Quelques mois à peine après son ouverture, le fameux débat sur l’identité nationale se termine de bien pitoyable manière : enterré par les mêmes politiciens géniaux qui l’avaient initié. Pourtant, on se souvient du président avec sa gestuelle bien à lui de cocaïnomane surexcité qui promettait qu’avec ce débat on allait restaurer l’ordre en France et rappeler à tout le monde – mais surtout aux nouveaux ennemis pauvres et/ou jeunes et/ou musulmans – ce que c’était que d’être des vrais et bons Français ! Bref, on allait voir ce qu’on allait voir !
Et effectivement nous avons vu. Nous avons vu “dirigeants“, députés et autres (ir)responsables politiques envahir les ondes pour rivaliser de bêtise et de démagogie. Nous les avons vus semer la confusion, agiter des clichés réactionnaires et attiser les bas instincts pour en tirer quelque profit électoral. Mais de l’ombre d’une contribution intelligente ou intéressante, nous n’avons rien vu.
Nous ne sommes évidemment pas dupes des objectifs électoralistes et xénophobes que poursuivait ce débat (en atteste le score élevé du Front National aux dernières régionales...), toutefois nous ne pensons pas qu’il s’agit d’une raison suffisante pour ne rien en dire. Car une telle initiative peut également être perçue comme une réaction à l’insignifiance ambiante : la clique au pouvoir semble se rendre compte des difficultés qu’il y a à vouloir diriger des individus à ce point déracinés dont le vide de sens cruel de leur vie fait qu’ils se désolidarisent chaque jour un peu plus de tout lien de société.
Pour tous ceux qui refusent la disparition d’une société décente, cette question de l’identité est une vraie question que l’on aurait tort d’évacuer.
Contre la montée de l’insignifiance
Avec la mondialisation/globalisation, les différences entre les cultures s’effondrent sous une uniformisation forcée des modes de vie (jeans et McDo de Limoges à Lima en passant par Lomé), l’économique devient la seule et unique valeur, on tente de nous faire avaler que tout se vaut, et que le but principal de l’existence est la consommation frénétique sur fond d’une impitoyable concurrence généralisée : c’est l’insignifiance… et dans ce contexte, l’honnêteté, la solidarité ou n’importe quelle valeur véritablement vécue (et donc par là l’affirmation d’une certaine identité) oblige à se battre, en permanence. Cette insignifiance devient criante lorsque l’on s’interroge sur ce que nous avons à transmettre aux « nouveaux-venus » : à quoi sont éduqués les enfants ? À quoi les immigrés sont-ils conviés ?
La simple agitation de symboles – folklore, hymne, drapeau, …– d’autant plus mis en avant qu’ils ne sont plus porteurs de sens, ne peut définir un projet de société, ni combler le vide qui nourrit le désespoir et le nihilisme ambiants. Face à ce vide, l’immigration « culturellement offensive » trouve un boulevard, la jeunesse désœuvrée une autoroute, les anxiolytiques un débouché. On ne combat pas le fondamentalisme religieux avec une culture en carton-pâte (caractérisée par ses stars-paillettes et ses émissions abrutissantes genre “le big deal“), ni le désespoir avec une feuille de paye. Le regain prévisible du protectionnisme, des nationalismes, des intégrismes ne se réfute pas avec l’illusion angélique d’une nature humaine nécessairement bonne : il ne peut se combattre qu’avec une volonté claire de savoir d’où l’on vient, et surtout ce que l’on veut.
Pour une identité ouverte
C’est au titre d’un tel projet que nous revendiquons une identité ouverte par opposition à une identité fermée. Cette dernière repose sur le hasard de la naissance, l’enfermement dans le passé et l’exclusion de celui qui est différent : nous y opposons une identité fondée sur un enracinement libre dans une histoire, individuelle ou collective, élaborée à travers une acceptation des différences et une incessante modification par ceux-là même qui la vivent. Son évolution n’est ni déterminée par avance ni inventée de toutes pièces : elle est liée à un désir individuel, à une volonté collective, un projet politique. La mutation de la France de « fille aînée de l’Église » au Moyen-Age en championne de la laïcité au XXème siècle en est une bonne illustration.
Le patrimoine commun et la façon dont il est investi par chacun évolue dans le temps. Nous sommes libres de choisir la « certaine idée » de notre identité nationale que nous privilégions. Cette liberté de choix ne va nullement de soi et est loin d’être universelle. Elle a été rendue possible grâce aux combats de nos ancêtres et fait partie intégrante de notre « identité ». Loin de la quête d’une essence pure et rassurante face à un ennemi réel ou fantasmé, nous nous appuyons sur cette possibilité de remise en cause des mythes fondateurs les plus sacrés. Nous ne nous reconnaissons aucunement dans les vertus et valeurs promues par la clique actuellement au pouvoir : nous rejetons son arrogance, son irresponsabilité, le carriérisme effréné de ses membres (prêts à tout, surtout à la servilité et à la trahison), et enfin sa profonde duplicité (elle se dit démocratie – gouvernement par le peuple – alors qu’elle n’est qu’une oligarchie : pouvoir exercé par une poignée de puissants). Nous appelons et œuvrons au renversement de cette oligarchie en tant que dominés, en tant que démocrates, révolutionnaires et (en un sens) en tant que français. Il ne s’agit pas de se réclamer d’une pureté originelle refoulée ou recouverte mais de s’inscrire de plein droit dans notre tradition émancipatrice : si le pouvoir actuel semble se sentir des affinités avec la monarchie, nous préférons nous inspirer du peuple épris de justice et de liberté qui la renversa.
Une question sérieuse
Cette recherche d’identité est au cœur de tout projet d’émancipation. Elle consiste à élaborer un nouveau rapport à un certain héritage : Histoire, traditions, institutions, terr(it)oir(e), lois, mythes fondateur, ce qui signifie que nous devons également reconnaître ce que ce passé peut contenir de sombre (massacre de la Saint Barthélémy, traite des Noirs, le colonialisme et ses crimes, Vichy...) comme de plus éclairant. A ce titre, le mouvement des Lumières du XVIIIème siècle, les Sections révolutionnaires de 1789, le mouvement ouvrier, la Commune de Paris de 1871, les Comités d’action de 1968 incarnent une tradition émancipatrice qui a longtemps eu une influence hors de la simple nation française et qui, en même temps, fait parti d’un mouvement libérateur beaucoup plus vaste, qui n’a rien de particulièrement national.
Mais pour que cette reconnaissance d’un héritage ambigu ne soit pas l’acceptation d’une prédétermination, d’une identité fermée et figée sous la forme d’une Nation dominante sur laquelle nous n’avons plus prise, d’une religion d’état ou d’une conscience nationale de référence, imposée par une caste dominante, elle doit être nourrie et guidée par un projet politique, celui de la recherche d’une autonomie autant individuelle que collective.
A ce titre, l’histoire de l’idée de Nation illustre bien l’écueil contre lequel nous voulons prévenir ici : lors de la Révolution française, c’était une idée révolutionnaire par laquelle le peuple proclamait son droit à décider lui-même de son sort ; petit à petit ce nationalisme révolutionnaire a perdu toutes ses caractéristiques politiques pour finalement devenir une idéologie hors de contrôle au nom de laquelle les peuples se sont entretués…
La recherche d’identité comme projet politique
Nous voulons une France (une Europe, un Monde) démocratique, basée sur la participation égale de chacun dans la prise des décisions collectives. Cela passe par la redéfinition des besoins, l’égalité des salaires et contre la représentation dans la prise de décision, contre la division entre dirigeants et dirigés, politiquement dominants et dominés, système qui régit les oligarchies contemporaines.
Cette volonté d’une démocratie directe est un projet politique, elle est aussi l’identité commune qui pourrait nous (ré)-unir. Dans une société qui repose sur l’imposture, qui pousse à la consommation tout en prenant garde de la rendre essentiellement inaccessible au plus grand nombre, qui veut se présenter comme démocratique contre toute évidence, « Liberté, Egalité, Fraternité » ne relève plus du mythe fondateur mais d’une pure mystification. Casser cette hypocrisie c’est se réapproprier ces mots avec celui d’internationalisme. C’est, comme ont su le faire les luttes ouvrières ou les combats de décolonisation, reconnaître et retourner contre la « république » ses propres mots, ses propres valeurs, son propre projet et les lancer vers l’avenir. Réinventer le projet d’autonomie, se battre pour une société égalitaire et ouverte, dans laquelle la citoyenneté s’acquerrait par la participation effective aux institutions et non pas par l’adhésion a des prétendus valeurs “nationales” inaccessibles aux « étrangers » et a ceux dont le sang n’est pas « français ». Telle est la seule identité, « nationale » ou non, dans laquelle nous voulons nous reconnaître et que nous nous efforçons de vivre autant que nous en sommes capables.
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