Les idées : Le troisième règne (1/2)

E. Morin
vendredi 3 mars 2023
par  LieuxCommuns

Première partie du chapitre II éponyme du livre d’Edgar Morin, « La Méthode IV, Les idées, leurs habitats, leur vie, leurs moeurs, leur organisation », pp.113-126.

On lira auparavant l’introduction « Reconnaissances de la noosphère »


Domaine de la zoologie et domaine de la culture : deux compartiments mystérieusement similaires, peut-être, dans les lois de leur arrangement, mais, malgré tout, deux mondes différents.
Theilhard de Chardin

Les représentations, symboles, mythes, idées sont englobés à la fois par les notions de culture et de noosphère. Du point de vue de la culture, ils en constituent sa mémoire, ses savoirs, ses programmes, ses croyances, ses valeurs, ses normes. Du point de vue de la noosphère ce sont des entités faites de substance spirituelle et dotées d’une certaine existence.

Issue des interactions mêmes qui tissent la culture d’une société, la noosphère émerge [1] comme une réalité objective, disposant d’une relative autonomie, et peuplée d’entités que nous allons appeler « êtres d’esprit ». Nous serons amenés à reconnaître :

a) les types, classes ou espèces des « êtres d’esprits »,

b) leurs règles d’organisation propres,

c) les conditions de leur « vie » et de leur « mort », c’est-à-dire de leur autonomie/dépendance, de leurs relations, associations, dossiciations, conflits, évolutions, dégradations,

d) leurs relations de symbiose, parasitisme, exploitation avec la sphère anthropo-sociale (dont ils font partie tout en en étant distincts, comme nous le verrons plus loin).

Noosphère-atmosphère

Rappelons que nous vivons dans un univers de signes, symboles, messages, figurations, images, idées, qui nous désignent des choses, des états de fait, des phénomènes, des problèmes, mais qui par là même sont les médiateurs nécessaires dans les relations des hommes entre eux, avec la société, avec le monde. Dans ce sens, la noosphère est présente dans toute vision, conception, transaction entre chaque sujet humain avec le monde extérieur, avec les autres sujets humains, et enfin avec lui-même. La noosphère a certes une entrée subjective, une fonction intersubjective, une mission trans­ subjective, mais elle est un constituant objectif de la réalité humaine.

Cette sphère est comme un milieu, dans le sens médiateur du terme, s’interposant entre nous et le monde extérieur pour nous faire communiquer avec celui-ci. C’est le milieu conducteur de la connaissance humaine. De plus, elle nous enveloppe comme une atmosphère proprement anthropo­-sociale. De même que les plantes ont produit l’oxygène de l’atmosphère, désormais indispensable à la vie terrestre, de même les cultures humaines ont produit symboles, idées, mythes devenus indispensables à nos vies sociales. Les symboles, idées, mythes ont créé un univers où nos esprits habitent.

Il est remarquable qu’une noosphère extrêmement riche et dense de mythes, légendes, esprits, dieux, savoirs enveloppe les groupes humains les plus archaïques, comme les aborigènes d’Australie ou d’Amazonie. Le dépérissement des mythes archaïques s’est fait au profit d’une nouvelle noosphère, celle des grandes religions de l’Antiquité et des Temps modernes. Le rétrécissement contemporain de l’aire des grandes religions en Occident n’a nullement diminué l’épaisseur de la noosphère : la prolifération des idéologies et des idées abstraites, l’énorme développement du savoir scientifique et technique vont de pair avec celui de l’univers imaginaire de la littérature, du roman, du cinéma et de la télévision. Chaque poème invente un monde, chaque roman [2], chaque film crée un univers. Partout, la noosphère s’étend et s’épaissit. Les noosphères différentes issues des diverses cultures du globe communiquent désormais plus ou moins entre elles, et elles sont enveloppées par une noosphère planétaire, elle-même en expansion, comme l’est l’univers physique.

L’accroissement et le développement de la noosphère assure une commu­nication toujours plus ample et plus riche avec l’univers. Mais, en même temps, la prolifération noosphérique, non seulement des mythes, mais aussi des abstractions, accentue la séparation entre le monde humain et la Nature, voire entre humains et humains. La noosphère n’est pas seulement le milieu conducteur/messager de la connaissance humaine. Elle fait aussi effet de brouillard, d’écran, entre le monde culturel qui s’avance entouré de ses nuées, et le monde de la vie. Ainsi, nous retrouvons un paradoxe majeur déjà affronté : ce qui nous fait communiquer est, en même temps, ce qui nous empêche de communiquer.

Démographie de la noosphère

La noosphère est peuplée d’êtres matériellement enracinés, mais de nature spirituelle. (Rappelons que la matière est elle-même très peu matérielle puisqu’un atome est vide à 99 % et que les particules qui le constituent ont une matérialité ambiguë.) De même que l’information a toujours un support physique/énergétique tout en étant immatérielle, de même le mythe, le dieu, l’idée ont un support physique/énergétique dans les cerveaux humains, et ils se concrétisent à partir de la matérialité des échanges chimico-électriques du cerveau, des sons de la parole, des inscriptions. Ils disposent surtout d’un support biologique constitué par ces mêmes cerveaux et c’est ce qui va leur insuffler une vie propre.

De même que la biosphère comporte une extraordinaire prolifération d’êtres divers, du virus au séquoia, de la puce à l’éléphant, de même la noosphère comporte une extraordinaire diversité d’espèces, des fantasmes aux symboles, des mythes aux idées, des figurations esthétiques aux êtres mathématiques, des associations poétiques aux enchaînements logiques. Mais, alors que la connaissance de l’organisation nucléo-protéinée permet de saisir aujourd’hui l’unité de la diversité vivante, la vie multiple de la noosphère n’est pas reconnue dans son unité ; son domaine, traversé par d’innombrables disciplines, est brisé par ces disciplines fragmentaires, encore incapables de communiquer entre elles. Des parcelles de la noosphère sont cultivées, mais la noologie est res nullius.

Il est évidemment extrêmement difficile de saisir un lien entre le rêve et l’opération logique, l’œuvre romanesque et la théorie scientifique, sinon leur co-présence dans la noosphère. On peut du moins tenter une première typologie.

Ainsi, on peut distinguer le type d’existence propre aux entités relevant de l’esthétique (le poème, le chant) et celui propre aux entités relevant de la croyance et/ou de la connaissance (le dieu, l’idée). Cette distinction est apparemment très nette dans notre culture laïcisée moderne, mais elle n’était que sous-jacente dans les anciennes cultures où les chants, danses, sculptures, peintures, tout en apportant des émotions proprement esthétiques, étaient inséparables du culte et relevaient aussi de la croyance, du mythe, de la religion. Aujourd’hui même, esthétique et connaissance demeurent d’une certaine façon impliquées l’une dans l’autre : la dimension cognitive est présente non seulement dans l’œuvre romanesque ou poétique, mais aussi dans l’œuvre picturale ou musicale (comme nous l’a dit justement Bruno Lussato, il y a une pensée dans l’Appassionata ou la 9e Symphonie). Notre travail laissera en friche le domaine esthétique de la noosphère, afin de se consacrer aux domaines qui concernent directement la croyance et la connaissance, et singulièrement aux idées.

Une autre typologie s’inspirerait de la distinction physique entre états gazeux, livrés à l’agitation thermodynamique, et états solides, dont les constituants atomiques ou moléculaires sont liés entre eux de façon stable : ainsi, du côté des états gazeux, les fantasmes et rêves, qui semblent jaillir d’une source bouillonnante où représentations, remémorations, imaginations se combinent apparemment au hasard, prolifèrent en désordre, se dispersent et se dissipent rapidement ; du côté des états quasi « solides » (organisés de façon stabilisée), les mythes, doctrines, idées sont souvent des entités à forte et durable organisation dont la vie peut être millénaire comme celle des grands séquoias. On peut distinguer deux grands types d’entités à forte et durable organisation :

1) les entités cosmo-bio-anthropomorphes, mythes [3] et religions [4], peuplés d’êtres d’apparences animales ou humaines (génies, esprits, dieux),

2) les entités logomorphes, doctrines, théories, philosophies qui sont des systèmes d’idées.

Ici encore, de telles distinctions doivent comporter des implications mutuelles. Ainsi, par exemple, il y a dans la prolifération onirique, à travers et en dépit de son désordre fugitif, en dépit de la multiplicité des sens s’y combinant, s’y symbiotisant, s’y parasitant, s’y combattant de façon aléatoire, une logique souterraine à l’œuvre, un discours qui se cherche par analogie/métaphore, se cache, se casse, se perd, se retrouve, dans un cocktail de sens et non-sens. De même, il y a une logique organisatrice propre, une philosophie sous-jacente profonde dans les mythes et les religions ; à l’inverse, il peut y avoir, dans les théories les plus abstraites, une poésie, une imagination, et même, nous le verrons, un mythe caché.

De toute façon, toutes les entités noologiques durables sont auto-éco-organisées (l’éco-système, où s’élaborent et se régénèrent les mythes et les idées, est constitué par le milieu culturel et les esprits/cerveaux) ; elles disposent toutes, y compris mythes et religions, d’une machinerie complexe constituée par un langage, une logique, et, plus profondément, elles relèvent d’une paradigmatique. Nous examinerons donc successivement, dans les chapitres suivants :

1) les types d’existence et de manifestation des entités noologiques (êtres d’esprit),

2) leurs principes et modes d’organisation, et principalement ceux des entités logomorphes (systèmes d’idées ou idéologies),

3) leur machinerie (langage, logique),

4) leur paradigmatique.

Existence et Exigence

Dans bien des civilisations archaïques, les visions du rêve sont douées d’une réalité non moins contestable, parfois plus forte encore que les perceptions de veille. Partout où les mythes sont mythes, c’est-à-dire considérés comme vérités et non légendes, ils sont doués d’une sur-réalité. Mais le plus remarquable est l’accession à l’existence et à la puissance des êtres d’esprits bio-anthropomorphes comme les fées, les esprits, les anges, les dieux et surtout les Très-Grands Dieux des religions monothéistes qui deviennent créateurs de leurs créateurs et subjuguent la Nature entière.

Il nous faut admirer la concrétisation, plus formidable encore qu’une matérialisation, de ces êtres d’esprit qui, sitôt formés à partir de projections collectives, s’imposent aux humains en toute évidence et en pleine puissance. Comme l’indique le sonnet de Rilke cité en exergue à notre introduction, la foi donne être et existence à la créature imaginaire qui dispose alors de la force de faire pousser en elle une corne surnaturelle.

J’ai expérimenté l’existence des orixas, que l’on peut appeler saints, esprits, démons, dieux. J’avais déjà assisté à des macumbas et des candomblés à Rio et Bahia, mais j’étais demeuré spectateur de ces cérémonies. Le hasard fit qu’à Fortalezza un ami initié me conduisit chez le maître du culte d’une communauté fermée à l’étranger. Ce maître, un tout petit homme chétif dont le visage me semblait tantôt celui d’un enfant, tantôt celui d’un centenaire, me fit asseoir auprès de lui et, pendant deux heures, il m’observa silencieusement sans insistance et sans que j’en ressentisse la moindre gêne. Puis il décida de m’accepter et je pus participer à la cérémonie parmi une trentaine de participants. Après la première partie, assez proche d’un culte catholique « normal », commença l’invocation des Exu… Le groupe s’exalta progressivement, et soudain un esprit s’empara d’un participant. D’autres esprits arrivèrent. J’étais saisi, au bord d’une transe que j’espérais ardemment, aspirant de toutes mes forces à être possédé moi aussi, mais je crois que le maître qui me contrôlait ne le voulut pas. De toute façon, je compris alors ce que je savais depuis si longtemps, mais de façon seulement abstraite ; je compris que les orixas, comme les esprits et les dieux, avaient une existence réelle, qu’ils avaient le pouvoir sur-humain de s’incarner en nous dans la plénitude de leur être, avec leur voix et leur volonté, et de nous posséder littéralement.

Ce moment fut pour moi l’expérience existentielle décisive de la présence vivante des esprits ou dieux. Je pouvais enfin me rendre compte que tous les dieux existent, existent réellement pour leurs fidèles, bien qu’ils n’existent pas en dehors de la communauté des croyants. Surgis comme des ectoplasmes collectifs des esprits/cerveaux humains, les dieux deviennent des individualités, chacune dotée de son principe d’identité, de sa psychologie, de sa corporalité propre. Ils ont une existence vivante, bien qu’ils ne soient pas constitués de matière nucléo-protéinée (ils ont toutefois, rappelons-le, leur substrat nucléo-protéiné dans les neurones de leurs fidèles). Ils agissent, interviennent, demandent, écoutent. Ils sont réellement présents dans les cérémonies religieuses, et, dans les rites comme ceux du vaudou ou du candomble, ils s’incarnent, parlent, exigent.

Les dieux règnent, ordonnent des sacrifices, s’en réjouissent. Bien que leur existence dépende de nos existences, ils sont nos souverains. Nous leur demandons aide, protection, pitié. Nous leur offrons nos prières, nos prémisses, nos agneaux, nos génisses, nos enfants, s’il le faut. Lorenz disait que l’homme était un animal domestiqué par la société. Il faut dire aussi qu’il est asservi par les dieux. Toutefois, les dieux sont réciproquement à notre service. Si nous les invoquons avec le respect et la vénération requis, ils viennent nous aider dans nos entreprises, apporter la pluie pour nos récoltes, nous donner la victoire dans nos combats, consoler nos détresses, nous sauver dans les périls extrêmes. Les dieux dont nous sommes les serviteurs sont là pour nous rendre service. Nos dieux ne sont pas à la disposition des étrangers, des infidèles, ils sont à nous. Nous possédons les dieux qui nous possèdent. Il y a donc effectivement une relation de symbiose, de parasitisme mutuel, d’exploitation mutuelle (le plus souvent très inégale) entre dieux et humains.

Les humains se livrent des guerres par dieux et religions interposés, mais les dieux et les religions se font aussi la guerre par humains interposés. Les dieux monothéistes, c’est-à-dire monopolistes, sont terriblement jaloux, surtout de leurs sosies qui veulent usurper leur place ; ils cherchent à s’entre-assassiner en déclenchant le massacre des « infidèles », qui ne sont autres que les fidèles de leur rival.

D’où vient la toute-puissance des dieux ? Sous l’angle de la psychologie humaine, ce sont les projections de nos désirs et de nos craintes qui transcendantalisent les dieux. Mais, sous l’angle noologique, ce sont les dieux qui s’auto-transcendantalisent à partir de la formidable énergie psychique qu’ils puisent dans nos désirs et nos craintes. Ainsi, produits des esprits/cerveaux au sein d’une culture, ils rétroagissent de façon dominatrice sur ces esprits/cerveaux et cette culture. Produits par des mortels, ils deviennent immortels et régissent le destin des mortels, capables même de leur offrir l’immortalité en échange d’obéissance et d’amour. Certes, les dieux ne sont pas vraiment immortels : leur vie dépend de celle de la communauté des fidèles. Si les humains mouraient, les dieux mourraient. Lorsque l’humanité mourra, tous les dieux mourront. Ni le plus petit, ni le plus grand ne pourra échapper à la mort de l’humanité. Mais, tant qu’il y a de l’humanité, les Grands Dieux sont très peu bio-dégradables.

Les dieux des cultures archaïques ont pu vivre des millénaires, et ne se sont éteints qu’avec la destruction de ces cultures. Les dieux antiques de la Méditerranée ont vécu le temps du monde antique, jusqu’à ce qu’ils aient été pourchassés et exterminés par le Très-Haut d’Abraham, JHVH des juifs, Dieu-le-Père des chrétiens, Allah des musulmans, qui, depuis, traversent les espaces, les temps, les sociétés, le féodalisme, le capitalisme, le socialisme, s’adaptant à la conjoncture sans modifier leur nature... Les Grands Dieux durent, mais non pas comme les choses pétrifiées, les rochers et les montagnes ; comme les soleils, ils sont dotés d’une capacité d’autorégénération inouïe, et ils se perpétueront tant qu’ils disposeront comme combustible de l’énergie psychique des humains.

Leur toute-puissance a toutefois des limites ; l’histoire singulière d’Athènes au Ve siècle nous a montré qu’une cité démocratique était capable de refouler la zone d’action de ses dieux à la simple protection, non à la maîtrise : la philosophie européenne a eu l’énergie spirituelle de réduire, et à la limite de dissoudre, le Grand Dieu qui avait recouvert tout son Moyen Âge. L’esprit humain peut faire mourir les dieux qu’il a créés. Mais peut-il supprimer les successeurs abstraits des dieux, qui se cachent sous des philosophies et idéologies apparemment laïques ?

(.../...)

Seconde partie disponible ici


[1Répétons-le, la notion d’émergence signifie que les produits globaux desactivités formant système disposent de qualités propres, lesquelles rétroagissent sur les activités mêmes du système dont elles deviennent inséparables. Voir La Méthode I, p. 106-111.

[2Un roman, élaboré et contrôlé par un auteur, s’autonomise relativement lorsqu’en lui et par lui un univers se forme, passe à l’être, vit, grouille de personnages dont les principaux à leur tours s’autonomisent et vivent leur vie, capables de susciter chez le lecteur son amitié, son amour, sa haine, ses larmes, ses rires. L’univers du roman peul être plus ou moins communicant (réalistes), voire interfère avec notre univers, relatant des événements réels et comportent certains personnages réels comme dans La Guerre et la paix de Tolstoï, ou au contraire déconnecté de notre univers, mais dans tous les cas il prend forme et vie, à chaque fois que le lecteur y participe. Ainsi, l’univers d’un roman se nourrit à une double source « négentropique » : 1) l’auteur cl sa culture, d’où il puise sa substance (« Mme Bovary, c’est moi ») et à partir duquel il s’auto-produit ; 2) le(s) lecteur(s) où il se régénère et reprend vie, avec chaque fois des variantes dues à l’idiosynasie du lecteur et aux conditions de sa lecture. Il y a dans le roman, comme dans le film, quelque chose qui n’est pas seulement de la littérature, de l’art, du divertissement, de la culture, mais qui est en même temps de la vie noosphérique. Plus généralement, toute œuvre, y compris scientifique, prend forme et vie en s’auto-éco-élaborant : « Une théorie scientifique … s’élabore et se développe selon sa nature propre, comme un organe vivant est conçu et croît suivant un processus indépendant du rôle économique ou social qu’il pourra jouer » (J. Leray, in Piaget, 1967, p. 465).

[3Les mythes, dans un sens premier du terme, sont des récits imaginaires/symboliques où se constitue un univers inséparable de notre univers, souvent quasi confondu à celui-ci et en formant comme le support. Cet univers cosmo-bio-anthropomorphe comporte des événements et personnages (génies, monstres, dieux, etc.) qui sont considérés comme de véritables existants ; les grands mythes cosmogoniques ont toujours une dimension cognitive : ils révèlent les origines du monde, de la vie, de l’homme, du mal. Après la décadence de la mythologie au sens premier du terme où l’univers mythologique perd sa transcendance, devient fable et se transmute en univers esthétique, qui n’a plus que valeur d’allégorie, le mythe peut ressusciter subrepticement dans les systèmes d’idées abstraites, les parasiter, voire les contrôler ; il leur donne alors une vie sur-réelle, en divinise les concepts maîtres, et leur confère la transcendance et l’incorruptibilité de là Substance divine (voir chapitre suivant). Le mythe ne dispose de sa logique supérieure que tant qu’il n’est pas reconnu comme mythe.

[4Les religions, propres aux grandes civilisations historiques, consolident un univers mythologique qui, avec l’institution d’une prêtrise et d’un pouvoir proprement religieux, devient la clé de voûte de l’univers anthropo-social ; cet univers est marqué par la dominance de dieux, d’un Dieu hégémonique, voire d’un Dieu unique, avec qui la communication s’établit par les rites du culte. La grande religion dispose d’une très grande puissance d’invasion de tous les secteurs de la vie humaine et d’une possibilité de durée trans-historique qui traverse les sociétés et les civilisations successives. La religion est en même temps un système cognitif, où la Révélation et le mythe offrent la vraie connaissance ; une telle connaissance s’appuie non seulement sur la foi, mais sur un travail doctrinaire qui lui donne une armature logique. Ainsi, la religion peut comporter en son sein une philosophie.


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