Sur « Une écologie décoloniale » de Malcom Ferdinand

vendredi 4 juin 2021
par  LieuxCommuns

Ci-dessous une recension du livre de Malcom Ferdinand « Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen » Seuil, collection « Anthropocène, 2019, initialement publiée par le site ami « Décroissance Île-de-France » expurgée ici de quelques lapsus calami. Une phrase entre crochets a été rajoutée avec l’accord de l’auteur.

Il s’agit, à notre connaissance, de la seule critique existante de ce livre, salué et encensé partout lors de sortie, couronné du « Prix de la fondation de l’écologie politique », et dont l’auteur est aujourd’hui fréquemment invité et cité comme la nouvelle figure de l’écologie contemporaine… Comprenant de plus en plus l’écologie (dé)coloniale comme une préemption communautaire des ressources en voie de raréfaction, notre ton aurait sans doute été plus féroce encore, mais l’angle ici adopté est déjà suffisamment parlant.

On pourra se référer à la page « Gare à l’écologie (dé)coloniale ! » régulièrement mise à jour.


J’ai lu : Une écologie décoloniale, Malcom Ferdinand, éd. Seuil, coll. Anthropocène, 2019.

Ce livre commence très mal. Il est d’entrée de jeu question de races, de Blancs… alors qu’on sait que le monde est de plus en plus dominé par la Chine et un pays où les Blancs seront minoritaires vers 2045 : les USA…

On y trouve des choses auxquelles j’adhère et d’autres qui me semblent discutables et il est vrai qu’il précise que le terme de «  Blanc  » ne recouvre pas tous les Blancs, mais pourquoi employer ce terme alors ? Idem pour le mot «  Noir  » ; on apprend à la page 409 que les Nègres ont été « fabriqués », que ce sont d’abord des êtres humains – bonne nouvelle – eh bien pourquoi n’en serait-il pas de même des Blancs ? N’est-il pas préférable d’insister sur ce qui unit les êtres humains plutôt que sur des apparences qui divisent et maintiennent dans un endroit fermé ?

L’auteur part de la mise en place d’une nouvelle relation au monde, structurée par une rupture entre l’humain et le non-humain, et aussi entre des humains (esclavagistes) et les Noirs au XVIe siècle, ce qu’il appelle « lhabiter colonial ». Cette rupture caractérise le «  plantationocène  », nouvelle façon de gérer le monde qui apparaît avec la création de plantations sur lesquelles on fait travailler des esclaves Noirs. Pour l’auteur, les écologistes ont oublié de faire des luttes anticoloniales et antiracistes des éléments centraux de la crise écologique.

Je suis en tout cas d’accord avec une chose ; c’est que la culture capitaliste a pris naissance non pas seulement grâce à l’apparition de l’utilitarisme, ni d’une volonté de maîtrise totale de la nature mais aussi avec la disparition des « communs ». Traditionnellement on insiste sur la remise en cause des « enclosures » au Royaume-Uni et en France. Je me suis intéressé au Premier Empire colonial français en Amérique. Et j’ai compris quel rôle a pu jouer la remise en cause des communs et le progrès de la propriété privée au détriment des autochtones en Amérique du Nord notamment, non seulement pour expliquer la conquête coloniale britannique, mais surtout la naissance du capitalisme. Par contre, l’esclavagisme n’explique pas la naissance du capitalisme.

Mais de là à faire de cet « habiter colonial  » le cœur du système actuel, c’est faire l’impasse sur beaucoup de choses que nous évoquerons plus bas, outre le fait qu’on ne comprend pas bien en quoi consisterait l’écologie décoloniale, si ce n’est à décroître…

Il parle de «  justice  », de nos «  richesses  », sous entendant qu’on devrait partager nos voitures, etc., sans prendre conscience qu’un écologiste sait que notre mode de vie n’est pas généralisable à la terre entière et que l’enjeu c’est que justement nous réduisions notre mode de vie (moins de voitures, moins de nucléaire, etc.), que nous abandonnions nos ’richesses’. Du côté du Sud, l’enjeu n’est pas de rejoindre notre standard de vie (on ne peut pas critiquer le colonialisme occidental et vouloir le développement, vouloir faire pareil), mais d’abord de mettre en œuvre la démocratie, la mise en place d’une démographie responsable et arrêter d’aider le Nord à croître…

Il est vrai que Malcom Ferdinand ignore la décroissance ; il oppose l’environnementalisme à l’écologie décoloniale, et derrière cela on trouve une sincère volonté de mettre fin au racisme, mais il semble ignorer que le système structuré autour de la création de la valeur est plus animé d’une volonté d’établir une équivalence entre tout ce qui vit sur Terre que de discriminations – d’ailleurs, justement, il parle de « fracture environnementale  » sans voir ce qui est vraiment en cours : une égalisation de tout ce qui vit dans un même statut d’objet…

Est-ce que les personnes de couleur sont systématiquement discriminées en Occident : à l’école ? j’en doute… à l’embauche, dans le logement certainement, mais pas systématiquement, je ne crois pas que notre système soit basé sur le racisme, je ne crois pas à un racisme d’État. D’après Cl. Levi-Strauss il est normal qu’un groupe cherche à défendre ce qu’il considère son « identité », en critiquant le colonialisme et sans haine de l’Autre qui peut être inclus à la marge, et dont on ne doit pas s’interdire d’emprunter ce qui nous semble intéressant. On peut aussi noter l’existence de policiers racistes et une trop grande tolérance de la part de l’IGPN qui devrait s’inspirer de son homologue britannique.

Si on trouve plus de personnes de couleur dans certains postes c’est à cause de leur absence de qualification, au fait qu’elles viennent juste d’arriver ou récemment en France. Est-ce que Malcom Ferdinand est contre l’immigration, outil au service du capitalisme ? Par ailleurs, il me semble normal d’exiger une adaptation à certains critères : laïcité, démocratie notamment, ou alors à quoi bon lutter pour la démocratie et la justice si on doit un jour avoir une minorité importante qui défende la théocratie, la remise en cause de la laïcité et la liberté d’expression par exemple ?

Il existe un grand absent dans ce livre « écologiste », c’est la démographie. Or, désolé, mais l’écologie doit tenir compte de trois aspects : la Technologie, la Croissance dont les « richesses » produites et enfin la Démographie pour agir pour la biosphère. Si on dit qu’il n’est pas normal que les Françaises aient entre 7 et 8 enfants en France, que cela signe un régime machiste, car les femmes ne sont pas des poules pondeuses condamnées à la maternité, je passe pour un féministe ; si je le dis des femmes du Niger (ce qui est le cas) que je précise que cela signifie un doublement de la population tous les 20 ans c’est-à-dire que dans 20 ans ils seront 32 millions dans un désert, je suis un raciste. Si je conseille de lire Malthus, le livre de Michel Sourouille [1] qui vient d’être publié et qui montre qu’il n’était pas le monstre anti-pauvres qu’on en a fait, je passe pour un réactionnaire. Si je dis que la France est surpeuplée et que si elle doit relocaliser et arrêter de dépendre du Sud et de l’exploiter et donc qu’il faudra faire avec 70 millions d’habitants, ce qui n’est pas gagné, je passe pour un fou, etc. [Exactement de la même manière, on ne trouve nulle part dans ce livre écrit par un « écologiste » de critique de l’expansion contemporaine de la technique, pourtant largement dénoncée depuis presque en siècle. Peut-être parce que le développement du machinisme a accéléré l’abolition occidentale de l’esclavage ?] Oui, la décroissance c’est I=PAT : Impact des hommes = (Population) x (Abondance) x (Technologie), il faut tenir compte des trois paramètres… mais Malcom Ferdinand l’ignore…

De plus on a l’impression que l’émigration est chose normale et que l’issue est dans l’émigration vers l’Europe, vers les Amériques (ce qui est encore du colonialisme).

Que l’on ne s’y méprenne pas, je suis pour qu’on accueille correctement les immigrants, mais émigrer n’est pas la solution. La solution, c’est ce qu’ont fait les Français après la révolution de 1789 ; contrôler sa natalité (et remettre en cause la société industrielle), au lieu de déverser son surplus humain aux Amériques à l’instar des autres Européens… La France était un des trois pays les plus peuplés au monde sous Louis XIV, aujourd’hui ce n’est plus que 0,83 % de la population mondiale : on peut le dire, malgré son second Empire colonial, malgré sa bombe, le peuple français n’a pas fait que des choses stupides, en contrôlant notre démographie, pour la biosphère « on a fait le job » et avec 80 % d’analphabètes et 80 % de paysans miséreux jusqu’à la fin du XIXe siècle…

En ce qui concerne les dernières colonies françaises, je soutiens la rétrocession par la France de Mayotte aux Comores (recommandation de l’ONU) mais alors cela se fera en contradiction avec la volonté des Mahorais qui eux veulent rester en France. Il en est de même avec les POM et les DOM : doit-on les obliger à devenir indépendants ? Ferdinand, issu d’un DOM (la Martinique) : métis Blanc ? Noir ? On ne sait. Diplômé grâce à l’éducation nationale, couche supérieure « privilégiée » n’en parle pas. Mais soutient-il l’indépendance de la Martinique contre la volonté de ses concitoyens ? Et pourquoi ne critiquent-ils jamais ses concitoyens qui veulent rester dans la République française majoritairement ?

Reste la Guyane, là encore la majorité (Noire) veut rester française et lutte contre les immigrés venus du Surinam (manifestations de 2019, que je sache jamais on ne les a traité de racistes !), et surtout contre le lumpen prolétariat brésilien (les garimpeiros) qui entre illégalement, et vole l’or après avoir pollué les rivières avec du mercure et tué des Amérindiens. Bientôt la majorité de la population ne sera plus francophone mais lusinophone et choisira démocratiquement de rejoindre le Brésil la colonie ’qui a réussi’ et pourra aller s’installer dans la forêt au détriment des Amérindiens... et imposer « l’habiter colonial » comme l’écrit Malcom Ferdinand... et comme ça se fait en Amazonie au Brésil et ailleurs en Amérique... Mais de cela, Malcom Ferdinand n’en parle pas…

Par bonheur, bientôt la Nouvelle-Calédonie va être indépendante (du moins, j’ai beaucoup d’attentes en ce qui concerne le troisième référendum), mais le résultat ne sera que la naissance du second pays indépendant dont la majorité de la population aura le français comme langue maternelle (après la France) et donc ce sera le premier cas de pays colonial francophone ayant ’réussi’, puisque bien qu’imposant la culture et la langue française à une minorité d’autochtones il sera respecté… comme les USA, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les pays d’Amérique latine, l’Afrique du Sud, etc., bien que colonies, elles sont acceptées dans le concert des Nations… ainsi en sera-t-il de la Nouvelle-Calédonie…

Un mot sur l’esclavagisme : il a été plus développé chez les Arabes, le mot « esclave » vient de Slaves qu’on achetait et vendait. Il y a eu de l’esclavage (non systémique à la différence de l’Antiquité) en France jusqu’au XVIIIe siècle, il a été interdit par une loi de 1315, dans le domaine royal en tout cas. À l’époque il ne concernait que des Blancs, puis vinrent les Noirs. On considère que 2 à 3 millions d’Européens ont été mis en esclavage par les Arabes qui faisaient des razzias jusqu’en Bretagne… certes, on est loin des 10 à 12 millions de Noirs victimes de leurs Rois Noirs – esclavagistes – qui les vendaient (différence des Rois européens qui ne pouvaient pas vendre leurs Sujets considérés comme libres) à des négriers européens, et sans doute des 19 millions d’Africains victimes des Arabes. C’est un fait, que l’esclavage arabe a été pire que celui des Européens ,mais pourtant Ferdinand ne retient que l’esclavage des « Blancs » (cette minorité de marchands et banquiers qui armaient des bateaux dans les ports)… et l’esclavage arabe n’a pas donné naissance au capitalisme, ce qui prouverait qu’il y a eu autre chose que la mise en esclavage pour l’expliquer.

Bref, Ferdinand a raison de rappeler les horreurs commises par certains Européens, mais il oublie par contre que si l’Europe a commis de graves crimes (Shoah, colonialisme) elle a aussi légué à l’humanité l’idée de démocratie, la capacité autoréflexive sur elle-même et l’universalisme qui lui, ne tient pas compte de la couleur de la peau…

J. -L. Pasquinet


[1Arrêtez de faire des gosses ! Comment la surpopulation nous mène à notre perte, Michel Sourouilles, éd. Kiwi, dec 2020


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