Les métamorphoses de la révolution
Le nouveau parti d’extrême gauche est-il davantage que la LCR relookée ? Improbable
La création du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) est présentée par ses futurs animateurs comme le moyen d’une recomposition globale de la gauche radicale, qui va beaucoup plus loin qu’un simple élargissement de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Il s’agit, selon eux, de créer un large rassemblement de tous les partisans d’une véritable rupture avec le capitalisme, en vue de la création d’un modèle inédit de société, évidemment tout différent du communisme soviétique.
Ce parti se donne pour vocation de rassembler toute la " gauche de gauche " mais il est déjà acquis qu’il n’y parviendra pas : Jean-Luc Mélenchon crée en même temps un autre parti, qui se donne pour l’équivalent français du Linkspartei allemand, et José Bové a accepté de rejoindre les Verts. Pour l’instant, le NPA se construit donc à partir du noyau militant fourni par la LCR, à laquelle s’agrègent d’autres adhérents certes beaucoup plus nombreux, mais généralement sans grande expérience politique. Le NPA n’est sans doute pas simplement une nouvelle mouture de la LCR, mais, par la force des choses, il devra beaucoup à l’expérience militante et aux traditions de cette organisation, dont il faut donc se demander ce que signifie pour elle la création de ce nouveau parti.
La LCR est l’héritière d’un des trois courants historiques du trotskisme français, qui a connu son heure de gloire entre 1965 et 1981, avec évidemment une accélération après Mai-68. Ce courant se distingue par trois caractères, qui lui ont permis de mieux « coller » au cours des choses que ses deux concurrents (les lambertistes et Lutte ouvrière). Il a toujours été sensible aux nouvelles aspirations que fait naître la démocratie, que les autres courants révolutionnaires considéraient comme « petites-bourgeoises » : il a soutenu avec enthousiasme les nouveaux mouvements de jeunesse des années 1960, il a défendu les féministes et a joué un certain rôle dans les mouvements favorables à la liberté de la contraception et de l’avortement et il a assez tôt accepté de défendre les revendications des homosexuels.
Pour cela, il a su utiliser une rhétorique militante novatrice et souvent joyeuse, qui lui a permis de toucher les nouvelles couches nées après le déclin du monde industriel (travailleurs sociaux, diplômés déclassés etc.) là où, par exemple, Lutte ouvrière s’intéressait plutôt à la vieille classe ouvrière. Mais cette modernité militante et sociétale s’accompagnait d’un rapport assez particulier avec le communisme officiel : la LCR gauche dénonçait le « stalinisme » pour son « bureaucratisme », mais c’était surtout pour lui reprocher ses prétendues capitulations devant l’impérialisme, ce qui la conduisait très logiquement à soutenir les courants supposés les plus à gauche du monde communiste.
C’est de là que vient, en particulier, l’attachement constant de la LCR à la figure de Che Guevara, qui est toujours allé de pair avec une évaluation « globalement positive » du bilan de la révolution cubaine : la révolution cubaine était allée plus loin que ce que souhaitaient l’Union soviétique et le Parti communiste cubain, et Guevara avait proposé d’emblée un programme collectiviste radical fondé sur l’éradication rapide des « catégories marchandes » (argent, monnaie, prix, marché etc.) tout en plaidant pour une offensive de grande ampleur contre l’« impérialisme », en rupture avec la politique de " coexistence pacifique " de l’URSS.
Si on ajoute à cela le fait que le même courant avait considéré les révolutions yougoslave et chinoise et la création des démocraties populaires comme des avancées du socialisme (certes défiguré par les « déviations bureaucratiques »), on comprend qu’un révolutionnaire antitotalitaire comme Castoriadis ait défini un jour la IVe Internationale comme la « fraction en exil de la bureaucratie soviétique ».
Là où la lutte armée n’était pas à l’ordre du jour, comme en France, la LCR a défendu une politique fondée sur la dénonciation du « réformisme » de la gauche officielle, communistes compris, qui impliquait un choix stratégique tenu jusqu’aux gouvernements de gauche d’après 1981 : la Ligue ne participerait pas au gouvernement, elle ne le soutiendrait pas, mais elle essaierait de s’appuyer sur le mouvement social pour le déborder et pour engager le pays dans une véritable rupture avec le capitalisme, qui n’irait sans doute pas sans un conflit violent avec la « bourgeoisie ».
On comprend donc aisément pourquoi la recomposition politique des années 1980 a été vécue assez mal par la LCR, qui y a perdu beaucoup de militants. Elle n’a pas pour autant disparu, et elle a continué de faire ce qu’elle savait faire, en attendant des jours meilleurs : elle a soutenu toutes les nouvelles causes militantes (antiracisme, défense des sans-papiers, lutte contre l’homophobie), tout en prenant appui sur la sensibilité antilibérale des altermondialistes pour essayer de développer une nouvelle conscience anticapitaliste et en continuant à transmettre à ses militants un héritage idéologique où Marx, Trotski et Guevara cohabitent avec quelques références dites libertaires.
Il serait inexact de dire que la LCR n’a pas changé : la culture de ses militants est plus bigarrée qu’autrefois et une minorité significative de l’organisation a cessé de se définir comme trotskiste ou même comme communiste. Si, néanmoins, on s’en tient au discours d’Olivier Besancenot, force est de constater que, au-delà de la jovialité qui fait du jeune facteur - mi-bobo, mi-prolo - une sorte de Georges Marchais postmoderne, le noyau dur de l’idéologie de la LCR est toujours aussi solide : les références historiques sont restées les mêmes (Octobre 1917, la révolution cubaine), le programme est inchangé (la république des Conseils et la collectivisation de l’économie), et l’évocation touchante de la figure de Guevara permet de rappeler que l’autogestion n’est acceptable que dans le cadre d’une économie planifiée qui ne laisse pas de place au marché.
Dans la période récente, la LCR s’est beaucoup investie dans la gauche de gauche, en surfant sur la vague du « non de gauche » à la Constitution européenne. Mais elle a assez vite choisi, en 2007, de faire capoter le projet de candidature unique des gauches radicales en posant l’exigence du refus de toute alliance gouvernementale avec le PS. Aujourd’hui, le choix d’un logo anticapitaliste qui évoque une émission de télévision naguère assez populaire est aussi un moyen d’exclure tous les courants radicaux qui ne veulent pas aller jusqu’à la destruction révolutionnaire de la société bourgeoise.
La conjoncture est favorable à ce projet et devrait conduire, dans un premier temps, à ce que l’afflux de nouveaux militants et les succès électoraux prévisibles se renforcent mutuellement dans les deux ou trois ans à venir. Il est trop tôt, en revanche, pour dire si le NPA peut véritablement être autre chose qu’une version « relookée » de la LCR. p
Philippe Raynaud
Professeur de philosophie politique à l’université de Paris-II Panthéon-Assas à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, auteur de « L’Extrême Gauche plurielle » (Autrement, 2006)
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