Je ne crois pas qu’il soit foucaldien. Il dit quelque part qu’il a été influencé un peu au début des Révoltes Logiques comme beaucoup d’autres, mais qu’il s’en est éloigné : Rancière a une réflexion sur ce qu’est la politique, qui pour lui est la démocratie. Foucault parlait du pouvoir, du bio-pouvoir, voir d’une biopolitique à la fin de sa vie (quand il a développé cette idée que le pouvoir politique voulait s’occuper et régenter les vies) que ses « successeurs » ont développé et extrapolés (en son absence !) sur les canons spinozistes de l’immanence, qui correspond aussi à l’immanentisme de Negri des pulsions et des énergies prolétaires. La revue Multitudes est le lieu de cette expression là. Je crois que Rancière dit, dans une interview, que Foucault n’avait aucunement une réflexion en direction de la politique... (de là à penser que son nom et quelques textes soient utilisés post mortem...)
Rancière pense que la politique est un processus de subjectivation et n’est pas un déjà-là, porté inconsciemment par des « sujets » préexistants ou parce que ce serait dans leur nature (là il s’éloigne d’Aristote et son animal politique).
La politique est donc bien une relation et une action. En cela il se rapproche bien d’Hannah Arendt, même s’il s’en éloigne par ailleurs.
Quant aux luttes, je ne connais aucune lutte qui n’essaie pas de mettre en avant sa visibilité. Elle fait partie du rapport de force… Les luttes invisibles, c’est ce dont rêve tout oligarque, tout chef d’Etat, toute multinationale qui veut pouvoir faire ses saloperies sans que cela se sache. Le visible qui est aussi l’audible de la parole (et non le bruit de la souffrance), etc…
Vous faites fausse route. La démocratie, je veux dire son exercice, doit se passer dans une sphère de visibilité, de présence à soi d’une collectivité politique, dont l’agora est le symbole si l’on veut. C’est une scène, où s’exprime non pas des vérités mais des opinions. Où des paroles sont prononcées et écoutées. Où il y a des corps. Elle peut être une scène du faux-semblant, du paraître, comme la vie. Et tant pis à partir du moment où l’on récuse un principe de vérité.
C’est peut-être pour ça que la démocratie est si fragile, si peu sûre, si difficilement pensable.
Mais je crois que sur ce point aussi, Rancière n’a rien inventé : il a peut-être reformulé, condensé : il faudrait revoir ce que disaient Arendt et Lefort sur le sujet : pluralité, parole, espace politique…
Sur l’institution, je ne crois pas qu’il ait beaucoup développé. Enfin, je n’ai pas tout lu.
Par contre sur l’égalité, je crois qu’il la pose comme une axiomatique. Je ne crois pas qu’il se réfère à une “nature” de l’homme à la Rousseau ou une essence. Mais, il dit : il y a de l’égalité partout, y compris là où on la croit improbable (rapport maître-esclave)
Il ne dit pas qu’il n’y a pas d’inégalité mais que l’on ne peut penser l’égalité, l’émancipation, la démocratie, qu’à partir du moment où elle a été posée au départ, selon cette vieille règle que l’on démontre toujours ce que l’on a présupposé.
C’est là sa querelle avec les bourdieusiens, les analystes des inégalités et de leur reproduction, marxistes souvent, sociologues, de ne jamais penser au-delà de cette reproduction des inégalités. Et donc d’un certaine manière de la trouver ou bien normale ou bien d’une anormalité que seule la conscience politique extérieure viendra dénoncer et représenter : le parti, les savants, les philosophes-rois.
Maoïste ?
C’est une obsession. C’est pas parce que l’on parle de Badiou qu’il faut voir des maoïstes partout !
Enfin, sur la spontanéité, je ne suis pas moi-même contre une bonne dose de spontanéisme des mouvements sociaux, des luttes, des formulations nouvelles, des moments révolutionnaires, contre la politique institutionnelle, spécialisée et routinière des partis, ou la lente accumulation des forces sous la supervision de l’avant-garde… Sans spontanéité, pas de Mai 68, ni de mai-juin 36 !
Et je préfère personnellement la spontanéité : des mouvements auxquels j’ai pu participer, ce sont les plus spontanés qui m’ont toujours donné envie de recommencer. Les autres mouvements m’emmerdent. Les manifs traine savates (même si elles sont nécessaires). Les organisations et leurs rituels m’ennuient.
Je dirais même que s’il y avait quelque chose d’intéressant à débattre ou réfléchir, pas seulement par rapport à Rancière, c’est la dessus : l’articulation de la spontanéité sociale (des mouvements de contestation) et d’une politique qui s’auto-constitue comme telle à partir de là…
Je dirais plutôt trouver chez Rancière un mélange de communisme (générique) et d’anarchisme ou démocratie radicale. C’est peut-être votre définition du maoïsme (les gardes rouges, c’est ça ?), mais ce n’est pas la mienne. Ni celle de l’anarchisme ou du communisme.
Mais là encore c’est réducteur.
Et je crois que Rancière a mené une bataille pour sauver la politique, pour faire droit à la politique (= démocratie) et la penser, contre la philosophie (Platon, Althusser, Badiou), contre la sociologie (Bourdieu and co, influencé par les catégories d’Althusser sur les structures et les appareils d’Etats ou un marxisme sociologique), qui de chaque côté veulent la soumettre et la faire disparaître.
Il court du coup le risque d’une posture trop “politiste”, pas assez sociale, comme en son temps Lefort.
C’est cette même critique qui semble toucher Miguel Abensour pour l’évolution de son travail : s’intéresser trop aux moments de rupture et de création politique, détacher la politique de l’Etat, et oublier les déterminations du social
Je vous transmets un lien vers un article qui défend ce point de vue, que je ne partage pas mais qui éclaire une problématique :
http://www.marxau21.fr/index.php?op...
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