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Médine le lunatique
Médine rappe depuis 2004. Descendant d’algériens, il est barbu par conviction, “je porte la barbe de la même manière que les noirs américains portent la coupe afro c’est simplement pour revendiquer une appartenance à une identité à une communauté.” [1] “Tariq Ramadan m’a permis de ne pas sombrer dans le radicalisme. On ne cesse, en France, de le diaboliser, mais il faut bien entendre que sans lui, et d’autres, on serait sur une vraie poudrière dans tous les quartiers. Ils seraient, à l’heure qu’il est, en proie à l’islam le plus radical et le plus rigoriste [2].” Merci Tariq !
Son label Din Record fonctionne au Havre comme un petite entreprise : il tourne autour de la vente de T-Shirt, CD et organise ses propres tournées. “Dîn [la foi], c’est aussi la voie, le chemin. Au-delà de la religion, c’est une éthique, un noyau, un espace et un lieu communs. Ce n’est pas sectaire, c’est une quête pour s’améliorer, pour tenter de devenir une meilleure personne. Ensuite, on fait chacun nos choix, on n’est pas toujours d’accord entre nous, mais notre lieu commun c’est l’islam. Tout le monde, cela dit, n’est pas musulman chez Din Records” [3].
Médine adore le duo Booba et Ali, il déclare avoir ’besoin que le binôme Lunatic se reforme’ [4]. Il est, à lui tout seul, dans le même langage schizophrénique que ses deux idoles : pour lutter contre le parallèle musulman et terroriste, il sort par exemple son album le 11 septembre 2004, qu’il appelle ’11 septembre, récit du 11ème jour’ et, pour éviter d’emblée tout amalgame, il commence par une profession de foi sur ’Ground Zero’ :
"Moi je suis plus qu’intégré, je suis intégristeUn barbu anti-social et fondamentaliste"
Le deuxième album s’appellera – toujours dans le souci de ne pas faire d’amalgame – ’Djihad’ (avec écrit en tout petit “… le plus grand combat est contre soi-même”). Il dira plus tard :
“En 2005 deuxième album en demi-teinte j’emprunteLes voix de la provocation pour tous les convaincreEt non les combattre avec un disque en forme de sabreMais lutter contre soi reste le plus grand Jihad !J’amène un message de paix derrière une épéeMes pieds dans le guêpier par les RG [renseignement généraux] je suis épiéQuand les khalifes [commandeurs des croyants] sont sur les terrasses des cafés [allusion aux massacres parisiens du 13 novembre 2015]” [5]
Médine utilise à foison l’argument fallacieux du faux dilemme emprunté à Bush : ’Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous’, en parfait miroir inversé :
"Parle-moi de Ben Laden OussamaJe te parlerai de Bush ou de R. CondoleezzaParle-moi d’Al-Qaïda comme si c’était ma familleJe te parlerai des tiens et de la saint-Barthélemy" [6]
Si les gens le prennent au premier degré, c’est qu’ils sont islamophobes ou idiots : il faudrait savoir le lire entre les lignes, lui qui prend tous les dessins de Charlie-Hebdo pour des provocations racistes. Inciter les jeunes au fondamentalisme ? Médine n’a pas de problème de conscience sur ce point-là :
“« Wallah [par Allah] Médine bsahtek [bien joué] ouah j’ai écouté wallah t’as raisonFaut couper toutes les têtes jihad mon frèreWallah Faut qu’ils payent wallah »Si tout est critiquable commence par l’auto-critiqueL’Occident n’est pas responsable de ton slipDélaisse la paille dans l’œil de ton voisinEt regarde plutôt la poutre qui encombre le tien.” [7]
En 2008 il sort un titre, ’Don’t Panik”, comme une campagne de pub :
"Boulahya [barbu] de ta barbe dis-leur don’t panikMusulmane de ton voile dites-leurs don’t panik".
On notera que, selon Médine, tous les musulmans sont barbus et que toutes les musulmanes voilées. Médine provoque, teste les limites, se dit ensuite choqué que Laurent Bouneau (programmateur de Skyrock) le décrive comme ’trop communautaire’ [8] :
“Quoi ? Communautaire j’aurais souhaité ne jamais l’êtreAutant qu’un nègre des sixties dans la cours d’une fac de Lettres (…)Tu veux du mainstream, des tubes de l’étéMoi le seul tube qui te fera danser aura le canon sciéBande de colons, condescendants imbus de votre egoJe défonce vos maisons de disques une à unecomme dans D&CO [Emission de décoration de M6] (…)Mon ouverture a remis sa burqa.“ [9]
En 2014, il fait une quenelle [10] devant le studio de Skyrock, qui agace jusqu’à ses fans.
“Ai-je une gueule à m’appeler Charlie ?”
Le 1er janvier 2015 sort le nouveau clip de Médine, Don’t Laïk :
"Crucifions les laïcards comme à Golgotha […]Si j’te flingue dans mes rêves j’te demande pardon en me réveillantEn me référant toujours au Saint Coran.(…) J’suis une Djellaba à la journée de la jupeIslamo-caillera, c’est ma prière de rue(…) j’met des Fatwas sur la tête des cons "
Six jours plus tard, les frères Kouachis investissent le siège du journal Charlie-Hebdo et mitraillent onze personnes parmi les plus grands dessinateurs français : Cabu, Wolinski, Charb et Tignous. Le lendemain, Amedy Coulibaly tue une policière à Montrouge. Puis quatre personnes, choisies car juives, dans un magasin casher lors d’une prise d’otage.
Médine explique, en description de la vidéo, dans les jours suivants : “Ma critique s’adresse à cette dérive exclusive, qui se drape dans la notion d’égalité en stigmatisant le religieux (...) La provocation n’a d’utilité que pour identifier certains phénomènes pervers, que sont tous les types de fondamentalisme, et dans le but de mieux s’en prémunir. Mes morceaux appartiennent à cette tradition d’œuvre caricaturiste qui exagère volontairement les représentations pour en extraire son contenu parfois absurde et contradictoire. Il est donc maladroit de m’attribuer des considérations communautaristes, alors que j’en suis précisément le critique.” Si je vous dis que j’ai raison, c’est que c’est vrai.
Le malaise est grand parmi les rappeurs. Disiz et Nekfeu, qui « réclam[aient] un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo » s’engluent dans un rétropédalage penaud. Akhenaton déclare ’Mahomet avec les doigts crochus sur une Europe couverte de tombes chrétiennes, c’est de l’amalgame. On nous dit maintenant “ne faites pas d’amalgames”, mais les amalgames sont faits ! ».
Booba chantera :
"Ai-je une gueule à m’appeler Charlie ? Réponds-moi franchement.T’as mal parlé, tu t’es fait plomber.C’est ça la rue c’est ça les tranchées." [11]
Sadek rappera plus tard :
"Ils veulent que je lise Charlie Hebdo sans que je me sente offenséEn gros y’a qu’en suçant que j’ai le droit de me sentir français" [12]
Médine, lui, sort finalement son album ’Démineur’, qui porte très mal son nom. Après “Don’t Laïk”, le ton de l’album n’est pas du tout à la remise en question :
“J’suis un cocktail explosif : Ramadan [Tariq], Brassens et Edwy Plenel (…)Chaque fois que je parle j’ai des articles à chargeLa liberté ce n’est pas que pour Charb." [13]
Cette fameuse liberté de se faire exécuter à la Kalachnikov…
“Morray [cousin], t’es qu’un collabeur [14] comme Dalil Boubakeur [mis à l’envers dans le morceau] et tous ses colistiers” [15] ; on suppose que Médine préfère les Frères Musulmans de l’UOIF au Conseil Français du Culte Musulman.
Cela dit, avec le morceau « MC Soral » il prend ses distances avec le fasciste islamophile Alain Soral mais aussi avec MC Solaar, qui n’a jamais pris de positions politiques claires :
“Vas-y bouge de là, le grand écart c’est pour Van DammeAlors bouge de là ; soit t’es Solaar soit t’es Soral.”
Plus tard, le site le plus populaire de la musique urbaine, Booska-P, l’interroge à propos de sa quenelle de 2014) :
Fif : Tu regrettes ?
Médine : Je ne regrette pas ça c’est sûr. Ça fait partie de mon histoire.
Fif : C’est une erreur ?
Médine : C’est mal calculé et surtout sur ce qu’est devenu la quenelle aujourd’hui. C’est devenu un symbole de ralliement qui a des connotations qui ne me correspondent absolument pas aujourd’hui : par exemple des connotations antisémites. (...) Je sais que la quenelle au départ n’est pas ça. C’est un geste anti-système. (...) Y a un discours qui dérange que l’on ne veut pas véhiculer, celui qui amène à la réflexion. Ce n’est pas voulu par Skyrock. C’était pour moi un entartement.”
Plus tard dans l’interview : “J’ai commencé à me documenter sur la “dissidence” je me suis rendu compte que c’était une tartufferie.”
“Tout ce que je voulais faire, c’était le Bataclan”
Au lendemain de l’attentat du 13 novembre dans la salle de concert du Bataclan, le malaise des rappeurs est moins grand ; les attentats aveugles concernent tout le monde . Après tout, le slogan c’est ’Pray for Paris’ : l’enjeu est le vivre ensemble. La “féministe-queer” et chanteuse pop Christine and the Queen a organisé un débat audio-visuel en direct [16], sur le vivre ensemble avec, entre autre… Nekfeu et Médine.
Un artiste “ostracisé” mais invité partout pour le dire
La virulence des propos de Médine et le climat politique ne gênent en rien sa carrière. En 2017, il est invité à l’ENS malgré les protestations [17]. En 2018, un extrait d’une chanson de Médine apparaît dans un manuel scolaire d’Histoire destiné aux élèves de terminale sur le massacre du 17 octobre 1961 [18].
Préparant la sortie de son 3ème album, Médine tease la sortie d’un prochain morceau : “Bataclan”. En apparence, la chanson ne parle de rien d’autre que de musique, et d’un petit gamin fan de rap qui rêve de “faire le Bataclan”. Même si, comme à chaque fois, on ne sait pas trop ce qui est suggéré. Mais on se doute bien que le texte n’est pas qu’à prendre au premier degré… Le refrain “tout ce que je voulais faire, c’était le Bataclan”, sonne étrangement après l’attentat. On notera aussi des comparaisons étranges :
“Escorté par les forces de la clameurUne salle qui brûle, c’est une époque qui meurtQuand l’Élysée-Montmartre est parti en feuJ’crois que j’ai vécu mon World Trade CenterLa Mecque des rappeurs, 72, boulevard Rochechouart”
On sera sûrement taxés de procès d’intention, mais on pourrait comprendre que pour Médine le 11 septembre n’a pas été vécu comme un drame. Quoi qu’il en soit, un incendie accidentel et sans victime d’une salle de concert (même mythique) n’est pas comparable au massacre de près de 3000 personnes (même américaines).
Mais tout ceci annonce la prochaine polémique : celle de l’invitation de Médine au Bataclan, qui fait hurler à gauche (très peu, à part le magazine Marianne) mais surtout à droite, et certaines associations de victimes d’attentats. Les liens forts entre le rappeur et l’association islamiste « Havre de Savoir » sont rendues public, prenant l’intéressé en flagrant délit de mensonge. Un mois avant le concert, il annule le concert en martelant sa seule ligne de défense ; « Certains groupes d’extrême-droite ont prévu d’organiser des manifestations dont le but est de diviser, n’hésitant pas à manipuler et à raviver la douleur des familles des victimes. Par respect pour ces mêmes familles et pour garantir la sécurité de mon public, les concerts ne seront pas maintenus ». Le Buzz est fait, et le but est d’organiser maintenant un plus grand concert, au Zénith le 9 février 2019 (4 mois après), dans une salle quatre fois plus grande (6800 places pour le Zénith).
Booba lui concède de manière inattendue une première collaboration. Une chanson intitulée “Kyll” sur Kylian M’Bappé (le meilleur buteur de l’équipe de France championne du monde). On y entend Booba se faire très spirituel pour l’occasion :
“Je les aime tous, aucun ne m’aime, du coup, j’veux tous les tuerLes autres sont partis à la mer, moi, j’ai bibi tout l’étéMama, piétine-moi, le paradis est sous tes pieds [référence à une parole coranique :“Le Paradis est sous le pied des mères.”]Tu parleras couramment chinois quand j’vais t’menotter sous l’évierY’avait des mères à niquer, vous auriez dû m’appeler”“Coupe la tête du coq et il court toujours, le 9 février au Zénith, ce s’ra full, ah (3amar)Jamais je n’bats en retrait (jamain), j’ai une carrière que même l’Enfer rejetteraitUne polémique par mois mais j’reste jovial, j’fais plus d’audimat que le mariage royal.”
La chanson fera d’ailleurs une micro-polémique à cause du clip dans lequel on voit une piñata à l’effigie de Marine Le Pen frappée au bâton par des enfants algériens dans une ambiance de fête.
Un pont à deux voix :
“Omar, le Khan (la mif), Massoud, Mekka, Luna (mieux qu’ça)Mbappé Kylian (Mbappé), Alger, Dakar, c’est la OummahEst-c’que tu crois (est-c’que ?) en la justice et ses loas ?Frère, moi, je n’crois (je n’crois) qu’aux honoraires de mon avocat”
Dans le premier vers, les deux rappeurs, pères de famille, égrènent les noms de leurs enfants. On notera les noms assez classiques de la famille de Booba (Omar et Luna) et la ’fantaisie’ de Médine : en fait le Khan c’est le surnom de Gengis (son premier fils) hommage non-dissimulé au grand conquérant mongol. Massoud, même si c’est plus commun, renvoie dans l’imaginaire européen au leader moudjahidin assassiné par Al-Qaïda le 9 septembre 2001 (…). Mekka renvoie à la deuxième ville sainte de l’islam, La Mecque. Médine est le vrai nom du rappeur.
Le deuxième vers parle de la Oummah c’est-à-dire la communauté islamique et dans les deux derniers les deux rappeurs s’amusent à dénigrer les lois des pays matérialistes dont ils sont issus : les ’Loas’ sont des esprits de la religion vaudoue, donc tout aussi ridicules pour les musulmans comme Médine.
Certains pensent que le phénomène Médine est victime de sa propre provocation. Mais il marque inlassablement des points, martelant un message victimaire alors que l’islam politique est en pleine expansion.
Conclusion : Un nouveau marqueur identitaire
En ces temps de confusion, on est passés de la protection des minorités à la promotion d’une religion dominatrice et parfois dans sa version la plus rigoriste.
Tolérons les intolérants, surtout ne pas se mouiller, comme le suggère par exemple le dit rappeur blanc Le Vrai Ben :
"Guerre aux barbus et tout le tin-touinLa France est laïque quel baratinLes femmes voilées m’empêchent pas de dormir bienPar contre les cloches de l’église m’ont réveillé ce matin" [19]’
Au fur et à mesure, le rap est sorti de l’underground et est devenu populaire (“mainstream” diront certains). Mais le marqueur identitaire est toujours là. En 2007, Kamelancien apparaît la première fois au public dans un clip violent : un simulacre d’exécution dans le fond un drapeau palestinien [20]. La Fouine est connu pour avoir introduit les insultes et ses textes, franchement débiles, se revendiquent de l’islam.
Les Sniper :
"On t’a donné une bonne place t’as oublié ta vie t’as oublié ta raceRegarde-toi dans la glace : t’auras toujours le même ’ras’ [tête] […]Au taf tu craches sur l’islam histoire de bien passer devant les toubabs [les Blancs]" [21]
"En pleine crise économique, il faut un coupableEt c’est en direction des musulmans que tous vos coups partent […]J’n’ai pas peur de l’écrire : La France est islamophobeD’ailleurs plus personne ne s’en cache dans la France des xénophobes […]Ce sont les mêmes hypocrites qui nous parlent de diversitéQui expriment le racisme sous couvert de laïcité" [22]
De manière générale, la critique de la religion est devenue encore plus difficile que dans les années 1990. La Main Gauche de K2C déclamait en 1995 :
“Je marche la tête haute regarde vers les cieuxJe ne baisse pas les yeux pour prier mon dieuLe problème est humain socialement humainLa main gauche le sait bien [considérée comme impure car servant à la toilette intime]Je parle au nom des miens”
Les 2 Bal de Neg, se permettaient de critiquer l’hypocrisie de la religion en 1996. En racontant l’histoire d’une famille d’origine africaine :
“[le père] joue à cache, il se cache derrière ta bibleSorti du travail ton fils devient la première cible” [23]
Aujourd’hui seul un franc tireur comme Despo Rutti peut oser dire :
“Au lieu de me casser les couilles avec ta religionfais-moi voir tes photos souvenirs du paradis. [24]”
Hélas, désormais le problème identitaire n’est plus questionné que d’un seul côté. Plus question de critiquer ou seulement questionner sa famille ou sa propre culture : “Critiquer le père un truc de blanc, nous on veut le venger” [25] résumait Ekoué – né d’un père togolais ayant trouvé l’asile politique en France… L’identité se définit comme un tiraillement entre ’ce pays de kouffars’ et une vie pieuse. “Le cul entre deux chaises” il ne reste qu’à s’accrocher à la religion du père et refuser l’intégration. Et c’est à la France de s’adapter à l’islam. Le rap français l’y aide bien.
A. T.
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