Totems et tabous de l’antiracisme

Jean-François Revel
mercredi 6 octobre 2021
par  LieuxCommuns

Article repris le 08 juillet 2010 sur le site Vent d’Auvergne et présenté comme suit :

Cet éditorial de Jean-François Revel, paru dans le Point, sous le titre : « Vrai et faux antiracisme », date de 1992. Il a été repris dans le livre : « Fin du siècle des ombres » paru chez Fayard. Dix-huit ans plus tard, il garde toute sa pertinence. Et ce, parce qu’il va au fond du problème, qui est idéologique. Ce document doit devenir une arme contre ce que Revel appelle « l’idéologie antiraciste », dont les effets pervers, liés à l’immigration, s’accumulent et s’aggravent. (Les intertitres sont de Vent d’Auvergne)


On se demande souvent quelle idéologie va remplacer le socialisme. Mais elle est déjà là, sous nos yeux : c’est l’antiracisme.

Entendons-nous bien : l’antiracisme dont je parle n’a pas pour but réel de lutter contre le racisme, pas plus que le socialisme n’avait pour but réel de lutter contre la pauvreté et l’inégalité. Ne les a-t-il pas toutes deux aggravées ? Comme toutes les idéologies, celle de I’ antiracisme se propose non de servir ceux qu’elle prétend délivrer mais d’asservir ceux qu’elle vise à enrôler. Elle aussi aggrave les maux qu’elle fait mine de combattre.

Agissant par la terreur et non par la raison, cet antiracisme fabrique plus de racistes qu’il n’en guérit. Telle toutes les autres idéologies, celle-ci est à la fois confuse et péremptoire dans la théorie, terroriste et contradictoire dans la pratique. L’antiracisme idéologique, qu’il faut soigneusement distinguer de l’antiracisme effectif et sincère, attise les divisions entre Ies humains au nom de leur fraternité proclamée.

Seuls les Européens sont déclarés racistes

Il les attise de deux manières. D’abord, le seul racisme qu’il dénonce et, si besoin est, qu’il invente, est celui des Européens ou des populations d’origine européenne à l’encontre des populations du tiers monde ou qui en proviennent. Mais des Africains peuvent se massacrer entre eux, dans des guerres nettement raciales ou tribales, comme ils en donnent le terrifiant spectacle depuis trente ans sans que les militants du pseudo antiracisme aient un mot de blâme. Or ces gens qui ne perçoivent la discrimination ou le génocide que dans le cas où ils peuvent les imputer à une civilisation déterminée et qui ferment les yeux chaque fois qu’ils devraient déclarer coupable une autre civilisation ne sont pas des antiracistes. L’antiracisme est universel ou il n’est point. De même, les communistes ou leurs compagnons de route ne repéraient les atteintes aux libertés et les injustices sociales que dans les pays capitalistes, jamais dans les pays socialistes, où elles étaient pourtant infiniment plus graves. Cette duplicité indique avec certitude que, sous le masque de la générosité se trouve l’imposture.

En 1987 a lieu aux Iles Fidji un coup d’État visant à interdire I’ accès aux fonctions publiques des citoyens d’origine indienne, pour la plupart nés sur place et n’ayant jamais vu l’Inde de leur vie, afin de réserver les postes gouvernementaux aux Mélanésiens. Pour le goût de ces derniers, les Indiens avaient remporté trop de victoires électorales. Cette discrimination excluant de la vie politique près de la moitié de la population en fonction de critères ethniques est identique en tous points à ce qu’était l’apartheid sud-africain au même moment. Mais, comme les racistes étaient en I’ occurrence des hommes « de couleur » sévissant contre d’autres hommes « de couleur », les antiracistes idéologiques du monde entier ensevelirent leur indignation dans les oubliettes de leur conscience. Les idéologies sont délicates à critiquer car elles défendent toujours, au départ, une cause juste, puis pervertissent cette défense pour la détourner au profit de nouvelles formes de discrimination et de domination.

Être inquiet devant l’immigration, c’est être raciste

La deuxième manière dont s’y prend l’antiracisme idéologique pour attiser voire susciter le racisme consiste à « racialiser », si j’ose dire, la question de I’ immigration, en attribuant à un racisme à priori doctrinal et métaphysique les réactions d’inquiétude et les difficultés pratiques inévitablement éprouvées par les populations d’accueil. La meilleure méthode pout lutter contre le racisme de façon concrète, ce serait d’aborder avec réalisme les problèmes soulevés par l’immigration. Ce qu’a obtenu le terrorisme moral des antiracistes professionnels, c’est de rendre muets ceux qui vivaient ces problèmes ou voulaient les poser, en leur inspirant la peur de passer pour racistes. Par là, les antiracistes idéologiques ont envenimé les frustrations qui alimentent le racisme. Ils ont nié que les déplacements de population dans un pays différent par la culture et le niveau de vie commencent par provoquer des perturbations pratiques et psychologiques. En prêtant sottement et injustement du racisme à ceux qui les constataient, ils le leur ont inoculé. La victime en a évidemment après le vol et non après le Maghreb. C’est surtout en France qu’a pris de I’ ampleur cette manœuvre malhonnête.

À partir du moment où les socialistes ont dû abandonner le socialisme, il leur fallait une référence de remplacement pour se fabriquer des adversaires, pour excommunier les citoyens qui refusaient de penser comme eux, ce qui était d’autant plus facile qu’ils ne pensaient plus rien. Cette idéologie fut I’ antiracisme érigé en procès d’intention universel contre toute la « droite ». Contraints en économie d’appliquer, fût-ce en rechignant, un libéralisme minimal, ils choisirent de se différencier des vrais libéraux en leur prêtant à tous le vice rédhibitoire et suprême à notre époque : le racisme.

Ce réquisitoire délirant fît croître le mal au lieu de le réduire, pour la plus grande commodité politique et le plus grand confort moral de la gauche à court d’idées. Des réactions et des fantasmes xénophobes dus aux remous consécutifs à I’immigration se produisent dans toute l’Europe. Mais la France est le seul pays européen où ces appréhensions aient suscité très tôt, dès 1983, un parti et un électorat substantiel, qui pèsent sur toute la vie politique. Le Parti républicain allemand, d’extrême droite, n’obtint jamais les 15 % de voix que Jean-Marie Le Pen atteignit à l’échelle nationale dans l’élection présidentielle de 1988. Les violences néonazies et les comportements de xénophobie en Allemagne de l’Est ont de quoi écœurer, mais restent marginaux. Le 9 novembre 199I, jour anniversaire à la fois de la « Nuit de cristal » antisémite de 1938 et de la chute du Mur en1989, les manifestants hostiles à la xénophobie, au racisme et à l’antisémitisme se trouvaient à mille contre un devant les nostalgiques de la barbarie ou les détraqués de l’angoisse migratoire. En Italie, où un racisme anti noir visant la vague des immigrants africains sévit depuis plusieurs années, l’ apparition des ligues, en particulier de la Ligue lombarde, n’a que peu de rapport avec les « vu-compra », ces vendeurs ambulants, ivoiriens ou sénégalais : elle traduit plutôt un rejet de l’ Italie du sud mafieuse par une Italie du Nord soucieuse. En Espagne, les phénomènes de rejet sont dirigés surtout contre les immigrants latino-américains qui, cependant, ni par la culture ou la langue, ni par I’ aspect (les Indiens purs n’émigrent pas) ne se distinguent des Galiciens, Catalans, Castillans ou Andalous dont ils descendent. En Autriche, la montée de l’extrême droite xénophobe aux élections du 10 novembre 1991 à Vienne constitue une réaction de peur contre l’immigration venue de I’ Europe de l’Est et de l’URSS, comme d’ailleurs la xénophobie allemande, qui gronde contre tout ce qui vient de l’Est, y compris les Allemands dits « ethniques », arrivés d’Union soviétique, et les Allemands de l’Est tentant de travailler à I’ Ouest. Ces exemples montrent qu’il existe des séismes spécifiques déclenchés par les flux migratoires et qui diffèrent en essence et en nature du racisme, puisqu’ils se produisent avec fréquence entre populations de même « race » et de même civilisation.

Il est donc grand temps de traiter l’immigration, que nous ne pourrons jamais complètement arrêter, comme une réalité en soi, sous tous ses aspects : pratique, social, économique, psychologique, culturel, éducatif, sanitaire, politique, policier, urbain, juridique. L’antiracisme idéologique, désireux d’aggraver ces difficultés normales jusqu’à les rendre anormales et insurmontables, afin de les exploiter, a jeté sur elles un tabou. Il a donc fomenté le racisme. À nous de briser ce tabou, justement pour prévenir le racisme.

Jean-François Revel


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