Pour en finir avec… la rage de conclure
Joëlle Mesnil
Article sous licence Creative Commons
« …l’Art Contemporain est un bon miroir de son temps »
L’affirmation aussi concise qu’ironique est de George Walden, diplomate anglais qui a eu tout le loisir d’observer la Comédie de la culture dans son pays… et ailleurs.
L’auteur précise :
« ce que ce modernisme frelaté nous dit du monde contemporain, c’est précisément qu’il vit dans le mensonge et l’auto-illusion, jusque dans l’ironie qu’il se suppose. »
Walden pose ainsi la question de la possibilité pour l’art contemporain d’être réaliste mais aussi critique.
Or, si cette question est récurrente, une chose est sûre : on ne peut plus la poser dans les mêmes termes à l’ère post-moderne qu’auparavant, ne serait-ce que parce qu’une caractéristique du post-modernisme est d’avoir voulu en finir avec la réalité, mais aussi avec la vérité, et parce que pour ces mêmes raisons, la critique elle-même en a pris un coup.
Le temps est loin où Gilles Aillaud pouvait écrire dans l’éditorial du bulletin du 20e salon de la Jeune Peinture (1969) qu’il ne fallait pas avoir peur d’être récupéré puisque « N’est récupéré que (…) ce qui est assez ambigu, assez indéterminé pour être finalement retourné par le travail interprétatif qui « détourne » afin d’intégrer. »
Il concluait :
« Dans ce sens on peut dire que le problème de la récupération est un faux problème. »
Et pourtant !
On sait ce qu’il est advenu de la critique artiste (exigeant d’abord libération et authenticité à la différence de la critique sociale, dénonciatrice de la misère et de l’exploitation).
Le bilan, inquiétant, dément cruellement l’optimisme d’Aillaud : c’est l’ensemble des thèmes très clairs de la critique artiste qui a été récupéré par le nouvel esprit du capitalisme, non par un savant travail interprétatif de détournement de sens, mais par leur reprise pure et simple et leur mise au service d’un capitalisme nouveau reposant sur les idées que défendaient en particulier Deleuze et Guattari dans L’Anti-Œdipe (sous-titré, ne l’oublions pas, Capitalisme et Schizophrénie !)
Dès les années 90, les chartes d’entreprise les ont cités ainsi que Nietzsche, mais aussi Derrida. Or les stratégies du néo-management ont été adoptées par beaucoup d’artistes « contemporains » qui sont devenus des entrepreneurs, en même temps que les entrepreneurs assimilaient les mots d’« ordre » de la critique artiste.
« Nous n’avons jamais vu de schizophrène » ironisaient les deux auteurs qui pourtant en rencontraient à Laborde chez Oury. Personnellement, je travaille dans un hôpital où je vois des schizophrènes, et j’observe chaque jour la mise en acte de la « nomadologie » deleuzienne et les effets dévastateurs, sous la forme d’une déréalisation sidérante, de l’intégration de la critique artiste par l’hôpital public.
Un réalisme capitaliste ?
Les similitudes qu’on observe entre certaines démarches artistiques contemporaines et les méthodes néolibérales laissent perplexe.
Le « faiseur » qui est selon Boltanski et Chiapello l’ « opportuniste » en régime capitaliste « connexionniste » ressemble furieusement à l’artiste contemporain « subversif ».
« Le faiseur a réussi quand, à l’issue d’un projet, quelque chose peut lui être attribué et être publiquement associé à son nom. Ce quelque chose n’a pas nécessairement les qualités de stabilité et d’objectivité qui définissent une œuvre. L’important pour le faiseur est, à la façon de l’artiste de « performance », de susciter un événement et de le signer. »
Comment ne pas penser, justement, aux « performances » de certains artistes contemporains, comme par exemple Santiago Sierra qui a exposé dans une galerie allemande… des sans-abri dans leurs boîtes en carton !
D’ailleurs, les sans-abri sont très tendance dans l’art depuis qu’ils ont été politiquement reconnus au début des années 90. Les SDF sont bien réels. Mais les performances qui soit les « utilisent » directement, soit (plus souvent) produisent des objets dont l’usage leur est artistiquement destiné ? Sont-elles de l’art « social » ? Relèvent-elles d’un réalisme… capitaliste ?
Que penser du Projet de véhicule pour les sans-abri grâce auquel Krysztof Wodiczko croit pouvoir, comme le remarque Dominique Baqué, « éveiller les consciences du spectateur passif et aliéné... », ou de la volonté de Lucy Orta d’attirer l’attention des regardeurs sur la misère du monde en exposant des « vêtements-refuges » pour les mêmes SDF ?
Ces démarches sont-elles critiques ? Ont-elles une réelle portée subversive ?
Sont-elles « réalistes » ?
Face à ce que D. Baqué nomme dans Pour un nouvel art politique les « bonnes œuvres de l’art » on peut être tenté de rétorquer avec Debord que l’art est un retard politique à l’action. À moins de dire comme Benoît Roussel lors d’un entretien avec Jacques Lizène qu’« il vaut peut-être mieux écrire des articles ».
Et pourtant la volonté d’effet politique est partagée par de très nombreux artistes contemporains. Faut-il leur reprocher d’être « trop réalistes » ? Un réalisme dépourvu de décalage avec son « référent » vire-t-il en son contraire ?
Annie Lebrun dans Du trop de réalité répondait par l’affirmative. Beaucoup lui ont emboîté le pas.
Dans L’art à perte de vue, Paul Virilio (grand dénonciateur de l’irréalisation du monde), s’en prenant à l’art conceptuel, remarque : « Ici, la question n’est donc plus seulement celle de la « figuration » et de la « non-figuration » comme au XXe siècle, mais bien celle de la représentation dans l’espace réel de l’œuvre et de la pure et simple présentation, en temps réel, d’événements ou d’accidents intempestifs et simultanés que certains artistes dénomment parfois performances, ou encore installations... »
Trop de présentation en temps et en espace réel nuirait donc à l’art mais aussi à son réalisme. Tel est aussi l’avis de J.-P. Domecq qui, opposant également présentation et représentation, dénonce dans la pure présentation une opération non pas réaliste mais conceptuelle et dénuée de pensée. Cette distinction radicale régulièrement invoquée par l’auteur d’Artistes sans art mérite d’être soulignée : le concept est une idée refermée sur elle-même qui a cessé de mobiliser l’action de penser.
Dénoncer son conceptualisme est devenu un lieu commun de la critique de l’art contemporain, et il n’est pas dénué de fondement. Dommage que trop souvent l’accusation manque d’argumentation convaincante !
Si le lecteur de Domecq peut apprécier la présence d’une authentique et utile réflexion phénoménologique dans des textes qui s’y réfèrent rarement en termes explicites, celui de Virilio pourra regretter le sort qui est fait à la pensée de Husserl, qui, de repoussoir qu’elle a été depuis les années soixante, est en train de se réduire à un supplément d’âme ! En effet, Virilio pose une question cruciale pour toute réflexion sur les rapports de l’art au réel, celle du devenir de l’Einfühlung (empathie), et à cause d’un contresens ravageur ruine les fondements de son analyse.
L’image instrumentale et la « téléobjectivité » fait perdre l’empathie, dit-il. Peut-être. Mais on ne le suivra plus quand, s’en prenant au narcissisme du sujet post-moderne, il fait dire à Husserl « le centre de la terre c’est moi », car ce que dit Husserl c’est que le Leib, le corps vivant, sentant, est une origine négative et anonyme, illocalisable et ancrage de toute perception éprouvée comme réelle. Or, si quelque chose de vital est aujourd’hui perdu ou en passe de l’être, c’est le Leib (le corps vivant, éprouvé de l’intérieur), le point aveugle de notre incarnation qui est le contraire du Körper (corps-objet) que l’art corporel nous donne à voir, comme l’a bien saisi la sociologue N. Heinich.
Michel Onfray va quant à lui jusqu’à qualifier de « phénoménologique » la peinture de Gilles Aillaud, en particulier la célèbre série de huit toiles peintes en 1965 avec Arroyo et Recalcati : « Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp », de même que « La datcha » signée en 1969 avec plusieurs représentants de la Figuration narrative. Le « message » de « Vivre et.. » dit Onfray est qu’« il faut se séparer de l’inventeur du ready made, de l’emprise du concept et de l’idée », et celui de la Datcha est qu’il faut en finir avec le structuralisme.
Aillaud « pratique la peinture en phénoménologue » écrit Onfray, « non qu’il peigne des idées (…) mais il montre ce qu’il voit. ». On ne peut pourtant sans inconséquence recourir à la notion de « message » d’une peinture que l’on qualifie au même moment de phénoménologique parce qu’elle montre ce que le peintre voit ! A-t-on jamais vu, vu de ses yeux une idéologie ?
Si Aillaud peint, c’est en deçà, au-delà, ou à côté des idées qu’il défend ! L’illustration d’une idée conçue avant l’œuvre ne donnera jamais une peinture phénoménologique ; il est d’ailleurs à craindre qu’elle ne donne pas de peinture du tout.
Ici comme ailleurs, le concept chassé par la porte rentre par la fenêtre.
Si un certain dévoiement de la phénoménologie doit nous inquiéter, c’est qu’il fait perdre son tranchant à l’une des rares armes « intellectuelles » qui nous restent pour lutter contre les ravages du néolibéralisme, y compris dans le domaine de l’art.
Ce que la phénoménologie cherche, c’est ce qui n’est pas codable, conceptualisable, tout ce qui excède les catégories. C’est-à-dire ce qui n’est pas « récupérable », car seul ce qui est codé et/ou codable peut l’être. Son « objet » ou plutôt sa chose, c’est ce qui résiste à la division forme/contenu, c’est ce qui est inséparable de son contexte d’être et d’apparition.
Or, la sortie du contexte est l’une des stratégies de l’art contemporain.
La dernière Biennale de Venise a ainsi exposé des vidéos, des films et des installations qui donnaient à voir des choses et des personnages parfaitement identifiables mais tout cela n’avait rien de réaliste parce que le thème décontextualisé dominait (le corps, la femme…).
Ce n’est pas seulement le mode de production artistique contemporain qui est pris dans la division forme/contenu mais aussi le mode d’exposition « par thèmes » qui fait perdre tout leur sens aux œuvres exposées. Qu’il s’agisse de celle du « signifiant » ou du « signifié », la thématisation des œuvres ferme l’accès à un hors-langage qu’on pourrait appeler « réel ». C’était particulièrement sensible l’an dernier à l’exposition « Big Bang » à Beaubourg, de même qu’avec « Le mouvement des images ». On peut être en colère en constatant comme A. Lebrun six ans avant que ces expositions aient lieu que « cette nouvelle façon de détruire l’histoire, à travers laquelle le post-modernisme aura cru trouver son originalité, vise à remplacer la cohérence qui fait sens par la juxtaposition qui fait choc ».
Alors ?
Comment peut-on être réaliste… et artiste ?
Interrogé pour le numéro spécial de Beaux Arts consacré en 2002 à la question « Qu’est-ce que l’art aujourd’hui ? », le philosophe Jacques Rancière est caustique : « il y a aujourd’hui comme une caricature de ce qu’ont pu être les actions symboliques des années 60 et 70, comme si une certaine forme de militantisme de la démonstration, du symbole, de l’action exemplaire, qui a quasiment disparu du champ politique, survivait sous forme de copie artistique. »
Rancière évoque alors le Palais de Tokyo où les œuvres qui questionnent le monde contemporain, les représentations, la publicité, le pouvoir donnent une impression, dit-il, de « parodie vide ».
Quand le capitalisme a intégré la critique artiste,« les artistes croient faire de la critique alors qu’ils sont les auxiliaires du capital ».
C. Castoriadis aussi a dénoncé la dépolitisation post-moderne. Longtemps avant la chute du régime soviétique, il écrivait : « L’art est présentation/présentification de l’Abîme, du Sans-fond, du chaos… » et lui, fondateur de Socialisme ou Barbarie, s’opposait à toute forme d’art engagé parce qu’il échoue à prouver qu’un autre monde est possible que celui que pose l’idéologie. « Ce n’est pas la forme comme telle qui confère à l’œuvre d’art son intemporalité, mais la forme comme passage et ouverture vers l’Abîme. »
Il ajoutait : « si la société est instituée sur la dénégation acharnée de tout ce qui n’est pas fonctionnel et instrumental (…) non seulement elle rendra la grande œuvre d’art impossible (c’est déjà ce qui est en train d’arriver en Occident)- mais elle ressentira une telle œuvre comme une obscure menace, mettant en cause ses fondements mêmes et s’acharnera, instinctivement contre elle. »
Il n’empêche. Nombre d’artistes s’obstinent à se dire subversifs, à mettre leur art au service d’une cause. Et cela au moment même où en dehors des institutions qui les y encouragent, on a plutôt tendance à les trouver coupés du monde.
L’intérêt des approches de Rancière ou de Castoriadis, c’est de poser autrement les vieilles questions reposant sur des découpages conceptuels inopérants du type :
— Si l’art fait de la politique est-il encore de l’art ?
— Si l’art se veut expérience esthétique autonome, perd-il toute capacité critique ?
En 2004, dans la revue Europe, Rancière dénonce « les fausses querelles de l’art pur et de l’art engagé » et rappelle le paradoxe initialement énoncé par Schiller :
« C’est la pureté de l’expérience esthétique qui garantit sa promesse politique. »
Voilà qui va à l’encontre d’une tendance souvent défendue par ceux qui reprochent à l’art contemporain son « formalisme » pour lui opposer la peinture, qui plus est figurative, en insistant sur la primauté de son contenu, reprenant par là le mot d’ordre de Jdanov, même quand ils prétendent comme Onfray s’opposer à une peinture d’idée…
Ils peuvent se réjouir puisque la peinture est justement revenue… dans les expositions. Une quantité d’articles ont déjà été publiés sur ce « retour ». La peinture des années 80 exposée par Saatchi à Londres il y a deux ans. En Allemagne, « le grand retour de la peinture » organisé par Judy Lybke. L’an dernier en France, la figuration narrative au musée des Beaux-Arts d’Orléans, la rétrospective Monory au MacVal de Vitry, Fromanger à la villa Tamaris à la Seynes-sur-mer l’été 2005. Dans diverses galeries, Erro, Peter Klasen, et d’autres encore.
On sait que cette figuration narrative se caractérise par son contenu politique et social. Une chose est claire : peinture veut dire ici réalisme et surtout réalisme le plus souvent politiquement engagé.
Mais cette peinture figurative signifie-t-elle vraiment un retour du Réalisme ?
Dans « Jeune peinture », Francis Parent et Raymond Perrot rappelant en 1983 l’opposition légendaire de la non-figuration et de la figuration quant à ses rapports au réel remarquaient : « de l’ambivalence de ce qu’on peut entendre par « rapport au réel » surgiront tous les malentendus... »
En effet.
L’ambivalence est même si grande que depuis le début du 20e siècle, on peut affirmer que TOUS les courants littéraires ou picturaux se sont revendiqués plus réalistes que les autres. On se souvient de la Querelle du réalisme qui en 1936 a opposé les partisans du réalisme socialiste à des peintres pourtant figuratifs et réalistes, mais que la primauté du contenu ne parvenait pas à convaincre, ou dans les années cinquante du débat au cours duquel les partisans de l’abstraction « lyrique » (mal nommée car elle n’était pas subjective) ou « formelle » ont combattu sur deux fronts : celui de l’abstraction géométrique ET celui de la figuration, pour dire au bout du compte (voir Gromaire, Bazaine…) que figuratif/non figuratif relevait d’un « faux dilemme » parce que le réalisme (le véritable enjeu du débat) ne dépendait pas de la reconnaissabilité immédiate d’un référent.
Il est probable que, bientôt, ce vieux débat soit de nouveau d’actualité.
En janvier 2006, la revue Art Actualité Magazine consacrait un numéro spécial à la question « Figuratif Abstrait. L’éternel débat ». Et au terme du principal article « Figuratif ? Non figuratif ? Un débat éternel ou une polémique stérile ? » concluait plutôt dans le sens de la stérilité.
Mais après la figuration narrative, on a pu voir l’an dernier le retour de l’Abstraction lyrique à Paris au Musée du Luxembourg, et au Centre Pompidou avec Manessier et Bazaine ! On pressent déjà que tout le monde ne se contentera pas d’accepter sans plus l’éclectisme qui domine l’air du temps.
Un formalisme… réaliste
Dès Iéna et le manifeste de l’Athénaeum signé en 1802 par Novalis et les frères Schlegel, les plus « formalistes » ont revendiqué une position réaliste. Les formalistes russes les ont suivis.
En 1933, un an après que Staline ait proposé la notion de réalisme socialiste et un an avant le célèbre discours de Jdanov (certes sur la littérature, mais qui a été repris tel quel par les tenants du réalisme socialiste en peinture), Jakobson soutient que ce que le formalisme vise c’est, loin de « l’art pour l’art », d’éviter un état du langage où « le rapport entre le concept et le signe devient automatique, (où) le cours des événements s’arrête, (où) la conscience de la réalité se meurt ».
À ceux qui confondaient formalisme et « art pour l’art », il répondait :
« Ni Tynianov, ni Mukarovsky, ni Chklovski, ni moi, nous ne prêchons que l’art se suffit à lui même (…) Ce que nous soulignons, ce n’est pas le séparatisme de l’art, mais l’autonomie de la fonction esthétique. »
Et qu’on ne dise pas qu’il édulcorait son propos pour le rendre acceptable en un moment peu propice. Dès 1921, il avait consacré tout un travail à la notion de réalisme en art.
Chklovski dès 1914 affirmait : « La fin de l’art est de donner une sensation de la chose comme vision, et non comme reconnaissance ; le procédé de l’art est le procédé de distanciation et le procédé de la forme difficile, qui augmente la difficulté et la durée de la perception, car le processus de perception en art a sa fin en lui-même et doit être prolongé ; l’art est une manière d’éprouver le devenir de la chose, ce qui est déjà devenu n’importe pas à l’art. »
La forme difficile
La forme difficile, n’est-ce pas ce qui garantit un écart, une élaboration, une intégration psychique… et un réalisme qui ne soit pas illusoire ?
La forme difficile prend du temps. Exige un retard entre la première ébauche de ce qui deviendra œuvre et sa réalisation. Demande de la pensée qui ne se réduise pas à une manipulation de concepts tout faits. Mobilise nécessairement une intuition esthétique réfléchissante pour rappeler Kant au lieu de le déclarer « dépassé ».
Ce n’est certainement pas en acceptant benoîtement la diversité au nom d’une tolérance mollassonne qu’on aura fait avancer les choses. On peut s’inquiéter que certains aujourd’hui n’ouvrent un débat entre deux sortes d’art que pour mieux le fermer.
Ainsi, Aude De Kerros (artiste) propose-t-elle une solution « sémantique » à l’impasse à laquelle aurait abouti la « crise de l’art ». Il suffirait de « choisir librement sa catégorie », soit l’art « moderne » caractérisé par « la primauté de la forme abstraite ou non », soit l’art « contemporain » « fondé sur la primauté du concept », et qu’ A. De Kerros qualifie comme Christine Sourgins dans Les mirages de l’Art contemporain de « nominaliste ».
Il est assez sidérant que quelqu’un qui s’oppose manifestement à l’art contemporain post-moderne et nominaliste adopte pour sortir de la crise une solution… absolument post-moderne et purement verbale ! Fin du débat, suppression du conflit par la coexistence pacifique des courants les plus antagonistes.
Non.
On ne répondra pas à un déficit de pensée par son éradication pure et simple !
Il faut maintenir vivant le débat.
Quand on opposait figuratif à non figuratif pour conclure à l’idée qu’il s’agissait d’un faux dilemme, c’était en faisant apparaître que la frontière était mal placée ; c’était au nom d’une autre division qui passait entre art incarné (et donc créateur et réaliste) et art désincarné et conceptuel qu’il soit ou non figuratif. Et c’est au terme de discussions âpres qu’on tranchait. Et on recommençait…
Aujourd’hui encore il faudra reprendre la « vieille » question trop vite évoquée ici de l’Einfühlung et du Leib, de l’intropathie et du corps vivant, parce qu’en deçà de tout codage, et de toute catégorie, elle approche un réel irréductible, le « sans fond », l’innommable…
En se contentant de « catégoriser » l’art, on entérine une approche purement descriptive, qui plus est reprenant à son compte cela même que l’on conteste : une définition déclarative !
La « rage de conclure » est toujours fatale !
Joëlle Mesnil
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