Crise économique et transformation sociale

mercredi 20 mai 2009
par  LieuxCommuns

Distribué à 7.000 exemplaires lors des manifestations parisiennes depuis mai 2009

CriseEconomique Transformationsociale
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Crise économique et transformation sociale

A travers la crise financière, ce qui est aujourd’hui pulvérisé, c’est le mythe d’une économie entièrement autorégulée, obéissant à ses lois propres, scientifiques donc indiscutables et inaccessibles pour le commun des mortels. Les oligarchies proclament maintenant que les mesures exceptionnelles qu’elle prennent vont nous sauver de l’effondrement planétaire : elles font semblant de découvrir des pouvoirs de décision politique qu’hier encore elles présentaient comme inconce­vables. Une ère nouvelle s’ouvre, où les populations, peuvent reprendre l’initiative et se réapproprier l’organisation et les finalités de leurs propres sociétés. Remettre l’économie à sa vraie place en la rendant dépendante des choix politiques quoi produire, et comment , est l’une des premières tâches d’une société qui se donnerait ses propres lois et dont la gestion ne serait pas confiée à une catégorie sociale particulière.

Un vent de panique souffle sur la planète. La crise fi­nancière partie des États-Unis à partir de l’été 2007 s’est étendue progressivement à toutes les régions du globe. De­puis septembre, elle est devenue la crise économique mondiale sans doute la plus grave depuis 1929 : la réces­sion se répand, laissant planer le spectre d’un effondrement qui n’épargnera pas les pays les plus riches. Les dirigeants du monde entier, qui ne dirigent plus rien depuis long­temps, tentent de maintenir tant bien que mal les apparences. Et les populations, habituées à une perspective de consommation toujours accrue, refusent de croire que la catastrophe est là et attendent la suite. Le délabrement de nos sociétés, en cours depuis des décennies, s’accélère subitement : la crise prend de l’ampleur et atteint des seuils de rupture qui étaient prévus depuis longtemps par les esprits les plus lucides.

C’est la banqueroute du grand casino planétaire qu’était devenue l’économie mondiale. Sous une rhéto­rique pseudo-libérale, les gouvernements successifs met­taient en place depuis trente ans un ordre mondial où les cartels, les maffias et les clans règnent sans partage pour soumettre les ressources humaines et naturelles de la pla­nète à leur volonté de puissance, multipliant les profits à court terme, faisant des bénéfices sur des bénéfices à venir, eux-mêmes reposant sur d’autres anticipations. L’équilibre instable de la croissance planétaire, qu’on disait régie par une « Science Économique » rigoureuse, ne reposait en fin de compte que sur la confiance que le petit monde fermé des oligarques avait dans le jeu de son voisin : mais le jeu de chacun n’était qu’un énorme bluff et cela débouche au­jourd’hui sur un sauve-qui-peut général que les Etats qui le peuvent tentent d’endiguer à coup de centaines de milliards de dollars : les dogmes qui maintenaient ce système inique en place sont renvoyés à leur insignifiance. Il suffirait peut-être qu’un peuple se dresse pour que cesse cette marche suicidaire.

Les populations, atterrées, assistent à tout cela, mais pour l’instant s’en remettent encore et toujours, malgré tout, aux irresponsables, élus ou non, représentants d’un système qui semble le « moins pire », le seul possible, mais surtout le seul existant. Pour l’instant, les seules perspectives semblent être de « sauver le système », coûte que coûte, pour s’y maintenir ou dans l’espoir d’y trouver un jour sa place. Depuis l’effondrement du sinistre bloc de l’Est – qui, loin de porter remède aux principales tares du monde Occidental, les reprenait sous d’autres formes en y ajoutant d’autres particulièrement repoussantes - chacun se considère condamné à vivre dans un monde qui permet un confort matériel certain, du moins pour quelques-uns et pendant encore quelque temps peut-être, tout en sachant qu’il nous condamne tous à plus ou moins longue échéance. Dans une Europe qui avait pourtant connu des révolutions, cette résignation face au désordre organisé date au moins de l’après-guerre : en se retirant progressivement de la vie politique derrière les remparts en carton de la vie privée, chacun s’est pensé à l’abri de la fureur du monde. Mais avec le déclin du mouvement ouvrier et des luttes d’émancipation, les mécanismes capitalistes ont perdu tout contact avec la réalité : la folie du profit sans bornes, le délire d’accumulation sans fin et la fuite en avant techno-scientifique n’ont plus de limites. Nos sociétés sont dès lors appelées à vivre crise sur crise : il appartient à tous ceux qui n’ont plus aucune illusion sur le degré de corruption, d’irresponsabilité et de veulerie des cliques dirigeantes de reprendre l’initiative et d’affronter les enjeux de l’époque.

Car cette crise est loin d’être seulement écono­mique : il s’agit d’une situation de délabrement global. Nous avons à combattre la quête démentielle de puissance qui asservit toutes les sphères de l’existence, sans qu’au­cune classe, ou couche ou groupe de la société ne soit épar­gné. Face au conformisme, au cynisme, au nihilisme et à la fuite dans le divertissement dégradant, il faut affronter des crises multiples : pénuries alimentaires mondiales, risques sanitaires incontrôlés, dérèglements climatiques et écolo­giques, raréfaction prévisible des énergies fossiles, l’enlai­dissement continu du monde, l’érosion des cultures, des valeurs, du langage. L’oligarchie régnante ne peut continuer à imposer ses intérêts privés et infantiles à tous les do­maines de la vie sociale que dans la mesure où nous accep­tons le modèle dominant d’individu social : celui pour qui ni la vie en société, ni la vie individuelle, ni la vie tout court, ne semblent valoir la peine que l’on se batte pour leur donner un sens. Il est temps qu’une volonté populaire de vivre ensemble s’exprime de toute sa force et invente, partout, une organisation sociale enfin digne d’être aimée.

L’avenir est incertain, peut-être plus que jamais, et il semble que tout peut rapidement basculer. Sous la pres­sion des luttes sociales qui ne manqueront pas de se pro­duire, les gouvernements vont essayer par tous les moyens de rétablir le cadre d’une société de consommation, fût-ce en reconstruisant un État-providence. Mais tout porte à croire qu’il s’agira d’un bricolage précaire : l’économie mondialisée a fait voler en éclats les frontières nationales, privant tous les États, mêmes protectionnistes, de toute prise réelle sur leur économie, leur monnaie, leur commerce. Une politique conséquente en ce sens devrait être menée à une échelle internationale, issue que l’immaturité euro­péenne et les tensions croissantes entre grands blocs continentaux rendent improbable, peut-être pour long­temps. Tout au contraire, le basculement géopolitique qui s’opère au détriment du pôle occidental et principalement en faveur de la Chine, par l’intermédiaire d’une multitude de points de frictions, fait redouter une sortie de crise telle qu’elle s’était opérée après la crise des années 30 : sinon par la guerre mondiale, du moins par des conflits plus ou moins violents entre États ou groupes d’États. Mais le principal obstacle à un redémarrage conséquent et durable de l’économie se trouve ailleurs : dans l’épuisement, maintenant évident, des ressources naturelles et principale­ment du pétrole, engendré par la civilisation industrielle et la croissance démographique. C’est la base de l’essor éco­nomique de l’Occident depuis plusieurs siècles qui au­jourd’hui se raréfie, interdisant tout retour à ce que fut en France la période faste des Trente glorieuses. Dans ces conditions, l’inévitable rationnement des populations risque de s’appuyer sur le seul discours aujourd’hui ca­pable de faire marcher au pas n’importe qui : l’écologie. Il est évident qu’une instrumentalisation idéologique de ce type peut être un paravent qui permettrait d’introduire un ordre autoritaire et technocratique culpabilisant les popula­tions sous prétexte de les protéger face aux inévitables ca­taclysmes à venir.

L’Histoire, loin d’être terminée, continue et les peuples du monde peuvent en redevenir les acteurs principaux et cesser d’être des machines à remplir des urnes ou de la chair à canon entre les mains des minorités dominantes. Face à l’appauvrissement croissant qui s’o­père, les gens s’inquiètent, s’informent, discutent, se mobi­lisent et tentent de reconstituer un peuple dans les univers atomisés et anomiques des métropoles. Il est possible de transformer cette crise économique en crise politique, et d’abord en retrouvant des comportements élémentaires : tenir pour acquis que les oligarques ne se maintiennent au pouvoir que par la passivité de l’ensemble de la popula­tion ; refuser d’attendre grand-chose des mascarades élec­torales ; contredire systématiquement les discours politi­cards ou savants en rappelant simplement à ceux qui les tiennent ce qu’ils disaient hier ; essayer, par tous les moyens, d’accompagner le réveil historique et l’invention d’une société décente. En eux-mêmes, luttes et mouve­ments d’émancipation sont toujours à la fois des forces de transformation sociale et des facteurs de conservation, car ils forcent les pouvoirs en place à revenir au réel et à s’a­dapter en mettant un frein à leurs excès tout en détournant et déformant les exigences exprimées. Tant que le système survivra, tout mouvement est d’une façon ou d’une autre récupéré par lui. Mais il est toujours possible de s’inspirer de ce que le passé de ces mouvements a donné de meilleur pour créer de nouvelles formes d’action.

Ça et là, déjà, réapparaissent des formes de luttes radicales qui mettent en pratique une organisation par la base, horizontale. Les bureaucraties politiques, syndic­ales et associatives peuvent parfois servir de ferment mais sont rigoureusement incapables d’incarner les changem­ents qui s’imposent : elles servent de frein dérisoire à un moteur qui s’emballe. Il s’agit alors de poser nos propres modes d’action et d’assumer nous-mêmes la parole de notre combat : cela ne peut se faire qu’en court-circuitant les hiérarchies, les discours tout faits, les vieilles routines. Il faut, à l’opposé, un cadre où chacun décide parce que tous sont concernés : tout délégué, éventuellement tiré au sort, ne reçoit que des mandats impératifs ou révocables, pour veiller ainsi à ce que ne se forme pas une couche de représentants inamovibles qui ne tarderont pas à faire valoir leurs propres intérêts, ou à être achetés ou neutralisés. Les délibérations et les décisions sont prises en assemblée générale souveraine, organe de base favorisant l’implication croissante de tous. Toutes les tâches, individuelles ou collectives, visent à être les plus tournantes possibles afin que ne renaisse pas au sein du mouvement des monopoles, des fiefs, des experts indiscutables. Cette auto-organisation des luttes est la mise en place d’une véritable démocratie directe : on retrouve ce fonctionnement, articulé à une échelle nationale à chaque épisode révolutionnaire, c’est-à-dire à chaque fois que la population a pris en main ses propres affaires.

Nos propres affaires, c’est aussi ce que nous produi­sons et ce que nous consommons, et comment. Les solu­tions marxistes restent prisonnières de l’imaginaire capita­liste : tout n’est qu’économie, pouvoir d’achat et quête d’a­bondance, alors qu’il est question aujourd’hui de définir ce dont nous avons réellement besoin. Aujourd’hui, une pro­duction en dernier ressort destructrice propose des biens dont l’intérêt est parfois discutable et souvent nul à des consommateurs chez qui l’on crée systématiquement de nouveaux besoins. En entretenant la peur du manque et la peur de l’autre, la société actuelle nous entraîne dans une course où, perpétuellement déçus, nous comblons l’an­goisse par l’achat, encore et encore. Mais il est possible de poser la question du travail en renversant cet ordre aber­rant : nous devons définir nous-mêmes, collectivement, en fonction des contraintes humaines et environnementales, ce dont nous avons besoin, puis produire des biens et des services durables en fonction de ces besoins. Il ne s’agit pas de s’imposer une frugalité maladive, mais de conquérir la maîtrise de nos vies, de notre travail, de notre quotidien et de nos ressources, en posant la question même du sens de notre vie, question que l’accumulation d’objets, marc­handises et gadgets rend proprement impensable.

Face aux éventuels dangers qui nous menacent, il ne faut céder à aucun chantage à la catastrophe écono­mique, sanitaire ou écologique qui servirait avant tout à maintenir en place une oligarchie bureaucratique arrogante et prédatrice aux moyens exorbitants. Le souci de solidarité avec les pays moins développés, la nécessité de gérer rai­sonnablement les richesses naturelles ou la volonté de changer de modes de vie ne sauraient servir de justification à des restrictions et des rationnements qui ne seront tou­jours bons que pour quelques-uns, selon leur place dans la hiérarchie des revenus et des pouvoirs. Nous sommes tous sur le même bateau. Il y a donc à formuler, partout une exigence première d’égalité des revenus, une même capaci­té de consommation pour tous. La difficulté à faire en­tendre la nécessité de la réalisation d’un tel objectif tient essentiellement au fait qu’il oblige à s’extraire des cami­soles mentales capitalistes : en supprimant l’appât du gain comme motivation essentielle dans la vie des hommes, c’est le principe même de la course folle dans laquelle nous sommes tous entraînés qui disparaît : s’ouvre alors, seule­ment, la possibilité d’inventer ensemble une société hu­maine, juste et écologique.

Le petit monde des gestionnaires professionnels des affaires sociales s’est totalement discrédité de lui-même ; il n’est en­core en place aujourd’hui que par l’indifférence générale qu’il a su entretenir dans la population depuis des décennies. L’effondrement de tout ce qui justifiait jusqu’ici son emprise doit résonner comme un appel à la responsabilité et au cou­rage politiques.. Il est temps de renouer avec l’héritage enfoui de siècles d’émancipation, de tirer les leçons des erreurs historiques et de tracer des perspectives claires pour l’invention d’un monde vivable. Rien, ni personne, ne peut empêcher les hommes de faire leur histoire, et rien, ni personne, ne peut le faire à leur place.

1er mai 2009 - Groupe politique Lieux Communs

http://www.magmaweb.fr/spip/ - Lieuxcommuns gmx.fr


Commentaires

Crise économique et transformation sociale
lundi 2 novembre 2009 à 15h56

Excellent tract, certainement un des meilleurs textes que j’ai lu sur la crise actuelle ! Tout n’est pas perdu ! A la fois dense et accessible (même si il est un peu long), il donne de très bons éléments de réflexion et pose des bases saines d’action politique : parfait pour entamer des discussions sérieuses... Mais on ne le trouve nulle part qu’ici : Pourquoi ne pas le diffuser plus ? Bon courage à vous et à bientôt !

mardi 3 novembre 2009 à 12h37 - par  administrator

Merci pour votre appréciation, pour ce qui est de la diffusion du tract, libre à vous bien sûr de le diffuser dans vos réseaux. Ce tract a été distribué lors de manifs à Paris, il n’y a pas eu beaucoup de retour...

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