La ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le vieux Continent

Recension du livre de Stephen Smith (Grasset, 2018)
lundi 13 août 2018
par  LieuxCommuns

Ce texte fait partie de la brochure n°25 « La fin de l’immigration »
Réalités troublantes et mensonges déconcertants

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Sommaire :

  • La ruée vers l’Europe (Note de lecture) — ci-dessous...

La ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le vieux Continent
Recension du livre de Stephen Smith (Grasset, 2018)

Ce livre a connu une couverture médiatique importante et bienveillante dans les mois qui ont suivi sa sortie, en février dernier : invitations télévisées, interviews radiopho­ni­ques, articles de journaux. Cité par le président français lors du débat célébrant sa première année au pouvoir, il a reçu le prix du Livre Géopolitique 2018, remis par le mi­nistre des Affaires étrangères. Une telle bienveillance contraste avec son propos prin­ci­pal : l’explosion démographique de l’Afrique ne peut qu’entraîner de gigantes­ques et iné­vi­ta­bles flux migratoires en Europe, de l’ordre de centaines de millions de person­nes, qui débuteront dès qu’un seuil de prospérité économique permettant l’exode sera franchi.

La tolérance de ce livre par le gauchisme culturel ambiant – il n’a fait l’objet d’aucu­ne attaque ni de contre-argumentaires [1], à la surprise de l’auteur – est donc d’autant plus intrigante qu’il rend officiels des constats et des perspectives qui, jusqu’ici, étaient sans discussion placés sous l’étiquette infamante d’« extrême droite » – du « Grand Rempla­ce­ment » de Renaud Camus au « Camp des Saints » en passant par « l’inva­sion » des Le Pen. Stephen Smith, il est vrai, présente un pedigree hors de tout soup­çon : aujour­d’hui professeur d’études africaines aux États-Unis, il a d’abord été corres­pon­dant en Afrique pour Reuters, RFI, Libération, Le Monde, puis analyste pour l’ONU et l’ONG International Crisis Group. Mais d’autres chercheurs tout aussi respe­c­ta­bles s’étaient risqués sur ces thématiques et en payent encore le prix (H. Lagrange ou M. Tribalat, par exemple). Sans doute ce paradoxe s’éclairera-t-il au fil des années.

Au fond, l’ouvrage de S. Smith n’apporte rien de nouveau : les faits qu’il décrit et qui construisent son raisonnement étaient connus de longue date pour qui s’était penché sur ces questions à partir de quelques livres (sa bibliographie est touffue), ou même de simples constatations de la réalité pour quiconque a été en contact d’une manière ou d’une autre avec les milieux immigrés ou a posé un pied au sud du Sahara, ne serait-ce que quelques jours. Mais l’ensemble présente une synthèse efficace qui forme un cadre global d’analyse et, surtout, ruine un nombre impressionnant d’a priori sur le continent africain, son développement économique et le phénomène migratoire, autant de piliers idéologiques de la bien-pensance contemporaine.

Un continent submergé par sa jeunesse

Cela s’explique facilement par le fait que S. Smith s’appuie sur le principe simple (apparemment étayé dans un livre précédent Négrologie : pourquoi l’Afrique meurt [2]) selon lequel les Africains méritent d’être considérés non plus comme des agents passifs de puissances étrangères, mais bien comme des acteurs responsables, des auteurs de leurs actes, bref des sujets politiques tout autant que les Occidentaux, et que les priver de la responsabilité de leur situation les ampute de toute capacité à agir sur leur destinée collective. Il ne s’agit certainement pas de nier l’histoire cataclysmique du continent – même si celles de la Chine maoïste, de la Russie soviétique ou de l’Allemagne hitlé­rien­ne ne le sont certainement pas moins – mais bien de se donner la possibilité de ne plus y être aliéné. Cette approche est celle, pleine et entière, portée par tous les acteurs de l’émancipation individuelle et collective ; leurs ennemis sont les mêmes.

C’est d’ailleurs dans ce passé, sans surprise, que l’on trouve les origines de l’explosion démographique africaine : l’esclavagisme arabo-musulman puis occidental d’abord (28 millions d’êtres humains en tout, systématiquement éliminés au Maghreb et au Moyen-Orient pour les premiers, déportés outre-Atlantique pour les seconds) ; un « choc bactérien », ensuite, comparable à celui qu’ont connu les Amériques, a entraîné un sous-peuplement endémique contrastant avec le décollage démographique du reste du monde au début du XXe siècle (p. 24-42). Et ce sont évidemment les politiques colo­nia­les de « développement » et de « santé globale » mises en place après la première guerre mondiale qui sont à l’origine de la croissance démultipliée des populations afri­caines. C’est ce versant du colonialisme occidental, bien plus que tout autre, qui est à l’ori­gine de la situation actuelle, sans pourtant être jamais dénoncé dans les diatribes tiers-mondistes…

La tendance à la surpopulation était-elle contrôlable lors des indépendances ? Les gou­ver­nements des jeunes nations subsahariennes n’ont en tout cas même pas essayé dep­uis trois générations, quand ils ne l’ont pas ouvertement encouragée (p. 66 sqq), pas plus qu’ils n’ont cessé de piller et d’orchestrer les prédations à court terme de leurs pro­pres pays, transformant un hyper-dynamisme démographique – qui manque tant à l’Occi­dent pour poursuivre sa croissance – en explosion immaîtrisable : les effectifs des populations d’Afrique noire ont quadruplé entre 1960 et 2015, passant de 230 millions à un milliard, et ils seront multipliés par 16 entre 1930 et 2050, atteignant alors 2,5 mil­liards d’individus, un quart de l’humanité (p. 16). À cette date, le quart des Européens sera d’origine africaine (p. 17) et en 2100 la moitié des humains de la planète le sera [3]. Le continent n’ayant mené aucune révolution agricole ni développement industriel (p. 73 sqq), il s’engouffre dans la société de consommation autant qu’il est possible sans ja­mais s’approprier de quelque façon ses conditions de réalisation économiques, scientifi­ques, politiques, sociales ou culturelles (p. 115 sqq). Il est clair pour l’auteur que, si ce qui est visé est un niveau de vie à l’occidentale (mais en conservant un mode de vie du tiers-monde), « de quelque façon que l’on s’y prenne, il n’y en aura jamais assez pour tout le monde » (p. 47).

L’exil hors du continent africain, soit une émigration continue, croissante, massive, s’impose, dans l’état actuel des choses, sans discussion. La question est : de quoi serait-ce la solution ?

Émigration, immigration : la perspective MAD

Pour Stephen Smith, le départ des Africains hors de leurs terres natales, vers la ville d’abord, le pays voisin ensuite, enfin l’Europe, non seulement n’améliore en rien les frustrations africaines, mais les aggrave considérablement – et d’abord en accréditant la conviction omniprésente que la « vraie vie » est ailleurs (p. 23). Les processus sont plus ou moins bien connus : « fuite des cerveaux » ; exil d’une classe moyenne consti­tu­ti­ve d’une « société civile » au rôle crucial (p. 216) ; contre-exemplarité et désespé­ran­ce pour ceux qui restent de gré ou de force ; financement en retour des réseaux locaux familiaux, ethniques, religieux (p. 213 sqq) et surtout gérontocratiques (p. 257) que fuient précisément les expatriés (p. 213) ; constitution d’une « rente » ou d’un « racket migratoire » entretenant les États africains dans un cercle vicieux allant de la dépen­dance à la prédation (p. 117 sqq  ; p. 192 sqq), exacerbant les inégalités sociales (p. 140) tout autant que les multiples tensions qui fracturent le continent (p. 129 sqq) – elles-mêmes décuplées par les migrations intra-africaines (p. 162 sqq). L’émigration africaine est une fuite en avant qui s’auto-engendre au nom de cette évidence première : le « développement », quoi qu’on entende par là, ne se fait pas par contumace.

De manière identique, l’immigration – bien que l’auteur s’en défende dans ses inter­views [4]. Non seulement l’apport de ces « bras  », de ces « cerveaux » (p. 28) ou de cette « chair à retraites » (p. 179) ne résout ni ne résoudra aucun des problèmes écono­mi­ques du Vieux Continent (p. 207 sqq), mais les migrants sont avant tout des êtres humains qui emmènent avec eux leur culture, pris dans le mythe d’un multiculturalisme « à l’américaine » : millénarisme musulman pour les uns, pentecôtiste pour les autres (p. 168 sqq), xénophobie (p. 189), homophobie (p. 215), opportunisme (p. 166) et culture de la clandestinité, sentiment anti-français (p. 135) et ressentiment postcolonial (p. 219), anomie généralisée (p. 170). Les diasporas africaines gagneraient même à se constituer en « enclaves étrangères » sur le territoire afin de servir de « tête de pont » ou même, à terme, à s’ériger d’elles-mêmes comme « officiers des affaires indigènes » [5] (p. 218 sqq).… Tout cela annonce évidemment une stratification ethno-raciale des so­ciétés d’accueil et la disparition à terme de tout État-providence ou possibilité démocra­ti­que ; tel est le scénario de « L’Eurafrique », celui que nous vend l’opinion médiatique (p. 226 sqq). L’auteur ne se risque pas à une telle formulation, mais il annonce bien en­ten­du la tiers-mondisation de l’Occident dont il est question, c’est-à-dire sa fin en tant que réalisation partielle d’un idéal d’égalité et de liberté laborieusement élaboré au fil des siècles.

La « ruée vers l’Europe » qu’annonce Stephen Smith se présente comme l’équi­valent de la stratégie MAD (Mutual Assured Destruction) qui a régenté l’équilibre de la terreur lors de la guerre froide : la plus grande explosion démographique que l’humanité ait jamais connue déboucherait sur la destruction réciproque de l’Afrique comme terre habitable et de l’Europe comme horizon politique potentiellement universel. Un proces­sus similaire se déroule en Amérique du Nord, qui aimante toutes les populations du sous-continent. L’ultime scénario dessiné par l’auteur, le « retour au protectorat » (p. 233 sqq), en est une forme dont il ne semble pas soupçonner la force historique : la mise en place d’un quasi-empire Euro-Africain, avec son centre pacifié et son limes mena­çant [6]. L’attrition énergétique serait un formidable catalyseur de la fin de la modernité, deux processus indiscutables que l’auteur ne mentionne pas, et d’un retour de formes politiques et sociales millénaires d’une brutalité naïvement oubliée.

L’échec de la bonne conscience occidentale

Au-delà de ces considérations, l’intérêt du travail de S. Smith est de ruiner les discours convenus et ethnocentriques sur les responsabilités de l’Occident dans cette situa­tion. Ou plutôt : il fait de cette mauvaise conscience elle-même le moteur de cette aggravation.

Car c’est bien le discours misérabiliste tenu par l’Occident qui contribue à désespérer d’eux-mêmes les Africains, tout comme son symétrique artificiel, la rhétorique irréelle sur le « miracle africain », qui se refuse à seulement formuler les impasses cataclys­miques du continent [7]. Le discours pro-immigration tout autant que l’« aide au dévelop­pement » les financent, les nourrissent, les approfondissent, les accélèrent, les ampli­fient. La « politique de la pitié » (p. 171) n’est pas une politique ; c’est un « narcissisme moral » (p. 227) et doloriste qui sacrifie la lucidité, la responsabilité et le courage sur l’autel des bons sentiments.

On retrouve là la notion si éclairante, ignorée de S. Smith, de « culpabilité nar­cissique » que Daniel Sibony a avancé de son côté [8] pour expliquer la complaisance occidentale vis-à-vis de l’offensive musulmane : prendre sur soi la faute des autres offre un ascendant pervers qui s’auto-entretien en cantonnant l’altérité dans un infantilisme souriant. Cette posture a bien entendu son complément logique, opérant de moins en moins silencieusement dans tout le monde non-occidental : le complotisme victimaire qui s’incarne dans ce phénomène singulier d’auto-déportation (p. 24 ; p.146) dans les terres étrangères, rivales, adverses, voire ennemies, largement porteur d’une violence d’autant plus incontrôlable qu’elle est sans cesse déniée et informulée.

Cette configuration – que l’on pourrait qualifier de sociopsychanalytique – est bien entendu malsaine au plus haut point, sinon potentiellement dévastatrice. Elle hérite de ce que S. Smith a appelé la « rencontre coloniale » et annonce une « rencontre migra­toire » sous des auspices bien plus sombres, puisqu’elle n’est sous-tendue par strictement aucun projet politique positif.

La ruée vers l’Europe s’achève sur des ébauches de scénarios crédibles, peu relui­sants. Mais malgré son titre et sa comparaison fugace avec le surplus migratoire européen du XIXe s’exportant vers les Amériques, l’Australie et l’Afrique (p. 189), l’auteur semble s’être interdit la possibilité du pire : la haine anti-Blancs qui anime des dizaines de millions de personnes de l’Afrique du Sud à Beaumont-sur-Oise, du Zimbabwe aux ghettos américains, exprime un sentiment de revanche historique hallu­cinée, de plus en plus exprimé comme tel, qui pourrait bien rappeler aux Occidentaux qu’ils n’ont jamais eu le monopole des massacres de masse.

Lieux Communs 2 – 3 juillet 2018


[1Contrairement à son ouvrage de 2003 (cf. infra), de la part des tiers-mondistes officiels.

[2Calmann-Lévy, 2003.

[3Encore ces proportions doivent-elles être relativisées, d’abord comme l’implique tout exercice de prospective, ensuite parce que, de l’aveu même de l’auteur, prendre trop au sérieux tout chiffre (démographique ou économique) en provenance d’un « État » africain est « périlleux »… (p. 33 sqq).

[4… prétendant régulièrement que l’Angleterre reste toujours l’Angleterre avec une capitale habitée aujourd’hui pour moitié par des non-natifs. Ainsi les attaques à l’acide, le Bacha Bazi visant les adolescentes blanches ou les tribunaux islamiques sont-ils des traditions victoriennes bien vivantes.

[5« Les Africains installés derrière les lignes ennemies se laveraient ainsi du soupçon d’avoir conclu une paix séparée avec l’ancien colonisateur et s’assureraient une rente de situation comme intermédiaires indispensables »...

[6Voir l’Horizon impérial, op. cit.

[7Voir par exemple la chronique aussi lucide qu’ahurissante de Yann Gwet : « En Afrique, un aveuglement collectif face à une réalité terrifiante », le Monde Afrique, 19.06.2018.

[8 Islam, phobie, culpabilité , Odile Jacob, 2013.


Commentaires

La ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le vieux Continent
mardi 1er septembre 2020 à 19h10

Bonjour voici une contribution au débat : Conférence : Migrants et réfugiés africains en Europe 27 octobre 2015 http://blog-conte.blogspot.com/2015...

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La ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent
mardi 25 septembre 2018 à 13h30 - par  LieuxCommuns

Laissées plus de six mois sans réponse « officielle » – comme nous le notions –, les thèses de S. Smith en ont enfin reçue une par la voix de François Héran. Titulaire de la chaire « Migrations et sociétés » au Collège de France et directeur l’Institut convergences Migrations coordonné par le CNRS, il a publié ce 18 septembre « Comment se fabrique un oracle. La prophétie de la ruée africaine sur l’Europe » simultanément sur les sites de La Vie des idées et de son institut.

Le fond de son argumentation est fort curieuse.
Il commence par avaliser largement l’explosion démographique subsaharienne (doublement de la population d’ici 2050 pour atteindre 2,2 milliards) ainsi que le phénomène d’émigration provoqué par le développement (les aides au développement sont bien un prime au départ). Tout cela, précise F. Héran, est largement connu depuis plus de trente ans, et une bonne partie du texte reproche même à S. Smith de les ignorer… Stratégie classique de défense, qui consiste à passer subitement du déni à l’accusation de trivialité, le tout saupoudré du reproche d’amateurisme (laissez donc faire les spécialistes).
Où pêcherait donc la projection de ce S. Smith, en annonçant des migrations massives de l’Afrique vers l’Europe ? Le raisonnement de F. Héran est simple : (1) l’Afrique ne va pas se développer, nous dit notre spécialiste des migrations, et son taux de fécondité ne va pas baisser ; (2) les populations de ce type de pays n’émigrent pas (chiffres, tableaux et graphiques à l’appui, ad nauseum), donc ; (3) les subsahariens n’immigreront pas en Europe. Il s’ensuit que « si l’on ouvrait davantage les frontières, ce n’est pas la « misère du monde » qui s’inviterait chez nous mais la richesse émergente », comme tout le monde peut le constater, et l’immigration en provenance du Mexique, de la Turquie, de Maghreb et de l’Asie Centrale va donc continuer.

François Héran nous annonce donc une bonne nouvelle : l’Afrique subsaharienne va continuer de se sur-peupler et de se paupériser (on évoquera une autre fois les conséquences du changement climatique, les guerres probables, les famines prévisibles et les épidémies en cours) mais l’Europe n’a vraiment rien à craindre (sauf si elle aide l’Afrique à se développer).

On connaissait le cynisme des partisans des mouvements massifs de populations, il s’étale là dans toute sa splendeur. Les multinationales occidentales et asiatiques peuvent continuer à piller l’Afrique, les roitelets locaux à pousser leur classe moyenne au départ, les passeurs à faire leur boulot, le patronat à liquider les vestiges des résistances ouvrières, les oligarchies à fragmenter leurs populations et liquider les institutions de solidarité, et, par-dessus tout, les bien-pensants à bien-penser. C’est ça qui, en définitive, est important, non ?

LC

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jeudi 1er novembre 2018 à 13h49 - par  LieuxCommuns

F. Hérant, le désormais porte-parole officiel de la bien-pensance migratoire, a été interviewé par Médiapart ici.

L’essentiel de son propos est simple : voici venu « Le temps des immigrés » (titre d’un de ses livres) et l’on n’y peut rien et d’ailleurs, ô surprise ! ça tombe vraiment bien puisque c’est entièrement bénéfique pour tout le monde… Il reprend donc le postulat idéologique « progressiste » d’un providentiel « Sens de l’Histoire » que l’on l’entend partout à propos du nucléaire, des technologies, de la PMA-GPA, de la « mondialisation », du développement capitaliste, etc. Les processus inéluctables (quels qu’ils soient) ne devraient rien avoir d’enthousiasmant pour personne et nous devrions préférer que les humains orientent leur destin en leurs âmes et consciences, explicitement, collectivement, démocratiquement. Y compris à propos de l’immigration, dont il faut quand même souligner que les peuples n’ont jamais été consultés sur le sujet...

Ce n’est évidemment pas le cas de F. Hérant, qui se félicite dans cette interview que l’afflux permanent de populations soit une constante de tous les gouvernements français depuis trente ou quarante ans, sans jamais qu’il n’y ait eu de débat réel sur le sujet (LePen servant de repoussoir redoutablement efficace). L’immigration est bien un projet oligarchique, et cela devrait au moins poser question de la part des militants pro-immigration. Il vante la Suède, les Pays-Bas et l’Allemagne comme des modèles de sociétés plus ouvertes encore à l’immigration que notre pays moisi, comme on le faisait avec l’Angleterre pendant des décennies (plus maintenant, tiens donc…). Mais les nouvelles qui nous parviennent au compte-gouttes de ces pays ne sont guère rassurantes : pour ne parler que de la quiétude suédoise, on a vu un multiplication des viols en quinze ans, et les émeutes des « quartiers » n’ont maintenant plus rien à envier à celles des États-Unis…

F. Hérant annonce d’emblée qu’il est impossible de calculer les coûts/bénéfices de l’immigration pour, quelques paragraphes plus loin, annoncer que ces déplacements de populations sont incontestablement très rentables (pour le pays d’accueil, bien sûr)… Argument toujours étrange dans la bouche des militants « anti-capitalistes » voire « décroissants »... Plus intéressant, il se flatte qu’un tiers de la population française soit d’origine immigrée (pas mal pour un pays xénophobe), sans se demander le mécanisme qui a rendu cela possible. C’est évidemment l’assimilation, terme qu’il réfute plus loin, au profit de la version officielle d’une belle diversité « à la carte ». Qu’aujourd’hui une part grandissante des immigrés ou enfants d’immigrés fassent sécession sur des bases religieuses, culturelles ou raciales ne semble pas l’ébranler le moins du monde… L’aveuglement est le même concernant son affirmation selon laquelle il n’y a aucune contradiction entre l’actuelle immigration de peuplement, massive et identitaire, et le maintien de l’État-providence (qu’il confond allègrementavec la croissance), en prenant à témoin la période de l’après-guerre alors que c’est précisément l’âge d’or de la période de l’assimilation dans les faits ! Que se passe-t-il, aujourd’hui qu’il n’y a plus assimilation, comme il s’en félicite ? Pense-t-il vraiment que des populations éclatées en communautés, en guerres latentes les unes avec les autres, vont cotiser longtemps pour des organes de solidarités déjà fortement bureaucratisées et livrées aux lobbys ?… Il escamote évidemment le versant culturel, comme si le principe de solidarité universelle ne s’était pas construite en Europe au fil des siècles, et comme si les cultures non-occidentales n’étaient pas toujours structurées sur de multiples particularismes (religion, langue, ethnie, clans, race, régions, clientélisme, etc) qui accélèrent d’ailleurs l’exil. F. Hérant pense comme si les gens étaient des pièces interchangeables ou des ordinateurs qui se réinitialisent en passant les frontières, et comme si les pays d’accueils ou de départ eux-mêmes n’étaient constitués que d’atomes épars, remplaçables, sans valeurs, principes, désirs, etc. au gré des besoins des marchés. C’est la réification poussé à son terme.

Bref, F. Hérant nous rassure en nous disant que tout va bien dans le meilleur des mondes, ce qui est toujours le meilleur argument dans notre époque dépressive. Admettons. Mais nous sommes nombreux à savoir que ce n’est pas, précisément, dans ce monde-là que nous voulons vivre, et que notre horizon d’égalité, de justice et de pouvoir collectif hérité des mouvements ouvriers s’efface de plus en plus complètement. L’immigration actuelle y contribue-t-elle ? C’est ce que nous certifient tous ces spécialistes payés pour rassurer les populations de plus en plus paniquées de voir leurs sociétés prendre des directions de plus en plus lugubres.

L’article du même auteur cité dans notre commentaire précédent, répondant aux thèses de S. Smith, a été discuté sur le fond par M. Tribalat sur son site : http://www.micheletribalat.fr/440919955

LC

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