Malaise dans l’identité

samedi 5 décembre 2009
par  LieuxCommuns

Ce texte fait partie de la brochure n°19 « Malaise dans l’identité - Définir des appartenances individuelles et collectives contre le confusionnisme et les extrêmes droites ».

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Il est également possible de la télécharger dans la rubrique brochures.

Elle est constituée des documents suivants :

  • « Malaise dans l’identité », ci-dessous

Sa sortie a donné lieu à une réunion publique dont le compte-rendu est en ligne, ainsi qu’à une conférence-débat en avril 2013 à Grenoble sur le thème « Islamisme, islamophobie, islamo-gauchisme », également en ligne


A en croire certains, l’affaire serait entendue.

Le « débat » sur « l’identité nationale française » ne mériterait qu’une répétition ad nauseaum de ce qui est immédiatement apparu évident à tout le monde : l’initiative est dans la continuité des manœuvres électoralistes, sécuritaires et xénophobes du président de la république dont il a fait son fond de commerce depuis ses débuts ; le moment est décidément bien choisi, au moment où s’estompe la fascination malsaine qu’il exerce, à quelques mois des élections régionales ; l’intention est claire, dans une Europe divisée, de plus en plus protéiforme, et en pleine crise économique profonde d’où le discours autoritaire et protectionnisme pourrait bien sortir revivifié. Cela est évident : à la fois symptôme et cause d’un effritement de tout ce à quoi l’on tient, l’issue ne peut qu’en être plus nuisible encore.

Et pourtant, une fois tout cela affirmée, le malaise persiste. Pire : il s’épaissit.

D’abord parce que ce « débat national » consiste en un double-bind typique d’une intériorisation des contradictions des mécanismes capitalistes : il s’agit pour le gouvernement de rappeler à l’ordre en proclamant les « Valeurs de la République » alors que tout, dans l’évolution des affaires publiques gérée par l’Etat, n’est que viol et exécration de ses principes les plus fondamentaux. La conduite cocaïnomane de M. Sarkozy n’en est pas seulement l’expression la plus pure et la plus ostentatoire : elle est plus simplement, en elle-même, une insulte permanente à la décence la plus élémentaire. Si ce n’est une nette progression dans l’irresponsabilité généralisée, rien de très nouveau là-dedans : tout le mouvement ouvrier du XIXième siècle s’est bâti sur cette hypocrisie fondamentale, et son écrasement en 1848 ou en 1871 est au fondement de l’ordre actuel. Prendre au pied de la lettre les « bonnes réponses officielles » que la maffia au pouvoir donne à ses propres questions revient donc à proclamer haut et fort l’impérieuse nécessité d’un radical bouleversement social et politique - soit renouer avec un héritage révolutionnaire. Liberté, égalité, fraternité : chiche !

Ensuite le malaise s’épaissit parce que chacun sent très bien que le tiraillement existentielle insoluble se pose aujourd’hui mondialement : D’un coté l’occident tel qu’il devient, c’est-à-dire une machinerie extraordinaire qui broie les hommes, les cultures, les écosystèmes, tendanciellement incapable de tenir ses promesses d’émancipation et d’abondance depuis que les luttes pluriséculaires qui la contrôlait se sont évaporées. De l’autre, le « repli identitaire », c’est-à-dire la tentative désespérée et offensive de restaurer, sur place ou en exil, des idéologies « traditionnelles » finalement closes sur elles-mêmes puisque refusant l’interrogation et l’auto-détermination, et racistes, puisque fondée sur l’origine et l’exclusion de l’autre. Deux attitudes antagonistes et complémentaires, deux parois d’un même gouffre, deux jambes d’une seule course à la guerre, avec lesquelles jouent dangereusement tous les dominants de tous les pays, y compris la petite clique oligarchique française. Plus que jamais, pourtant, l’ouverture d’un horizon viable nécessite une réelle élaboration d’un projet de civilisation, donc d’une véritable identité collective.

Enfin le malaise enfle parce qu’il est évident que, excepté en certaines marges, la question de l’identité au sens large ne sera pas posée, alors que s’effondre à un rythme accélérée tout ce qui peut faire l’unité, donc l’existence, d’un peuple. Cette insignifiance croissante des mots, des actes, des valeurs, des règles plonge loin ses racines dans l’échec (nullement définitif) des projets d’émancipation des ouvriers, des femmes, des jeunes, des écologistes, des colonisés à créer et instituer durablement de nouvelles formes sociales viables. En se retirant dans la vie privée, et en cultivant le ressentiment, les populations ont laissée les sociétés aux mains des volontés nihilistes de puissances illimités et du profit sans bornes. C’est ce délabrement généralisé qui laisse apparemment sans recours, et que les gauchismes diffus et plus ou moins dégénérés rationalisent en expliquant que le principe même d’identité serait oppressif. Issu eux-mêmes d’un effroyable bilan qu’ils sont incapables de regarder en face, ils s’enferment dans les apories idéologiques anomiques selon lesquelles il serait impossible de se définir sans exclure. Ils passent ainsi à la trappe tout l’héritage, spécifiquement occidental et notamment français, qui pourrait aider à l’élaboration pratique d’une identité commune. La réinvention de cette dernière est aujourd’hui un véritable enjeu, et en elle-même constitue déjà une libération : là où elle ne se pose pas, il y affrontement généralisé ou ordre indiscuté, qui cohabitent actuellement à travers le morcellement communautaire et l’injonction consumériste.

Ce malaise ne se dissipera pas avec le fin de la rumeur médiatico-politique qui agite temporairement le petit bocal des gens en vue : nous ne l’affronteront qu’en affirmant haut et fort ce que nous sommes, c’est-à-dire ce que nous voulons, et à lutter, partout, pour que chacun puisse faire de même.


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