force livres et encyclopédies. De plus, nous n’avons que trop tendance à vouloir tout ramener à des considérations économiques strictes qui, dans le cas particulier, n’expliquent pas tout. En effet un certain nombre de traditions sont sérieusement ancrées dans ces sociétés, et expliquent en partie les réactions et les mouvements. Comment prendre par exemple en compte les relations de vendetta qui lient la famille hachémite à la famille des Saoud, qui remontent à la nuit des temps et qui influent certainement sur la politique réciproque de l’Arabie, de l’Irak du début et de la Jordanie aujourd’hui encore ? Pourtant une certaine logique peut être trouvée dans tous ces événements qui suivent finalement une même ligne de plus grande pente.
La fin du XIXe siècle voit l’entrée dans cette région des puissances occidentales et de la Russie alléchées par la perspective de dévorer le gâteau de l’empire turc en décomposition. De plus, le Proche et Moyen Orient est sur la route terrestre des Indes britanniques, ce joyau de l’empire de sa très gracieuse majesté. On conçoit que l’Angleterre y mette comme on dit le paquet. Comme Dieu récompense les entreprenants, les Anglais y gagnent de faire passer sous leur coupe une des plus grosses réserves de pétrole du monde. Mais le capital anglais doit faire face à des concurrents dangereux et d’abord en Europe et aussi aux Etats-Unis. A la sortie de la seconde guerre mondiale, il ne peut remplir ses obligations dans ses possessions, pas plus d’ailleurs que le capital français. Cette carence ouvre la porte à la décolonisation. En fait les Anglais, réalistes comme toujours, vont abandonner relativement vite la gestion directe, en tout cas des Indes. Ils se maintiendront plus longtemps au Proche et Moyen Orient, justement à cause de l’existence des sources de pétrole. Dans les différents pays qui constituent cette région, et dont certains sont de pures constructions de l’Angleterre elle-même après la guerre de 1914, des ferments sont à l’oeuvre pour chasser l’occupant anglais. Comme il s’agit de passer à l’ère moderne il ne faut pas trop s’étonner qu’une bonne part de ces ferments s’incarnent dans des partis politiques qui tiennent du socialisme nationaliste. Cependant il y a pour eux une difficulté considérable. Si le nationalisme va de soi - et encore ! - dans des pays comme l’Egypte et l’Iran, il n’en va pas de même pour les autres. De plus, même en Egypte, il y a des grandes différences entre les diverses populations qui s’expriment sous forme religieuse avec souvent une haine et un extrémisme virulents. D’une certaine manière, on ne peut qu’éprouver une certaine sympathie pour des partis comme le Baath ou le parti nassérien qui ont voulu passer outre à ces difficultés et créer un état laïc dans des régions où il n’en a jamais été question. Le fait que beaucoup des membres et des dirigeants de ces partis soient des militaires ne doit pas surprendre. En effet dans la situation de ces pays à la sortie de la guerre seule l’armée permet à des gens venus du peuple d”accéder à l’éducation semi-supérieure et d’avoir une notion de la modernité. Le Rouge et le Noir façon Proche et Moyen Orient ne contient pas de Noir, car la religion laisse nécessairement dans l’arriération. Par force, ceux qui veulent changer leur pays doivent emprunter une voie révolutionnaire, c’est-à-dire un rouge-kaki.
Dans un premier stade, certains d’entre eux réussissent à chasser les anciens dirigeants liés à l’Angleterre et à créer des républiques. Ils se lancent dans les nationalisations, rerépartissent les richesses en dépossédant une partie des anciens propriétaires. Ils créent des état en principe laïcs (en Irak, les juifs qui ont bien voulu rester n’ont pas eu de problème véritable jusqu’à une date récente). Ils modifient le statut de la femme, interdisent le voile et suppriment la loi musulmane pour introduire un droit à l’européenne. Ils tentent de mettre en oeuvre une politique d’industrialisation et de modernisation de la culture. Ils pensent que l’avenir leur est ouvert. Ils échouent et pour plusieurs raisons.
- D’abord, il y a l’environnement international. Il est clair que le capital ne veut pas laisser se créer dans la région des états qui échapperaient à sa domination. La relève est déjà assurée par les Américains qui vont s’affirmer comme la puissance dominante qu’ils sont déjà pour le reste du monde. Dans la plupart des cas les Américains n’aiment guère s’investir comme colonisateurs directs. Les expériences qu’ils en ont eu, à Cuba ou à Porto Rico, par exemple, les ont convaincus qu’il vaut mieux passer par personnes interposées. C’était d’ailleurs aussi le plus souvent l’attitude anglaise (accompagnée de bases militaires). De plus ils ont déjà suffisamment à faire dans d’autres régions du monde. Ils préfèrent donc faire jouer leur puissance économique et étrangler les récalcitrants. Ceux-ci le sont vraiment et ils sont contraints de faire appel à l’URSS, trop contente de revenir là où les tsars avaient essayé de pénétrer.
- Et voici justement la seconde raison : l’incapacité de l’URSS à aider véritablement ceux qui demandent son aide. Incapable de réaliser son propre développement de manière satisfaisante, comment pourrait elle aider les autres ? Elle ne peut que les armer. Mais cela n’aide guère pour le développement industriel. Chaque pays de la région, qui s’est rendu compte de cette impuissance, a dû revenir à d’autres manières de faire. Pour ceux qui ont des richesses naturelles importantes, comme l’Irak ou l’Iran, une certaine liberté d’action reste envisageable. Ce n’est pas le cas pour d’autres comme l’Egypte et la Syrie, beaucoup moins riches. Tôt ou tard elles doivent passer sous les fourches caudines de la domination américaine. Parce qu’elle a lancé la première des projets gigantesques comme le barrage d’Assouan, l’Egypte a été aussi la première à capituler et à venir à récipissence.
- La troisième raison est plus idéologique. Pour se créer des alliés dans le monde qui les entoure, les mouvements nationalistes doivent faire appel à quelque chose qui dépasse les frontières. Cette chose c’est d’abord l’arabisme. C’est là une notion assez vague dont j’ai tenté de montrer qu’elle n’avait guère de fondement historique et qu’elle ressortissait plutôt du fantasme. Et pas n’importe quel fantasme. Il affirme que l’Islam est la seule religion vraie, et classe donc les hommes à partir de lui. D’abord les descendants du prophète, puis les arabes, puis les musulmans, puis les autres. D’où la volonté souvent réaffirmée de se proclamer au moins arabes pour bien des peuples et de se fabriquer des généalogies imaginaires. D’où ce caractère quasi raciste de l’arabisme. Cette idéologie est donc contradictoire. D’une part elle contient un principe unificateur, celui de l’existence d’un peuple arabe. D’autre part elle nie l’égalité entre peuples et se complaît dans un passé mythique. Certes toute idéologie est un fantasme, mais celle-ci ne peut unifier qu’autour de l’Islam et, par conséquent, nie les principes de laïcité et d’égalité entre peuples d’origine et de religion différentes dont les “progressistes” voulaient se réclamer.
- La quatrième raison est l’existence de l’état d’Israël. Certes les peuples de la région ne sont responsables en rien du génocide perpétré par les nazis, mais c’est eux qui doivent en supporter d’une certaine manière les effets secondaires. Avant toute chose je répéterai encore une fois qu’il est parfaitement compréhensible, et même à la limite justifié, pour des juifs ayant réussi à échapper à une de pires horreurs de l’histoire humaine de vouloir trouver un endroit où ils aient au moins l’impression qu’ils pourront vivre tranquille entre eux. Le fait qu’ils aient eu à le faire est le résultat du comportement inadmissible, non pas des Allemands seuls, mais de tous les peuples européens. Seulement en arrivant par milliers dans la Palestine, ils ont créés autant de problèmes chez les autres qu’ils en ont résolus chez eux. Les premiers pionniers des premiers kiboutzim avaient une idéologie socialiste distributive que l’on qualifierait ici facilement de libertaire. Mais ils ont été bientôt noyés dans la masse et, rapidement, l’état d’Israël a pris toutes les caractéristiques de l’Etat moderne. Cela a eu deux conséquences : d’abord l’état en formation a chassé les corps étrangers que constituaient les premiers habitants créant tout le problème des Palestiniens, ensuite, dans sa nécessité d’avoir une idéologie qui cimente la population et qui permet de faire appel à l’aide de la diaspora, il a encore accentué le caractère israélite de sa nation. Cet état de fait renforce du même coup une certaine puissance de l’Islam dans les pays à dominante musulmane, et donc ruine d’autant plus le programme des “progressistes”. Evidemment certains défenseurs de l’état d’Israël ne manqueront pas d’argumenter que cette dérive israélienne est une réponse à l’attitude des arabes. Mais entrer dans ce genre de discussion revient à trancher le problème de la poule et de l’oeuf.
- Cinquième raison et pas des moindres : la difficulté de changer les mentalités. Le passage à une exploitation de l’homme par l’homme qui se fonde sur l’industrie demande des changements profonds dans les relations au travail et dans les relations humaines, donc dans la structure de classes. Dans les pays capitalistes occidentaux le processus qui a mené à la formation de la nouvelle mentalité s’est déroulé sur plusieurs siècles. Aux Etats-Unis ce processus s’est fait facilement parce qu’ils ont été peuplés par une majorité d’émigrants européens. En revanche, sauter les étapes est terriblement difficile comme le montre le cas de l’URSS. Ce changement de mentalité ne doit pas seulement, on serait tenté de dire pas tellement, concerner la classe dominée mais bien la classe dominante elle-même. Celle-ci doit acquérir le réflexe de l’exploitation faite dans le but d’accumuler, celui de la thésaurisation productive par le réinvestissement. Elle doit aussi faire sienne une certaine dictature de l’horaire. Comme dit Marx toute économie est une économie de temps, en ce sens que c’est la gestion du temps de travail qui détermine la nature de l’économie. Celle de la société industrielle moderne lui est particulière. Elle a la notion “moderne” du temps. Quiconque est allé en URSS ou dans les pays du tiers monde sait immédiatement que cette notion fait défaut, d’où l’impression ( fausse ) de paresse que ces pays dégagent. La société reste étrangère à cette manière d’envisager le temps et le traite d’une tout autre façon, qui peut avoir bien des agréments mais qui ne satisfait pas aux critères exigés par une société du capital moderne. Pour passer à un autre stade il faut donc une modification de la classe dominante : qu’elle se montre capable de s’imposer à elle-même et d’imposer à la société tout entière le nouveau mode de vie. Seul le Japon a vu sa classe dominante se transformer volontairement en bourgeoisie : une réalisation remarquable dit Pannekoek. Dans les autres pays du Sud Est asiatique, elle a fait cette même transformation en s’appuyant sur le capital américain et japonais. Ce n’est que grâce à toutes ces évolutions, révolutionnaires au sens propre du terme, que peuvent donner leur mesure les spécialistes scientifiques et techniques et que peut aussi se modifier le mode de production, que peut donc se former la nouvelle classe dominée adaptée aux nouveaux rapports sociaux. Lorsque la classe dominante se montre incapable de changer, la société présente un vide. La tentation est alors grande pour ceux qui veulent avancer de se substituer à elle par des méthodes brutales. La dictature est une preuve de faiblesse de la classe dominante ou plutôt de son inadéquation aux exigences d’une exploitation moderne, voire même de sa totale inexistence. D’où le règne des cliques militaires qui s’imposent d’autant plus que seule l’armée a alors une vague notion moderne du temps. On objectera que le Japon a connu une ère militariste, mais celle-ci correspondait davantage, comme je l’ai remarqué au début de ce texte, à sa volonté de s’affirmer sur le monde extérieur et de se procurer des marchés et des matières premières. En revanche, l’existence de dictatures policières dans le Proche et Moyen Orient, qu’elles soient prétendument progressistes, comme en Egypte, en Syrie ou en Irak, ou qualifiées de réactionnaires comme en Iran, montre cette incapacité dont je viens de parler, tout comme la dictature stalinienne, voire léniniste, était l’image de celle de la classe dominante russe. La fermeture des frontières et le renfermement sur soi-même ne change rien. Le dilemme : échapper aux volontés du capital international ou continuer de stagner n’a pas de solution. La réalité impose sa loi. En revanche, l’état d’Isarël est en bien meilleure posture. Sa classe dominante s’est formée à partir de personnes venues d’Europe, et elle a su, on pourrait dire par construction, maintenir les liens internationaux avec la diaspora, et de cette manière éviter l’isolement que la diplomatie cherche souvent à lui imposer. De ce point de vue et de ce point de vue seulement, sa situation, toutes proportions gardées, n’est pas sans rappeler celle des Etats-Unis des débuts. Elle a pu ainsi créer et s’intégrer la couche de spécialistes et de scientifiques de niveau international qui est nécessaire au fonctionnement d’une économie moderne. Il ne faut pas chercher plus loin les raisons de ses succès militaires.
- Sixième raison liée à la précédente : dès que le choix est fait de passer à une dictature de type léniniste, l’accent est automatiquement mis sur le développement de l’industrie lourde, sur une réforme agraire qui va favoriser la création de fermes étatisées, caractéristiques de la Russie ou de la Chine, et qui vont rapidement, au lieu de faire croître la production agricole au rythme de la croissance galopante de la population, amener au mieux une stagnation quand ce n’est pas un régression pure et simple.
- Septième raison, la richesse pétrolière : paradoxalement, c’est une cause de maintien dans l’arriération. Cette richesse obtenue sans effort véritable est gaspillée et ne va pas dans un développement réel du pays . Elle va dans les casinos ou dans le capital financier international dans le cas des états réactionnaires (Arabie, Emirats). Elle va essentiellement dans l’armée et les projets mégalomaniaques dans les autres.
- Huitième raison qui fait pendant à l’existence de l’état d’Israël, celle des monarchies traditionnelles du type de l’Arabie Saoudite et des émirats du Golfe. Ces monarchies richissimes qui se veulent les remparts d’un Islam pur et dur, disposent de moyens de pression considérables pour maintenir les choses en l’état. Non seulement l’argent, mais aussi la généalogie de leurs dirigeants qui les fait remonter au prophète ou au moins à ses premiers compagnons. Bien entendu elles se sont rapidement rendu compte que le capitalisme occidental et plus particulièrement américain était le meilleur de leurs alliés. Elles constituent l’autre mâchoire de l’étau ( la première est Israël ) qui enserre le Proche et le Moyen orient.
- Enfin, dernière raison, l’existence des Palestiniens fait peser une sorte de handicap insurmontable sur tous les pays de la région. Non seulement en Israël, mais aussi ailleurs. Elle gêne certainement une évolution vers des états laïcs tentant pacifiquement de développer un capitalisme moderne. Elle a permis une cristallisation des masses musulmanes sur une image factice d’un malheur plus grand que le leur et la création d’un diable fantasmatique : Israël, chargé, cela va de soi, de ... tous les péchés. Elle renforce ainsi l’attachement aux mentalités anciennes liées à la solidarité religieuse islamique. Elle contraint nécessairement tous les gouvernements d’entrer dans cette logique, faute de quoi ils seraient englobés dans une même réprobation. Ce n’est pas que l’envie manque de se débarrasser des Palestiniens, même physiquement, ou, au moins, de les domestiquer, comme l’a montré l’attitude de Hussein de Jordanie, et comme le montre celle des chrétiens du Liban mais aussi celle de la Syrie.
La nécessité de faire appel à une certaine forme d’Islam est encore renforcée dans tous les pays arabes par celle de recevoir des subsides que les Russes ne peuvent fournir. L’aide ne peut venir que soit du capital mondial, soit des pays producteurs de pétrole en bon termes avec lui : l’Arabie Saoudite, le Koweit, les Emirats Arabes Unis, c’est-à-dire des pays fondamentalistes. Une fois encore on retrouve une situation en contradiction avec les principes du nationalisme laïc que l’on voulait installer.
On comprend mieux alors la succession de coups d’état, d’attentats, d’assassinats qui ont déchiré la région. Car dans l’atmosphère d’échec une certaine fuite en avant est inévitable et, comme tout régime qui tente de transformer un pays “arriéré” par lui-même a nécessairement une forme dictatoriale, (pas nécessairement avec une idéologie socialisante, comme par exemple en Iran), elle débouche sur la transformation de la couche au pouvoir en clique militaire qui s’épure elle-même et maintient sur le pays une domination sanglante qui ne le cède en rien aux autres dictatures militaires du monde. On comprend mieux aussi le recours à des guerres, encore rendues plus inévitables comme s’il en était besoin par l’existence même des feddayins palestiniens. Mais ces guerres contre Israël, même si elles ont fini par déboucher sur une paix séparée entre ce pays et l’Egypte, n’ont rien résolu. Elles ont en réalité renforcé l’état juif dans l’idée qu’il avait atteint ses frontières naturelles et qu’il n’avait aucune raison de se retirer. Au contraire.
En ce qui concerne le capitalisme international, et plus particulièrement l’Amérique, il aurait dû se réjouir de l’évolution. Clairement le nationalisme arabe est arrivé dans un cul de sac. Il va falloir qu’il passe à la casserole. L’URSS est visiblement en perte de vitesse dans la région. Il a donc suffit d’attendre suffisamment patiemment, en aidant Israël à survivre et à constituer l’abcès de fixation nécessaire. Le seul point noir ce sont ces ayatollahs, sans doute pas trop dangereux mais enquiquinants que Carter va traiter avec maladresse.
Pourtant à la fin de 1979, la situation est en réalité plus explosive que jamais : elle est grosse d’interventions des Israéliens au Liban, mais, et c’est de là que va venir la plus grande surprise, de la guerre entre deux pays en principe musulmans : l’Irak et l’Iran.
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