De la haine nécessaire à la clôture totalitaire du sens

Gerassimos Stephanatos
jeudi 27 février 2020
par  LieuxCommuns

Article paru dans la revue Topique, 2013, n°122, pp. 29-44. (Source)

Résumé : Quelle place donner à l’« aptitude à la haine » freudienne, dans ce trajet individuel et collectif qui peut conduire de la différenciation identificatoire/identitaire nécessaire au repli et à l’aliénation ? La haine dans ses aspects destructeurs et constructeurs fait que la psyché rejette ce qu’elle n’est pas elle-même, et que l’institution sociale tend à se clore sur elle-même. Deux ordres d’effets psychiques et sociaux de la haine, irréductibles les uns aux autres malgré leurs liens essentiels, leurs correspondances innombrables et leur conjonction dangereuse, qui peut dans les conditions spécifiques transformer les « détails de différenciation » du narcissisme des petites différences en traits de haine identificatoires, mettant en action le déchaînement destructeur.


Pourquoi fallait-il qu’une si grande sensibilité se soit portée sur ces détails de différenciation ? se demande Freud. D’où ce « narcissisme des petites différences » tire-t-il son pouvoir ? Pourquoi cette exacerbation de l’ ambivalence, cette ténacité des « sentiments d’étrangeté et d’hostilité » entre personnes, groupes, collectivités ou ethnies proches et largement semblables ? « Nous ne le savons pas » répond-il, « mais il est indéniable que dans ce comportement des hommes, se manifeste une aptitude à la haine, une agressivité, dont l’origine est inconnue, et à laquelle on serait tenté d’attribuer un caractère élémentaire » [1].Et par une note de bas de page il nous renvoie abruptement à Au-delà du principe de plaisir (Freud, 1920) où il a effectivement tenté un an auparavant de relier la polarité amour-haine à l’opposition entre pulsions de vie et de mort, les pulsions sexuelles étant posées comme représentantes des premières.

Si dans Le tabou de virginité le « rejet narcissique » de la femme par l’homme, du fait de son complexe de castration, dévoile « l’existence d’une puissance qui s’oppose à l’amour parce qu’elle écarte la femme comme étranger et ennemi » (Freud, 1918), si la différence donc des sexes devient le premier paradigme des « petites » différences dans ce qui se ressemble, c’est dans Malaise dans la culture ( 1929) que cette « puissance » qui s’incarne dans le narcissisme des petites différences prend les traits de Thanatos. La fonction de la haine ne reste plus relative parce qu’incluse dans la polarité amour-haine où elle se donne comme « non-amour » ; dorénavant la haine acquiert une fonction absolue et donc quasi ontologique. Et, c’est à la fin de ce parcours que Freud démontre l’utilité de l’usage de l’agressivité haineuse qui en résulte pour la cimentation des collectivités, la vie sociale et politique.

Peut-on avancer aujourd’hui sur ces questions essentielles ? Quelle place donner à l’ « aptitude à la haine » (Haβbereitschaft), dans ce trajet individuel et collectif qui peut conduire de la différenciation identificatoire/identitaire nécessaire au repli et/ou à l’aliénation ? J’espère pouvoir montrer l’importance de la fonction de la haine dans ses aspects destructeurs et constructeurs qui fait que la psyché rejette ce qui n’est pas elle-même, et que l’institution sociale tend à se clore sur elle-même. Deux ordres d’effets psychique et social de la haine, irréductibles les uns aux autres, malgré leurs liens essentiels, leurs correspondances innombrables et leur conjonction, conjonction qui peut dans les condi­tions spécifiques transformer les « détails de différenciation » du narcissisme des petites différences en traits de haine identificatoires, mettant en action le déchaînement destructeur.

Haine originaire, haine de soi, haine de l’autre

Originairement, c’est la haine qui désigne la relation de la psyché au monde. « L’extérieur, l’objet, le haï seraient tout au début identiques » a pu écrire Freud dans Pulsions et destins des pulsions, de même que « l’objet est né dans la haine ».

L’épopée du Moi-réalité initial/ Moi-plaisir purifié/ Moi-réalité final et leurs avatars, l’absolutisme du prendre en soi/ rejeter hors-soi comme par ailleurs la problématique de la négation, successeur de l’expulsion (Austossung) et appartenant aussi à la pulsion de destruction, contribuent essentiellement à la constitution et du moi et de l’objet et de la réalité. (Stephanatos, 2011).

La tendance fondamentale de la psyché à rejeter et ainsi à haïr ce qui n’est pas elle-même, établit une première limite différenciatrice entre le dedans et le dehors, et la haine se joignant à l’amour du moi pour lui-même trace les frontières du moi. Avant d’être destructrice, la haine est donc séparatrice, elle fait apparaître l’autre et l’autre en soi dans une altérité à venir. Cette haine originaire autant que nécessaire reste active tout au long de l’existence du sujet et malgré ses métamorphoses, ses déplacements, ses médiations, elle alimente en permanence le système représentationnel de la psyché, ses affects, ses mises en scène, ses mises en sens. À la charge du sujet et d’Éros de faire son élaboration en permanence.

Ce raccourci métapsychologique confirme l’égoïsme ontologique inhérent nécessairement à tout être-pour-soi et fondateur du mouvement antagoniste entre clôture et ouverture vers l’autre et le monde. La haine de l’autre, n’est que l’envers de l’amour de soi, de l’investissement positif de soi, du « narcissisme auto-affirmateur » des petites différences. Cette haine affirmative ne provient véritablement pas de la vie sexuelle, remarque Freud, mais de la lutte du moi pour sa « conservation » et son « affirmation » [2]. Elle est soutenue par un sophisme aussi élémentaire que puissant dans ses effets, qu’on retrouve en dépit du nombre d’analyses dont il a fait l’objet, dans les formes de haine collectives : « je suis bien, le bien c’est moi, l’autre n’est pas moi, donc il n’est pas (bien) ou il est (moins bien), etc. Or, moi, je suis Anglais, Italien, homme, blanc, hétérosexuel, etc. lui il n’est pas, donc il est mauvais ». Cette intolérance narcissique, cette haine pour l’autre brode à l’infini sur les différences, les « petites » de préférence, et par une torsion spéculaire, depuis Lacan, entre en résonance avec la haine de l’étranger en soi-même, l’autre en soi.

La haine de soi est inconsciente et universelle. Il suffit de rappeler que le Moi-réalité est par excellence l’objet de l’ambivalence des affects, que habituellement l’amour de ce Moi l’emporte sur la haine dont il est l’objet, suffisamment pour assurer la survie du sujet dans la réalité. Néanmoins cette haine de soi persiste à bas bruit. Chaque fois que le représenté ne réussit pas à annuler un état de besoin, il devient haïssable, insiste Piera Aulagnier, parce qu’il montre juste­ ment les limites de l’autosuffisance de la psyché d’auto-engendrer un état de plaisir et parce qu’il dément la représentation que la psyché forge de sa relation au monde [3]. La haine de soi est tournée vers et contre, ce que la psyché a été obligée de devenir comme individu social souligne Cornelius Castoriadis de façon complémentaire : « Nous n’acceptons jamais l’être que la société nous a fait devenir et le noyau psychique se révolte contre tout ce qui contredit ses aspirations les plus fortes : toute puissance, égocentrisme, narcissisme illimité ... » [4]

En effet, le Moi comme instance parlante, pensante et tenant compte d’une réalité partagée est un des premiers étrangers qui se présentent à la psyché de la même façon que le Je, essentiellement conforme au discours et à la raison de l’ensemble, n’est pas moins étranger et haïssable pour les autres instances psychiques que n’importe quel habitant d’un pays voisin qui a des intentions antagonistes, qui parle une langue étrangère incompréhensible sans traduction pour la logique des mises en scène fantasmatiques du primaire, intraduisible aux pictogrammes de l’originaire. Inversement le Je appréhende avec inquiétude la conflictualité intrapsychique et avec horreur le monde obscur de l’originaire pictographique, champ de bataille originel d’Éros et Thanatos. Or, le sujet expulse ou déplace -cela dépend du postulat du processus psychique considéré -cette haine de soi à un objet extérieur [5], le phénomène du racisme étant l’exemple princeps de cette opération.

Cela dit, on passe insensiblement de l’individuel au collectif. Suffit-il de prolonger le mouvement de la haine issu de la conflictualité inconsciente du sujet pour penser la haine dans le social et le culturel ou faut-il penser autrement ?

Distinctions ontologiques, précautions méthodologiques, apories

La haine est un « Janus bifronts » dont un visage regarde vers l’individuel et l’autre vers le collectif, par où elle prend sa pleine mesure, écrit P.-L. Assoun (2005). Cette bifrontalité est radicalisée dans l’œuvre de Castoriadis qui introduit une distinction entre racine psychique et sociale de la haine. Haine de soi et haine de l’autre sont les deux expressions psychiques de la haine correspondant à la tendance fondamentale de la psyché à rejeter et ainsi à haïr ce qui n’est pas elle­ même, à se clore donc sur elle-même. En revanche, la racine sociale de la haine correspond à « la quasi nécessité de la clôture de l ’institution sociale et des signi­fications imaginaires qu’elle porte » [6]. Cette distinction constitue, à mes yeux, une précaution méthodologique essentielle pour penser le narcissisme des petites différences à la fois dans le registre individuel et collectif, sans pour autant escamoter la dynamique propre au social-historique.

La distinction entre racine psychique et sociale de la haine correspond, en effet, à la différence ontologique entre le psychique et le social. Psyché et société bien qu’inséparables, sont radicalement irréductibles l’une à l’autre, elles constituent deux régions différentes de l’être/étant global. Néanmoins, il est toujours tentant de glisser du registre de la théorie du social à celui de la théorie de la psyché et vice­ versa. De ce point de vue le chapitre VI de la Psychologie des masses et analyse du Moi est caractéristique à plus d’un titre. Freud dans sa démonstration classique, glisse de l’intersubjectif à la famille, aux « unités plus importantes », aux peuples, aux ethnies en passant par les groupes et les foules. Même si la pertinence de l’analyse freudienne peut rendre compte au moins en partie des pratiques ou des phénomènes collectifs historiquement observables, la question qui surgit est de taille. Peut-on réduire le social au relationnel en refusant au social-historique sa dynamique propre, sa créativité particulière même parfois monstrueuse ? L’intersubjectif ne sera jamais que cela, quitte à le multiplier autant de fois que besoin, de la famille aux peuples en passant par les groupes [7].

Il faudrait peut-être prendre à la lettre le titre de l’essai freudien, considérer la Psychologie des masses comme discipline déjà constituée depuis Gustave Le Bon, inaugurale d’une psychosociologie possible, et en revanche mettre l’accent sur la dimension métapsychologique originale du concept analytique d’Analyse du Moi  ; qu’il s’agisse du modèle de la mélancolie et des processus d’introjection, ou de la distinction entre moi idéal comme première modalité narcissique totalitaire repliée sur elle-même et idéal du moi comme ouverture à un projet identificatoire singulier, ou encore qu’il s’agisse du transfert de l’idéal du moi des individus sur un objet « commun ». Ce n’est peut-être pas un hasard que ce chapitre VI débouche sur la question de l’identification, qui complexifie le raisonnement freudien, rompt toute continuité linéaire entre psychologie des foules et analyse du moi, introduit l’historicité psychique et subvertit en dernière analyse la notion équivoque d’une « âme de masse » (Massenpsyche), comme solution du problème de l’articulation entre le collectif et l’individuel. Solution de désespoir, en mon sens, perpétuant une question aporétique toujours insistante.

Néanmoins, on constate que dans les travaux de théorisation consacrés aux phénomènes socioculturels actuels, le recours à la thématique du narcissisme se fait de plus en plus insistant, le narcissisme étant promu au rang de facteur d’intelligibilité essentiel de l’existence individuelle et collective. Si la thématique du narcissisme peut servir à l’exigence de rassembler en une unité théorique des éléments souvent hétéroclites, recueillis par l’observation empirique, le concept freudien du narcissisme répond, on le sait, aux nécessités théorico-cliniques et métapsychologiques indissociables de l’espace analytique. A. Green rappelle que Freud, dès 1915, écrivait à Lou Andreas-Salomé : « La figuration du narcissisme est d’abord […] métapsychologique, c’est-à-dire sans aucune prise en considération des processus conscients, uniquement déterminée topique ment et dynamiquement. » [8] Parler donc de narcissisme « social » n’a aucun sens ; se référer aux conditions socioculturelles et politiques susceptibles de favoriser un repli sur soi ou une ouverture au monde, c’est tout autre chose.

L’espace public possède sa dynamique propre. Le collectif n’est pas une addition d’individualités, ni une simple reviviscence de la « horde originaire » freudienne. L’agora en l’occurrence représentait l’espace d’une élaboration, sinon d’une négociation possible des inévitables « petites » ou grandes différences, l’expression de la coexistence de la multiplicité et de la diversité qui formait polis. Et, le politique au sens de Marcel Gauchet (2007) par exemple, est justement ce qui permet à la société de tenir ensemble dans la différence.

Différences « petites » et grandes, distinctions ontologiques, précautions méthodologiques, questions aporétiques, leur formulation m’a paru indispensable pour penser la racine psychique et sociale de la haine séparément et ensemble. Je soutiendrai donc que leur articulation, comme leurs conjonctions fatales, passent par le processus de mise en sens, qui force la psyché à « se socialiser », c’est-à-dire à investir son fonctionnement à l’espace « où Je puisse advenir » dans le discours de l’ensemble et dans une réalité partagée, ne pouvant exister que comme socialement instituée.

Processus de signification et clôture du sens

Si la psyché emprunte à son corps des modèles sensoriels pour sautoreprésenter, la psyché a aussi besoin de l’institution sociale pour trouver du sens effectif, diurne, nécessaire à son existence. La mise en sens est la caractéristique essentielle de la psyché aussi bien que de la société, mais ce sens est de nature différente dans les deux cas. Chaque société crée selon Castoriadis « un magma de significations imaginaires sociales, irréductibles à la fonctionnalité, incarnées dans et par ses institutions et qui constituent son monde propre » [9] plus ou moins clôturé, en tout cas délimité. Ce tissu de sens ou de significations qui pénètre toute la vie de la société, la dirige, l’oriente et garantit sa cohésion interne, il est création de l’« imaginaire social instituant » du collectif anonyme. Si la psyché donc, ne trouve pas dans l’espace social du sens capable de remplacer le sens originaire, elle restera complètement enfermée dans son monde propre, où le désir de l’autre et la haine de l’autre ne connaissent aucune limite.

L’intériorisation des significations imaginaires sociales par la psyché, se fait à travers l’investissement du premier Autre maternel, que P. Aulagnier appelle porte-parole de l’ensemble : affect, sens, culture y sont co-présents. Cette introjection du sens concomitante de la nomination des affects, impose à la psyché une violence primaire. En contrepartie, la société fournit au sujet du sens, des repères identificatoires, des objets de dérivation des pulsions et des désirs, mais lui fournit aussi une certitude sur l’origine, l’accès à l’historicité et sa désignation comme un élément appartenant à un ensemble qui le reconnaît comme une partie à lui homogène.

Or, Aulagnier propose l’idée d’un contrat narcissique qui a comme signataires l’enfant et le groupe social. Ce faisant, elle inscrit le narcissisme dans le lien, en termes de libido identificatoire. En effet, le contrat narcissique encadre la problématique identificatoire du sujet et fait que cette dernière ne soit pas dépendante du seul verdict parental. Cela permet au Je d’investir des emblèmes identificatoires qui dépendent du discours de l’ensemble et non plus du discours d’un seul autre, c’est-à-dire « une série de valeurs-emblèmes, hiérarchisées au nom d’une bourse des valeurs imaginaires, mais sous l’égide du champ socio-culturel » [10].

C’est comme si l’institution social-historique venait encadrer la problématique identificatoire du je, au moyen de ce contrat narcissique, qui fut théorisé par Aulagnier au sens plutôt du narcissisme secondaire, en tant que réajustement du narcissisme primaire par l’appropriation et l’intégration des effets propres à l’identification symbolique. En effet, il y a tension entre les deux registres identificatoires primaires : narcissique et symbolique. La référence paternelle symbolique se transmet par le discours et le refoulement maternels, à condition qu’il existe déjà pour la mère un père comme premier représentant des autres et du discours de l’ensemble dit Aulagnier, discours imprégné par les significations imaginaires sociales pourrait-on ajouter. Je dirais même, que cette identification primordiale au Père originaire (Urvater) avec toute l’élaboration de l’ambivalence et de la haine qu’elle exige, assure l’investissement d’une composante du narcissisme primaire qui va vers la sublimation et l’ouverture relationnelle. Double destin donc, du projet identificatoire de tout sujet : ouverture au relationnel et tendance permanente à la clôture narcissique, au solipsisme de la monade. Double destin qui peut être doublé dans des conditions socio-culturelles spécifiques d’un mouvement symétrique d’ouverture-clôture de l’institution sociale.

Or, la haine est présente au départ, installée au fond du lien social, prête à réapparaître sur les ruines de la socialité aux moments du triomphe de la barbarie, quand les repères identificatoires symboliques basculent et le contrat narcissique n’est plus valide. Face à une telle réalité dominée par le primat de destruction physique et psychique, que notre siècle ne nous a pas épargné, Nathalie Zaltzman (1999) oppose comme référence indestructible et ultime, une identification survivante quasi métabiologique, celle de l’ « identification à l’espèce humaine ».

L’offre de sens de l’institution sociale est immense, multidimensionnel et ses effets bien complexes. La clôture matérielle qui correspond par exemple aux territoires et frontières entre peuples et nations se transforme en clôture du sens  : les territoires acquièrent leur importance en fonction des sens spécifiques qui leur sont attribués et la terre devient terre sacrée, terre promise, polis grecque ancienne, etc. Cette clôture du sens inévitable, peut aboutir à l’hétéronomie aliénante, insiste Castoriadis dans son œuvre, dans la mesure où les individus se trouvent dans l’impossibilité de mettre en question les fondements et les significations imaginaires centrales de leur propre société, en créant une niche métaphysique du sens, religieuse ou autre, qui donne une garantie extra-sociale de l’institution en escamotant le fait qu’une société s’auto-institue.

Emblèmes identificatoires, traits uniques, traits de haine

Toute forme de socialité exige, en effet, qu’on puisse continuer à investir l’institution existante de la société et les significations imaginaires que la société porte. J. Peuch-Lestrade (2001) attire l’attention sur l’apparition en fin d’analyse des reconstructions fantasmatiques qui ne sont pas des constructions au sens de Freud. Elles s’appuient sur la dimension d’imaginaire social et sur l’ouverture au monde social-historique et témoignent de la capacité de « jouer » retrouvée par l’analysant, y compris dans des zones psychiques gouvernées par le traumatisme et sa répétition. En revanche, j’ajouterai que dans les représentations conscientes et inconscientes de l’individu singulier, on peut également retrouver des équivalences ou des traductions des significations imaginaires sociales qui véhiculent la haine raciste, sexiste, ethnique, religieuse ou autre. Ces éléments sont, par ailleurs, difficilement analysables puisqu’ils acquièrent de valeur défensive importante.

Pourtant on ne peut réduire le monde des significations instituées aux représentations individuelles effectives, ni à leur partie soi-disant« commune », « moyenne » ou « typique ». Les significations imaginaires sociales sont, justement, ce « moyennant et à partir de quoi les individus sont formés comme individus sociaux, pouvant participer au faire et au représenter/faire sociaux » [11]. Participation qui exprime en dernière analyse la coexistence impossible et toujours réalisée d’un cosmos idios et d’un cosmos koinos. André Green de son côté se limite à dire que « les images valorisées par chaque culture font communiquer les dimensions groupale et individuelle » [12].

Les repères identificatoires de l’individu se forment par l’existence des cycles concentriques à la fois identifiants et clôturants : famille, clan, localité, groupe d’âge, groupe social, classe sociale, nation, race, etc. Ces repères correspondent au monde institué des significations imaginaires sociales qui donnent à l’individu la qualité du membre, de l’élément d’un ensemble. Plus nous sommes près d’une société complètement close et archaïque, plus l’identification est forte et parfois même plus forte que la conservation de l’individu : tuer ou être tué au cours d’une vendetta familiale, d’un conflit tribal, d’une guerre féodale ou d’une guerre nationale a pu être considéré comme une obligation héroïque vécue dans l’exaltation et la fierté. L’effet désinhibant et déculpabilisant de cette identification libère une destructivité meurtrière sans frein, à la fois substitut et témoin de la toute-puissance originaire perdue de la psyché. Or, la haine de l’autre est soutenue par la force et la rigidité orgueilleuse des identifications emblématiques de l’individu : le fanatique est son Église, le national est sa nation, le membre d’une minorité ethnique est cette minorité – et réciproquement.

Ces identifications peuvent par ailleurs se déplacer sur des signes corporels et/ou sémantiques mineurs. Gilbert Diatkine (2000) souligne que les petites différences entre deux peuples voisins peuvent porter sur les significations des traits de la vie quotidienne, sur ce que Marcel Mauss appelle les « techniques du corps » ou encore sur une « sémiologie » saussurienne symbolisant l’ appartenance à un groupe et transmise avec l’acquisition du langage. Il évoque à cet égard la haine fratricide qui oppose, dans la Bible, les deux fils de Joseph, Manassé et Ephraïm, comme celle des leurs descendants, qui ne se séparaient que par leur manière différente de prononcer le mot hébreu Shibboleth (=épi). Signes sémantiques ou significations des traits de la vie quotidienne, les petites différences concernent toujours pour G. Diatkine, les valeurs acquises par l’enfant au cours de ses premières relations avec la mère. Cette perspective ne contredit pas la nôtre, alors que Marilia Aisenstein (2010) à partir de sa clinique et un récit romanesque très parlant, s’interroge sur le statut « tabou » de certaines « petites marques du corps », qui sont porteuses d’un narcissisme qui peut être de vie mais également de mort.

Que les signes sémantiques mineurs puissent acquérir valeur emblématique, que les petites marques du corps puissent concentrer une accumulation de libido narcissique et représenter en fin de compte le sujet lui-même, montre en l’occurrence l’importance du travail identificatoire et différenciateur de la haine. Travail souterrain à jamais actif, qui rend compte du questionnement freudien du pourquoi la haine que recèle le narcissisme, en sa forme même des petites différences, en son action individuelle et collective, se loge-t-elle sur ces « détails de différenciation » les transformant en traits de haine ?

Il sera donc haï, ce ou celui qui vient troubler la bonne forme dans laquelle se configure le narcissisme, qu’il soit un énoncé, un signe corporel ou sémantique mineur, mettant le sujet dans une position identificatoire incompatible avec ses idéaux singuliers et collectifs, et contradictoire avec l’ensemble de son parcours identificatoire. Investissement narcissique et investissement identificatoire sont porteurs d’une même exigence, celle du maintien d’une constance, dans le changement permanent imposé par la vie elle-même. Se maintenir soi-même dans le changement est la contradiction à résoudre.

Or, le travail inconscient de la haine révèle au même titre que son contraire -l’identification érogène -un fonctionnement sur la singularité, sur le « trait unique ». Freud dans un passage célèbre du ch. VII de la Massenpsychologie, souligne ce caractère de l’identification comme « partielle et extrêmement limitée » parce qu’elle « n’emprunte qu’un seul trait (einziger Zug) à la personne -objet, aimée ou non aimée » [13]. Cela n’est certes pas sans analogie avec la « particularité » (Einzelheit), le « détail » de différenciation qui sert d’aiguillon à l’entrée en action de la haine dans ce mouvement constituant, selon Paul-Laurent Assoun [14], l’envers haineux de l’identification.

Lacan dans le Séminaire sur l’identification traduit l’einziger Zug comme trait unaire et le fait correspondre à l’introjection originaire d’un signifiant, sens avalé avec l’objet. Les « petites différences » de Freud renvoient pour Lacan à la fonction du trait unaire, celle qui impose « la différence absolue », ce « presque rien » qui fait tout, ce qui déclenche la violence (Lacan, 1962).

Traits uniques et objets identificatoires communs chez Freud, traits unaires lacaniens, emblèmes identificatoires d’Aulagnier, significations imaginaires sociales de Castoriadis, signes corporels et sémantiques mineurs, tous peuvent se transformer en traits de haine dans le registre haineux du processus identificatoire de l’être humain.

Formation sociale, déliaisons, néoformations

Le refus originaire et toujours agissant de la psyché d’accepter ce qui pour elle est étranger, cette structure ontologique de l’être humain impose des contraintes indépassables à toute organisation sociale et à tout projet politique, et cela malgré la canalisation des manifestations les plus dramatiques de la haine par le processus civilisateur et de socialisation. Il y a, effectivement, une diversion permanente de l’agressivité haineuse vers des fins sociales (« potlatch », athlétisme, compétitions économiques, politiques, etc.), tandis qu’une autre partie de haine destructrice reste enkystée, prête à être transformée en guerre même directe, sinon à se manifester sourdement sous les diverses formes du mépris, de la xénophobie, du racisme.

En termes freudiens la formation sociale peut tempérer l’agressivité haineuse, selon le modèle de la « formation de la foule primaire » : les individus s’identifient les uns aux autres dans leurs moi, par transfert de leur idéal du moi dans un objet commun, sans exclure pour autant la possibilité d’une déliaison qui ferait ressortir la haine au moment de crise du dispositif idéalisant-identifiant. Une telle déliaison pour Nathalie Zaltzman ne constitue pas une régression de la civilisation, mais une néoformation sociale inédite, un mouvement inverse du Totem et Tabou, un retour de l’individuel à la masse qui transforme une société civilisée « en masse, en horde sans père, en foule adorant des emblèmes totémiques sans tabous » et permet ainsi l’expression d’une « haine pure » déliée du couple qu’elle forme avec l’amour, hors de l’ambivalence qui habite les moi individuels. Je retiens l’hypothèse d’une haine pure comme affect spécifiquement collectif, création psychique collective d’un ciment unifiant une psychologie de masse, et dissolvant la psychologie des moi [15]. Or, l’uniformité et l’homogénéisation des individus évoquées par Freud comme support libidinal de la formation sociale [16], se transforment, dans cette hypothèse de Nathalie Zaltzman, en ce que j’appellerais une uniformité de haine.

Au demeurant, la question posée s’avère aussi complexe que ses réponses possibles. Un ethnologue tel Pierre Clastres dans son Archéologie de la violence, en se gardant« de toute psychologie primitive » comme il dit et sans référence à la psychanalyse comme on constate, montre que la société primitive est une « société pour la guerre », gouvernée par une logique de la différence. Il pensait même que c’est du côté de la guerre, élément essentiel du mode d’être politique des sociétés sauvages, qu’il fallait chercher la clé du surgissement de l’État dans son rapport à la société que Freud avait aussi critiqué dans ses Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort. La société primitive pour Clastres apparaît comme une multiplicité des communautés séparées, chacune veillant à l’intégrité de son territoire, comme une série des néo-nomades dont chacune affirme face au miroir des autres sa différence, comme « différence absolue, liberté irréductible, volonté de maintenir son être comme totalité une », un « Nous indivisé » en rapport égal avec les « Nous » équivalents que constituent les autres villages, tribus, bandes, etc. Clastres pose comme une logique sociale, la logique immanente à la société primitive du centrifuge, de l’émiettement, de la dispersion, de la scission, logique dont chaque communauté a besoin pour se penser comme telle, la possibilité de la violence étant inscrite d’avance dans l’être social primitif ; la guerre est une structure de la société primitive et non « l’échec accidentel d’un échange manqué », préconisé par Lévi-Strauss (Clastres, 1977).

La guerre primitive serait le moyen de cette pluralité, de cette multiplicité morcelante, qui est elle-même le résultat d’une volonté politique. Le multiple est l’ennemi par excellence de l’État, la guerre quasi permanente, même symbolique, est le moyen de rendre l’Un impossible. L’affirmation guerrière et la relation structurale d’hostilité entre les diverses unités sociales sont là pour signifier et rendre matériellement impraticables leur rassemblement et leur homogénéisation au sein d’un ensemble fermé, sous une autorité unique imposant un arbitrage et une pacification de et par force. Pour Clastres, l’État dans son expansion unificatrice fait la guerre pour la réduction de la différence et la paix absolue de l’Un que veut et que produit l’État séparé de la société.

Cependant, ce périple ethnologique ne conduit à aucune considération simpliste. La société primitive n’est pas la « bonne » société et leur « égalité politique », les sauvages la paient d’un prix très cher. Clastres lui-même n’a cessé d’insister sur la contrepartie douloureuse et limitante dont s’accompagne inéluctablement le choix primitif de se garder de l’État. Les sociétés primitives, commente M. Gauchet (1978), ne règlent pas une fois pour toutes le problème de la scission politique, elles y apportent une réponse particulière qui d’une certaine façon laisse le problème entier.

La civilisation ou mieux la Kulturarbeit freudienne n’est pas un work in progress. Le domptage des pulsions par nos instances psychiques et institutionnelles n’élimine ni l’hostilité haineuse, ni l’éventualité de neo-formations sociales de haine pure unificatrice. Mais il n’abolit pas en revanche la résistance à toute homogénéisation qui vise la réduction radicale de la différence. Une personne comme Pier-Paolo Pasolini, grâce à une lucidité incisive -probable­ ment aiguisée par son propre besoin psychique de rétablissement des différences vacillantes -a pu entrevoir la transformation de la société et de la culture italiennes et le passage de leurs formes traditionnelles locales polymorphes à une uniformisation stérilisante, prélude à la mondialisation inéluctable à venir. Ses Écrits corsaires, polémiques, en témoignent (Pasolini, 1976).

Exaltation de la différence, affirmation guerrière, violence meurtrière, nomadisme, liberté irréductible, multiplicité morcelante, hétérogénéisation, uniformité de haine ne vont sans évoquer des traits et des effets des pulsions de mort, d’une pulsion nommée anarchiste par Nathalie Zaltzman. Mais, si les schémas d’existence ou de survie, de formation ou de désorganisation sociales revêtent certains traits de l’activité pulsionnelle et représentative de la psyché individuelle, cela ne signifie pas que le social est réduit au psychique. Il s’agit, c’est là mon hypothèse provisoire, des conditions historiques spécifiques où la créativité/destructivité de l’imaginaire social et les affects sociaux entrent en résonance avec un certain type de fonctionnement psychique, en renforçant ses effets et vice-versa.

Conjonctions dangereuses

Il se peut que les tendances destructrices des individus s’accordent parfaite­ ment à la nécessité de l’institution de se clore, de rigidifier ses valeurs, ses règles, ses normes, ses significations, ses croyances dans un mouvement d’affirmation défensive malsaine, dicté par des raisons à la fois manifestes et obscures. Il est possible que la clôture de l’institution se mette en collusion avec l’organisation identificatoire de l’individu, qui ne peut que défendre les emblèmes, les valeurs imaginaires sociales qu’il a investies pendant son parcours socialisant. Il est aussi possible que la quête des certitudes ultimes de la part de la psyché singulière conduise à des identifications extrêmement fortes et à des croyances étanches partagées et soutenues par des collectivités réelles. Ces conjonctions rendent extrêmement difficile une première déhiscence interne qui pourrait conduire à une prise de conscience et de distance à l’égard de l’institué haineux.

À cet égard, l’imaginaire raciste doit invoquer ou inventer des caractéristiques surtout biologiques, donc irréversibles aux objets de sa haine. L’objet de la haine doit rester inconvertible, tout « métissage » est proscrit et détesté. La pureté raciale recherchée, suivie ou non des épurations ethniques, ne va pas sans évoquer le risque de confusion du moi singulier avec l’autre, ni sans rappeler le Moi-plaisir purifié et la plus obscure forme de la haine, celle de la haine de soi.

Cette forme de haine peut avoir comme corollaire une vision du monde définie de façon très rigide par la différence des sexes et simultanément par son annulation inconsciente ou même réelle. Micheline Enriquez dans son analyse de la paranoïa féminine à partir du cas de Valerie Solanas, auteur du S.C.U.M. Manifesta – c’est-à-dire du manifeste délirant de la « Society for cutting up men » (Société pour la castration des hommes) publié dans le contexte du féminisme new-yorkais extrémiste des années 70 – souligne que contrairement à la paranoïa masculine, la femme paranoïaque ou prétendue telle rencontre une opposition remarquable du socius à son égard, en partie justifiée par ses actes parfois destructeurs contre la phallocratie et le monde social institué par les hommes. Il n’empêche qu’au fond, tout se passe comme si l’imaginaire masculin dominant ne pouvait pas intégrer ce qui se représente pour lui à la fois comme différence absolue (une femme qui s’identifie en dehors du monde des femmes rêvé par les hommes) et comme similitude absolue (existence chez la femme des éléments constitutifs du social pour les hommes : le désir de pouvoir, la volonté d’emprise sur les choses et les êtres). Or, le trop proche et le trop éloigné suscitent une égale frayeur, qui n’est pas, ici, sans relation avec les mécanismes inconscients les plus sauvages qui président au développement de la paranoïa masculine et ses effets sociaux [17].

Le recours aux croyances étanches et partagées par un grand nombre d’individus est aussi fréquent dans notre monde que les explosions massives de haine nationale et raciste. La dissolution, dans les sociétés capitalistes modernes, de presque toutes les instances de collectivités intermédiaires signifiantes, dit encore Castoriadis [18], et par là des possibilités d’identification alternative pour les individus, a certainement eu pour effet une fermeture identificatoire. La situation n’est pas essentiellement différente dans les sociétés non européennes qui subissent le choc de l’invasion de la modernité et donc de la pulvérisation de leurs repères identificatoires traditionnels, et réagissent par un surcroît de fanatisme religieux et national. La conjonction de la clôture de l’institution et de la destructivité psychique des individus dans les conditions historiques particulières peut produire un amalgame inédit, parfois monstrueux.

De la haine nécessaire, différenciatrice et identificatoire, à la clôture totalitaire du sens, le chemin est court et le danger guette.


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[1S. Freud, Psychologie des masses et analyse du moi (1921), in Essais de psychanalyse, pbp, Paris 1981, p. 163-164.

[2S. Freud, « Pulsions et destins des pulsions » (1915), in Métapsychologie, Gallimard, Paris, 1968, p. 40.

[3Je renvoie à la théorisation de P. Aulagnier (1975, p. 48-54) sur les conditions nécessaires pour la représentabilité de la rencontre psyché-monde. En ce sens Sophie de Mijolla-Mellor (1998, p. 95) souligne qu’Aulagnier, à l’encontre de Freud, conçoit amour et haine de l’objet comme simultanés dans leur apparition ; donc l’image auto-engendrée de la rencontre psyché-monde sera toujours cause de plaisir ou de déplaisir, selon qu’on la considère du côté d’Éros ou du côté de Thanatos. Dans cette perspective, je rappelle que le Je dois assumer, par l’intermédiaire d’une mise en scène fantasmatique, l’action du pictogramme de néantisation qu’introduit Thanatos comme manifestation de cette haine radicale, présente d’emblée dans l’originaire.

[4Voir C. Castoriadis, Une société à la dérive, Paris le Seuil, 2005, cité par E. Enriquez (2005).

[5Faudrait-il encore ajouter que la haine préexiste comme extérieure au sujet et néanmoins intérieure parce qu’inhérente à ses géniteurs. La discussion argumentée de cette question dépasserait les limites fixées pour cet article.

[6C. Castoriadis, « Les racines psychiques et sociales de la haine », in Figures du pensable, Paris, Seuil. 1999, p.184.

[7Je rejoins ici la position de J.-F. Narodetzki qu’une retranscription de la « psychologie collective » dans des termes de la métapsychologie ne peut être, au mieux, qu’un pari explicatif, une hypothèse de travail théorique. Et si Massenpsychologie und Ich-Analyse semble en effet rendre compte de ses objectifs, il se trouve souligne Narodetzki que la même démarche dans un autre contexte peut ne pas « marcher », et surtout que de son principe on peut tirer tout et n’importe quoi : par exemple, une théorie sado-masochique de l’extraction de la plus-value, ou encore une explication de Mai 68 par le complexe d’Œdipe, v. « La thèse du narcissisme. De l’usage des concepts psychanalytiques dans le champ sociologique », Le Débat, 55, Mars-Avril, 1990.

[8L. Andreas-Salomé, Correspondance avec Sigmund Freud, 1912-1936, Gallimard, Paris,1970, lettre du 31.1.1915, p. 36, cité par A. Green (2005).

[9C. Castoriadis, Fait et à faire, Seuil, Paris, 1997, p.12.

[10P. Aulagnier, La violence de l’interprétation, Paris, PUF, 1975, p. 210.

[11J. Peuch-Lestrade, « De l’institution de la cure à la parole du je », Topique, 77, 2001, p. 99-110.

[12A. Green, Pourquoi les pulsions de destruction ou de mort ?, éd. du Panama, Paris 2007, p.179.

[13Psychologie des masses et analyse du moi, op. cit, p.169.

[14Voir l’important article de P.-L. Assoun, « Portrait métapsychologique de la haine », in (sous la direction de) P.-L. Assoun, M. Zafiropoulos, La haine, la jouissance et la loi, Paris, Éd. Anthropos, 1995, p.161.

[15N. Zaltzman, L’esprit du mal, Éd. de l’Olivier, Paris, 2007, p.15.

[16Psychologie des masses et analyse du moi, op. cit, p.164.

[17M. Enriquez, Aux carrefours de la haine, Epi, Paris, 1984, p. 92-95.

[18C. Castoriadis, « Les racines psychiques et sociales de la haine », op. cit, p. 196.


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