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Premières idées sur les idées
Il nous semble qu’il y ait une rupture ontologique entre le royaume des dieux et celui des idées, entre les mythes et les théories. Les idées, et plus largement les systèmes d’idées (théories, doctrines, idéologies), semblent n’avoir qu’une réalité instrumentale. Ce sont des outils qui servent à interpréter le réel et qui peuvent être insuffisants ou illusoires. Marx a instrumentalisé à l’extrême l’idéologie, en en faisant un leurre qui permet à une classe dominante de masquer ses intérêts ou son autorité sous des propositions apparemment nobles et universelles. Ainsi, l’idéologie des droits de l’homme masque le pouvoir scélérat de la bourgeoisie. Soljenitsyne amplifie les accents de Marx, mais à l’égard de l’idéologie communiste : « C’est elle qui apporte la justification recherchée à la scélératesse, la longue fermeté nécessaire aux scélérats. C’est la théorie sociale qui aide le scélérat à blanchir ses actes à ses propres yeux et à ceux d’autrui pour s’entendre adresser, non pas des reproches ni des malédictions, mais des louanges et des témoignages de respect » (Soljenitsyne, 1974, p. 131).
Une telle conception instrumentale ignore que l’idéologie puisse passer à l’être et devenir souveraine. Dès lors, nous sommes les serviteurs des idées qui nous servent. Comme pour un dieu, nous pouvons vivre et mourir pour une idée. Il est des idées maîtresses qui se servent des intérêts et des ambitions des humains autant et plus que les intérêts et ambitions des humains se servent d’elles. Elles nous manipulent plus que nous les manipulons. Comme des dieux, il est des doctrines, à commencer par celle du déterminisme, qui exigent que l’univers leur obéisse. Le mot « chat » ne mord pas, constate-t-on. Mais le mot « vérité » peut devenir féroce. Au service de l’idée, les mots acquièrent pouvoir de vie et de mort. Ainsi donc, des abstractions, des concepts, des théories peuvent acquérir de l’être, de la puissance, de la souveraineté, de la gloire. Un concept est en apparence dépourvu de toutes qualités biomorphes et anthropomorphes, mais en fait il peut les acquérir ; ainsi, le capitalisme, le communisme ont pu devenir des êtres doués de pensée, de stratégie, de ruse, de malignité comploteuse. Ils ont pu acquérir un pouvoir surhumain de Titans, Diables ou Dieux.
La même puissance qui anime le mythe et la foi peut s’introduire dans l’idéologie. Comme je l’ai indiqué ailleurs (Morin, 1987, p. 109 sq.), la Providence s’est introduite en catimini dans la Raison du siècle des Lumières, qui en est même devenue Déesse, puis elle s’est introduite dans l’idée de science à la fin du XIXe siècle. L’éternité et l’incorruptibilité de la substance divine se sont introduites dans l’univers matérialiste de La place. Le Salut s’est introduit dans l’histoire profane, et un nouveau Messie s’est incarné dans le Prolétariat. Ainsi, le « matérialisme scientifique » est une grande religion de salut terrestre du XXe siècle. De même que nous sommes possédés par les dieux que nous possédons, nous sommes possédés par les idées que nous possédons. Là encore, je suis témoin : j’ai connu des possédés idéologiques chez qui la possession au sens clinique, la possession au sens vaudou, la possession au sens dostoïevskien se sont rejointes (je me souviens encore du temps où la petite chatte minaudante était, comme une déesse Kali, capable d’envoyer au supplice des myriades d’êtres humains : du point de vue psychologique, on pouvait dire qu’elle était alors très méchante ; mais, du point de vue noologique, elle était véritablement possédée, et c’était la possession par le Très-Cruel Parti de Staline qui avait actualisé ses virtualités méchantes). De même que les dieux, les idées se livrent bataille à travers les hommes, et les idées les plus virulentes ont des aptitudes exterminatrices qui dépassent celles des dieux les plus cruels.
Comme les dieux, les idées sont des êtres effrénés ; elles échappent rapidement au contrôle des esprits, prennent possession des peuples et déploient une énergie historique fabuleuse. Comment se fait-il que nous donnions vie à des êtres d’esprit, puis que nous leur offrions nos vies, et qu’ils s’en emparent finalement ? Les études structurales de la pensée mythologique ou religieuse, le forage de l’archéologie du savoir peuvent certes nous révéler le squelette du monde noologique, mais non sa vie ni sa puissance.
Les idéologies ont une espérance de vie plus grande que les humains. Leur bio-dégradabilité est plus grande que celle des dieux, mais certaines peuvent vivre plusieurs siècles. Celles qui se prétendent « scientifiques » et assurent réaliser sur Terre leur promesse de Salut, comme le marxisme stalinien, sont finalement fragiles après leur victoire, qui est en même temps leur échec. Toutefois, le marxisme stalinien a été capable de posséder l’esprit de très grands scientifiques, où il a pu refouler durant des dizaines d’années, comme autant d’« ignobles calomnies », les preuves multipliées et accumulées de son mensonge. C’est dire la force des idéologies, face au réel et contre lui. Les faits sont têtus, disait Lénine. Les idées sont encore plus têtues, et les faits se brisent sur elles plus souvent qu’elles ne se brisent sur eux.
La trinité psychosphère / sociosphère / noosphère
Il nous faut articuler la noosphère dans le monde anthropo-social selon un complexe trinitaire : psychosphère, sociosphère, noosphère. La psychosphère est la sphère des esprits/cerveaux individuels. C’est la source des représentations, de l’imaginaire, du rêve, de la pensée. Les esprits/ cerveaux donnent consistance et réalité à leurs représentations, leurs songes, leurs mythes, leurs croyances. Ils élaborent la substance spirituelle qui va former les « êtres d’esprit ». Mais la concrétisation des mythes, des dieux, des idées, des doctrines n’est possible que dans et par la sociosphère : la culture, produite par les interactions entre esprits-cerveaux, contient le langage, le savoir, les règles logiques et paradigmatiques qui vont permettre aux mythes, dieux, idées, doctrines d’accéder véritablement à l’être. Ceux-ci, une fois formés, pompent de la substance, de l’organisation, de la vie dans la psychosphère et la sociosphère. Ils puisent aussi de l’invention dans les désordres de l’esprit (fantasmes, délires) et dans les désordres sociaux (crises). Les êtres d’esprit bio-anthropomorphes puisent principalement dans la pensée symbolique-mythologique, les êtres logomorphes puisent principalement dans la pensée empirique-rationnelle (et il y a sans cesse chevauchements/débordements de part et d’autre). Les êtres d’esprit se régénèrent sans cesse aux sources qui les ont générés. Mais ils sont eux-mêmes nécessaires à la régénération de la psychosphère et de la sociosphère. Une boucle rotative sans cesse se recrée, où chacune de ces instances est nécessaire à la génération/régénération des autres, où chacune est à la fois produit et producteur. Une société sans mythes fraternitaires ne saurait s’accomplir. Un esprit sans idées ne saurait s’accomplir. Le mythe co-produit la société qui le produit, l’idée co-produit l’esprit qui la produit.
L’esprit/cerveau et la culture conditionnent, éco-organisent, contraignent, libèrent la noosphère, laquelle conditionne, éco-organise, contraint, libère l’esprit/cerveau et la culture. Chacune de ces instances est en même temps éco-système des deux autres, qui y puisent nourritures, énergies, organisation, vie.
Chacune de ces instances est en même temps moyen et fin pour les autres. La noosphère est certes un moyen/milieu pour l’homme, mais on ne sait si l’homme n’est pas aussi milieu/moyen pour la noosphère : on comprend qu’un Hegel fasse des humains le moyen de réalisation de l’Idée. On comprend les théories qui mettent les humains au service de la Raison.
Il y a symbiose, asservissement et exploitation mutuels entre ces trois instances, mais non pas de façon équilibrée ; il est des cas où les mythes et les dieux ont tellement soif qu’ils vampirisent les humains et les sociétés… Mais il faut dire aussi que l’individu peut éventuellement échapper à la force d’asservissement de la noosphère en utilisant justement certaines des idées de nature émancipatrice qui y pâturent… De plus, il y a, dans toutes sociétés, des esprits « forts », « incroyants », « terre à terre », rétifs à l’emprise des dieux ou des idéologies (comme il en est de rétifs à l’hypnose), tandis que d’autres n’offrent aucune résistance à leur domination.
Les sociétés domestiquent les individus par les mythes et les idées qui à leur tour domestiquent les sociétés, mais les individus peuvent réciproquement domestiquer leurs idées et leurs mythes. Dans le jeu complexe (complémentaire, antagoniste et incertain) d’asservissement, exploitation, parasitisme mutuels entre les trois instances (individu-société-noosphère), il y a possibilité plus ou moins grande pour une recherche symbiotique/émancipatrice.
Enfin, la trinité psycho-socio-noosphérique est immergée et englobée dans la Nature (biosphère) et le cosmos. Ce n’est pas seulement l’individu et la société qui opèrent des transactions avec le monde ; la noosphère est elle-même ouverte sur le monde et dialogue avec lui : les mythes et les idées explorent le monde, voyagent dans le monde, le cultivent, s’efforcent d’y faire leur nid, et finalement élaborent les visions du monde, les images du monde, les conceptions du monde. Certes, lorsque les humains prennent leurs mythes ou leurs idées pour la réalité, ils tendent à croire que la noosphère est le monde lui-même. Mais c’est aussi à travers la noosphère que se forme l’interrogation humaine, et c’est la noosphère qui établit le contact avec l’inconnu, l’indicible, le mystère…
La réalité noologique
Comme l’univers physique, comme la biosphère, comme l’univers humain, la noosphère est soumise à une dialogique ininterrompue d’ordre/désordre/organisation où naissent, se développent, se transforment, meurent les entités noologiques.
Il y a, dans la noosphère, beaucoup d’épiphénomènes fugaces, fantasmatiques. Il y a des êtres d’esprit stables, durables, certains dominateurs, souverains ou asservisseurs, mais qui ont en même temps un aspect instrumental, ancillaire ou asservi. La vie des êtres d’esprit est très différente et inégale selon leur espèce. Elle devient très intense, puissante et sur- naturelle pour les grands dieux et les grandes idées. Elle est très faible, quasi virale, pour les petites idées presque uniquement instrumentales.
Pour concevoir cette complexité, nous devons rejeter tout idéalisme donnant aux idées et aux mythes une réalité en soi, et tout réductionnisme dissolvant la noosphère, soit dans l’esprit/cerveau (psychologisme), soit dans la société (sociologisme). Ce qui ne nous amène nullement à nier la part de vérité de l’un (l’autonomie et l’éventuelle souveraineté de l’idée) et de l’autre (l’enracinement psychologique et sociologique du mythe et de l’idée). Enfin, si nous voulons respecter la complexité de la relation trinitaire, il nous faut utiliser non seulement l’angle de vue noologique, mais aussi, comme nous l’avons déjà fait, l’angle de vue psychologique et l’angle de vue sociologique.
Ainsi, à la différence d’un ancien historicisme qui accordait aux idées soit une toute-puissance, soit une autonomie non dépendante, et à la différence d’un sociologisme qui réduit les idées à la causalité sociale, nous reconnaissons l’autonomie dépendante de la noosphère au sein du monde social, qui l’éco-organise, y opère ses sélections, la régule, voire la perturbe ou la révolutionne.
De même, bien qu’elle soit produite par les interactions entre individus/sujets, nous ne devons pas dissoudre le caractère transpersonnel, impersonnel et objectif que prend la noosphère : oui, le langage, ça parle, le mythe, ça pense (mais cela ne doit pas faire oublier que ça parle quand un humain parle, que ça pense avec la pensée d’un sujet) : notre conception établit un lien capital entre pensée personnelle et noosphère anonyme.
Autrement dit, nous pouvons concevoir une noologie objective, mais qui ne clôt pas son objet, qui au contraire le situe toujours dans le contexte des individus/sujets et d’une culture hic et nunc.
On voit bien que l’idée marxienne de « superstructure », dotée d’un certain pouvoir de « rétroaction » (ce dernier terme, inventé près d’un siècle plus tard, ne pouvait être conçu alors, mais l’idée dialectique d’effet en retour en donnait déjà le sens), est à la fois intéressante et insuffisante. Elle est dialectiquement insuffisante parce que la dialectique est rotative, multiple, enchevêtrée, et que l’idéologie y est à la fois produit et producteur. Enfin, si l’idée de superstructure a la vertu de se fonder sur le concept organisationnel de structure, elle est trop prisonnière de ce concept et elle ignore le paradigme auto-éco-organisateur.
Par contre, concevoir le monde de la noosphère selon le paradigme auto-éco-organisateur, c’est pouvoir insérer l’idée centrale d’autonomie/dépendance de la noosphère au sein de la trinité anthropo-sociale, elle-même émergée au sein du monde naturel, ce qui signifie, ipso facto :
- que le point de vue noologique doit considérer l’autonomie de la noosphère dans sa relation co-organisatrice avec ses éco-systèmes mentaux et culturels ;
- que l’auto-éco-organisation signifie organisation vivante, non pas au sens « biologique » stricto sensu, mais au sens méta-biologique d’une vie de l’esprit ; les êtres d’esprit puisent et pompent leur substance vivante dans la vie des esprits/cerveaux et dans la vie des sociétés, et, ce faisant, deviennent vivants. Comme les êtres vivants, ils sont leurs propres fins tout en étant moyens d’autres instances vivantes.
À la différence des êtres biologiques qui sont constitués de molécules, les êtres méta-biologiques sont constitués de symboles et d’idées à support phonique et/ou visuel. Mais les molécules d’ADN et ARN des êtres biologiques ont elles-mêmes qualité symbolique, et les deux types d’organisation disposent l’un et l’autre d’un système d’engrammation/codage à double articulation ( le code génétique et le langage humain). Ainsi, noosphère et biosphère, tout en étant ce qu’il y a de plus éloigné l’un de l’autre (car la noosphère émerge en dernier, après l’hominisation), sont en même temps ce qu’il y a de plus proche, comme l’avaient vu Auger et Monod. Ce sont, l’une et l’autre, des mémoires, des engrammes, des programmes.
Comme toute vie, la vie des êtres d’esprit se régénère sans cesse. Les dieux se régénèrent par le culte, le rite, la foi, l’amour. Il est remarquable que les dieux aient soif du sang des sacrifices, comme s’il leur fallait être régénérés par ce qui chez les humains symbolise la sève même de leur être. La vie d’une œuvre musicale se nourrit de façon différente. La partition d’une sonate est comme un ADN inactif, qui, sans présence de lecteur et d’exécutant, ne serait qu’une marque inanimée ; pour qu’elle retrouve l’existence, il faut qu’elle soit lue par un musicien ; pour qu’elle retrouve la plénitude de son existence, il faut qu’elle soit exécutée devant un public. Chaque lecture, chaque exécution, chaque écoute est ainsi un acte de régénération. Et les œuvres vivent ainsi, de régénération en régénération, certaines mourant de désaffection et d’oubli, comme il arrive aussi aux dieux des cultes abandonnés.
Les êtres d’esprit se reproduisent en se dédoublant : une idée ou un mythe se multiplie tout en demeurant le même être ; de même qu’un virus ou une bactérie multipliés par millions demeurent le même virus et la même bactérie, de même l’idée ou le mythe multipliés demeurent les mêmes. En même temps, ces multiples êtres d’esprit constituent un seul et même être qui grandit : le Mythe, l’Idée.
Les êtres d’esprit se multiplient à travers les mille réseaux de communication humaine, via le discours, l’éducation, l’endoctrinement, la parole, l’écrit, l’image. Le pouvoir duplicateur/multiplicateur de l’imprimerie, du film, de la télévision a accru et continue d’accroître le potentiel reproducteur des êtres d’esprit et de leurs constituants ; il accroît aussi le caractère disséminateur du processus de multiplication/reproduction ; comme dans le monde végétal, une formidable dissémination de spores ou germes est liée à une formidable déperdition ; comme dans le monde des insectes ou des poissons, la fécondation et la survie des œufs subissent un massacre avant qu’il puisse y avoir naissance. Il y a, par contre, certaines conditions, comme la crise d’une idée dominante, qui favorisent la propagation épidémique d’idées demeurées jusqu’alors inhibées, latentes, dans des recoins marginaux ; la rupture d’une régulation sociale, la paralysie d’une inhibition répressive laissent le champ libre aux « virus » des idées contestataires qui se multiplient alors de façon très rapide ; la normalisation inhibe leur reproduction, pourchasse les virus, et l’idée refoulée retourne en latence, conservée seulement en quelques esprits/cerveaux déviants. Toutefois, comme dans l’évolution biologique, une mutation légère ou profonde peut s’effectuer dans le mythe ou l’idée, les altérer ou les transformer. Il y a des réorganisations génétiques dans la noosphère, qui connaît des processus évolutifs multiples comme en a connu la biosphère (voir chapitre 3).
Des mythes aux idées
Les dizaines de milliers d’années préhistoriques du déploiement sur la terre des sociétés humaines de chasseurs-ramasseurs ont vu le déploiement de myriades de très denses et riches noosphères symboliques-mythiques-magiques d’esprits, dieux, génies, enveloppant une sphère empirico-rationnelle toujours présente (mais non formulée en idées abstraites). Avec les empires et les grandes civilisations des temps historiques s’institue une formidable noosphère de religions où règnent de Très-Grands Dieux, souverains des rois et disposant d’un tout-puissant clergé. Enfin, dans le monde méditerranéen, surgissent les dieux du salut, qui offrent aux humains la recette d’immortalité, c’est-à-dire la victoire sur la mort. Deux grandes religions de salut se, sont imposées et répandues dans le monde, le christianisme et l’islam, et elles occupent encore des régions majeures de la noosphère planétaire.
De même que les crustacés, poissons, reptiles continuent à se développer dans la biosphère après que s’est imposé le règne des mammifères, de même les anciens spectres, ghosts, génies, bien que refoulés par les grandes religions et par les idéologies modernes, continuent à se multiplier dans des niches écologiques préservées (cavernes de l’âme, undergrounds culturels), parfois même intégrés sous forme de saints ou démons dans les grandes religions.
Toutefois, le phénomène le plus remarquable est la naissance, dans l’Orient bouddhiste et dans la Grèce ancienne, de systèmes d’idées abstraits, formant conception du monde et établissant règles de conduite : les philosophies. Après avoir été asservie dans et par la noosphère triomphante du christianisme, la philosophie s’est émancipée en Occident lors de la Renaissance, puis il s’est créé un nouveau type de systèmes d’idées, les théories scientifiques. Enfin, à partir des systèmes philosophiques et scientifiques, se sont développées des idéologies politiques, qui, comme nous le verrons, ont nourri en elles une substance mythologique, voire religieuse. Il existe donc désormais une formidable noosphère d’êtres logomorphes (systèmes d’idées).
En même temps que s’est développé cet ultime règne, un processus de sécularisation ou laïcisation a transformé les anciens mythes (comme ceux de la mythologie grecque) en entités esthétiques ou poétiques ; la poésie et la musique se sont en très grande partie autonomisées ; des univers tissés de substance mi-réelle mi-imaginaire, comme ceux du roman, se sont multipliés. Ainsi, une fabuleuse noosphère esthétique/artistique, que les médias ont multipliée et disséminée, règne à son tour sur nous, mais de façon singulière : nous y croyons profondément, nous en sommes pénétrés, envoûtés, mais nous ne lui donnons pas le même type d’existence que les croyants en leurs mythes et leurs dieux parce que nous savons que les œuvres les plus sublimes, les plus divines, sont humaines…
Ainsi, nous vivons dans trois règnes noosphériques s’associant, se repoussant, se symbiotisant, ils font partie de notre vie comme nous faisons partie de la leur. Ils ont réalité objective, présence active, autonomie/dépendance. Nous ne traiterons, dans ce livre, que du règne des systèmes d’idées.
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