Menacer Zineb (3/3)

L’imaginaire de l’islamisme ordinaire
vendredi 19 février 2021
par  LieuxCommuns

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Menacer Zineb — L'imaginaire de l'islamisme ordinaire
Menacer Zineb — L’imaginaire de l’islamisme ordinaire
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V – La solution finale

« Allah donne à ceux qui luttent corps et biens un grade d’excellence
sur ceux qui restent chez eux. Et à chacun Allah a promis la meilleure récompense ;
et Allah a mis les combattants au-dessus des non combattants
en leur accordant une rétribution immense. » (4-95)

Les arguments de Zineb ne sont jamais discutés, ses références jamais examinées, son propos jamais considéré. Les stratégies d’évitement, on l’a vu, sans être infinis, sont multiples et auto-référentiels. Ils tournent tous, finalement, autour d’une seule et même chose : sa personne, ses mobiles secrets, ses inté­rêts cachés, ses accointances occultes, ses allégeances tacites. Il faut donc bien, à la fin, régler la question, une fois pour toute. Logique, cette conclusion est implacable et logique aussi est l’enchaînement des to­pos qui suivent, qui ne peut qu’aboutir à des fatwas d’amateurs, menaces de mort bien réelles.

Fantasmes de l’expulsion ou quand les mots atteignent le corps

« Dieu a transformé en singes et en porcs ceux qu’il a maudits » (5-60)

Non musulmane, Zineb est toujours bien entendu à exclure de l’Oumma, celle-ci étant plus une af­faire d’appartenance indéfectible que de choix. Dans cette communauté de fidèles identifiée à l’humanité réelle, où prévaut le regard collectif, la norme commune et le regard du voisin plutôt que l’examen de conscience individuel compo­sant avec sa culpabilité, c’est ici le sentiment de honte qui domine. Ainsi Houari : « tu nous fait honte sale pute » ou Ayoub : « Tu es une honte à notre communauté , un poison Tu dégoûtes ».

D’où la thématique de l’éjection organique – souvent à grand renfort d’« emojis » – comme le vomi (kamar : « Punaise j ais toujours envie de vomir quand j entend la voix de Zineb » ou Djamel : « sa donne envie de vomir »), l’excrément (Loui­sa : « Une vraie diarrhée verbale cette connasse de zineb [icône de déjection] » ou Ayoub « et bien évide­ment je te souhaite une diarrhée aiguë pendant 5 ans grosse merde »), le crachat ou le déchet. Récurrent également, l’identification animale («  chienne  », «  aboyer  », « bulldog  », «  grenouille  », «  hyène  », etc) ou à une infection contagieuse comme pour oumar : « Cette Zineb est vraiment une peste » ou Kouider « Zineb la pestiférée », etc., comme si la connaissance, le doute, l’apostasie, se transmettait comme un virus par simple contact…

Xénophobie nationaliste

« Allah a dit : Ceux qui ont fait du tort à eux mêmes, les Anges enlèveront leurs âmes en disant :
“Où en étiez-vous ? ” (à propos de votre religion) – “Nous étions impuissants sur terre”, dirent-ils.
Alors les Anges diront : “La terre d’Allah n’était-elle pas assez vaste pour vous permettre d’émigrer ? ”
Voilà bien ceux dont le refuge est l’Enfer. Et quelle mauvaise destination…  » (4-97)

Mais beaucoup plus surprenante est la thématique de l’expulsion xénophobe, venant d’une population fraîchement immigrée et refusant l’assimilation dont les vagues migratoires ont témoigné pendant près de deux siècles en France.

C’est d’abord, reprenant le thème de l’opportunisme, bien que la mère de Zineb soit française, la figure de l’étranger cherchant à se régulari­ser, à s’intégrer, à s’assimiler, comme pour Resul : « Elle les veut ces papiers Français cette pauvre blé­dare », MOROCCO : « SVP donnez lui ses papier à ZINEB qu’elle arrête de gueuler !!!!! » ou Saïd : « Arrête ton islamophobie, je crois que tu a eut tes papiers français ». Trahison, donc, pour Faty : « elle veut se montrer qu’elle est une vraie française en critiquant sa religion » et même damnation pour M. G : « vendre son âme pour juste rester en France ». Efforts d’autant plus répugnants qu’ils ne sauraient être que vains, comme poursuit M. G : « pourquoi tout ça ? uniquement pour dire voyez vous je suis intégrée à la société occidentale. les français ne sont pas bêtes , ils savent à qui ils ont a faire ». Pourquoi cet échec inévitable ? Au­cun doute pour mohammed : « aux yeux de ses intellectuels tu reste une arabes comme les autres ». Per­sonne ne s’extrait de sa race musulmane, c’est biologique, nous dit LeChat : « elle s’est refait la gueule, c’est ça l’intégration » [1]. Bref, conclut Salah : « Continue à faire de la lèche aux occidentaux ... tôt ou tard ils vont t’ejecter comme un déchet (ce que tu es) tfouuu [crachat] ».

Mais, plus étonnant encore, la xénophobie s’exprime aussi, et surtout, d’un point de vue français. C’est son léger accent, qui est beaucoup moqué par Nadji ; « la meuf elle ne sait même pas parler », El­liot :« Elle parle même pas bien le français avec son accent de clandestin » (à qui Zia répond : « jcrois ke même le clando fait plus d’efforts et s’exprime mieux »), Houari : « ta voix de bledarde » que confirme Vito : « une voix de hyène cette blédarde », Djamal « cette conne avec son accent de la beur », « apprend a parler français » (Anonyme). On lui reproche de ne pas être vraiment française, comme Karim (Bobi­gny) : « Arrete de dire a la télé que tu es francaise tu n’es pas d ici ». Étrange paradoxe que formule Ari­las (Villefranche-sur-Saône) : « vous etes meme pas née ici pourtant vous n’arretez pas de vaumir votre haine de l’islam » mais dont les commentaires suivants fournissent la clef.

C’est d’abord Elliot qui l’accuse : « elle parle d’une situation qu’elle ne vit pas, contrairement aux vrais français ». Et que vivent les « vrais français » ? Nadia O. témoigne : « je suis née en France pas vous mais moi el hamdoulillah [Dieu soit loué] je n’oublie mon Dine [ma foi, ma religion] ». La pratique de l’islam dans cette France islamophobe ne poserait finalement aucun problème. C’est ce que formule ad­mirablement Pablo (Paris) : « Les musulmans sont en train de vous prouver qu’il respecte la loi bien avant votre arrivé en France Et l’islam sadapte facilement à la France ». On pourrait certes dire l’inverse mais NOP s’indigne : « En temps que francais je suis né a bobigny je me demande pourquoi ce beau et grand pays récupère des dechets de l’humanité comme henda ayari [2] et toi ». Zineb la laïque venue d’ailleurs immigre­rait en France pour troubler ce vivre-ensemble que personne ne songe ici à questionner… Il faut écouter moss qui parvient dans son commentaire à formuler le reproche redondant fait à Zineb de jouer la carte de l’assimilation, en l’affublant du prénom vieille France « Ginette », comme cela est récurrent, tout en pro­posant de la renvoyer comme une étrangère : « Ginette razaoui faut l’expulser vers son pays d’origine elle n’a rien à faire en France qu’elle apprenne à s’exprimer en français ensuite on pourra l’acceper avec un visa journalloppe [contraction de « journaliste » et de « salope »]  ». Tout cela résonne comme un écho inversé du diagnostic que dressait A. Sayad à propos des immigrés algériens chez qui il pointait il y a trente ans la «  double absence » [3] ; absent ici, dans ce pays d’accueil où ils étaient invisibles, et là-bas, dans le pays d’origine où leur place demeurait vide. Ce qui se dit ici s’inscrirait plutôt dans une double présence, avec ce sentiment d’une légitimité indiscutable sur le territoire français doublé de l’évidence re­vendiquée d’y déployer naturellement les croyances, mœurs et disciplines religieuses propres aux régions musulmanes que l’on a emmenées sous la semelle de ses souliers…

Quoi qu’il en soit, le projet d’expulser Zineb hors de France est patent : « Va combattre l’islam dans ton pays fait pas chier les musulmans francais » (Karim, de Bobigny) ; « c’est même pas une française, qu’elle donne ses leçon dans son pays d’origine » (Elliot) ; « qu’elle aille faire son combat là bas » (Sherif) ; « qu’elle combatte l’islam au maroc » (Kenzari). Tous savent pourtant le sort fait aux athées, apostats et infidèles dans ces terres d’islam plombées par un autoritarisme atavique, un fétichisme identitaire, une main-mise de l’armée et/ou de la police, une économie prédatrice et corrompue, une classe moyenne cynique comprador [4], terres qu’un bon nombre d’entre eux ont quittées… Fawzi (Algérie) se fend d’un « marocaine de merde », et on retrouve évidemment les stéréotypes maghrébins sur la prostituée maro­caine : Assro ; « pute venue du Maroc dans un quartier juif » ; Karim (Bobigny) ; « On s’en fout des prin­temps arabes nous sommes en Europe ici rentre chez toi au royaume des prostitués ». En la chassant de France, Arilas (Villefranche-sur-Saône) et Ayoub lui forgent un destin d’apatride : pour le premier « a casa[blanca] nous avons honte de vous » et le second « espère qu’ils ne te laisserons plus rentrer dans notre cher royaume [maro­cain ?] ». C’est NOP qui boucle la boucle : « bientot vous [Zineb et Henda Ayari] allez emigrer en Israël la coquille vide »…

On ne saurait finir tous ces étonnants retournements qui font des islamistes ordinaires de « vrais fran­çais » tandis que Zineb pourchassée parce que républicaine est condamnée à jouer les juifs errants autour du globe, sans citer le commentaire sibyllin de Louisa, qui sonne comme un lapsus troublant : « Mais sale conne, tu es en France et à ce titre tu peux critiquer l’islam et les musulmans comme bon te semble, fais toi plaisir ! Tu enfonces des portes ouvertes, tout le monde est déjà d’accord avec toi ! Il faudrait chasser ces musulmans de France pour qu’ils trouvent la paix et la dignité dans un pays plus grand. »…

Harkis

« Ne tuez point l’homme que Dieu a sacré
sauf pour une cause juste » (17-33)

Ce paradoxe d’une extrême-droite musulmane plus légitime en France qu’une Zineb laïque, fait écho à cet autre, abondamment formulé, qui consiste à la traiter de harkie : « Harki hystérique » (Mehdi92700) ; « cette harki des temps modernes » (Nour) ; etc.

Zineb aurait donc choisi la France, comme il y a plus d’un demi-siècle ces Algériens engagés dans l’armée française contre les forces du FLN et dont le vocable les désignant est resté comme une insulte dégradante pour les musulmans… qui les ont pourtant suivis à la trace en fuyant leurs propres indépendances pour s’installer dans le pays du colonisateur… Nos islamistes ordinaires eux, en venant en France après les guerres de libération, affirment n’avoir pas pour autant choisie la France… Mystère… ? Tabou… ? Folie ?… I lfaudra bien, un jour, affronter ce trou noir autour duquel tout gravite.

Fitna

« La récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager, et qui s’efforcent de semer
la corruption sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leur jambe opposées,
ou qu’ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l’ignominie ici-bas ;
et dans l’au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment. » (5-33)

Cette référence à la guerre d’Algérie n’est pas anodine, et bien des commentaires révèlent une am­biance française bien peu pacifiée – mais c’est à cause d’une Zineb venue artificiellement envenimer la situation. Ainsi Smain, prévenant : « L’extrémisme de tout bord est très dangereux et le votre l’est tout au­tant ! Vous semez la terreur avec vos propos n’oubliez pas que la parole est une arme ! ». La «  terreur  » de la laïcité, c’est cela qui met Toufik N. hors de lui : « tu ne fais que hatisé la haine avec tes propos ! La laicité cest de la merde ton journal cest de la merde tu nest que la merde ! Jai tellement envie de tinsulter !!! ». Karim (Bobigny) aussi prévient : « zineb,tu ne fais que mettre de l’huile sur le feu » tandis qu’Amine menace : « tu veut Une guerre civile et comme ça vous dirait en avait reson mais vous vous [en] fouter des français qui meurent »… De son côté, Arilas (Villefranche-sur-Saône) lâche, sybillin : « si il y avait un conflit contre les musulmans en france croyez vous en etre protégee ?et bien non »…

Brebis égarée

« En vérité, ceux qui ne croient plus après avoir eu la foi,
et laissent augmenter encore leur mé­créance,
leur repentir ne sera jamais accepté.
Ceux-là sont vraiment les égarés. » (3-90)

Pour certains commentateurs, bien peu, il n’est pas trop tard pour sauver Zineb. Ils lui font crédit d’une errance existentielle, d’un égarement passager, d’un entêtement temporaire pour expliquer sa pas­sion inexplicable pour la liberté de conscience et le destin de son pays d’adoption. C’est ainsi que Nadia demande poliment « « Bonjour, pourriez vous un jour, une fois seulement dire du bien des musulmans ? Ce serait sympa.Merci » et qu’Ayoub lui adresse un « que dieu te guide inchallah que tu face pas parti de ceux que dieu égare ». Même chose pour Farid (Poissy) qui se désole que l’Oumma n’ait pas su retenir l’apostate et implore « Que dieu nous pardonnes et hmdl [hamdou­lillah – Dieu soit loué] pour nous il ai miséricordieux » ou Smain, magnanime : « Je vous souhaite tout le bien que vous méritez malgré votre haine envers les musulmans…  ».

A force, cette haine pourrait bien lui coûter, comme le suggère Karim (Bobigny) : « reveille toi et prends en de la graine » et surtout Nadia O. : « je te souhaite in sha Allah [si Dieu le veut] de retrouvé le chemin droit ou de finir en Enfer à toi de choisir ». Zineb pourrait encore choisir la bonne voie, même si après le 7 janvier 2015, nous dit Salim : « Elle a failli mourir et le pire elle ne remercie même pas dieu quelle ingrate [smiley rires aux larmes] »…

L’enfer promis

« Dis : La vérité émane de notre Seigneur. Que celui qui le veut croie donc et que celui qui le veut soit incrédule.
Nous avons préparé pour les injustes un feu dont les flammes les entoureront…
S’ils de­mandent de l’eau, on fera tomber sur eux un liquide de métal fondu
qui brûlera les visages. » (18-29)

À l’apostat le Coran, et plus encore toute la Sunnah, sinon la tradition, promet le pire. Et les messages, ici, se font bien plus fournis et savants. Comme celui de Yassine (Bruxelles), qui lui laisse une der­nière chance : « Rappelle toi que le prophète saws [que la paix d’Allah soit sur lui] a un jour dit, celui qui ment sur moi ou sur la religion d’Allah, qu’il prépare sa place en enfer ... J’espère donc que tu ne t’aventureras plus à parler de l’Islam de la sorte. Je demande à Allah de nous préserver de l’ignorance et nous accorder le bon comportement. Wallah ou A31am et Assalamou 3alykoum wa rahmtouallah wa barakatuh [Au nom de Dieu que la paix de Dieu soit sur vous ainsi que sa miséricorde et sa bénédiction] ». Mariam annonce la sentence : « La religion de vérité c’est l’islâm ! ’Ni les Juifs, ni les Chrétiens ne seront jamais satisfaits de toi, jusqu’à ce que tu suives leur religion. - Dis leur : « Certes, c’est la guidance d’Allah qui est la vraie guidance ». Mais si tu suis leurs passions après ce que tu as reçu de science, tu n’auras contre Allah ni protecteur, ni secou­reur.’ (Sourate 2 verset 120) Et ce verset ne concerne pas seulement les Juifs ou les chrétiens mais égale­ment les athés, les boudistes, tout groupe religieux ou toute idéologie contraire aux enseignements de l’is­lâm. ». D’autres sont plus concis et plus clairs, comme Coeur D. (Marseille) : « Tu bruleras en enfer toi c sure !! C’est pas la loi des hommes qui t’aura mais la loi divine !! Allah est grand et te le fera payé ... » ou Houari « t une ennemi de l’islam ta choisi de combattre l’islam pour un salaire croid moi l’enfer il va être chaud chaud chaud ». Même châtiment pour Sultan : « tu va voir ou tu va terminer quand tu va mourrir tout le monde retourneras à son créateur et tu verras le jour de la rétribution ont verra si tu auras le même discours pffff vraiment les gens sont dénué de raison Mais DIEU est GRAND EST UNIQUE ».

Et il faudra le temps qu’il faudra, dit bouhalila : « L’islam dure depuis 14 siécles et il durera bien après toi très très. Longtemps »…

Souhaits de châtiments

« Seule rétribution de ceux qui combattent Dieu et son Prophète et se démènent
à faire dégâts sur terre : les tuer, ou les crucifier, ou leur couper les mains
ou les pieds en diagonale, ou les bannir. » (5-32)

Si Zineb est promise à l’enfer mahométan et que la volonté d’Allah doit être respectée par tout bon musulman, le croyant sincère ne peut que lui souhaiter le pire.

D’abord à ses parents, c’est ce que fait Abu (Lille) :« Maudits soient tes parents !!! » ; puis plus directe­ment : « Honte à vous avec propos je comprends pourquoi vous etes menace ! ! ! Vous aurez des comptes à rendre à votre créateur ». Karim (Bobigny) implore « In sha Allah [si Dieu veut] tu meurt en ce mois béni du ramadan,ce soir je me prosterne pour demander à Allah de t’humilier zineb ». Fawzi re­prend un des nombreux sévices coraniques : « que dieu te pent par tes paupieres », et Mohamed ser­monne : « Dis à ceux qui ont apostasié ’vous serez vaincus et enfournés dans l’Enfer. Quel pénible séjour !’ Pauvre créature qui présente un visage deformé par la peur de châtiments terrestres sans imaginer qu’il puisse exister d’autres autrement plus douloureux et permanents ».

En appeler à la loi divine de la véritable religion de paix et d’amour n’est pas juridiquement condamnable, et Toufik N. le sait : « Mais tu paiera un jour tkt pas [t’inquiète pas], le jour du jugement dernier tu aura a rendre des comptes jai pas besoin de te menacer de mort ! Allah va soccuper de toi ! L’Islam reignera sur terre inchAllah ! ». Nadia O. souhaiterait trouver un sous-traitant de Dieu : « Ta pas un frère pour te Lapider ? » tandis que pour Lésine, ils sont tout désignés et ont déjà fait leurs preuves : « Tôt ou tard l’islam revient en force dès qu’on le matraque DIEU lui donne une grande beauté. On la vu depuis le 11 sept. Les américains ont dé­jà essayé. ». Rachid reprend la célèbre sentence que Dalil Boubakeur, le grand recteur de la mosquée de Paris, avait, en 2006, adressé à Charlie-Hebdo : « qui sème le vent récolte la tempête ».

Plus simplement, pour Nour qui veut faire la part des choses : « Moi je suis contre les menaces de mort où toute atteinte a l intégrité physique de qui que ce soit et quelque soit ses idées, cependant il faut reconnaître que cette opportuniste l’a cherché. Quand on vend son âme a son ennemi on ne mérite plus le respect « madame »  ». Mohamed renchérit, mêlant la punition divine à l’Algérie et à un vague et imper­sonnel « on » :« Tu vis dans l’illusion et tu mourras de dépit et de fureur, en combustible de l’enfer que tu es. Sauf rédemption, mais cela m’étonnerait. On n’a d’ailleurs aucune pitié pour les créatures des té­nèbres comme toi. En Algérie l’Islam triomphera et ce Dieu, ton Créateur, que j’entends insulter directe­ment pour la première fois, te réserve déjà un accueil à la mesure de ton appréciation. Ce faisant, et juste pour satisfaire tes maîtres-penseurs, tu viens de couper toute miséricorde ».

Menaces

« Vous ne les avez pas tué (vos ennemis). C’est Allah qui les a tués.
Lorsque tu portes un coup, ce n’est pas toi qui le porte
mais Allah qui éprouve ainsi les croyants par une belle épreuve » (8-17)

Il y a, enfin, tous ceux qui formulent clairement leur désir d’incarner la main de dieu, avec plus ou moins d’élégance ou de sous-entendus.

Ainsi Ahmed qui fulmine : « en France tu peut [critiquer l’islam],viens en Belgique, Maroc et conti­nue à insulter.... » ou REDMAN : « j’espere qu 38 tonnes va la percutee de plein fouet avant de finir sa course sur rmc  ». Espoir, aussi, chez Vitali « J’espère évidemment que vous ne mourrait pas dans d’horribles circonstances  », puis : « Une balle dans la tête suffira » tandis qu’Haytham (Marrakech) fait part de ses fantasmes : « tu te fais violer par un sdf qui a le sida , yarbi [au nom de Dieu] ». Houari, dit « le courageux », est bien plus direct : « moi si j’te voit j’te crève sale pute »…

De tous les commentaires que ce texte aura compilé, il n’y a que ces derniers, et eux seuls, qui sont passibles de condamnations judiciaires.

***

Conclusion et ouvertures

Essayons, à titre d’hypothèse, de ramasser les quelques caractéristiques, parmi tant d’autres, de cet is­lamisme ordinaire qui ont surgit de sa confrontation avec la figure de Zineb El Rhazoui.

Il y est fait témoignage que la croyance musulmane ne saurait être quittée : elle relèverait d’un donné naturel qui fusionne avec la catégorie de la race. Les propos de l’apostat, littéralement contre-nature, n’ont donc aucune légitimité, et leur discussion aucun sens : on répond à ces agressions « islamophobes » par le déni des arguments, le dénigrement de leur porteur, la recherche obsessionnelle d’un mobile caché (le complo­tisme) et, finalement, d’un appel à la néantisation, fantasmée, souhaitée ou projetée. Tout cela dessine une communauté d’évidences partagées, un monde clos sur lui-même que rien ne peut altérer, condamnant d’avance tout ce qui pourrait faire question. Cet univers blindé d’une inquiétante étrangeté n’est pour au­tant inconnu ni de l’historien, ni de l’anthropologue : c’est celui de l’hétéronomie religieuse historique, dont l’islam offre une illustration si dramatiquement concrète et tangible. C’est le continent de la « né­vrose collective » décrite par S. Freud, du dogme qui prend en charge l’angoisse individuelle et le protège autant de ses pulsions destructrices que des épreuves de la réalité.

L’islamisme ordinaire comme pathologie collective

« Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement.
Donc, quiconque mécroit au Rebelle tandis qu’il croit en Allah saisit l’anse la plus solide, qui ne peut se briser.
Et Allah est Audient et Omniscient.
Allah est le défenseur de ceux qui ont la foi : Il les fait sortir des ténèbres à la lumière.
Quant à ceux qui ne croient pas, ils ont pour défenseurs les Tâghût [Tyrans],
qui les font sortir de la lumière aux té­nèbres.
Voilà les gens du Feu, où ils demeurent éternellement. » (2-256, 257)

Mais il ne s’agit pas ici de quelques peuplades isolées et ce texte n’est pas l’ethnographie d’un voyage au sein de contrées reculées dans le temps ou l’espace : les islamistes ordinaires auxquels nous avons affaire ici proviennent de sociétés en contact intime avec l’Occident depuis près de deux siècles, ayant lar­gement accès aux significations, institutions et moyens techniques de la modernité et, pour beaucoup, s’étant arrachés à leurs terres ancestrales pour venir faire souche dans les territoires européens si antagoniquement marqués par la chrétienté, la laïcité, l’athéisme. Nous ne faisons donc pas face à un fait cultu­rel brut surpris en plein soliloque, mais bien à la résurgence crispée de thèses dogmatiques largement ébréchées, sinon perpétuellement démenties par le mode de vie contemporain de ceux qui s’en réclament (chacun de ses commentateurs a un compte Youtube ou Facebook, par exemple). C’est évidemment ce que montre l’examen historique : la renaissance de l’islam offensif puise ses sources dans la Nahd­ha, la réaction mahométaine face au monde européen du début du XIXe siècle, revivifiée dans les années 70 après des décennies de sécularisation certes laborieuses mais effectives.

L’islamisme ordinaire contemporain est donc une construction psycho-sociale récente qu’il semble possible de comprendre comme une psychopathologie collective. Cette « maladie de l’islam » marquée par le ressentiment, comme le qualifiait Abdelwahhab Meddeb [5], et qui se reforme dès que le dogme est menacé, resterait à diagnostiquer, entre la « sacro-sainte paranoïa » pointé par Hamed Abdel-Samad [6] et une schizophrénie qui pousse à jouir des facilités des terres infidèles tout en jouant le «  surmusulman  », décrit par Fethi Benslama [7]. Le discours collectif que prononcent les commentaires ici réunis forme un ensemble intégré, ponctué de dénis, d’obsessions, de fantasmes, de pulsions, traversé de raisonnements singuliers, de contradictions profondes, de lapsus intrigants et, il faut le dire, d’une bêtise bien trop inhu­maine pour ne pas être comprise comme le symptôme d’un conformisme pathogène mutilant les facultés de l’esprit. En un mot, le fait culturel devient ici trouble mental, et les ressources de l’ethno-psychiatrie seraient précieuses si la discipline n’avait été emportée par le flot de la bien-pensance multiculturelle, dis­solvant toute perspective clinique pour ne devenir que rationalisation d’une ingénierie relativiste et multiculturaliste de gestion du bétail humain en transhumance.

Tentatives d’interprétations

Osons une interprétation. Ce discours tient de la «  rage narcissique » [8], totalement fasciné par un Occident autant haï que désiré, à la fois omniprésent et insaisissable, et qu’incarne la figure iconoclaste de Zineb, aussi désirable qu’interdite, à la fois si proche et si inaccessible, qui se trouve dépositaire de toutes ces ambivalences. Il semble illustrer à la lettre la logique du bouc émissaire de R. Girard : charger l’innocent des maux qui tourmentent la collectivité afin d’en maintenir la cohésion, la violence qui lui est adressée étant à l’exacte mesure de celle que sécrète intrinsèquement la communauté.

Ce qui est reproché à Zineb avec tant d’insistance, ne serait-ce donc pas, finalement, la face sombre, cette auto-dépréciation que la personnalité de base maghrébine alterne systématiquement avec la mégalo­manie [9] ? L’opportunisme d’une Zineb, par exemple, si récurrent, ne serait-il pas celui de l’immigrant, du descendant d’immigré ou du candidat à l’émigration qui se refuse obstinément à choisir entre deux natio­nalités, deux pays, deux cultures, deux identités, vaquant de l’un à l’autre en fonction des circonstances, des occasions, des opportunités, hurlant à la discrimination pour retourner l’inadaptation en privilège ? L’accusation d’ignorance qui lui est assénée, n’est-elle pas celle de ces populations « semi-modernes » comme les qualifie Hamadi Redissi [10], déculturées, dés-intégrées, exilées en elles-mêmes et ne naviguant plus qu’entre algorithmes et sourates, n’assimilant que superficiellement la langue française tout en igno­rant l’arabe littéraire coranique ? Et il y a tout ce que l’on a vu convoqué pour discréditer l’apostate : ces traumatismes infantiles, dérangements psychiatriques, débauche et prostitution ou les vaines tentatives d’intégrer la société française tout en trahissant ses origines… N’est-il pas saisissant que tous ces traits ja­lonnent un parcours migratoire et existentiel que les individus arabo-musulmans ne cessent d’arpenter, eux-mêmes, depuis presque un siècle ? N’est-ce pas d’ailleurs ainsi que les islamo-gauchistes et pro-im­migrationnistes les exonèrent perpétuellement de toute responsabilité, avec un mélange indiscernable de misérabilisme et de condescendance, pour ne pas dire de racisme  ? Comment, enfin, ne pas voir dans le fantasme d’un complot mondial anti-islam ourdi par les Juifs cette posture éminemment perverse du bour­reau-victime, qui appelle passionnément à sa propre persécution pour mieux dominer et persécuter à son tour ?

Menacer Zineb, c’est lui renvoyer, avec une intensité égale, la menace qu’elle représente pour le croyant, dont elle brise le cadre structurant tout autant qu’elle lui révélerait son désir. Désir de quoi ? Les commentaires ne parlent peut-être que de ça : désir de liberté, d’échapper à une identité à la fois trop écrite d’avance et impossible à tenir, que l’on naturalise d’autant plus en versant dans un racialisme indi­géniste qu’elle est sourdement rongée par le doute et la jalousie ; désir de savoir, d’en connaître autant sur la culture de ses parents que sur les principes qui ont rendu cette France si hospitalière, tout en ne cher­chant dans cette exceptionnelle richesse que les moyens immédiats de satisfaire des caprices de parvenu ; désir d’ exister, besoin avide de reconnaissance sociale, universitaire, journalistique, médiatique que l’on préfère assimiler à sa propre trahison, prostitution, déchéance pour ne pas avoir à se mesurer à ses propres déterminations socio-culturelles ; désir de pouvoir désirer, d’avoir le courage de revendiquer son engage­ment dans un monde dangereux contre les pressions, les rumeurs, les insultes, les calomnies, les menaces, l’exclusion et la mort que l’on transporte toujours avec soi pour s’assurer de leur omniprésence…

Mort et pulsion de mort

On pourrait se demander qui, finalement, est menacé de mort à travers la figure de Zineb. Si son icône ne serait pas, pour beaucoup, qu’une image projetée sur un écran par un négatif qui travaillerait à la mise à bas d’Allah/Mahomet, figure tutélaire, infantile, oppressive et structurante, qui exige du croyant une surenchère infernale dont le sens de moins en moins décelable ne souffre, jamais, aucun examen ? Lutte à mort, infiniment détournée, pour la maturité d’une humanité-enfant malade de son Livre et qui préfère sacrifier et se sacrifier plutôt que de renoncer à ses promesses de toute-puissance.

On aurait tort de croire ici à un élan d’optimisme. D’abord parce qu’ici la pathologie est arrimée à une culture où la notion d’émancipation individuelle et collective a toujours été largement minoritaire si­non singulièrement absente, creuset du néo-islam contemporain qui s’est construit sciemment comme son envers exact. Ensuite parce que rien n’indique que l’Occident et son projet d’autonomie, auquel Zineb ex­horte désespérément, tiennent encore, ne serait-ce que pour eux-mêmes, à leurs propres exigences.

Lieux Communs
Août 2019 – Janvier 2021


[1Allusion redondante à une éventuelle opération de chirurgie esthétique que Zineb aurait subie.

[2Henda Ayari : Ancienne salafiste devenu militante laïque et féministe. Une des premières à avoir porté plainte contre Tariq Ramadan pour des faits de viol, d’agressions sexuelles, violences volontaires, harcèlement et intimidation. Auteur de « J’ai choisi d’être libre. Rescapée du salafisme en France » (Flammarion, 2016) et « Plus jamais voilée, plus jamais violée » (L’observatoire, 2018).

[3Abdelmalek Sayad ; La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré. (Seuil, 1999)

[4Cf. Hamadi Redissi ; L’exception islamique. (Seuil, 2004)

[5La maladie de l’islam (Seuil, 2002).

[6Le fascisme islamique, op. cit., cf. chap. 13 « La sacro-sainte paranoïa. La complaisance dans l’outrage » pp. 235 sqq.

[7Fethi Benslama ; Un furieux désir de sacrifice, le surmusulman. (Seuil, 2016)

[8« Il est maintenant évident que la rage narcissique survient quand le soi ou l’objet déçoivent les aspirations absolues qui font appel à leur fonction – que ce soit pour l’enfant, qui, plus ou moins conformément au stade approprié, reste attaché à la mégalomanie et à l’omnipotence du soi et du soi-objet, ou pour l’adulte, narcissiquement fixé, dont les structures ar­chaïques narcissiques sont restées inchangées, séparées du reste du psychisme en cours de croissance, après que les de­mandes narcissiques infantiles appropriées au stade ont été traumatiquement frustrées.  » (Heinz Kohut, coll. Psychana­lystes d’aujourd’hui, Agnès Oppenheimer, Puf, 1998).

[9Hichem Djaït ; La personnalité et le devenir arabo-islamique (Seuil, 1974), cf. « Autocritique et auto-dépréciation », pp. 183 sqq.

[10L’exception islamique, op. cit.


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