Eléments pour une démarche politique (Avant-propos)

jeudi 7 mai 2009
par  LieuxCommuns

Ce texte introduit la brochure n°15 « Éléments pour une démarche politique ».

Elle est en vente pour 2€ dans nos librairies. Son achat permet notre auto-financement et constitue un soutien aux librairies indépendantes (vous pouvez également nous aider à la diffusion).

Il est également possible de la télécharger dans la rubrique brochures.

La brochure est constituée des documents suivants :

  • Avant-propos du collectif Lieux Communs, ci-dessous
  • Quatrième de couverture, bientôt disponible

Fruit de l’activité d’une seule personne, le bulletin « Les mauvais jours finiront... » connut 14 numéros. Le premier paru en avril 86, précédant de quelques mois le mouvement lycéen et étudiant de décembre (qui permit à beaucoup de mesurer l’écart construit avec l’élan de Mai 68) et auquel l’auteur consacra une longue analyse . La dernière livraison date de septembre 1993 et clôt une des dernières périodes de sursaut, déjà très affaibli, où s’annoncent une aggravation du reflux et l’entrée dans une ère géopolitique radicalement nouvelle.

Ces quatorze brochures hétérogènes de quelques pages austères diffusées à quelques centaines d’exemplaires il y a vingt ans nous parlent aujourd’hui bien plus que ce qui brillait à l’époque et ce qui se donne pour résolument novateur aujourd’hui. Elles voulaient à la fois mesurer froidement l’ampleur du changement que l’époque opérait dans les comportements ; se donner les moyens minimaux de ne pas céder à la résignation complaisante, aux reniements nihilistes, aux cynismes déferlants ; expliciter « clairement et simplement » toutes les dimensions de la critique de ce monde ; poser les principes - individuels en attendant d’être collectifs - d’une activité obstinée et exigeante visant une auto-transformation de la société ; viser à développer une praxis qui reprenne ces exigences et rassemble les volontés éclatées ; et rompre, enfin, avec les manies d’une « radicalité » narcissique et stérile - qui s’agite encore de nos jours.

Quiconque parcourra l’ensemble de ces textes aura la confirmation, une fois encore, que la lucidité n’est jamais très éloignée de la détermination, fut-elle payée de solitude.

Rompre avec les stigmates du « milieu radical » ; l’ambition surprendra ceux qui y sont enfermés comme ceux qui, infiniment plus nombreux, y préfèrent encore la dispersion, qu’ils la rationalisent ou non. L’auteur des « Mauvais jours... » énonce des évidences qui ne le sont qu’exceptionnellement pour les groupes auto-qualifiés « révolutionnaires » : primat de la clarté, de la nuance, de la patience et de l’austérité ; défiance envers les engagements qui ne tiennent qu’à de froids raisonnements stratégiques et les promesses de mondes meilleurs agrémenté de catastrophisme ; refus d’un carcan idéologique comme d’un éclectisme informe, distance vis-à-vis des mythes qui nourrissent les vénérations et construisent en chaîne des fascinations déplacées ; volonté d’établir avec ses lecteurs des relations basées sur la modestie, la rigueur et l’exigence réciproque... De fait, l’impression que laisse ces pages tranche évidemment d’avec une littérature devenue conventionnelle, et les numéros suivants montreront que ce ne sont pas des mots.

La collaboration éphémère que cette publication entretiendra avec L’Encyclopédie des Nuisances, référence absolue de la mouvance « radicale » du tournant des années 90, illustre concrètement ce qui sépare deux tendances, deux approches, deux postures : la première n’en finissant pas de mourir à force de réclusion dans une pureté tranchante et inaccessible, et la seconde toujours à naître, qui ne trouve ni les forces ni la continuité nécessaires à une mise en commun mettant à plat tout l’héritage « révolutionnaire » des trois ou quatre dernières décennies.

N’y voir que deux filiations concurrentes, celle de G. Debord et celle de C. Castoriadis, celle de l’Internationale Situationniste et celle de Socialisme ou Barbarie , serait réduire et stériliser l’enjeu colossal de notre époque - pour peu qu’elle ne soit déjà terminée : construire, à partir du « siècle des révolutions » que fut le monstrueux vingtième siècle et de l’intérieur des ravages de l’insignifiance contemporaine, des pensées, des discours et des actes qui fassent sens, c’est-à-dire porteurs d’une critique illimitée qui n’épargne ni celui qui la tient, ni ce dont il se réclame, ni, surtout, l’idée qu’il se fait de son désir, avec cette évidence qui disparaît à vue d’œil qu’il ne s’agit ni d’une table rase ni de la poursuite d’un rêve inconséquent : nous parlons d’un projet humain partiellement incarné dans certaines sociétés et à certaines époques et dont semble dépendre l’avenir de ce que nous appelions jusqu’ici l’humanité.

Il est question ici de la métamorphose profonde de l’occident, devenue ostentatoire depuis les années 80, mais perçue dès les années 50. Même les tenants les plus bouchés du « creux de la vague » en conviennent : ce « long reflux » est un changement anthropologique qui affecte le type d’êtres humains que l’époque forge . Il faut en prendre acte, même si le vertige, ou la panique, n’est jamais loin pour qui s’y emploie : la question du sens de la vie individuelle elle-même ne semble plus pouvoir être entendue et l’absence désirée de point fixe dans l’existence laisse le champs libre au modelage à l’infini des comportements et des personnalités, notamment par le truchement de l’escalade technologique - pourvu que soient conservés les signes du confort moderne.

La réelle dynamique « anti-libérale » née il y a une dizaine d’année laisse évidemment intacte la soumission à l’ordre bureaucratique-capitaliste, la collaboration à sa fuite en avant et l’adhésion à ses valeurs vides qui caractérisent la masse écrasante de nos contemporains : l’important renouveau des luttes sociales semble avoir dépassé la culture groupusculaire du gauchisme traditionnel, mais son institutionnalisation à « gauche de la gauche » en une nouvelle sociale-démocratie condamne la nébuleuse « altermondialiste », avec son amnésie et son volontarisme, à reconduire les mécanismes oligarchiques dans la société comme en son sein même.

Alors les quelques pages qui suivent n’incitent guère à la légèreté : ce n’est pas tellement que du temps soit passé et que ce qui soit advenu reste dérisoire face à ce que la situation mondiale exigerait. C’est plutôt que les problématiques décrites s’enracinent, plus aiguës encore : les réponses - de taille - à y apporter semblent s’éloigner à mesure que nos sociétés s’en accommodent, du moins jusqu’au jour où « quelque chose » rendra le quotidien impossible. Ces textes, sans en avoir l’air, pointent sous une multitude d’aspect des chantiers fondamentaux dans lesquels s’aventurent, qu’ils le sachent ou non, tous ceux qui ont aujourd’hui une activité politique quelconque : l’apathie contemporaine des populations, nourrie autant du souvenir du totalitarisme que de l’absence de crédibilité des courants politiques contemporains (« l’oubli » du premier par les seconds n’y étant peut-être pas pour rien ) ; le rôle de la jeunesse d’aujourd’hui, à la fois révélatrice du néant de la société et incapable de poser durablement d’autres valeurs, éternel réservoir d’une révolte qui peut n’avoir pas plus de sens que l’objet de sa haine ; les fantasmes autour de la « récupération par le système » qui permettent tantôt de ne répondre de rien, tantôt de se résigner à bon compte, et qui, finalement, ne laissent surnager que l’insignifiance ; l’héritage très ambigu, et certainement pas démêlé, qu’a laissé le gauchisme des années 70 dans beaucoup de pays, constituant à la fois une référence politique incontournable pour certains et un repoussoir pour beaucoup d’autres, sans qu’il soit évident de savoir, précisément, de quoi il est question ; la difficulté immense qui existe à articuler dans le temps sa révolte et ses désirs à ceux des autres, à l’heure où les simples rapports entre humains se vivent comme des contraintes encore nécessaires et poussent à l’hypocrisie comme à l’éparpillement...

Nous qui cherchons les pistes d’une politique exigeante et cohérente semblons plus que jamais « tourner en rond au fond d’un cul-de-sac dont l’accès s’est refermé derrière nos pas » , et les textes de G. Fargette ne disent pas le contraire.

Mais c’est une lecture - et un style - qui ne laisse ni indifférent, ni seul, et l’enthousiasme tranquille qui s’en dégage retentit comme un appel que sauront entendre ceux à qui il est destiné.

Collectif Lieux Communs, février 2007


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