mercredi 14 septembre 2011
à 21h53
- par François Lonchampt
En ce qui concerne l’enterrement du prolétariat (et accessoirement la mystique ouvriériste) :
En 1974 (« Pourquoi je ne suis plus marxiste »), Castoriadis affirme qu’ « à l’exception d’une petite minorité au sommet, l’ensemble de la population est tout autant ouvert – ou fermé – à une perspective révolutionnaire. Il se peut que, conjoncturelle ment, telle couche ou catégorie joue un rôle plus important ; mais on ne peut plus maintenir l’idée que le prolétariat est « le » dépositaire du projet révolutionnaire ». C’est ce que j’appelle proprement « enterrer le prolétariat révolutionnaire », dans un raccourci qui ne me semble pas abusif.
Logiquement, au lieu du prolétariat ou de la classe ouvrière (comme dans la première veine de SouB), il se réfère à des sujets indéterminés comme la communauté, les hommes et les femmes, la société, etc., comme si effectivement tous les hommes et toutes les couches sociales avaient les mêmes intérêts et le même intérêt à changer les choses, et il formule des objectifs consensuels, (ainsi « l’urgence, c’est d’arriver à maitriser les forces aveugles que le système a déclenchées », qui pourrait être contre ?), censés les concerner effectivement au même chef, et qui remplacent avantageusement, dans sa perspective, la nécessité d’en finir avec l’exploitation et le pouvoir de la bourgeoisie. Et toujours dans le consensus, plutôt que d’évoquer le capitalisme, il préfère parler du « capitalisme contemporain » (une forme particulière de capitalisme), ou de « L’Occident ». Il assimile d’ailleurs la classe ouvrière française (celle qui travaille, en tout cas) aux privilégiés, puisqu’elle bénéficie d’un certain confort, et que « tout se passe comme si on avait trouvé le moyen de comprimer la quantité générale de misère engendrée par la société sur 15 ou 20% de population « inférieure » (Noirs et Hispaniques aux Etats-Unis, chômeurs et immigrés dans les pays européens) ». Position absolument dominante ces trente dernières années dans un monde intellectuel dominé par la pensée postmoderne.
En réalité, je ne crois pas que Castoriadis s’adresse effectivement à tous les segments de la population. Il s’adresse aux segments éclairés de la population. Comment pourrait-il s’adresser à l’ensemble de la population, quand « la grande majorité de la population semble se contenter des loisirs et des gadgets, avec quelques réactions ponctuelles et corporatistes qui ne tirent pas à conséquence. Elle ne nourrit aucun désir collectif, aucun projet à part la sauvegarde du statu quo », quand « frileusement repliée dans sa sphère privée, elle se contente de pain et de spectacle » ? Renversement complet, donc, par rapport à son point de départ. Au départ, l’ouvrier considéré avec une attention plus que respectueuse, presque religieuse, et au final, ayant déçu, il est mis plus bas que terre.
C’est cette attention plus que respectueuse, presque religieuse, qui m’a inspiré le qualificatif de mystique ouvriériste. On peut dire qu’il y a messianisme prolétarien chez l’IS, mais l’IS ne glorifiait pas l’ouvrier en tant que tel, plutôt un ouvrier imaginaire. En fait, elle critiquait explicitement l’ouvriérisme (ce qui ne veut pas dire qu’elle en était exempte), et elle ne s’intéressait pas beaucoup aux ouvriers réellement existants.
En ce qui concerne l’auto institution de la société,la discussion tourne un peu en rond. Il s’agit à mon avis, soit d’une banalité absolue (exprimée ainsi par Clément « L’auto-transformation de la société est un fait, à moins de croire que c’est Dieu ou par exemple les lois de l’histoire qui font la société plutôt que les hommes eux-mêmes », soit d’une erreur, ce que j’avais tenté d’illustrer par l’exemple de la Maffia. Cet exemple n’a nullement été réfuté par Clément. « Les groupes mafieux ne se donnent pas leurs propres lois, ce sont les chefs mafieux qui dictent leurs propres lois ou règles à leurs sbires, et tentent de les imposer éventuellement aux individus extérieurs au groupe », dit Clément. Mais ce n’est pas le cas. Les membres de la Maffia (au sens traditionnel du terme) obéissent bien, au départ, aux lois qu’ils se sont donnés, des lois auxquelles y compris les chefs eux-mêmes sont soumis, et c’est une erreur que de croire que n’importe quel gangster méconnaissant ou violant les règles du milieu peut se retrouver à la tête. Au contraire, à moins d’un coup d’Etat, ne parviendra au sommet que celui qui fait preuve de sa connaissance des règles, même s’il les viole à l’occasion (elles sont aussi faites pour être violées). Et ce n’est pas parce qu’il est au sommet que le chef peut faire ce qu’il veut avec les lois du milieu.
A partir de là, il n’y a pas de raison pour qu’une société qui n’obéit qu’à ses propres lois ait un fonctionnement démocratique.
En ce qui concerne les autres points, je vais prendre la peine de lire les articles que vous référencez.
Je regrette que mon intervention passe pour un acharnement. Ça résulte peut-être un tropisme à corriger (abus du ton polémique).
Pour en savoir plus : http://www.youtube.com/user/Jandupon
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