MAS : R.A.S ?
Interrogations a propos du Mouvement Autonome de St Denis, un an après...
Originalité, enjeux et impasses... De ce que j’ai cru voir et comprendre...
Autogestion
Le MAS s’est formé dans le sillage du mouvement social contre la réforme du CPE de février-mars 2006. Contrairement aux réveils politiques que ce genre de soubresaut provoque et qui souvent se dispersent dans des luttes annexes, celui-ci est resté centré sur la vie étudiante et universitaire. En voulant garder comme principes ceux revendiqués pratiquement par la mobilisation, la prise de décisions communes en assemblées générales, le MAS s’est constitué en collectif politique axé sur l’autogestion et l’action directe.
Contre-feux
Le MAS regroupe des étudiants peu ou pas politisés, très impliqués dans les mobilisations d’alors sur l’université et qui s’affrontaient aux bureaucraties contestataires locales. Les élections universitaires qui suivirent immédiatement l’ont décidé spontanément a présenter in extremis une liste improvisée pour faire pièce au poids de l’Unef dans les instances représentatives. Après une campagne précipitée, le collectif a brigué trois sièges à deux conseils consultatifs (CA et CEVU), pour deux ans.
Contradictions
La tension fondatrice du MAS est flagrante : à la fois présent dans les organes bureaucratiques universitaires et traversé d’aspirations radicales et autogestionnaires. L’engagement dans les lieux officiels de pouvoirs de l’université est a posteriori voulu comme un moyen de mettre en œuvre un embryon de démocratie directe, par la rotation des sièges, l’organisation de réunions ouvertes prononçant des mandats impératifs, la diffusion et l’analyse commune des informations officielles. Cette position inaugurale le place évidemment en porte-à-faux vis-à-vis de toutes les postures traditionnelles, banalement clivées par une critique radicale refusant l’implication dans les structures existantes mais souvent impuissante et une cogestion oppositionnelle, à terme toujours inoffensive.
***
Permanence
L’existence et la persistance du MAS s’inscrit dans le regain d’intérêt politique qui suit le reflux des les mouvements sociaux laissant ses orphelins aux prises avec les chantages intériorisés à la dispersion et aux difficultés de l’organisation commune. Il venait alors combler l’absence cruelle de collectif ouvert, éclectique, non-groupusculaire et anti-bureaucratique sur l’université de St Denis. Il est donc susceptible d’assurer ce minimum nécessaire : une présence pleine et active, un lieu d’apprentissage, de partage et d’échange, une base ferme à des initiatives plus larges, notamment à l’occasion de mobilisations importantes. L’évanescence de ce type de regroupement, leur repli sur des activités stéréotypées ou leur rapide mise sous tutelle, témoignent de la pertinence de la démarche.
Entrisme
En posant l’autogestion comme principe de base de son engagement, le MAS aborde lucidement sa relation aux conseils universitaires : conscient de son insuffisance pondérale, il ne se pose pas en opposition faussement effective aux seins des instances « décisionnelles ». Prenant acte de l’éloignement auto-entretenu des étudiants et des centres de décisions, le collectif se voit en démystificateur des pouvoirs gestionnaires en vue de susciter et d’alimenter des rapports de forces facilitant progressivement et continuellement l’exercice effectif d’un pouvoir collectif : décrypter et faire circuler les informations internes, rendre publique un fonctionnement largement ignoré, démonter les mécanismes claniques et oligarchiques, rendre accessibles les enjeux que recèlent la gestion d’une faculté, permettre le débat ouvert et informé sur les institutions, ect... Le projet est à la fois très réaliste et très ambitieux : il ne mise pas sur une improbable appropriation du pouvoir par les masses instruites après l’inoculation de quelques principes, mais parie sur la possibilité que quelques individus déterminés puissent transmettre, par la pratique, le goût de l’émancipation concrète et le sens de l’activité politique.
Expérimentation
Poser la démocratie directe non comme un horizon abstrait mais comme un chemin se faisant inscrit le MAS dans une démarche expérimentale au sens fort, puisqu’il s’agit de tenir une vie collective qui tente de réaliser autant que faire se peut, et aux yeux de tous, une autre organisation de l’établissement, et d’en faire entrevoir les innombrables implications. L’enjeu, de taille, s’applique au collectif lui-même, mais surtout à son activité récurrente principale : l’organisation d’assemblées générales encadrant la tenue des différents conseils. La mise en place et la perpétuation de tels dispositifs d’information, de débats et de décisions, institue, non pas des palliatifs momentanés, mais la formation même (la constitution et l’éducation) d’un lieu d’expression et de confrontation à la fois pragmatique et durable. Il s’agit de faire être véritablement une communauté universitaire délibérante et responsable s’affrontant au statu quo et aux intérêts hétéroclites qui le maintiennent. Cette démarche, en se voulant tâtonnante et lucide, exige évaluations et analyses.
***
Débandade
Issu d’un mouvement social influent, le danger est évidemment que le MAS ne se nourrisse que de cet élan inaugural mais éphémère par nature, et ne trouve la force de se maintenir que par des affinités affectives qui auront su s’établir entre ses membres et/ou par la reconnaissance effective que les sièges accordés lui fournissent. Il n’y a qu’une activité régulière et qui fasse sens, des liens étroitement tissés avec les gens du lieu, ou un volontarisme exemplaire qui soient à même de donner au MAS un souffle permettant de lui faire suivre son projet. Mais que le souvenir et l’inertie seuls du mouvement fondateur anime le collectif, qu’une dynamique ego-gestionnaire et grégaire prenne le dessus, et il ne restera plus grand chose qu’un groupe de copinage de plus...
Qu’en est-il ?
Normalisation
Engagé dans la mécanique administrative tout en étant issu d’une passion militante de l’autre, le MAS est exposé à la plus évidente des menaces : l’institutionnalisation selon le principe d’équivalence, c’est-à-dire la réduction de son originalité à des carcans déjà établis, en l’occurrence ici le bureaucratisme. En n’ayant pas su s’adjoindre d’autres dynamiques que celles de la routine kaleidoscopique des « élus », le MAS risque de se prendre au jeu des cénacles et d’emprunter des ornières déjà tracées profondément ; la juste critique de l’agitation groupusculaire permet peu à peu de céder aux promesses faciles de la représentation oligarchique qui intègrent sans fin dans les méandres de la gestion technique « à la place de... », fût-elle, bien entendu, contestataire...
Qu’en est-il ?
Galvaudages
Le projet du MAS l’inscrit dans une époque particulière, traversée par des courants politiques contradictoires qui veulent faire renaître le vieil idéal ouvrier d’auto-gouvernement, sans toujours vouloir considérer ses sévères leçons. Que cette rhétorique autour d’une vague « démocratie directe » cache plus ou moins mal des desseins carriéristes ne pourra jamais disqualifier a priori ceux qui placent l’exigence d’égalité radicale comme un guide pour l’action. Mais le MAS se trouve, sa composition étudiante aidant, à cette croisée : affirmer en acte l’autogestion, explorer ses formes à inventer et juger fermement ce qui se fait en son nom n’est pas se payer de mots, qui viennent, comme un étendard qu’on agite, masquer une démission complaisante appelée « réalisme »,. C’est, d’un coté, une praxis politique, certainement plus ingrate que jamais, et de l’autre, une forme courante de nihilisme : l’insignifiance...
Qu’en est-il ?
St Denis, Mars 2007
Commentaires