Présentation du bulletin « Les mauvais jours finiront »

dimanche 6 septembre 2009
par  LieuxCommuns

Ce texte fait partie de la brochure n°15 « Éléments pour une démarche politique ».

Elle est en vente pour 2€ dans nos librairies. Son achat permet notre auto-financement et constitue un soutien aux librairies indépendantes (vous pouvez également nous aider à la diffusion).

Il est également possible de la télécharger dans la rubrique brochures.

La brochure est constituée des documents suivants :

  • Présentation du bulletin « Les mauvais jours finiront... », ci-dessous
  • Quatrième de couverture - Bientôt disponible

Texte extrait du n°1 du bulletin « Les mauvais jours finiront », avril 1986, Guy Fargette


Esprit de ce bulletin :

Ce bulletin se propose d’être le support matériel d’une réaction particulière ; il s’agit de réagir (d’une façon sans doute partielle et peu satisfaisante mais qui aura le mérite d’exister) contre une impuissance immense qui a saisi presque toutes les composantes d’un milieu « radical » bien précis, celui qui s’était défini dans les dernières décennies par le dépassement d’une ambiguïté mortelle pour les révolutions du passé ; la transformation sociale que nous souhaitons est impossible sans révolution dans la révolution, c’est-à-dire notamment sans rupture absolue avec la division des tâches en matière d’organisation, autrement dit, avec toute logique de pouvoir.

Cependant, même dans un tel cadre restreint, ce bulletin n’a pas vocation oecuménique. II ne cherche pas à concilier les diverses tendances de ce qui s’est présenté comme « radicalement » révolutionnaire dans le passé plus ou moins récent. Ce terme de « révolutionnaire » a en effet pris une allure singulière : il ne peut au fond y avoir de révolutionnaire qu’en acte, c’est-à-dire engagé concrètement dans une activité historique multiforme tendant à produire l’auto-institution de la société. La relative nouveauté de la période que nous traversons aujourd’hui en France tient précisément à ce qu’il n’existe plus guère de processus moléculaires alimentant directement, jour après jour, une tendance à la subversion de la société existante. Douter de l’existence de tels processus aujourd’hui ne signifie évidemment pas que leur possibilité soit à tout jamais éteinte. Comme on le verra, seule l’éventualité d’une telle résurrection donne sens à ce que nous voulons faire, mais la plus élémentaire lucidité exige de comprendre qu’aujourd’hui de tels processus ont cessé d’avoir une présence significative. A moins de se référer à une expérience vécue, mais qui commence à devenir lointaine, se dire révolutionnaire revient à faire une proclamation, ou mieux, une promesse : on affirme que, le moment venu, on agira conformément à un projet qui parcourt depuis des siècles les sociétés européennes (et, depuis moins longtemps, les diverses sociétés de la planète).

Nous préférons donc nous abstenir de toute déclaration grandiloquente ou verbeuse ; la grande majorité des individus qui participent à une révolution, c’est-à-dire à un grand moment durant lequel des millions d’êtres humains sont à la recherche d’une cohérence historique, ont cette particularité qu’ils vont au-delà de tout ce qu’ils auraient pu promettre auparavant. Et s’il doit se produire un tel moment dans les quelques décennies qui viennent, nous préférons le prendre comme il viendra, hors de tout rôle préconçu, de toute identité forcée. Une telle prudence a cet avantage qu’elle permet de lever toute exclusive contre des individus ou des courants qui, s’ils ne se présentent pas comme des « révolutionnaires » s’intéressent cependant à des questions voisines des nôtres et tendent à rejeter les mêmes faux-semblants. De toute façon, tant que les événements ne rendent pas à l’affirmation révolutionnaire un sens pratique immédiat, nous ne tiendrons pas compte des étiquettes, étant entendu que le souci de ne pas nous perdre nous obligera sans doute encore trop souvent à des délimitations rigoureuses.

Ce bulletin publiera donc des textes susceptibles de contribuer à des discussions vivantes correspondant à trois préoccupations : rompre avec le cercle vicieux des intentions immenses et des réalisations dérisoires, éviter les rivalités imbéciles et les polémiques asphyxiantes qui ne pourraient que saper le sens d’un tel effort, et enfin contribuer à renverser la tendance qui fait que l’atmosphère intellectuelle et critique en France devient de plus en plus étroite, et ne sait pas s’ouvrir aux mouvements étrangers. (...)

Thèmes de discussion

Cet effort limité de publication, engage ce que nous voulons dire et faire dans une direction précise et n’est donc pas soumis à compromis. Pour la suite, on se propose plusieurs thèmes de discussion et d’analyse (leur traitement est déjà commencé, mais leur ampleur requiert un effort collectif) :

· compréhension détaillée des particularités de la situation française depuis dix à quinze ans (c’est en effet celle que nous sommes le mieux à même de connaître et donc de faire comprendre à nos semblables au-delà des frontières). Qu’aucun texte de qualité n’ait été consacré à ce sujet depuis longtemps illustre le degré de faiblesse auquel nous avons été et sommes encore réduits. Ce thème est d’une importance cardinale, puisqu’il montre dans quelle mesure nous mettons en rapport notre refus de ce monde avec les lignes de force favorables à ce refus.

· description synthétique de ce qu’il est convenu d’appeler la crise. Le but est de saisir les facteurs pertinents qui gouvernent les évolutions en cours. Il ne s’agit, en aucun cas, de s’immerger dans le vocabulaire de l’économie politique ou de sa critique. Le succès de cet effort dépendra d’une exigence : traiter des catégories économiques en termes non économiques. Ce point de référence fait écho au critère qui devrait être celui d’une activité telle que celle que nous proposons ; définir le champ unitaire des théories critiques qui peuvent nous être utiles ici et maintenant.

· enfin, et c’est sans doute le thème dont le traitement est le plus urgent, critique des défauts paralysants de ce que nous convenons d’appeler le « milieu radical ». II s’agit non pas de condamner tel ou tel courant, tel ou tel individu, mais de rappeler quels sont les défauts principaux dont nous devons nous garder et dont nos prédécesseurs se sont souvent mal défendus.

Récupération et mission historique

La priorité donnée à ces trois thèmes définit à elle seule le type d’activité et de préoccupation qui nous attirent : il est par exemple hors de question de se perdre dans les deux lieux communs, mouvants comme les sables, qui depuis quelques années fascinent une partie de ce qui reste de ce « milieu radical » et qui procèdent d’un même esprit d’enlisement.

D’une part, nous ne croyons pas que la récupération dont est capable ce système disqualifie nécessairement tout ce qui a été récupéré : nous sommes persuadés que les effets de la radioactivité naturelle diffusée par les éléments de subversion sont neutralisés par leur éparpillement qui prévient ainsi toute réaction en chaîne cumulative et donne de surcroît au système une luminescence trompeuse. Qu’une rupture historique se produise (ce que nous ne pouvons obtenir sur commande, faut-il le rappeler !) et l’on sera surpris de tout ce qui contribuera à la destruction du vieux monde. II nous paraît vain de chercher la rupture purificatrice avec tout ce qui a été récupéré ou utilisé par l’ordre dominant ; la négationite, qui ne voit plus que trahison, manquement et récupération, ne nous tente pas. Le seul critère fiable reste la définition de ce qui est acceptable ou non, si l’on veut prévenir le moment pratique où continuer à entretenir certaines relations reviendrait à renoncer à soi-même et à son passé. D’autre part, nous ne chercherons pas à savoir si le prolétariat est encore (?) ontologiquement révolutionnaire. C’est-à-dire que nous n’entrerons pas dans les débats qui voudraient vérifier si le prolétariat a ou non une mission historique. Comme l’a écrit Brecht à propos de ceux qui veulent parler de l’existence d’un Dieu, leur manière de poser la question contient déjà la réponse. Cela signifie surtout que nous ne sommes pas disposés à voir dans l’actuel reflux social la vérité post festum d’un mouvement prolétarien vaincu. Le résultat ne pourra qu’être constaté et non prévu : il dépendra du rapport qui s’établira entre aspect indéterminé et aspect déterminé de l’activité des êtres humains (une telle affirmation montre tout ce qui nous sépare des visions déterministes de l’histoire, dont le marxisme à été l’expression la plus concentrée). Enfin, quelle que soit cette conclusion pratique, elle ne changerait pas grand-chose pour nous puisque nous ne faisons pas dériver notre révolte contre ce monde de la croyance qu’il existerait une force capable de le renverser ; nous savons ne pouvoir y vivre et cela nous suffit pour le refuser.

La mise à l’écart de ces deux sujets de controverse tient au fond à notre refus de considérer le système social établi comme une harmonie de cauchemar dont les contradictions seraient endiguées par son fonctionnement même. L’existence de celles-ci ne constitue en rien l’assurance d’un « avenir radieux », mais leur oubli ne conduit qu’à une élaboration théorique soumise à la « logique d’une idée », à une idéologie. Les trois thèmes de discussion retenus donneront lieu à conclusions écrites ou non, l’essentiel étant que les participants en retirent une vision et des moyens d’initiative élargis.

II va de soi que le présent effort qui se traduit sur un plan limité de publications et de rencontres devrait préluder, dans une situation favorable, à l’existence d’un collectif de discussion et d’action (qui n’aurait pas de ligne et dont la seule référence serait l’anticipation sur un éventuel mouvement qui voudrait réaliser l’émancipation des individus). Bien que la situation semble peu favorable à un tel développement dans l’immédiat, cette perspective fait déjà peser sur nous une contrainte : nous devons savoir reconnaître le type de rapports personnels qui est incompatible avec « notre projet ». On peut résumer cela en une phrase : tous ceux qui nous approcheraient en nous transmettant leur désir de s’activer et de laisser à d’autres le soin de « s’occuper de théorie » seraient mal reçus. II n’y a en effet pour nous théorie que dans la mesure où il y a compréhension de ce que nous ou nos semblables avons fait, faisons ou voulons faire. II est donc préférable que se tiennent à distance ceux qui veulent agir sans trop s’occuper de savoir ce qu’ils font ou qui délèguent à d’autres le soin de définir le sens de leur propre activité.


Commentaires

Navigation

Articles de la rubrique

Soutenir par un don