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Croire ou faire croire que si le christianisme s’effondre, tout s’effondre avec lui : c’est une ânerie. Certains courants catholiques radicaux font usage de ce type d’argument, qui ne peut que les affaiblir encore. Cessons de nous croire seuls au monde à pouvoir donner du sens au monde. Le règne chrétien est déjà remplacé — ni par le néant ni par la tempête, mais par des formes historiques bien connues, plus primitives et plus rustiques. Derrière la chrétienté effondrée ne vient pas le règne du crime, le nihilisme, le matérialisme extrême : mais plutôt des morales stoïciennes, le paganisme, des spiritualités de type asiatique.
Retour du panthéisme
Alors qu’après la saison révolutionnaire leur religion immémoriale s’enfuit et se dérobe, alors que leur foi vacille, les Européens ne se satisfont pas du culte de l’Être Suprême. Ils ne deviennent pas non plus athées, solution bien improbable et réservée à quelques esprits forts. On n’empêchera pas les humains de chercher à donner un sens à leur vie et à leur mort.
La désaffection du monothéisme judéo-chrétien entraîne de nouvelles appétences pour les religions orientales.
L’ampleur de la « Querelle du panthéisme », au début du xix° siècle, traduit déjà les interrogations douloureuses qui se posèrent à propos de l’abandon par les Lumières de la religion traditionnelle. Allait-on tomber dans le nihilisme ? C’est dans la fameuse lettre à Fichte que Jacobi emploie ce terme pour la première fois [1]. Jacobi tire les conséquences du rationalisme des Lumières et montre (démontre ?) qu’il aboutit à l’athéisme, c’est-à-dire au panthéisme. Spinoza représente alors à la fois le bouc émissaire et une sorte de mascotte. Il est en tout cas la prémisse de ce qui nous advient aujourd’hui.
Si le rationalisme des Lumières est dangereux et assèche tout, comme le dit Jacobi, ce n’est pas exactement parce qu’il s’écarte de tout esprit religieux, de ce « salto mortale » ou saut dans l’inconnu qui fait la beauté du choix de Dieu. Non : si le rationalisme des Lumières est dangereux, c’est qu’il récuse en même temps la foi religieuse et les traditions et préjugés anciens sur lesquels une société se fonde. Bien des peuples n’ont pas besoin de Dieu pour vivre, prospérer et bien faire. Leurs mœurs, leur éthique s’adossent à des coutumes, à des traditions, même à des préjugés qui portent leurs convictions morales. Le rationalisme des Lumières efface tout simultanément, les traditions et la foi. Il ne laisse qu’un terrain sec et vierge, où l’herbe ne repousse plus. Ainsi vont se développer les courants romantiques, notamment allemands, prêts à retrouver les récits et les mythes puisque la foi s’en est allée. C’est par refus de la rationalité des Lumières que l’Allemagne postrévolutionnaire est attirée par les pensées asiatiques. Heine écrit « le panthéisme est la religion cachée de l’Allemagne ».
Le panthéisme asiatique fascine au XIXe siècle les esprits fatigués par la raison sèche, et Schopenhauer se disait persuadé que la sagesse indienne était l’avenir de l’Europe :
« Nos religions ne prennent ni ne prendront racine dans l’Inde ; la sagesse primitive de la race humaine ne se laissera pas détourner de son cours pour une aventure arrivée en Galilée. Non, mais la sagesse indienne refluera encore sur l’Europe, et transformera de fond en comble notre savoir et notre pensée. » [2]
À l’époque contemporaine et depuis le XXe siècle, l’influence des pensées asiatiques est décisive chez les Occidentaux. On se souvient que Lévi-Strauss, à propos du respect bouddhiste pour tous les êtres vivants, en appelait à l’exemple : « À cet égard, l’Extrême-Orient bouddhiste reste dépositaire de préceptes dont on souhaiterait que l’humanité dans son ensemble continue ou apprenne à s’inspirer. » [3] Philippe Descola, au début de Nature et Culture, appelle à sortir du dualisme et à « mettre en chantier une anthropologie moniste » [4]. Les exemples convergents sont innombrables. Tout indique une emprise de l’Asie sur le Vieux Continent, où se créent des centres bouddhistes. Certes, la désaffection du catholicisme, après presque deux millénaires de règne, provoque une vacance insupportable qui cherche à être comblée par de nouvelles croyances — c’est humain. Mais plus encore : les offres religieuses asiatiques correspondent aux aspirations contemporaines. Elles ne sont pas attachées à la notion de vérité, d’où leur syncrétisme qui apparaît faussement aux Occidentaux comme de la tolérance. Elles attachent une valeur essentielle à la nature et à tous les vivants, ce qui est une condition d’adhésion pour l’écologie incontournable. Elles ne brandissent aucun dieu, aucun dogme, aucune obligation. Le fidèle entre là pour prendre ce qu’il veut et laisser le reste. L’effort pour éliminer la souffrance ressemble bien à des séances de développement personnel, et c’est bien cela que nos contemporains viennent chercher dans les religions plébiscitées après la fin de la Chrétienté. Il y a certes une contradiction entre l’impermanence du moi et le développement personnel, mais les nouveaux adeptes ne cherchent pas si loin, ils quêtent une pratique davantage qu’une théorie.
À cet égard, les deux prophètes principaux de ; notre temps sont Tocqueville et Nietzsche, mais les prophéties sont innombrables.
Dans un très bref chapitre de La démocratie en Amérique, Tocqueville constate le succès du panthéisme en Occident à son époque, et affirme qu’il ne s’agit pas là d’une mode passagère, mais d’un processus durable. En effet, le panthéisme répond aux exigences générales du moment, et principalement à l’exigence maîtresse de l’époque démocratique : l’égalitarisme. Le panthéisme dans le domaine religieux, la démocratie dans le domaine politique, considèrent l’un et l’autre l’humanité comme une grande masse dont les individus sont les atomes égaux et faibles. Il n’existe plus de grandes personnalités. Toqueville écrit ce texte terrible :
« Un pareil système [le panthéisme], quoiqu’il détruise l’individualité humaine ou plutôt parce qu’il la détruit, aura des charmes secrets pour les hommes qui vivent dans la démocratie. » [5]
Bergson analysait deux types de morales, la plus évoluée — la morale ouverte —, s’établissant à partir de personnalités héroïques servant de modèles. Morale la plus évoluée car « la vérité est qu’il faut passer ici par l’héroïsme pour arriver à l’amour » [6]. Le modèle peut être Jésus ou Bouddha, dans ce que l’on va appeler aujourd’hui les religions secondaires. Si l’on reprend les catégories bergsoniennes, l’appel du panthéisme aujourd’hui est un retour aux morales closes, sans héros, pour lesquelles tous sont égaux et suivent la loi du monde.
Nietzsche avait pressenti la même évolution quand il écrivait : « Chine européenne, avec une douce croyance bouddhiste-chrétienne, et dans la pratique, un savoir-vivre épicurien. » [7]
L’attrait pour les religions panthéistes ou cosmothéistes se déploie dès le moindre recul de la religion monothéiste. Nous savons que la nature a horreur du vide.
Écologie comme religion commune
La mise en cause de la rationalité des Lumières a été si loin qu’elle a produit non seulement la défense de la culture historique et coutumière (expression du romantisme du XIXe siècle), mais plus loin, la valorisation jusqu’aux extrêmes de la vie naturelle. La valorisation de la simple vie, de celle qui ne réfléchit ni ne pense. C’est pour ainsi dire la victoire de la volonté sur l’intelligence, des forces actives et inconscientes sur les forces pensantes. On voit ce courant se développer au tournant du XIXe et XXe du siècle. Il hérite en partie de Nietzsche. À la suite d’un long et chaotique parcours, il donnera notamment naissance au nazisme. C’est pourquoi Ludwig Klages, peut-être le meilleur analyste et inspirateur du vitalisme, fut injustement marginalisé comme inspirateur du nazisme. Philosophe de la nature, disparu au milieu du XXe siècle, il est probablement l’un des principaux pères de l’écologie contemporaine, avec Ivan Illich qui d’ailleurs fut un de ses admirateurs. Klages restitue à l’âme son sens antique : celle-ci traduit chez lui non plus une instance immortelle, comme chez les chrétiens, mais un principe vital, comme chez les anciens Romains. Et il décrit l’histoire comme un combat entre l’esprit — la rationalité —, et l’âme, le principe vital. On aura compris que Klages regrette la part trop importante prise par l’esprit, par la raison, dans la civilisation chrétienne, et aspire à donner davantage de place à l’âme, entendue dans ce sens. Toute l’œuvre de Klages est un hommage à la vie naturelle, un éloge de la passivité contre l’activité, de l’être féminin contre l’être masculin, du dedans contre le dehors, de la nature contre la culture, de la réalité contre l’aspiration à l’éternité. Il oppose, par exemple, le rythme des choses naturelles (les Saisons, les cycles biologiques...) et la mesure dictée par l’esprit humain. Le rythme est naturel et la mesure, construite. Le rythme renouvelle, la mesure reproduit. On le voit ici : la terre elle-même a une âme, ce sont ses rythmes battant au cœur toujours neuf de la nature.
La pensée de Klages représente une vaste mise en cause de l’activisme occidental : je suis pris et saisi par la vie, tandis que par l’esprit j’agis dans le but de dominer le monde. L’esprit européen, dominateur et scientifique, c’est « une attaque épouvantable contre la réalité » [8], qui exterminera la vie sur la planète.
Cette apologie de l’élan vital et de l’éternel naturel, constitue un fondement de la philosophie écologiste. Il faudrait nous laisser aller dans le mouvement de la nature, qui suffit à tout : l’esprit demeure, quel que soit son brio, sec et brutalement activiste, tandis que l’âme du monde produit du toujours-neuf dans la retenue et la simplicité.
En ce début du XXIe siècle, le courant philosophique le plus établi, le plus prometteur, est une forme de cosmothéisme lié à la défense de la nature. On peut parler aussi de panthéisme ou de polythéisme [9]. Nos contemporains occidentaux ne croient plus à un au-delà ni à une transcendance. Et s’ils imaginent un autre monde où vivre un jour, ce sont les planètes lointaines où l’on accéderait en fusée supersonique. La signification de la vie doit donc se trouver dans cette vie elle-même, et non au-dessus d’elle, où il n’y a rien. Le sacré se trouve ici : dans les paysages, dans la vie de la terre et chez les humains eux- mêmes. Au tournant du XXe et du XXIe siècle, nous avons changé de paradigme en faisant un nouveau choix de compréhension du monde. Il s’est produit une inversion ontologique. C’est bien de cela que parle Philippe Descola [10] : de préférences ontologiques nouvelles et de l’apparition en Occident de nouveaux paradigmes — une « anthropologie moniste », qui se rapproche de l’animisme ancien. Et il insiste pour dire que la vision du monde de la chrétienté était une parmi d’autre, un choix ontologique particulier qui peut ne plus convenir avec le changement des temps. Pour l’écologisme d’aujourd’hui, il n’y a plus de séparation essentielle entre l’homme et les autres vivants, ni entre l’homme et la nature entière, qu’il habite simplement, sans la dominer d’une quelconque supériorité.
Le paganisme, cosmique, répond aux préoccupations de l’écologie. Le moment postmoderne est préoccupé de l’espace plus que du temps parce qu’il a abandonné les grandes espérances temporelles.
Sous le cosmothéisme, l’homme se sent chez lui dans le monde, qui représente la seule réalité et qui contient à la fois le sacré et le profane. Sous le monothéisme, l’homme se sent étranger dans ce monde immanent et aspire à l’autre monde — c’est bien par exemple ce que Nietzsche reprochait aux chrétiens. Pour le monothéiste, ce monde n’est qu’un séjour. Pour le cosmothéiste, il est une demeure. L’esprit postmoderne est fatigué de vivre dans un séjour ! Il lui faut une demeure bien à lui, entière dans ses significations. Il redevient cosmothéiste parce qu’il veut réintégrer ce monde comme citoyen à part entière, et non plus comme cet « étranger domicilié », ce chrétien décrit par l’anonyme de la Lettre à Diognète [11]. Il veut à présent se trouver à son aise dans le monde immanent dont il fait partie intégrante, sans avoir besoin de rêver ou de tisser ou d’espérer un autre monde, qui le laisse séparé de lui-même. Il veut vivre dans un monde autosuffisant qui contienne son sens en lui-même — autrement dit : un monde enchanté, dont l’enchantement se trouve à l’intérieur et non dans un au-delà angoissant et hypothétique.
L’homme postmoderne veut abolir les distinctions — son adjectif favori est « inclusif ». Et le cosmothéisme lui convient parce qu’il efface l’ancien dualisme caractéristique du judéo-christianisme. Il exige d’échapper aux contradictions entre le faux et le vrai, entre Dieu et le monde, entre la foi et la raison... Au lieu d’exiler Dieu hors du monde, il le rappelle ici et se réapproprie le sacré. Pour Odo Marquard, philosophe allemand contemporain marqué par le sinistre XXe siècle, l’essoufflement du monothéisme ouvre une chance au polythéisme de revenir au-devant de la scène, à travers le retour des mythes pluriels [12]. Ici le retour au polythéisme est décrit comme un affranchissement de la vérité exclusive, une liberté entière donnée au règne des récits, et la fin de l’eschatologie du salut.
Ainsi, le cosmothéisme s’inscrirait au terme actuel de ce processus historique : il y aurait eu le règne de Dieu, puis le règne de l’homme, enfin le règne de la nature. Sinon que ce terme est en même temps un retour à l’origine : car avant le règne de Dieu, il y a eu, déjà, le règne de la nature. Évidemment, nous ne serons pas animistes de la même manière que nos lointains ancêtres, parce que notre histoire n’est pas la leur. Mais il nous faut faire au moins l’effort de ce qu’Alain Caillé appelle « l’animisme méthodologique » [13] : ici encore, la finalité négative est mise en avant, le but est de se débarrasser de l’hubris occidentale, et pour cela il faut se défaire de la supériorité de l’homme.
L’écologie aujourd’hui est une religion, une croyance. « Croyance » : non que le problème écologique actuel ne doive pas être considéré comme scientifiquement démontré ; mais parce que ces certitudes scientifiques concernant le climat et l’écologie produisent des convictions et des certitudes irrationnelles, en réalité des croyances religieuses, nanties de toutes les manifestations de la religion. Aujourd’hui, l’écologie est devenue une liturgie : il est impossible d’omettre la question, d’une manière ou d’une autre, dans n’importe quel discours ou fragment de discours. C’est un catéchisme : on l’apprend aux enfants dès la Maternelle et de façon répétitive, pour leur faire acquérir les bonnes habitudes de penser et d’agir. C’est un dogme consensuel — celui qui pose des questions à son sujet, qui lève le moindre doute, est considéré comme un fou ou un malfaisant. Mais surtout, et c’est là le signe patent d’une croyance vigoureuse et certainement pas d’une science rationnelle : la passion pour la nature fait accepter tout ce qui était récusé par l’individualisme tout-puissant — la responsabilité personnelle, la dette imposée envers les descendants, les devoirs envers la communauté. C’est donc au nom de cette religion immanente et païenne, que nous réintégrons toutes les dimensions indispensables de l’existence, qui auparavant étaient prises en compte et cultivées par le christianisme.
Au-delà de la nécessaire protection de l’environnement trop longtemps négligé par l’âge industriel, la pensée écologique développe une véritable philosophie de la vie. Elle ne demeure pas au niveau de la défense de l’environnement. Il y a une raison bien précise à cela. Nous avons toute une tradition chrétienne de défense de la nature, depuis saint François ou sainte Hildegarde de Bingen jusqu’à, de nos jours, Gustave Thibon. Dans ce cas, la nature est considérée comme une création divine et protégée à ce titre — la défense de la nature s’inscrit dans la foi en la transcendance et dans un humanisme qui place l’homme au centre. On parle alors d’environnement, et la nature ne saurait être divinisée, puisque le divin est ailleurs. Alors que la Chrétienté s’est effacée, et la transcendance avec elle, il est inévitable que du sacré resurgisse sous une forme ou sous une autre. Il faut rappeler que la sacralisation de la nature constitue le socle religieux le plus primitif et le plus rudimentaire, celui qui vient pour ainsi dire tout seul, et dans n’importe quelle société humaine. Alors même que la défense de l’environnement s’établit comme un pressant et évident devoir, la nature se voit alors sacralisée — c’est-à-dire mise de côté, établie au-dessus, rendue inviolable. La nouvelle religion écologique est une forme de panthéisme postmoderne. La nature devient l’objet d’un culte, plus ou moins avéré. La terre-mère devient une sorte de déesse païenne, et pas seulement chez les indigénistes boliviens, chez les Européens aussi. À ce point que le pape François parle aujourd’hui de « notre mère la terre », dans un sens chrétien bien entendu, mais en laissant ouverte l’équivoque qui permet le lien avec les croyances contemporaines. Nos contemporains défendent sous toutes ses formes la nature dénaturée par l’homme, mais aussi ils embrassent les arbres. Nous sommes à un stade où, dans le vaste champ ouvert par l’effacement du christianisme, de nouvelles croyances hésitent et tremblent : et surtout, le panthéisme qui traduit la défense de l’environnement en religion.
Les chrétiens d’aujourd’hui, affolés devant la chute de leur influence, ont tendance à prétendre que toute morale va disparaître avec l’effacement du monothéisme. C’est méconnaître l’histoire. Les morales et les religions ne naissent pas de pair, et ce ne sont pas les religions qui engendrent les morales, jusqu’au judéo-christianisme. Dans les mondes anciens, polythéistes, la morale vient de la société et elle a une origine tout humaine : issue des coutumes, des traditions. La religion est d’un autre ordre. Les dieux réclament des sacrifices et suscitent des rites. Les normes morales réclament obéissance. Chez les peuples polythéistes, c’est l’État qui est gardien de la morale. Incroyable, et nouveau, le spectacle de Moïse descendant de la montagne avec les tables de la Loi : ici pour la première fois, la morale vient de Dieu [14]. Les Juifs vont ainsi créer des théocraties, encore aujourd’hui en Israël. Chez les chrétiens, soumis à l’impératif de la séparation des glaives, l’Église, dès le IVe siècle, devient l’inspiratrice de la norme, et gardienne de la morale.
Au tournant du XXIe siècle, l’Église abandonne son rôle de gardien des normes morales et ce dernier revient désormais à l’Etat. La multiplicité des croyances morales et religieuses qui habitent nos pays — bien visibles à travers la diversité représentée dans les Comités d’éthique — conduit nécessairement à amplifier le rôle du pouvoir politique. Celui-ci, représenté par ses élites aussi bien sachantes qu’agissantes, redevient le gardien de la morale qu’il était avant la longue période de Chrétienté.
Les Occidentaux ne veulent plus que cette tutelle soit assurée par les religions, par les clercs. Ils préfèrent cette instance neutre qu’est l’État, les élites institutionnelles ou d’influence. C’est pourquoi aujourd’hui, le courant dominant officiel s’adjuge le droit de protéger la morale et d’en empêcher les écarts, d’ostraciser les déviants. Les animateurs de plateaux de télévision sont les sentinelles et parfois les cerbères de la morale commune. Pas forcément les producteurs, car la morale vient de nombre de sources, mais les sentinelles, ceux qui en surveillent l’exécution. Ils ont revêtu le rôle que jouaient les évêques il y a encore un demi-siècle.
Les Occidentaux d’aujourd’hui qui rejoignent des spiritualités ou des religions orientales comme le bouddhisme, n’adoptent pas leurs morales mais seulement leur spiritualité (qu’ils identifient sou- vent au développement personnel). Leur morale vient de l’État, comme chez les anciens païens, dont les dieux exigeaient des rites et des sacrifices, mais dont seul l’État exigeait la justice. La religion de l’écologie exige elle aussi des rites et des sacrifices — tri des déchets, surveillance carbone et souci de la terre, dont nos informations sont saturées. Mais nos élites, gouvernantes ou influentes, disent la morale, suscitent des lois correspondantes et ostracisent les mauvais sujets.
D’où provient et comment se forme la morale dans les temps post-Chrétienté ?
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