Vers des coordinations démocratiques ?

dimanche 6 septembre 2009
par  LieuxCommuns

Texte (datant lui-même de 2000..) et réactions sur le forum « RéseauDesBahuts » lors du mouvement de Mai 2003, qui gardent, malheureusement, leur brulante actualité. Ces ricochets montrent en eux-mêmes que la question traitée est évidemment de la plus haute importance, et qu’elle n’est, bien entendu, discutée qu’une fois l’oligarchisation quasiment achevée... Les « garanties » avancées n’en sont pas, bien entendu, et sont bien plus des voeux pieux, tant la situation actuelle est profondément enracinée et occulte des interrogations pratiques abyssales ; mais elles peuvent constituer un cadre, au moins en tant que cadre de lecture.

POUR UNE COORDINATION DEMOCRATIQUE

Le dimanche 25 mai 2003.

La coordination nationale du 24 mai a refusé le principe d’une représentation démocratique des établissements en lutte. J’ai du mal à percevoir les motivations de ceux qui ont organisé cette manoeuvre. Le problème s’était posé dans les mêmes termes lors des coordinations du mouvement de 2000 contre les mesures Allègre. J’avais alors rédigé un bilan intitulé « Pour une coordination démocratique ». Il me semble encore tout à fait d’actualité. Je l’envoie donc en fichier joint et ci-dessous dans le corps du message. C’est une façon de faire avancer un débat que je crois déterminant pour la suite du mouvement.

R. M. (Châtenay-Malabry)

Attention : je répète qu’il s’agit d’un texte écrit et diffusé en mars 2000. Il faut en tenir compte.

18 mars 2000 POUR UNE COORDINATION DÉMOCRATIQUE

La coordination des établissements en lutte de mars 2000 a eu un énorme mérite : celui d’exister, de rassembler du monde dans une ambiance parfois survoltée qui a contribué à rallier des hésitants. Mais, pour le reste, elle n’a que partiellement tenu le rôle d’une représentation démocratique des grévistes. Une coordination, pour quoi faire ? Certains syndicalistes (pas tous, loin de là, et heureusement !) considèrent les coordinations avec méfiance. Ils estiment que les syndicats, dont les options et les dirigeants sont connus, sont mieux à même de représenter les personnels en lutte que des inconnus surgis d’on ne sait où, représentant on ne sait qui et aux options parfois invérifiables.

Il faut bien reconnaître que les conditions dans lesquelles se sont tenues les coordinations de mars dernier à la Bourse du travail n’ont pu que les conforter dans leurs préventions, même si sur le fond, ils n’ont pas raison. Mais, inversement, certains enseignants (et plus généralement nombre de salariés) manifestent une vive défiance envers les syndicats. C’est dans l’air du temps et le reflet (et un facteur) du recul des organisations (politiques et syndicales) des travailleurs. Mais c’est aussi la rançon des politiques passées des syndicats (grèves presse-bouton, retard à l’allumage dans les luttes, attitudes bureaucratiques pour enterrer les mouvements gênant ceux dont ils sont proches politiquement). Pourtant, même si elles ont parfois été la réplique au refus des syndicats d’adopter leurs revendications et de soutenir leurs luttes, les coordinations ne sont pas des machines de guerre anti-syndicales. Elles visent à une représentation de tous les grévistes, syndiqués ou non, et à leur contrôle sur le mouvement. Les syndicats n’organisent que des minorités. Or, dans la grève, tout le monde, syndiqué ou non, participe à égalité, consent aux mêmes sacrifices et prend les mêmes risques. Il est d’élémentaire démocratie que chacun puisse faire entendre sa voix et participer aux décisions à égalité, condition de l’implication de tous dans le mouvement. Les coordinations (ou les comités de grève) le permettent.... quand elles s’en donnent réellement les moyens. Ce que la coordination des établissements en lutte de mars 2000 n’a pas réellement réussi à faire.

S’intituler Coordination n’est pas une garantie de fonctionnement démocratique et efficace. Une fausse démocratie.

Convoquées à l’issue des manifestations parisiennes ou nationales, les coordinations rassemblaient plusieurs centaines de participants enthousiastes, toujours prêts à entonner en chœur de vibrants « Grève générale de l’Education ! » C’étaient des meetings exaltants tournant parfois à la foire d’empoigne. Mais rarement de véritables coordinations. Leur succès, le nombre des participants, rendaient impossible la réflexion, l’élaboration de propositions, la prise de décisions et même la simple discussion.

Cette difficulté à avoir de réels débats a contribué à alimenter le climat de suspicion réciproque entre certains membres de la Coordination et les syndicats. Entre les réticences ou le retard des syndicats à reprendre certaines des revendications (retrait de la Charte au début, titularisation des précaires même étrangers, appel à la grève générale de l’Education) et le climat de suspicion anti-syndical, certaines AG ont tourné au psychodrame stérile. Il aurait fallu, pour en sortir que la Coordination soit insoupçonnable. Cela n’a pas été le cas. Les Coordinations se sont déroulées selon un protocole quasi invariable.. Sans que l’on sache qui les avait propulsés là, un nombre très réduit de camarades s’est établi président de séances à tour de rôle. Ils semblaient désireux de bien faire, prenaient la peine de faire ratifier leurs fonctions. Pourquoi leur disputer la place, apparemment modeste, qu’ils accaparaient ? Pourtant, distribuer la parole, proposer l’ordre du jour, mettre les propositions aux voix n’est pas qu’une fonction technique et on peut supposer que ce n’était pas pour la seule jubilation de paraître à la tribune que ces camarades s’y cramponnaient. C’était évidemment dans l’espoir de gagner une influence à peu de compte. L’ordre du jour adopté, un premier (et le plus souvent unique) tour d’inscription était pris, en général d’une vingtaine d’intervenants dont, à chaque fois, un bon tiers qui, hasard sans doute, se relayaient pour dire à peu près la même chose et faire les mêmes propositions. On passait ensuite au vote, bien souvent sous le forcing de la tribune, ceux syndicalistes ou non ayant des objections ou des nuances à exprimer par rapport au projet de la présidence de séance ayant parfois du mal à obtenir la parole (« Il est tard, il faut qu’on décide ») et à se faire entendre (clameurs de la salle : « On vote »).

Cette façon de procéder n’est ni satisfaisante, ni démocratique. Sans doute inévitable lors des premières assemblées, elle n’a pas évolué ensuite. Les coordinations ont échoué à se structurer en organe réellement représentatif. Quand, le 11 mars, une tentative en ce sens fut organisée (des délégués avaient été élus par les coordinations départementales) elle fut sabotée au nom d’un démagogique « tout le monde vote », permettant à qui le voulait de bourrer la salle, de hurler, ou de voter n’importe quoi au nom de n’importe qui. Ce mauvais fonctionnement a constitué un handicap pour le mouvement qui, heureusement, a été assez fort pour s’en remettre. L’opposition des syndicats (« ce n’est pas à nous de formuler les revendications des collèges et des lycées »), la myopie politique aussi de ceux qui s’étaient institués présidents à vie, ont empêché que la coordination élargisse suffisamment tôt ses revendications aux autres catégories d’enseignants (quand l’idée fut lancée lors d’une assemblée intersyndicale, elle fut combattue notamment par nos trois présidents-relayeurs). Nombre d’enseignants de collèges et de lycées sont repartis de la Bourse du Travail avec le sentiment que cette coordination n’était pas la leur, voire qu’ils n’y étaient que tolérés. En outre, les foires aux braillards qu’ont été certaines réunions en ont écœuré d’autres.

Ce mode de fonctionnement autorise toutes les manœuvres. C’est ainsi que FO qui avait garni la salle et dispersé ses acolytes dans les travées est parvenue à faire décider d’une manifestation commune avec les enseignants et les parents du Gard et de l’Hérault qui « montaient à Paris le 11 mars » alors qu’en réalité seule une délégation faisait le déplacement.. SUD qui avait l’information exacte a été empêché de parler. L’idée avait été avancée que des représentants des établissements en lutte accompagnent les syndicats lors des rencontres avec le ministre. Initiative juste. On vit, des militants se regrouper autour de la tribune et essayer, à l’arraché, de se faire élire comme délégués. Qui étaient-ils ? Que représentaient-ils ? Avec quelles idées ? Personne, en dehors de leurs collègues directs, n’aurait pu le dire. Alors pourquoi eux plutôt que d’autres ? La manœuvre était cousue de fil blanc. Elle échoua.

Lors de l’une des AG, on vit se succéder six ou sept intervenants (sur une vingtaine) qui, curieusement, avaient tous eu la même idée : « il serait bien que se créée un collectif un peu permanent qui pourrait prendre des initiatives comme des banderoles entre les coordinations ». Tout le monde sera très étonné… mais l’idée fut chaleureusement soutenue par la tribune qui, au moment du vote, essaya de me refuser la parole, pressentant que je n’allais pas plaider la constitution clandestine d’une direction permanente qui ne dirait pas son nom. C’est ce qui s’est produit : bien qu’il ait été explicitement dit que cet organe n’aurait aucun pouvoir de décision, il a par la suite, sans que l’on sache qui y siège ni où ni quand, pondu des communiqués (politiques, évidemment), collecté de l’argent et édité une affiche. Hors du hors du contrôle de quiconque mais au nom de tous. Peut-être ce comportement est-il l’idéal de ceux qui ont la volonté de tirer partie d’un climat propice aux magouilles. Mais ce ne peut être le mode de fonctionnement normal d’un organe démocratique. Et si une coordination n’est pas démocratique, à quoi sert-elle ? Si elle doit être simplement le cadre de manipulations organisées par on ne sait qui, autant laisser les mains libres aux syndicats. Au moins on sait à qui on a affaire !

Des garanties démocratiques.

Il est impossible de débattre, de discuter des propositions, de les nuancer, etc., à plusieurs centaines de personnes qui, en outre, ne se connaissent pas. Le minimum démocratique aurait été que les assemblées générales d’établissement (où tout le monde se connaît) élisent un délégué (contrôlé et révocable, évidemment) puis que, si nécessaire, les coordinations départementales désignent à leur tour des représentants (responsables et révocables !) à la coordination nationale. La formule n’a rien de bien original, ni rien de sorcier à mettre en place. Elle n’est pas une panacée et elle ne dispense en rien les grévistes de contrôler leurs délégués à tous les niveaux, de leur demander des comptes et, si besoin est, de les dégommer. Mais elle est le minimum dont puisse se doter un mouvement soucieux de son indépendance et de son fonctionnement démocratique. Une efficacité accrue.

Une coordination qui pourrait se prévaloir de la légitimité d’un mode de désignation démocratique et transparent aurait à l’évidence une autorité décuplée aussi bien face aux syndicats que dans sa revendication de participation aux négociations avec le ministère. Ceux qui se sont opposés à la mise en place d’un fonctionnement démocratique et transparent ont joué contre la coordination elle-même et, par là, contre le mouvement. La Coordination est morte, vive la Coordination ! Il ne saurait pourtant être question de jeter le bébé avec l’eau de la baignoire. Poussée par un mouvement d’une profondeur exceptionnelle, la coordination a contribué, malgré ses insuffisances, au succès de la grève de mars 2000. Dire ses critiques est aussi une façon de lui rendre l’hommage qu’elle mérite. Mais c’est aussi préparer l’avenir. Au moment où ce texte est rédigé, nul sait si la grève repartira ni, le cas échéant, sur quelles revendications, maintenant ou plus tard. Mais une chose est sûre : le mouvement ne peut pas ne pas resurgir à un moment ou un autre. Car le fait que le gouvernement ait été contraint de vider le statut des PLP de son contenu (sans renoncer au cadre légal qui avait permis l’offensive) ne résout rien des problèmes qui minent l’enseignement. Retourner au statut quo ante est insuffisant. Tôt ou tard, il faudra que les questions de fond viennent et soient résolues. Cela se fera nécessairement par la lutte. Une lutte qui, pour être victorieuse, devra se donner les moyens d’un fonctionnement authentiquement démocratique. C’est aussi de notre mission d’enseignants : apprendre aux jeunes à ne s’en remettre à aucun sauveur suprême proclamé ou occulte. Ce qui suppose que nous soyons capables de le faire dans nos propres rangs.

P-L P J ,18 mars 2000


Réactions

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· > POUR UNE COORDINATION DEMOCRATIQUE 29 mai 2003

Tu ne comprends pas la motivation de ceux qui, lors la coordination nationale, se sont opposés au principe d’une représentativité démocratique ? Mais le pouvoir ! ! ! ! Car ils appartiennent à un groupuscule politique qui serait extrêmement minoritaire lors d’une représentation démocratique ! ! ! ! Il faut leur reconnaitre une organisation et une manipulation impeccables. Mais ils ne sont pas du tout doués pour la coordination ! ! ! Beaucoup de monde, écoeuré, se barre de ces coordinations pitoyables. (De plus, lors de ces coordinations est véhiculé un esprit antisyndical inquiétant) Rappelons que la plus part des syndicats, à l’exception de la CFDT, ont adoptés et soutiennent toutes nos revendications. Et que ce sont eux qui s’entretiendront avec le gouvernement. (Au fait, êtes vous absolument sure que les 500 personnes ayant votés lors de la coordination nationale sont bien des personnels de l’éducation nationale ? Je pose la question ....) Prof (non syndiquée) très en colère contre la politique néo-libérale du gouvernement et très énervée par la coordination des établissements en lutte du 93 et par la coordination nationale.

· > Une réponse possible : la motion du 19ème. 27 mai 2003, par Michel SAFATLY, collège Georges Rouault ( Paris 19ème )

Voici la motion pour la structuration de la coordination nationale, votée par l’AG du 19ème le 26 mai. Nous pensons nous aussi que cette question est absolument fondamentale. L’une des difficultés tient à la convergence objective entre illusions et calculs politiques de groupes organisés ; les premières, qui privilégient « les actions », et l’échange sanctionné par des votes à main levée, font comme si la réalité était idéale, comme si chacun était respectueux de la démocratie et seulement soucieux de l’intérêt général ; les groupes organisés jouent leur propre partition, au risque asumé par avance de faire éclater le mouvement, puisque l’objectif est ailleurs que dans la « simple » satisfaction des revendications.

MOTION POUR LA STRUCTURATION DE LA COORDINATION NATIONALE votée par l’AG Paris 19ème arrondissement le 26 mai 2003

La coordination nationale doit naturellement rester ouverte à tous. Mais elle doit absolument se doter de mandats nationaux : le large mouvement de grève doit posséder sa propre organisation, pensée en termes de représentativité et de mandatement démocratique. Les mandats nationaux permettront d’éviter que la région invitante soit en mesure d’imposer ses vues à tous les autres départements.

· Détermination des mandats

Les AG souveraines se réunissent pour le moment soit par établissement, soit par ville, soit par secteur géographique plus large. Nous proposons que ce type de réunions se poursuive. Pour établir une règle commune, voici quelle pourrait être la marche à suivre : Echelon de base : établissement ou ville, etc. Election de mandats départementaux sur une base numérique simple de grévistes en mouvement reconductible : un mandat départemental pour 20 grévistes.

Echelon départemental (Paris étant considéré comme un département) : les délégués élus par mandats départementaux se réunissent pour mandater des délégués à la coordination nationale sur une base numérique simple à nouveau : un mandat national pour 20 mandats départementaux.

Echelon national : les délégués nationaux se réunissent et mandatent une délégation restreinte en cas de négociations, si négociations il y a.

· Ouverture des AG, révocabilité, rotation des délégués

Ouverture des AG à tous les échelons : les AG et la coordination nationale sont ouvertes à tous les grévistes qui peuvent non seulement intervenir mais aussi contrôler si les délégués respectent leur mandat.

Révocabilité : si, quel que soit l’échelon, un délégué ne respecte pas son mandat, il peut être révoqué.

Rotation des délégués : pour que le mouvement garde toute sa dynamique, et pour éviter toute dérive, il est souhaitable que la rotation des délégués soit régulière.

· Place respective des syndicats et de la coordination

A chaque échelon, les syndicats sont associés à la lutte car leur poids et leur rôle restent incontournables. Lors de négociations ou de discussions, les délégués nationaux ne se substituent pas aux différentes organisations syndicales : ils sont là pour porter de manière claire la plate-forme correspondant aux revendications des grévistes.

· > POUR UNE COORDINATION DEMOCRATIQUE 26 mai 2003, par Frédéric Motion de la cité scolaire Henri Wallon (Aubervilliers 93)

Les personnels de la cité scolaire souhaitent que les AG ou Coordinations fonctionnent désormais sur la base de délégués élus (deux délégués par établissement, par exemple) et mandatés sur les questions essentielles par les assemblées de grévistes des écoles, des collèges et des lycées. Ces délégués sont réélus pour chaque coordination ou assemblée générale. Toutes ces AG ou Coordinations doivent rester ouvertes à celles et ceux qui souhaitent y participer.

22 pour 1 contre


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