L’histoire se répète... Les staliniens à travers le monde sont des champions de l’usurpation des luttes populaires, l’actualité politique de la Tunisie donne malheureusement un nouvel exemple de cette stratégie rodée de récupération des soulèvements populaires. Ce texte a pour objectif de contextualiser ce projet en cours de réalisation même si, l’issue de cette tentative semble aujourd’hui incertaine, elle ne manque pas d’éveiller notre vigilance.
En Tunisie, après la chute de l’empire soviétique et l’entrée de la chine dans l’ère du capitalisme sauvage et barbare, sous la direction du parti communiste, les factions staliniens et stalino-nationalistes se sont divisées en de multiples factions et petits groupes. Ils sont restés sur des positions rappelant celles des années 80 du siècle dernier et n’ont pas saisi le fait que le marxisme-léninisme est en faillite totale.
Penchons nous sur l’histoire de la Tunisie, marquée, depuis la lutte pour l’indépendance nationale, par l’importance du rôle de l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT), qui était plutôt une organisation politique, puisqu’elle a été un des piliers du mouvement de libération nationale, à côté de la petite bourgeoisie représentée par le parti du Destour. C’est notamment cette organisation syndicale qui a élaboré le programme économique des années 1960 du siècle dernier consistant en la collectivisation des activités économiques et ce, dans le but d’intégrer des secteurs comme l’agriculture et le petit commerce dans l’économie capitaliste et d’extorquer les profits émanant du secteur agricole au profit de l’industrie. Ben Salah, l’ancien secrétaire de l’UGTT était devenu ministre du plan, de l’économie et de l’éducation. Pendant cette période les syndicats furent remplacés par les cellules destouriennes professionnelles. Signalons que cette collectivisation fut soutenue directement par la banque mondiale et l’occident capitaliste en général, elle n’avait donc rien de « socialiste ». Suite à la résistance de la population, qui a vu ses conditions de vie se détériorer, le pouvoir fut obligé de mettre fin à cette expérience qui a conduit à la paupérisation de la majorité des citoyens, alors que les grands propriétaires terriens et les grands commerçants ont su profiter de la situation en achetant les biens et les terres des familles ruinées.
Puis commença la période de Nouira (premier ministre du milieu des années 70) qui fut marquée par la libéralisation de l’économie et une nouvelle couche de nouveaux richards a vu alors le jour. L’UGTT est revenue sur la scène politique sous la direction de Habib Achour, qui était évincée de la direction pendant la période de collectivisation ; celui-ci a appuyé avec force les nouveaux choix politiques et économiques du nouveau gouvernement. Cette période fut marquée par des grèves ouvrières à majorité sauvages et la montée de revendications syndicales. Le président Bourguiba, devenu vieux et malade, des luttes intestines marquèrent la vie politique pour sa succession. C’est à ce moment que L’UGTT, et à sa tête Habib Achour entre en jeu. Vers la fin de l’année 1977, un soulèvement populaire se déclenche dans la ville de Ksar Helal (ville où fut crée le parti destourien au pouvoir) l’UGTT ignore, voire même dénigre ce soulèvement et, la direction déclare alors, en première page du journal Echaab de l’UGTT : « Nous sommes contre la violence d’où qu’elle vienne ». Un peu plus d’un mois après cette déclaration, cette même UGTT décrète la grève générale pour protester contre la dégradation de la vie des travailleurs (bien qu’ Habib Achour déclarait un an avant que, les augmentations de salaires, décidées par le premier ministre Nouira, représentaient un événement exceptionnel et exemplaire). Après les émeutes du 26 janvier 1978, toute la direction syndicale fut emprisonnée et, un climat de terreur régnait dans le pays. Pendant cette période, marquée par la l’absence de direction au sein de l’UGTT, un groupe stalinien s’est déclaré l’héritier de l’UGTT, et a crée des « comités d’initiatives » qui se révélèrent être un piège pour les syndicalistes ; ces nouveaux dirigeants furent arrêtés.
Après le coup d’État « médical » de Ben Ali en 1987, l’UGTT a joué un rôle fondamental dans l’instauration de la dictature, soutenant tout d’abord la « charte nationale » (qui fut signée aussi par des groupes staliniens). Les staliniens prennent alors conscience que l’UGTT est un tremplin pour accéder au pouvoir. Après une période d’apaisement relatif sur le plan politique, qui a duré environ deux ans, Ben Ali instaure une dictature policière. Les islamistes furent emprisonnés après la découverte de cellules islamistes au sein de la police et de l’armée.
A ce moment, la seule voie d’expression autorisée et légale dans le pays fut celle de l’UGTT. Ces dernières années furent marquées par la montée de mouvements sociaux et par des grèves ouvrières, que la direction de l’UGTT a toujours trahi, ce fut le cas particulièrement lors du soulèvement de la région minière de Gafsa en 2008.
La même direction de l’UGTT, a refusé de soutenir le dernier soulèvement qui a abouti à l’éviction du dictateur Ben Ali, ne cessant alors de répéter ce qu’elle a exprimé lors du soulèvement de la ville de Kasr Helal : « Nous sommes contre toute violence d’où qu’elle vienne ». Mais, au fur et à mesure que le mouvement se radicalisait et se généralisait, la position de la direction syndicale pencha vers le soutien du peuple en lutte, rattrapant ainsi le mouvement en cours, de peur d’être dépassé et isolé par ce dernier. La direction syndicale a pris ces derniers jours des positions radicales, refusant même la composition du premier gouvernement provisoire. Des groupes staliniens et nationalistes se sont rassemblés au siège de l’UGTT et sous sa direction ont formés le « Front du 14 Janvier » ceci, en présence d’intégristes, sachant que le porte parole du mouvement Enahdha participait à la première réunion... Le programme de ce front, dépasse de loin les exigences de la population et on peut dire que c’est un programme révolutionnaire. Il a appelé par exemple à la constitution d’un gouvernement populaire qui, instaura une économie qui coupe court avec le libéralisme et nationalisera les grandes entreprises ….. Bref un programme stratégique - qui n’est pas sans rappeler le programme bolchevique - rendant explicite une volonté de main mise d’une bureaucratie étatique sur l’économie. Ils ont constitué un comité pour la consolidation de la révolution et la réalisation des « objectifs de la révolution jusqu’à la victoire finale », là encore les termes soutenant ce projet rappellent l’expérience du parti bolchevique... Ils proposent d’organiser un congrès, rassemblant toutes les composantes politiques (staliniens, trotskistes, nationalistes arabes, baasistes...) dans le but d’élire un représentant (en respectant, le poids de chaque groupe !!!) chargé de négocier, auprès du président actuel de la République, une dissolution du gouvernement actuel, remplacer par un autre issu de la société civile (comprendre : les partis politiques) qui sera admis secondairement par le peuple et, qui se chargera de rédiger une nouvelle constitution répondant aux exigences du programme du front du 14 janvier. Signalons que la direction de l’UGTT, qui soutenait sans réserve la dictature de Ben Ali, a accepté de devenir le cadre de ce rassemblement en y apportant un soutient matériel comme la mise à disposition de ses locaux pour l’organisation de réunions notamment. Certains ont même appelé à la création d’un gouvernement provisoire dont le siège ne serait pas dans la capitale Tunis mais, à Sidi Bouzid d’où est parti le soulèvement.
Face à l’absence, pour cause de dictature, d’organisations réelles fédérant les aspirations d’une société civile, les staliniens ont sans doute de bonne raisons de surestimer leur poids, et de croire que l’occasion est propice pour un projet d’usurpation du pouvoir. Leur mot d’ordre devenu redondant, : « continuons le lutte jusqu’à la victoire finale » , interroge en effet, « victoire » de qui ? du peuple ou des bureaucrates clientélistes ? des groupes politiques ou de la société civile sachant que pour l’instant, en Tunisie, rien ne distingue ces deux entités.
Par ailleurs des figures bien connues de ces groupes staliniens n’ont cessé de se montrer dans les chaînes de télévision privées (Berlusconi participe au capital d’une de ces chaînes et, des doutes planent sur le financement de la deuxième).
Nous pensons que le front du 14 janvier, n’ayant pour l’instant aucune assise populaire va s’effriter ; déjà des luttes intestines ont vu le jour au sein même des différents groupes staliniens et entre ces derniers divisés et d’autres composantes du front du 14 janvier.
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