Le régime social de la Russie (1977)

samedi 3 octobre 2009
par  LieuxCommuns

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Rapport introductif à la quatrième et dernière journée du Séminaire historique qui s’est tenu à Venise dans le cadre de la Biennale consacrée à la Dissidence dans les pays de l’Est (15-18 novembre 1977). Les limitations du temps m’ont obligé à présenter dans ce rapport sous forme de thèses quelques-unes des idées que j’ai élaborées depuis 1946 sur la « question russe » et ses implications. On en trouvera le développement et l’argumentation dans les écrits dont la liste est donnée à la fin de ce texte, et auxquels les renvois sont faits par l’indication de leur date.

Ce texte a précédemment paru dans la revue Esprit (Juillet-août 1978).


1. Que la société russe soit une société divisée, soumise à la domination d’un groupe social particulier, où règnent l’exploitation et l’oppression, est une évidence immédiate au regard des faits les plus élémentaires et les plus connus. La présentation du régime russe comme « socialiste » ou comme « Etat ouvrier », dans la complicité pratiquement universelle de la « gauche » et de la « droite » ; ou même simplement la discussion de sa nature par référence au socialisme, pour savoir sur quels points et à quel degré il s’en écarterait, représentent une des plus formidables entreprises de mystification connues dans l’histoire. Le succès persistant de cette entreprise pose évidemment une question de première grandeur sur la fonction et l’importance de l’idéologie dans le monde contemporain.

I

2. La société russe, comme les sociétés des pays de l’Europe de l’Est, de la Chine, etc., est une société divisée asymétriquement et antagoniquement, - dans la terminologie traditionnelle, une « société de classe ». Elle est soumise à la domination d’un groupe social particulier, la bureaucratie, dont le noyau actif est la bureaucratie politique du PCUS. Cette domination se concrétise comme exploitation économique, oppression politique, asservissement mental de la population par la bureaucratie et à son profit. La bureaucratie n’exerce pas pour autant - pas plus qu’aucune autre couche dominante dans une société quelconque - une maîtrise absolue sur la société. Elle doit faire face au conflit qui l’oppose à la population, conflit dont le régime totalitaire étouffe les manifestations sans pouvoir les supprimer. Elle est sujette aux antinomies et aux irrationalités consubstantielles au régime bureaucratique moderne. Enfin, la bureaucratie est elle-même dominée par son système, par l’institution de la société dont elle est corrélative et par les significations imaginaires sociales que cette institution porte. La société russe est, elle aussi, une société aliénée ou hétéronome « toutes classes confondues ».

3. Les rapports de production en Russie sont des rapports antagoniques, qui divisent et opposent dirigeants et exécutants. Ils impliquent l’exploitation des producteurs (ouvriers, paysans, travailleurs des « services ») et leur asservissement à un procès de travail et de production qui échappe entièrement à leur contrôle. La « nationalisation » (étatisation) des moyens de production et la « planification » bureaucratique n’entraînent nullement l’abolition de l’exploitation et n’ont rien à voir avec le socialisme. La suppression de la « propriété privée » laisse entièrement ouverte la question : qui dispose effectivement, désormais, des moyens de production et de la production elle-même ? Or en Russie (comme dans les pays de l’Europe de l’Est, en Chine, etc.) c’est la bureaucratie (des entreprises, de l’économie, de l’Etat et surtout du PCUS) qui dispose (verfügt) collectivement des moyens de production, du temps de la population travailleuse, des résultats de la production. Sous le couvert de la forme juridique de la « propriété nationalisée » (étatique), elle en a le jus fruendi, utendi et abutendi. De cette disposition, l’étatisation et la « planification » bureaucratique sont les moyens adéquats et nécessaires. La bureaucratie dispose des moyens de production et de la production « statiquement » à tout instant. Elle en fait « ce qu’elle veut », physiquement et économiquement, autant et plus qu’un capitaliste « fait ce qu’il veut » de son capital. Mais surtout, elle en dispose « dynamiquement ». Elle décide des moyens par lesquels un surplus est extrait à la population travailleuse, du taux de ce surplus et de son affectation (de sa répartition entre consommation bureaucratique et accumulation, comme de l’orientation de cette accumulation). Le « capital » russe aujourd’hui n’est rien d’autre, dans son « essence », que le surplus accumulé de l’exploitation du peuple russe depuis soixante ans, et, dans sa forme physique, que le résultat sédimenté des décisions de la bureaucratie et du fonctionnement de son système pendant cette même période [1946, 1947 a, 1947 b, 1949 a, 1949 b, 1949 c, 1957 a, 1958 b, 1960 a].

4. Cette nature des rapports de production, et du régime social, est inscrite dans la matérialité des moyens de production et portée par ceux-ci. En tant qu’instruments de travail - par la forme et le contenu qu’ils impriment au procès de travail - ces moyens visent à assurer l’asservissement des producteurs au procès de travail, à la fois par la nature du travail qu’ils imposent et par le type d’organisation du travail et de l’entreprise qu’ils entraînent. En tant qu’instruments de production - par la nature des produits qu’ils sont destinés à fabriquer - ils incarnent l’orientation imprimée à la vie sociale par la bureaucratie, ses buts spécifiques, les valeurs et les significations auxquelles la bureaucratie est elle-même asservie. La production d’armements, de biens de consommation destinés à la bureaucratie, le type et la nature des objets de consommation populaire, et surtout la production de machines destinées à reproduire le même type de production et les mêmes rapports de travail et de production illustrent amplement la correspondance de la nature du régime social avec les « moyens » productifs qu’il développe. L’identité totale de ceux-ci avec ceux inventés et mis en oeuvre par le capitalisme occidental témoigne de la parenté profonde des deux régimes. Elle crée aussi des problèmes identiques au plan politique. Loin de pouvoir simplement hériter d’un « développement des forces productives » et d’une technologie prétendument neutre à mettre au service du socialisme, une révolution sociale en Russie aura à s’attaquer à la base matérielletechnique de la production et à la transformer tout autant que dans les pays occidentaux [1957 c].

5. Depuis soixante ans, la situation et le sort effectif du travailleur russe dans la production sont essentiellement identiques à ce qu’ils ont toujours été sous le capitalisme. L’escamotage de ce fait par presque tous les courants « marxistes », y compris « oppositionnels » (par exemple trotskistes), défenseurs auto-proclamés de la classe ouvrière, est hautement révélateur. L’asservissement des travailleurs dans le travail n’est pas un « défaut », secondaire ou important, du système, ni simplement un trait inhumain à déplorer. En lui se dénonce, au plan le plus concret comme au plan philosophique, l’essence du régime russe comme régime d’aliénation. A considérer strictement le procès de travail et de production, la classe ouvrière russe se trouve soumise au rapport de « salariat » autant que n’importe quelle autre classe ouvrière. Les ouvriers ne disposent ni des moyens ni du produit de leur travail, ni de leur propre activité de travailleurs. Ils « vendent » leur temps, leurs forces vitales, leur vie à la bureaucratie qui en dispose selon ses intérêts. L’effort constant de la bureaucratie est d’augmenter le plus possible le rendement du travail tout en comprimant les rémunérations, et ce par les mêmes méthodes que celles utilisées en Occident. La division toujours plus poussée des tâches, la définition des tâches visant à rendre le travail toujours plus contrôlable et toujours plus impersonnel et le travailleur toujours plus interchangeable, la mesure et le contrôle des gestes du travailleur, le salaire aux pièces et au rendement, la « quantification » de tous les aspects du travail et de la personnalité même du travailleur sont portées, là-bas comme ici, par une technologie qui, loin d’exprimer une « rationalité » neutre, est destinée à soumettre le travailleur à un rythme de production indépendant de lui, à briser les groupes « informels » qui se constituent parmi les travailleurs, à exproprier le travail vivant de toute autonomie et à transférer le moment de direction de l’activité, aussi menue soit-elle, aux ensembles mécaniques d’une part, à l’Appareil bureaucratique dirigeant l’entreprise d’autre part [ 1958 a].

6. Cette analyse (qui serait en fait la véritable analyse marxienne) est toutefois incomplète et insuffisante, car abstraite. En considérant la production en elle-même, en la séparant de l’ensemble de la vie et de l’organisation sociale, elle aboutirait à assimiler purement et simplement la situation de l’ouvrier russe et celle de l’ouvrier occidental. Mais le sort qui est fait à l’ouvrier, et à la population en général, en dehors de la production n’est pas un trait additionnel, mais une composante essentielle de sa situation. Privée de droits politiques, civiques et syndicaux ; enrôlée de force dans des « syndicats » qui sont des simples appendices de l’Etat, du Parti et du KGB ; soumise à un contrôle policier permanent, au mouchardage dans les lieux de travail et hors ceux-ci, au régime des passeports intérieurs et des livrets de travail ; constamment harcelée par la voix omniprésente d’une propagande officielle mensongère, la classe ouvrière russe est soumise à une entreprise d’oppression et de contrôle totalitaires, d’expropriation mentale et psychique qui dépasse très nettement les modèles fasciste et nazi et n’a connu quelques perfectionnements supplémentaires qu’en Chine maoïste. Situation sans analogue dans les pays capitalistes « classiques », où très tôt la classe ouvrière a pu arracher des droits civiques, politiques et syndicaux et contester explicitement et ouvertement l’ordre social existant - en même temps qu’elle exerçait constamment une pression décisive sur l’évolution du système, qui a été finalement le principal facteur limitant l’irrationalité de celui-ci [1953 a, 1959, 1960 b, 1973, 1974]. La différence est capitale, y compris du point de vue étroit et abstrait de la production et de l’économie. Sous le régime capitaliste classique, la classe ouvrière négocie explicitement le niveau des salaires nominaux et d’autres éléments du « contrat de travail » encore plus importants (durée journalière, hebdomadaire, annuelle et « vitale » du travail, conditions de travail etc.). Le « contrat de travail » est certes une forme juridique - mais il n’est pas une forme vide, parce que la classe ouvrière peut lutter, et lutte, explicitement pour sa modification. Sans une classe de travailleurs « libres », aux deux sens du terme, on aurait peut-être connu un « capitalisme esclavagiste » ou un « capitalisme de servage » - non pas le capitalisme tel qu’il a effectivement existé. Moyennant ces luttes et cette liberté, qu’il est stupide d’appeler simplement « formelle », la classe ouvrière a pu, depuis 175 ans, réduire la durée du travail, empêcher l’augmentation du taux d’exploitation, limiter le chômage etc. Or, la suppression de toute liberté en Russie et l’impossibilité de toute lutte ouverte font précisément que le « contrat de travail » y devient une forme vide, et que l’on ne peut pas parler dans ce cas de « salariat », sauf en un sens formel. La conséquence n’en est pas seulement une exploitation du travail beaucoup plus lourde qu’ailleurs. La suppression de toute possibilité pour la classe ouvrière, et pour la population en général, d’exercer ouvertement une pression sur les événements laisse libre cours au déploiement de l’irrationalité bureaucratique, et aboutit au monstrueux gaspillage de travail humain et de ressources productives en général qui caractérisent l’économie russe (sans parler du Goulag, qui pose des problèmes dépassant de loin ces considérations).

7. Il n’en est que plus frappant de constater que l’oppression totalitaire demeure incapable d’étouffer la lutte implicite permanente des ouvriers (et des paysans) contre le système dans la production. Sous le régime russe, comme en Occident, le point de départ et l’objet premier de cette lutte sont le niveau des taux effectifs de rémunération/rendement (rapport entre salaire reçu et travail effectivement fourni). Mais dans les deux cas, loin d’être simplement « économique », cette lutte traduit la résistance des travailleurs à l’oppression et à l’aliénation auxquelles tendent à les soumettre les rapports de production établis. Elle s’exprime en Russie de manière particulièrement aiguë par la crise permanente de la productivité quantitative et qualitative, l’absentéisme, les dépassements chroniques du « plan des salaires » des entreprises etc. [1949 b, 1949 c, 1956 b, 1957 c, 1958 a, 1960 b].

8. La condition ultime de cette lutte est la contradiction fondamentale du capitalisme bureaucratique. Dans la production, comme dans toutes les sphères de la vie sociale, le régime vise à exclure les individus et les groupes de la direction de leurs activités et à la transférer à un Appareil bureaucratique. Extérieur à ces activités, et rencontrant l’opposition des exécutants, cet Appareil devient incapable la moitié du temps de les diriger ou de les contrôler, et même de savoir réellement ce qui se passe. Il est ainsi obligé de faire constamment appel à la participation de ces mêmes exécutants qu’il voulait exclure, à l’initiative de ceux qu’il voulait transformer en robots. Cette contradiction pourrait se figer en simple opposition des deux groupes dans une société statique. Le bouleversement continuel des moyens et des méthodes de production, que le régime lui-même doit introduire, en fait un conflit qui ne s’apaise jamais [1956 b, 1957 c, 1958 a, 1960 b, 1963].

9. Cette contradiction fondamentale, et la nature même de l’Appareil bureaucratique, font que la « planification » bureaucratique est essentiellement chaotique et irrationnelle, y compris du point de vue des buts qu’elle se propose. Considérant la société capitaliste de son époque, Marx opposait le despotisme dans l’atelier à l’anarchie dans la société. Mais le capitalisme bureaucratique, à l’Est comme à l’Ouest, c’est le despotisme et l’anarchie, dans l’atelier et dans la société. Les immenses gaspillages et absurdités de la « planification » bureaucratique, amplement connus depuis longtemps, ne sont nullement un trait accidentel ou réformable ; ils résultent des caractères les plus importants de l’organisation bureaucratique. L’existence même de l’Appareil bureaucratique porte l’opacité sociale à un degré inconnu auparavant, et fait que l’information requise pour une planification - de l’économie, ou même de la production d’une grande entreprise - fait constamment défaut. La masse des exécutants cache la vérité à l’Appareil. La condition vitale d’existence de tout secteur de la bureaucratie est la falsification des faits aux yeux du reste de la bureaucratie. L’Appareil essaie de résoudre le problème par la multiplication des contrôles et des instances bureaucratiques, qui ne font que multiplier les facteurs qui le font naître. A moitié aveugle, l’Appareil est aussi à moitié décérébré. « Expertise », « savoir », « compétence » de la bureaucratie sont des leurres idéologiques. Dans un système bureaucratique-hiérarchique moderne (à l’opposé d’un tel système traditionnel), il n’existe ni ne peut exister aucun dispositif ou procédure « rationnels » de nomination et de promotion des bureaucrates. Par conséquent, une grande partie de l’activité de ceux-ci vise à essayer par tous les moyens de résoudre leur problème personnel. La lutte entre cliques et clans devient ainsi un facteur sociologique essentiel qui domine la vie de l’Appareil et en vicie radicalement le fonctionnement, transformant la plupart du temps les options objectives en enjeux de la lutte entre cliques et clans. Créant une scission radicale dans la société de par son existence même, la fragmentant de plus en plus afin de la mieux contrôler, introduisant nécessairement en son propre sein la même fragmentation, la même division du travail et des tâches qu’il impose partout, l’Appareil prétend être le lieu de la synthèse, de la re-composition de la vie sociale - mais ne l’est que fictivement. Les instances bureaucratiques particulières s’enlisent régulièrement dans leur propre inertie. Les interventions brutales du Sommet de l’Appareil doivent trancher chaque fois in extremis dans l’arbitraire les problèmes qui ne peuvent plus être ajournés [1956 b, 1960 b, 1976].

10. L’industrialisation de la Russie - et l’extension du régime bureaucratique sur 1,3 milliard. d’individus - n’a guère atténué les conflits et les antinomies qui déchirent la société russe, pas plus qu’elle n’a réduit le pouvoir de la bureaucratie. Certes la terreur policière a changé de degré et de méthodes depuis la mort de Staline, en même temps que la bureaucratie essaie d’entrer dans la voie de la « société de consommation ». Mais aussi bien le contenu que l’échec du khrouchtchevisme montrent les limites des tentatives d’autoréforme de la bureaucratie, et les contradictions qu’elles rencontrent. Ainsi, un certain degré de « démocratisation » apparaît comme requis pour surmonter les traits les plus irrationnels du système. Mais les tentatives, même timides, dans cette direction risquent d’aboutir à des explosions (événements de 1956 en Europe de l’Est), ou bien ouvrent la porte à une utilisation des « droits » concédés qui devient rapidement intolérable pour la bureaucratie (dissidence des intellectuels depuis une quinzaine d’années). C’est que toute possibilité de remettre en question le pouvoir du Parti serait un suicide pour la bureaucratie, et toute « démocratisation », même limitée, du Parti serait un suicide pour l’instance qui incarne, personnifie et exerce le pouvoir, à savoir le Sommet de l’Appareil. - De même, le besoin de réformer la gestion de l’économie à tous les niveaux, pour en limiter les absurdités, se heurte à la nécessité, pour ce faire, de réduire le rôle et les pouvoirs discrétionnaires de la bureaucratie - soit, de procéder à une auto-mutilation de la couche dominante. Tel serait le cas si l’on tentait d’injecter des « mécanismes de marché » dans le système actuel ; mais aussi, si l’on voulait procéder à une « cybernétisation » de l’économie, laquelle - de toute façon irréalisable dans la situation russe - exigerait l’élimination de la plus grande partie de la bureaucratie « productive » et économique existante et ne conduirait qu’à la prolifération de nouvelles instances bureaucratiques. Ainsi, les « réformes » économiques de la bureaucratie se traduisent essentiellement par des oscillations récurrentes entre des tentatives de plus grande et de moins grande centralisation [1956 b, 1957 b]. Certes, un régime bureaucratique plus « souple » n’est pas inconcevable, ni en droit, ni en fait (cf. la Yougoslavie). Ce sont les conditions concrètes de la Russie qui en rendent l’éventualité extrêmement improbable : le risque de l’effondrement de l’Empire Russe (cf. aussi bien les événements de 1956 que l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968), et la situation virtuellement explosive existant dans le pays même.

11. En effet, les problèmes fondamentaux qui se posaient à l’Empire des Tsars et ont provoqué son renversement non seulement n’ont pas été résolus, mais se trouvent considérablement aggravés. Problème agraire : les paysans étaient, jusqu’à très récemment, en état de servage juridique, attachés à la glèbe en droit (ne possédant pas de passeport intérieur), et sans doute le sont-ils toujours en fait ; la Russie, grenier de l’Europe déjà avant les temps d’Hérodote, parvient à peine à nourrir sa population, alors que les pays occidentaux subventionnent la paysannerie pour qu’elle ne produise pas ; l’« organisation » de l’agriculture doit être constamment remise sur le tapis, sans aucun résultat tangible. Problème du développement industriel : le système ne parvient toujours pas à satisfaire la demande solvable de la population pour des objets d’usage courant ; la fabrication de produits d’une qualité satisfaisante et constante constitue toujours une question insoluble ; l’équilibre militaire avec les Etats-Unis n’est maintenu qu’en consacrant une proportion exorbitante des ressources productives (probablement trois ou quatre fois plus grande qu’aux Etats-Unis) à la production d’armements et au prix d’un sous-développement considérable de tous les secteurs civils ; après soixante ans de « socialisme » et de surexploitation de la population, le produit national par habitant est du même ordre de grandeur que celui de l’Espagne si ce n’est de la Grèce. Ce régime « socialiste » n’a pas encore pu résoudre le problème que les hommes ont résolu dès le néolithique : assurer la soudure entre une récolte et la récolte suivante, ni cet autre, résolu au moins depuis les Phéniciens : fournir à ceux qui sont disposés à en payer le prix les marchandises qu’ils demandent. Question nationale : chauvinisme grand-russien et antisémitisme aussi forts que jamais rencontrent toujours la haine des nationalités enfermées de force dans la prison modernisée des peuples ; la Russie reste le seul pays important et « développé » où des nations entières sont maintenues dans la servitude. Question politique : indépendamment de l’exclusion radicale du peuple de tout contrôle sur les affaires publiques et de toute connaissance de celles-ci, la bureaucratie n’a pu et ne peut trouver aucun mode de fonctionnement régulier pour résoudre le problème de sa propre direction, hormis la lutte entre cliques et clans et les intrigues de cour. Comme les changements au Sommet doivent être les plus espacés possible, sous peine d’ébranlement fatal de tout l’édifice, la gérontocratie en est la conséquence inéluctable. L’Etat, et le Parti qui en est l’âme, qui prétendent réguler tous les aspects de la vie sociale et résoudre tous les problèmes à la place des intéressés, ne font que multiplier ces problèmes de par leur existence même et par leur mode d’opération. Leur monstrueux gonflement témoigne de l’extrême acuité de la scission antagonique de la société. La persistance et l’aggravation de ces problèmes s’accompagnent d’une véritable involution culturelle. Le peuple qui a produit Dostoïevski, Moussorgsky, Maïakovski, doit subir le crétinisme, le pompiérisme et l’effarante stérilité de la culture « officielle ». En même temps, l’idéologie d’Etat se décompose. L’invocation du « marxisme-léninisme » est devenue un simple rituel [1956 a]. La bureaucratie condamne la culture russe à la stérilité, parce qu’elle est elle-même condamnée au mutisme. Il lui est impossible de parler ou de laisser parler véritablement de son péché originel, de sa naissance sanglante dans et par la terreur de Staline - qu’elle n’ose ni condamner ni réhabiliter pleinement ; et il lui est impossible d’effacer purement et simplement trente ou quarante ans d’histoire russe, d’autant que celle-ci continue sans altération essentielle. Tout autant lui est-il impossible de laisser présenter une image véridique, fût-elle artistique, de son présent, d’accepter une discussion sur l’état de la société russe, de tolérer des recherches et des initiatives qui échapperaient à son contrôle. Le résultat en est l’usure, pour ne pas dire la disparition totale, de son emprise surtout sur les jeunes générations mais aussi sur une partie grandissante de la population. En fait, le seul ciment de la société bureaucratique, hormis la répression, est désormais le cynisme. La société russe est la première société cynique de l’Histoire. Mais on ne connaît pas dans l’histoire d’exemple de société qui ait pu survivre longtemps dans le cynisme pur et simple ; aussi ce n’est pas un hasard si le chauvinisme et le nationalisme grand-russes deviennent de plus en plus marqués. Comprimés par la terreur bureaucratique, ces conflits n’en explosent que plus violemment lorsque l’occasion se présente (cf. les exemples décrits par Soljénitsyne ou Pliouchtch). Parmi les pays industrialisés, la Russie reste le premier candidat à une révolution sociale.

12. Le régime russe fait partie intégrante du système mondial de domination contemporain. Avec les Etats-Unis et la Chine il en constitue un des trois piliers ; il est, solidairement avec les autres, le gérant et la garant du maintien du statu quo social et politique à l’échelle de la planète. Cette solidarité et complicité, qui sont constamment à l’œuvre en coulisse se sont manifestées de manière éclatante par exemple lorsque les Trois sont intervenus de concert pour aider le Gouvernement de Ceylan à écraser le soulèvement de 1971 ; de même qu’il est plus que possible qu’Etats-Unis et Russie interviendraient de concert pour étouffer une révolution en Europe ou ailleurs dès qu’ils seraient convaincus qu’ils ne pourraient pas la contrôler ou l’utiliser. Parallèlement, l’antagonisme impérialiste des Trois reste aigu et continue d’avoir comme horizon une Guerre mondiale qui n’est nullement rendue impossible, comme le prétend la propagande officielle, par l’équilibre de la terreur nucléaire.

II

13. Convenons d’appeler régime social un type donné d’institution de la société en tant qu’il dépasse une société singulière. La notion et le terme de « mode de production » ont une validité s’il s’agit de caractériser la production comme telle ; non pas une société ou une classe de sociétés. Telle ne pourrait être le cas que si production et « mode de production » déterminaient nécessairement et suffisamment l’ensemble de l’organisation et de la vie sociale - ce qui est, non pas même faux, mais privé de sens. Le rapport même entre la production (et les rapports de production) et l’organisation globale de la société est chaque fois spécifique au régime social dont il s’agit, à l’institution donnée de la société et fait partie de cette institution [1964 b, 1974 a, 1975]. Le régime social de la Russie (et des pays de l’Europe de l’Est, de la Chine etc.) est le capitalisme bureaucratique total, le régime social des pays industrialisés de l’« Occident » est le capitalisme bureaucratique fragmenté [1949 a, 1949 b, 1976, 1978].

14. L’émergence de la bureaucratie moderne et du capitalisme bureaucratique, total ou fragmenté, soulève un nombre immense de problèmes, dont il n’est ici possible que d’effleurer quelques-uns. La réflexion de ces problèmes fait éclater les conceptions héritées sur la société et l’histoire ; l’avènement historique de la bureaucratie et le fonctionnement de la société bureaucratique restent insaisissables dans le cadre des grandes théories traditionnelles [1949 a, 1963, 1964 a, 1964 b,1973, 1975]. Le monde contemporain vit sur des représentations de la société et de l’histoire lesquelles, formées déjà en 1848, n’ont rien à dire sur le monde contemporain. Cela est immédiatement évident pour ce qui est des conceptions « libérales » et « néolibérales », économiques et sociologiques. Que peut être pour celles-ci le régime bureaucratique, qui transgresse constamment la « rationalité économique », sinon un mauvais accident contraire à la nature humaine ? Que faire de la transformation des citoyens en rouages de la machine étatique, si ce n’est une inexplicable résurgence, au milieu de la « démocratie » et de la « diffusion des connaissances », de la forme transhistorique de la tyrannie ? - La situation est en partie différente pour ce qui est de la conception de Marx, mais à condition d’en casser l’ossature systématique-dogmatique, d’en comprendre les limites, et de la mettre en relation avec les altérations de la réalité historique. Le Capital est à lire à la lumière de la Russie, non pas la Russie à la lumière du Capital. En restant asservis non pas même à la pensée de Marx, mais à ce que de cette pensée ils ont transformé en schéma mécanique, les « marxistes » contemporains se sont rendus incapables de dire quoi que ce soit de pertinent sur le monde moderne. En particulier, la bureaucratie et le régime bureaucratique restent pour eux carrément impossibles comme objets de pensée.

15. Ainsi, pour la presque totalité des courants et des auteurs marxistes (laissant évidemment de côté les communistes orthodoxes), tout semble avoir été dit lorsque le régime russe est caractérisé comme le produit de la dégénérescence de la Révolution d’Octobre, elle-même causée par l’« arriération » du pays et l’« isolement » du nouveau pouvoir. Que le régime russe ait trouvé son origine dans une révolution se réclamant du socialisme et où les ouvriers et les paysans ont joué un rôle décisif et dans une large mesure autonome, est une chose. Que l’on puisse, en invoquant cette origine, évacuer la question de la nature présente de ce régime, du produit final de cette « dégénérescence », en est une autre, tout à fait différente. La conjoncture historique à travers laquelle un régime s’instaure a son importance, mais ne suffit nullement pour le caractériser. Un capitalisme établi moyennant la fusion pacifique de la bourgeoisie avec l’ancienne aristocratie ou même la simple transformation de celle-ci en classe capitaliste (Japon) ne diffère pas essentiellement à cet égard d’un capitalisme qui s’instaurerait à la suite d’une élimination violente de l’aristocratie par la bourgeoisie. Le terme même de dégénérescence ne correspond pas à ce qui est ici en cause. Au « double pouvoir » du Gouvernement provisoire et des Soviets entre février et octobre 1917 a succédé le « double pouvoir » du parti bolchevique et des organismes des travailleurs (essentiellement les Comités de fabrique), dont le deuxième terme a été graduellement réprimé et définitivement éliminé en 1921 [1949 a, 1958 b, 1960 a, 1964 a]. L’explication de l’avènement du régime bureaucratique par la dégénérescence d’une révolution s’effondre devant l’accession au pouvoir de la bureaucratie en Chine et ailleurs. L’interprétation de la dégénérescence elle-même comme effet de I’« arriération » et de l’« isolement » - dérisoirement superficielle, et dont la fonction est de masquer la problématique politique d’une révolution socialiste et le caractère dès le départ bureaucratique-totalitaire du parti bolchevique - est devenue totalement anachronique, puisque l’industrialisation de la Russie et l’extension de l’Empire bureaucratique n’ont en rien entamé la domination de la bureaucratie. Si, les prétendues causes ayant disparu, l’effet persiste, et si le même effet se produit là où les causes n’existent pas, force est de reconnaître que cet effet a un autre enracinement dans la réalité que les circonstances entourant sa première apparition. Continuant de se réclamer de Marx - qui écrivait : « au moulin à bras correspond la société féodale, au moulin à vapeur la société capitaliste » ces conceptions affirment implicitement qu’à la chaîne d’assemblage correspond, ici, le capitalisme, là-bas, le « socialisme » ou l’« Etat ouvrier ». Incapables de réfléchir cette nouvelle entité social-historique qu’est la bureaucratie moderne, elles ne peuvent parler de la Russie, de la Chine, etc. que par référence à une société socialiste, dont ces régimes représenteraient des déformations. Elles ne conservent ainsi en fait de Marx que son schéma métaphysique-déterministe de l’histoire : il existerait une étape pré-déterminée de l’histoire de l’humanité, le socialisme, succédant nécessairement au capitalisme. Par conséquent, ce qui n’est pas « capitalisme » (conçu au surplus de la manière la plus superficielle à partir de la « propriété privée », de la « marchandise » etc.), ne pourrait être que du socialisme - au besoin déformé, dégénéré, très dégénéré etc. Mais le socialisme n’est pas une étape nécessaire de l’histoire. C’est le projet historique d’une nouvelle institution de la société, dont le contenu est l’auto-gouvernement direct, la direction et la gestion collective par les humains de tous les aspects de leur vie sociale et l’auto-institution explicite de la société. En réduisant le socialisme à une affaire purement « économique » et la réalité économique aux formes juridiques de la propriété ; en présentant comme socialistes l’étatisation et la « planification » bureaucratique, ces conceptions ont pour fonction sociale de masquer la domination de la bureaucratie, d’en occulter les racines et les conditions, pour justifier la bureaucratie en place ou camoufler les visées des bureaucrates « révolutionnaires » candidats au pouvoir.

16. La bureaucratie moderne est, jusqu’à un certain point, pensable dans le référentiel marxien ; mais aussi, au-delà de ce point, elle le fait éclater. A un certain niveau d’abstraction (comme l’avait vu Max Weber, et comme ne l’avait pas vu Marx), elle constitue l’aboutissement immanent de l’évolution « idéale » du capitalisme. Du point de vue productif-économique étroit, l’évolution technologique, l’organisation concomitante de la production et le procès de concentration du capital entraînent l’élimination du capitaliste individuel « indépendant » et l’émergence d’une strate bureaucratique qui « organise » le travail de milliers de travailleurs dans les entreprises géantes, assume la gestion effective de l’entreprise et des complexes d’entreprises, et prend en charge les modifications incessantes des instruments et des méthodes de production (par quoi elle diffère radicalement de toute bureaucratie « traditionnelle » gérant un système statique). Parvenue à son plein développement, cette strate s’approprie une partie du surplus produit (sous la forme de « salaires » etc.), et décide de l’affectation de l’autre partie de ce surplus par des mécanismes dont la « propriété privée du capital » n’est une condition ni nécessaire ni suffisante. Le ou les capitalistes « propriétaires », s’il en subsiste, ne peuvent jouer un rôle dans l’entreprise moderne que moyennant la place qu’ils y occupent dans la pyramide bureaucratique. Si, comme le pensait Marx, la concentration du capital « ne s’arrête pas avant que tout le capital social ne se trouve concentré entre les mains d’un seul capitaliste ou groupe de capitalistes », ce seul capitaliste ou groupe de capitalistes ne saurait dominer en personne des centaines de millions de travailleurs ; une telle situation n’est pas concevable sans l’émergence et la prolifération d’une strate contrôlant, gérant, dirigeant effectivement la production et disposant en fait de celle-ci, et dont ce capitaliste lui-même dépendrait. Dans l’histoire effective des pays capitalistes classiques, la concentration n’atteint pas (et ne pourrait pas atteindre) sa « limite idéale » de cette manière (en fonction de la seule évolution économique). Mais les tendances que l’ont vient de décrire s’y réalisent amplement, et suffisamment pour permettre de définir le régime social des pays occidentaux comme capitalisme bureaucratique fragmenté. La bureaucratie moderne est donc interprétable, dans le référentiel de Marx, comme le produit organique de l’évolution de la production capitaliste et de la concentration du capital, comme la « personnification du capital » à une certaine étape de son histoire, comme l’un des pôles du rapport de production capitaliste, la division dirigeants/exécutants, et l’agent actif de la réalisation, de la diffusion, de la pénétration toujours plus poussée de ce rapport dans les activités de production (et dans toutes les autres). La séparation de la direction et de la production immédiate, le transfert de la direction de l’activité de travail à une instance extérieure au travail et au travailleur ; la pseudo-« rationalisation » ; le « calcul » et la « planification » étendue à des segments de plus en plus grands de la production et de l’économie, etc. - toutes ces fonctions, il est exclu qu’elles soient accomplies par des « personnes » et moyennant simplement la « propriété du capital ». Il est tout autant exclu qu’elles soient accomplies par le « marché », à moins de penser celui-ci selon la mythologie de l’économie politique (que Marx a, en fait, partagée). Elles ne peuvent être accomplies que par la bureaucratie, et moyennant la création de l’Appareil bureaucratique [1949 a, 1959 a, 1960 b, 1978]. Et la domination de la bureaucratie apparaît comme la forme adéquate par excellence de la domination de l’« esprit » du capitalisme (ici encore, Max Weber avait vu les choses beaucoup plus clairement que Marx) -, soit du magma de significations imaginaires sociales que réalise l’institution du capitalisme.

17. La cécité de Marx devant les implications de sa propre vue correcte de la concentration du capital n’est pas accidentelle (et elle a les mêmes raisons que l’indigence de la plupart des autres abords théoriques de la bureaucratie moderne). La concentration, à sa limite, implique non seulement l’élimination des « capitalistes individuels », mais l’abolition du « capital » comme tel et de l’« économie » comme secteur effectivement séparé du reste de la vie sociale. Concentration et monopolisation entraînent la réduction croissante du « marché », l’altération essentielle du caractère de ce qui en subsiste, son remplacement par le condominium des oligopoles et monopoles et finalement par une organisation « intégrée » (« planifiée ») de la production et de l’économie. A la limite de la concentration totale (et en fait, longtemps avant que celle-ci ne soit atteinte), il n’y a plus de « marché » véritable, plus de « prix de production », plus de « loi de la valeur » et finalement plus de « capital » au sens que Marx donnait à ce terme (qui contient comme moment inéliminable l’idée d’une somme de « valeurs » en processus d’auto-agrandissement). Au mieux, la « loi de la valeur » est transformée dans ce cas en règle (norme, prescription) de comportement subjectif « rationnel », du capitaliste unique ou de la bureaucratie, dont non seulement rien ne garantit qu’elle serait suivie, mais tout assure qu’elle ne pourrait pas l’être [1948, 1953 a, 1978]. Sous le capitalisme bureaucratique total on ne peut plus parler de « lois économiques », trivialités exceptées (les contraintes physiques et techniques ne sont pas des « lois économiques »). C’est pourquoi aussi sont vides de contenu les conceptions qui voient dans la Russie un « capitalisme d’Etat », et prétendent que les « lois économiques du capitalisme » continuent d’y régner, avec simple substitution de l’« Etat » à la « classe capitaliste ».

18. Mais à en rester à cette interprétation de la bureaucratie, on négligerait des dimensions essentielles de sa réalité - celles précisément qui mettent en question la conception marxienne et la rendent finalement intenable. Même dans les pays capitalistes « classiques », émergence et croissance de la bureaucratie ne sont nullement réductibles à la concentration du « capital » et à la bureaucratisation concomitante de la production et de l’entreprise. En fait, l’organisation industrielle occidentale, dès ses origines, emprunte son modèle à l’organisation bureaucratique-hiérarchique séculaire des Etats et des Armées, qu’elle transforme à son usage - non seulement en l’adaptant aux nécessités de la production, mais surtout en en faisant l’instrument et le porteur du « changement », à l’opposé de la bureaucratie « statique » traditionnelle. Par la suite, le modèle bureaucratique « industriel » est à son tour repris par l’Etat, l’Armée et les Partis. La bureaucratisation des sociétés capitalistes « classiques » trouve une source puissante dans l’expansion considérable du rôle et des fonctions de l’Etat, tant générales que proprement économiques, indépendante de toute « étatisation » formelle de la production (cf. les Etats-Unis), qui entraîne aussi bien la prolifération de la strate bureaucratique et l’amplification de ses pouvoirs, que la multiplication de mécanismes institutionnels non marchands d’intégration et de gestion des activités sociales. Enfin, elle trouve une source importante dans l’évolution du Mouvement ouvrier. La constitution d’une bureaucratie syndicale et politique « ouvrière » traduit l’adoption du modèle capitaliste par les organisations ouvrières et son acceptation par leurs adhérents [1959] ; soit, la domination continuée des significations imaginaires du capitalisme et des dispositifs institutionnels correspondants (division dirigeants/exécutants, hiérarchie, spécialisation etc.) sur la classe ouvrière en dehors de la production et dans les instruments mêmes qu’elle a créés pour lutter contre le capitalisme.

19. Déjà donc l’évolution d’une société capitaliste « classique » vers le capitalisme bureaucratique fragmenté n’est pas interprétable seulement en termes de production et d’économie. Mais, encore plus important, l’émergence et la domination de la bureaucratie en Russie ne résultent pas d’une telle évolution « organique », mais de la rupture qu’a été la Révolution de 1917 et d’un processus essentiellement politique. La première bureaucratie moderne à se constituer en couche dominante - et qui a servi, mondialement, de catalyseur et d’accélérateur au processus de bureaucratisation - n’est pas la bureaucratie « canonique » que le capitalisme traditionnel aurait engendrée, mais naît dans et par la destruction du capitalisme traditionnel [1964 a, 1964 b]. Encore plus éclairant est le cas des pays « pré-capitalistes », et par excellence de la Chine. Ici, la bureaucratie, accédant au pouvoir à partir d’un processus politique et instaurant à son profit des rapports de domination, crée pratiquement ab ovo des « rapports de production capitalistes » et l’infrastructure matérielle correspondante. Ce n’est pas la bureaucratie chinoise qui est le produit de l’industrialisation de la Chine, mais l’industrialisation de la Chine qui est l’œuvre de la bureaucratie chinoise. La médiation effective et concrète entre le système mondial de domination et la transformation bureaucratique de la Chine n’a pas été fournie par les « infrastructures », sauf négativement, pour autant que la pénétration et l’impact du capitalisme avaient disloqué l’organisation traditionnelle en Chine ; ce qui s’est fait aussi ailleurs, sans que le résultat soit le même. Le porteur « matériel » des conditions de la transformation bureaucratique de la Chine ont été les catéchismes « marxistes » et le modèle militaro-politique bolchevique, non pas les machines ni même les fusils (Tchiang Kai-chek en avait autant et plus). La médiation concrète entre le capitalisme mondial et la transformation bureaucratique de la Chine se trouve dans la pénétration en Chine des significations imaginaires sociales du capitalisme et des types d’institution et d’organisation correspondants (idéologie « marxiste », Parti politique, « progrès », « production » etc.). Et c’est en ce sens - et non pas parce qu’il y aurait domination du « capital » - que la Chine, comme la Russie etc., appartiennent finalement au même univers social-historique que les pays « occidentaux », celui du capitalisme bureaucratique.

20. Le capitalisme bureaucratique total n’est donc ni une simple variante du capitalisme traditionnel, ni un moment de l’évolution « organique » de celui-ci. Appartenant à l’univers social-historique du capitalisme, il représente aussi une rupture et une création historique nouvelle. Et la relation entre ce qui s’altère et ce qui ne s’altère pas lorsqu’on passe du capitalisme traditionnel au capitalisme bureaucratique intégral est elle-même nouvelle [1964 a, 1964 b, 1975]. Cette rupture est évidente lorsque l’on considère le groupe social concret qui exerce, dans les deux cas, la domination. Elle l’est tout autant lorsque l’on considère l’institution, spécifique du régime social, notamment les mécanismes et dispositifs explicites et implicites, formels et informels, moyennant lesquels est réalisée et assurée la domination d’un groupe social particulier sur l’ensemble de la société. L’institution nucléaire et germinale du capitalisme : l’entreprise, reste le lien entre les deux phases. Mais la « propriété » (ou mieux, la disposition) « privée » du « capital », le « marché » comme mécanisme d’intégration économique, la distinction formelle de l’« Etat » et de la « société civile », essentiels pour l’existence du capitalisme traditionnel, disparaissent sous le capitalisme bureaucratique total, lequel est caractérisé par l’extension universelle de l’Appareil bureaucratique-hiérarchique moderne, le « plan » comme mécanisme d’intégration, l’effacement de la distinction formelle entre la « société civile » et l’« Etat ». La relation de la couche dominante à ces mécanismes est évidemment différente dans les deux cas - comme, dans tous les régimes sociaux, la relation de la couche dominante aux mécanismes institués correspondant à sa domination est chaque fois sui generis, partie propre et spécifique de l’institution de ce régime social. Pour une bonne partie, l’incompréhension du régime russe provient aussi de ce qu’on veut toujours voir la relation entre la bureaucratie et les mécanismes institués à partir du modèle de la relation de la bourgeoisie à la propriété du capital et au marché (que ce soit pour affirmer que les deux relations sont identiques, ou pour conclure de leur différence qu’il n’y a pas en Russie d’exploitation). Mais la relation entre les propriétaires d’esclaves et les mécanismes du régime esclavagiste, les seigneurs et les mécanismes du régime féodal, les bourgeois et les mécanismes du régime capitaliste, est chaque fois différente et fait partie du mode d’institution des régimes sociaux correspondants [1964 b, 1974, 1975]. De même, il est tout autant faux de penser le groupe social dominant comme simple « personnification » des mécanismes et dispositifs institués (comme le fait Marx pour les capitalistes et le « capital ») que de voir dans ces mécanismes un simple « instrument » de ce groupe (comme le font la plupart des marxistes pour l’Etat). Ce rapport n’est pas pensable sous les catégories de l’« instrumentalité », de la « personnification » ou de l’« expression » ; c’est un rapport sans analogue ailleurs, à penser pour lui-même. Et politiquement, il est tout autant fallacieux de parler du « pouvoir » en évacuant le fait qu’il est toujours aussi pouvoir d’un groupe sur les autres, que de parler de groupes ou de classes en évacuant les systèmes institués qui leur correspondent. - Dans le capitalisme bureaucratique total, l’intrication de l’« économique », du « politique », de l’« idéologique » etc., acquiert un caractère nouveau relativement aux sociétés capitalistes « classiques » ; il y a institution autre des sphères de l’activité sociale et de leur articulation. Il est absurde de raisonner à son propos comme si les catégories sociales posées et instituées comme séparées par d’autres types de société, et par excellence par la société capitaliste « classique » - économie, droit, Etat, « culture » etc. -, y subsistaient inaltérées [1964 b, 1974, 1975].

21. L’avènement du capitalisme bureaucratique total confirme ce que l’étude des sociétés pré-capitalistes aurait déjà pu montrer : ce n’est pas dans et par la production que les « classes » se forment en général [1964 b, 1974]. L’institution d’un régime social de division asymétrique et antagonique équivaut à l’instauration d’un rapport de domination entre un groupe social et le reste de la société, à laquelle correspond un ensemble d’institutions « secondes » [1975, pp. 495-496]. Telles sont les institutions qui incarnent et réalisent dans la sphère étroitement politique et coercitive le pouvoir du groupe dominant, et notamment l’Etat ; celles qui permettent la création d’un surplus économique et son appropriation par le groupe dominant [1978] ; enfin, celles qui assurent la domination des mythes, des croyances religieuses, des idées, bref des représentations et significations sociales correspondant à l’institution donnée de la société, leur intériorisation par les individus, et la fabrication indéfinie d’individus conformes à cette institution. Ainsi, par exemple, des rapports de production antagoniques ne peuvent exister ni logiquement ni réellement que comme moment et dimension des rapports de domination. Ils sont intrinsèquement des rapports de domination dans la sphère spécifique de la production et du travail : rapports de domination extérieurs au procès de travail lui-même dans un régime esclavagiste ou féodal, le pénétrant de plus en plus sous le régime capitaliste [1949, 1964 b]. Et ils impliquent la constitution d’un pouvoir sur la société et son appropriation par un groupe social particulier. L’origine, et le fondement de l’unité, de ce groupe, ne se trouvent pas nécessairement dans la position identique des individus qui le composent relativement à la production, mais dans leur participation à ce pouvoir sur le reste de la société - pouvoir qui doit bien entendu se traduire aussi comme « pouvoir économique », soit, disposition du temps des gens et affectation d’une partie de ce temps à des activités qui servent le groupe dominant ou dont il s’approprie le résultat. Il se peut qu’un tel pouvoir soit déjà historiquement constitué dans la société considérée, et qu’une catégorie sociale formée à partir de la production/économie (ou même autrement) s’en empare, en le transformant peu ou beaucoup, pour parvenir à la pleine domination. Tel fut le cas de la bourgeoisie - extrapolé à tort, par Marx, sur l’ensemble de l’histoire. Même dans ce cas, du reste, il serait faux de voir dans le pouvoir et l’Etat quelque chose qui se surajoute à une structure productive économique en lui restant extérieur, ou un simple instrument de la couche sociale en train d’accéder à la domination. Mais il se peut aussi que ce soit par l’instauration directe d’un nouveau rapport de domination et d’une nouvelle forme de pouvoir qu’un groupe social (ethnie conquérante, groupe « politique ») crée et impose les rapports de production correspondant à cette domination et permettant sa reproduction sociale. Telle a été, vraisemblablement, l’origine des sociétés esclavagistes, et, certainement, l’origine la plus fréquente des régimes féodaux ; et telle est l’origine des régimes bureaucratiques contemporains en Russie, en Chine ou en Europe de l’Est.

22. Sous le capitalisme bureaucratique total, l’abolition de l’« économie » comme sphère séparée et relativement autonome fait partie d’une altération essentielle du rapport entre « société civile » et Etat. A vrai dire, cette distinction elle-même - qui reste encombrée d’importants éléments idéologiques, correspondant au point de vue de la bourgeoisie classique sur la société - doit être réexaminée. La réalité des rapports entre la « société civile » et l’Etat n’a jamais été telle que l’ont présentée les constructions théoriques (y compris chez Hegel et Marx). Mais en tout cas la société bourgeoise vit et se développe dans la distinction entre une sphère privée, une sphère publique « civile » et une sphère publique étatique. Cette distinction se trouve déjà ébranlée par l’évolution qui conduit au capitalisme bureaucratique fragmenté : l’extension des activités de l’Etat restreint de plus en plus le domaine public « civil », la sphère « privée » elle-même tend à devenir, sous de multiples formes, « publique » [1960 b, 1963]. Un saut qualitatif se produit avec le capitalisme bureaucratique total. La distinction entre la sphère publique « civile » et la sphère publique étatique est effacée, la sphère « privée » est réduite au minimum (à la limite, aux fonctions biologiques des individus). Il n’y a pas, pour autant, domination de l’Etat comme tel sur la société - ni « absorption de la société civile par l’Etat ». L’Etat est lui-même dominé par un organisme « politique » séparé - dans le cas typique et prévalent : le Parti, instance ultime de décision et de pouvoir, et, dans le Parti lui-même, le Sommet de l’Appareil. Le Parti, organisation et milieu unificateur du groupe dominant, ne peut s’identifier en paroles à la société qu’aussi longtemps que la terreur qu’il exerce sur elle, la réduisant au silence, dénonce cette identification. Et il ne pourrait « absorber » la société sans cesser d’être ce qu’il est et que son nom indique clairement une partie de la société, un corps particulier dans celle-ci. D’autre part, l’effacement formel de la distinction entre société civile et Etat ne signifie ni l’« absorption » de celle-là par celui-ci, ni une « unification » de la société. La prétention de l’unification et de l’homogénéisation de la société (formulée dans l’idéologie du Parti), n’a de réalité que sous un seul angle : la soumission indifférenciée de tous au pouvoir illimité et à l’arbitraire du Sommet de l’Appareil. Hormis cela, elle ne peut pas masquer la persistance d’une différenciation sociale (et non simplement « professionnelle ») aussi forte que sous le capitalisme traditionnel (citadins/paysans, travailleurs manuels/travailleurs intellectuels, hommes/femmes, etc.) ; d’une division asymétrique et antagonique de la société entre dirigeants et exécutants (de plus en plus complexifiée par l’interpénétration réciproque des différentes pyramides bureaucratiques-hiérarchiques) ; enfin, des clivages et des conflits au sein de la bureaucratie elle-même. Plus encore, cette prétention fait surgir une nouvelle opposition, entre l’existence formelle d’un Etat qui devrait recouvrir la totalité du social et coïncider avec celle-ci, et la réalité du social, qui constamment échappe à cet Etat, et en diffère à la fois par excès (faisant plus et autre chose que ce qu’elle est censée faire) et par défaut (ne faisant pas, beaucoup s’en faut, tout ce qu’elle est censée faire). A cette opposition fait pendant, lorsque l’on considère l’Etat en lui-même, une nouvelle scission entre son apparence et sa réalité. La vie « publique civile » est devenue étatique. Mais la vie étatique n’est plus du tout publique ; son déroulement doit être caché dans les moindres détails, et ce qui ailleurs est « public » sans problème devient ici secret d’Etat (depuis les statistiques économiques les plus banales jusqu’aux annuaires du téléphone et les plans du métro de Moscou).

23. Le régime russe appartient à l’univers social-historique du capitalisme parce que le magma des significations imaginaires sociales qui animent son institution et se réalisent dans et par elle est celui-là même qui advient dans l’histoire avec et par le capitalisme. Le noyau de ce magma peut être décrit comme l’expansion illimitée de la maîtrise « rationnelle ». Il s’agit, bien entendu, d’une maîtrise en grande partie illusoire, et de la pseudo-« rationalité » de l’entendement et de l’abstraction [1955, 1957 c, 1960 b, 1964 a, 1964 b, 1973, 1974 b, 1975]. C’est cette signification imaginaire qui constitue le point de jonction central des idées qui deviennent des forces et des processus effectifs dominant le fonctionnement et l’évolution du capitalisme : l’expansion illimitée des forces productives ; la préoccupation obsédante avec le « développement », le « progrès technique » pseudo-rationnel, la production, l’« économie » ; la « rationalisation » et le contrôle de toutes les activités ; la division de plus en plus poussée des tâches ; la quantification universelle, le calcul, la « planification » ; l’organisation comme fin en soi, etc. Les corrélats en sont les formes institutionnelles de l’entreprise, de l’Appareil bureaucratique-hiérarchique, de l’Etat et du Parti modernes, etc. Plusieurs de ces éléments - significations et formes institutionnelles - sont créés au cours de périodes historiques antérieures au capitalisme. Mais c’est la bourgeoisie, pendant sa transformation en bourgeoisie capitaliste, qui, en les reprenant, en altère le sens et la fonction, les réunit et les subordonne à la signification de l’expansion illimitée de la maîtrise « rationnelle » (explicitement formulée dès Descartes, et toujours centrale chez Marx, par où la pensée de celui-ci reste ancrée dans l’univers capitaliste). Et cette signification, médiatisée par la transformation du Marxisme en idéologie et par l’organisation politique du Parti, rassemble, unifie, anime et guide la bureaucratie dans son accession à la domination de la société, dans l’institution spécifique de son régime et dans la gestion de celui-ci.

24. La « réalisation » de cette signification imaginaire sociale est profondément antinomique. C’est là un trait décisif des sociétés modernes, qui les oppose radicalement aux sociétés traditionnelles, « archaïques » ou « historiques », où l’on ne rencontre pas une antinomie de ce type [1960 b, 1964 b, 1975]. La société moderne ne vise que la « rationalité » et ne produit, massivement, que de l’« irrationalité » (du point de vue de cette « rationalité » même). Ou encore : dans aucune autre société connue, le système de représentations que la société se donne d’elle-même ne se trouve en opposition flagrante et violente avec la réalité de cette société, comme c’est le cas sous le régime du capitalisme bureaucratique. Il est parfaitement logique que cette antinomie atteigne à un paroxysme délirant sous les formes extrêmes du totalitarisme « marxiste », sous le règne de Staline et de Mao.

25. Ce système de représentations tend de plus en plus, dans les sociétés modernes, à se réduire à l’idéologie. L’idéologie est l’élaboration « rationalisée-systématisée » de la partie émergée, explicite, des significations imaginaires sociales qui correspondent à une institution donnée de la société - ou à la place et aux visées d’une couche sociale particulière au sein de cette institution. Elle ne peut donc apparaître ni dans les sociétés « mythiques », ni dans les sociétés « simplement » religieuses. Elle ne connaît son véritable développement qu’à partir de l’institution du capitalisme, ce qui se comprend de soi. Elle y prend une importance grandissante du fait même que la signification imaginaire centrale du capitalisme est la prétendue rationalité, et que son contenu même exige cette forme d’expression « rationnelle » qu’est l’idéologie. L’idéologie doit ainsi rendre tout explicite, transparent, explicable et rationalisable - en même temps que sa fonction est de tout occulter. Sujette à cette contradiction intrinsèque, et en opposition frontale avec la réalité sociale, l’idéologie est obligée de tout aplatir et de s’aplatir elle-même, elle devient forme vide et se condamne à une usure interne accélérée. Le destin actuel du « marxisme-léninisme » en Russie et en Chine en fournit une illustration éclatante et extrême.

Cornelius Castoriadis , Octobre 1977

REFERENCES

1946 : « Sur le régime et contre la défense de l’URSS », Bulletin intérieur du PCI, No 31, août 1946, réédité dans La société bureaucratique, Vol. 1, Ed. 10/18, Paris, 1923, pp. 63-72.

1947 a : « Le problème de l’URSS et la possibilité d’une troisième solution historique » in l’URSS au lendemain de la guerre, Matériel de discussion préparatoire au II Congrès mondial de la IV’ Internationale, T. III, février 1947 ; rééd. dans La société bureaucratique, Vol. 1, l.c., pp. 73-90.

1947 b : « Sur la question de l’URSS et du stalinisme mondial », Bull. Int. du PCI, N’ 41, août 1947 ; rééd. dans La société bureaucratique, Vol. 1, I.c., pp. 91-100.

1948 : « La concentration des forces productives », inédit (mars 1948), publié dans La société bureaucratique, Vol. 1, l.c., pp. 101-113.

1949 a : « Socialisme ou barbarie », Socialisme ou barbarie (S. ou B.), N’ 1, mars 1949, rééd. dans La société bureaucratique, Vol. 1, I.c., pp. 139-184.

1949 b : « Les rapports de production en Russie », S ou B., N’ 2, mai 1949 rééd. dans La société bureaucratique, Vol. 1, l.c., pp. 205-281.

1949 c : « L’exploitation de la paysannerie sous le capitalisme bureaucratique », S. ou B., N’ 4, octobre 1949 ; rééd. dans La société bureaucratique, Vol. 1, l.c., pp. 283-312.

1953 a : « Sur la dynamique du capitalisme, 1 », S. ou B., N° 12, août 1953.

1953 b : « Sartre, le stalinisme et les ouvriers », S. ou B., N° 12, août 1953 rééd. Dans L’expérience du mouvement ouvrier, Vol. 1, Ed. 10/18, Paris, 1974, pp. 178-248.

1955 : « Sur le contenu du socialisme, I », S. ou B., N° 17, juillet 1955.

1956 a : « Khrouchtchev et la décomposition de l’idéologie bureaucratique », S. ou B., N° 19, juillet 1956 ; rééd. dans La société bureaucratique, Vol. 2, Ed. 10/18, Paris, 1973, pp. 189-209.

1956 b : « La révolution prolétarienne contre la bureaucratie », S. ou B., N° 20, décembre 1956 ; rééd. dans La société bureaucratique, Vol. 2, l.c., pp. 267-337.

1957 a : « Bilan, perspectives, tâches », S. ou B, N’ 21, mars 1957 ; rééd. dans L’expérience du mouvement ouvrier, Vol. 1, I.c., pp. 383-408.

1957 b : « La voie polonaise de la bureaucratisation », S. ou B., N’ 21, mars 1957 ; rééd. dans La société bureaucratique, Vol. 2, l.c., pp. 339-371.

1957 c : « Sur le contenu du socialisme, II », S. ou B., N’ 22, juillet 1957 rééd. dans Le contenu du socialisme, Ed. 10/18, Paris, 1979, pp. 103-221.

1958 a : « Sur le contenu du socialisme, III », S. ou B., N’ 23, janvier 1958 rééd. dans L’expérience du mouvement ouvrier, Vol. 2, Ed. 10/18, Paris, 1974, pp. 9-88.

1958 b : « Sur la dégénérescence de la révolution russe », L’école émancipée, avril 1958 rééd. dans La société bureaucratique, Vol. 2, l.c., pp. 373-393.

1959 : « Prolétariat et organisation, I », S. ou B., N’ 27, avril 1959 ; rééd. dans L’expérience du mouvement ouvrier, Vol. 2, l.c., pp. 123-187.

1960 a : « Conceptions et programme de Socialisme ou Barbarie », Etudes, N’ 6, Bruxelles, octobre 1960 ; rééd. dans La société bureaucratique, Vol. 2, I.c., pp. 395-422.

1960 b : « Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne », S. ou B., N’ 31, 32 et 33, décembre 1960, avril et décembre 1961 ; rééd. dans Capitalisme moderne et révoution, Vol.2, Ed. 10/18, Paris, 1979, pp. 47-203.

1963 : « Recommencer la révolution », S. ou B., N° 35, janvier 1964 ; rééd. dans L’expérience du mouvement ouvrier, Vol. 2, I.c., pp. 307-365.

1964 a : « Le rôle de l’idéologie bolchevique dans la naissance de la bureaucratie », S. ou B., N’ 35, janvier 1964 ; rééd. dans L’expérience du mouvement ouvrier, Vol. 2, I.c., pp. 385-416.

1964 b : « Marxisme et théorie révolutionnaire », S. ou B., N’ 36 à 40, avril 1964 à juin 1965 ; rééd. comme Première partie de L’institution imaginaire de la société, Ed. du Seuil, Coll. « Esprit », Paris, 1975.

1973 : « Introduction » au Vol. 1 de La société bureaucratique, I.c.

1974 a : « La question de l’histoire du mouvement ouvrier », Introduction au Vol. 1 de L’expérience du mouvement ouvrier, l.c.

1974 b : « Réflexions sur le ’développement’ et la ’rationalité’ », Rapport au colloque de Figline-Valdarno, septembre 1974, publié dans Esprit, mai 1976 et maintenant dans Le mythe du développement, Ed. du Seuil, Paris, 1977, pp. 205-240.

1975 : « L’imaginaire social et l’institution » : Deuxième partie de L’institution imaginaire de la société, l.c.

1976 : « The Hungarian Source », Telos, Saint-Louis, Miss., automne 1976 ; version française dans Libre, 1, Ed. Payot, Paris, 1977 ; rééd. dans Le contenu du socialisme, l.c., pp. 367-411.

1978 : « Le système mondial de domination », Introduction à Capitalisme moderne et révolution, Vol. 1, Ed. 10/18, Paris, 1979.


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