Plus de stratégie, rien que de la tactique

vendredi 10 juillet 2015
par  LieuxCommuns

Texte extrait du bulletin de G. Fargette, Le Crépuscule du XXe siècle, n°27-28, avril 2014

LES ÉLECTIONS,BACCHANALES DE DÉNÉGATIONS ANGOISSÉES :

Dès le début de 2012 il fut clair que l’on assistait à un refoulement collectif des questions cruciales. Les rares candidats à l’élection présidentielle de mai 2012 qui tentèrent de souligner l’acuité des problèmes posés, économiques, énergétiques, écologiques, etc., furent aussitôt marginalisés. Et le goût pour l’ironie incitait déjà à formuler toutes les condoléances préventives pour le futur vainqueur, quel qu’il fût, en lui prédisant qu’il deviendrait très vite l’individu le plus impopulaire du pays. Après la grande opération d’anesthésie consentie du printemps 2012, l’effondrement de l’image publique du gouvernement a été remarquablement rapide.

Dès l’automne 2012 le nouveau président en exercice a donc été frappé d’un discrédit croissant qui aurait paru politiquement intenable quelques années auparavant. Il semble avoir fait sienne une conviction : la consistance des structures oligarchiques de la Vème République est telle que, face à une société fragmentée où plus personne n’a confiance en personne, le pouvoir en place pourra survivre à tout. L’hostilité qu’il suscite est d’ailleurs curieuse. Les milieux socio-économiques qui protestent le plus n’étant pas les plus malmenés dans cette “rigueur”, demeurée dans le sillage du gouvernement précédent (la catégorie des “artisans”, structurellement très divisée, peine ainsi plus que jamais à se faire entendre).

La différence avec une “austérité” tient à ceci : la “rigueur” freine laborieusement l’augmentation des dépenses et augmente un peu les impôts, tandis qu’une “austérité” organiserait leur diminution à grande échelle, en concentrant les sacrifices sur les couches les plus pauvres. Le verrouillage institutionnel est tel qu’il n’est proposé de choix vraisemblable qu’entre deux impopularités dominantes, Hollande ou Sarkozy. Il est certain que ce dernier, en cas de retour, organiserait une austérité sans état d’âme, sous couvert d’une critique de l’impuissance de Hollande. Ce brouillard général traduit l’état préliminaire de l’empoignade à venir sur la répartition des sacrifices. Les secteurs sociaux dominants tiennent un discours sans ambiguïté : ils se déclarent régulièrement prêts à saborder l’économie au cas où ils se verraient imposé de partager sérieusement les efforts (il n’est que de voir l’arrogance des déserteurs fiscaux).

Signe que la période de latence n’est pas terminée, l’année 2013 a été dominée par des opérations de diversion, qui ont toutes fini par mettre en scène des scénarios d’hystérisation en miroir. Comment ne pas évoquer un procédé du jeu d’échecs ? Dans une situation inextricable, il est recommandé de compliquer la situation, la tactique fournissant un substitut d’orientation dans le cadre d’un dispositif stratégique illisible. Toute décision drastique sur l’économie a donc été remise à plus tard tandis qu’étaient lancées des opérations conformes à la thématique prônée par un institut de “réflexion” tel que “Terra Nova” : abandonner les questions sociales et se concentrer sur les aspects “sociétaux” qui peuvent trouver un appui auprès des habitants des métropoles, sans se préoccuper des populations “péri-urbaines”, au-delà des banlieues proprement dites (cela revient à escamoter 60 % de la population, dont la plus grande partie des couches populaires autochtones, qui ont disparu depuis longtemps du regard médiatique...).

Au fil des mois, on a donc vu se cristalliser quatre moments d’hystérisation, où les questions socio-économiques sont demeurées largement hors champ. Mais le pouvoir a constaté avec surprise que, même là, il ne parvenait pas à conserver la maîtrise de ces opérations.

NATURE NON CONVENTIONNELLE DES PÔLES D’INTERVENTION

Les parties prenantes sont venues pour l’essentiel de l’extérieur du jeu des partis classiques, conformément à la transformation du champ politique, commencée il y a une trentaine d’années. Il est intéressant de noter que les moments d’agitation récents ont fait revenir à la surface certaines étapes caractéristiques de la généalogie de cette mutation.

Si en Grèce, le mouvement des Places avait encore une allure “traditionnelle” de contestation se présentant de manière ouverte dans l’espace public, les réactions en Italie avec “Cinque stelle” ou en Bulgarie (ce dernier pays fort peu “occidental” est sans doute plus proche des pays arabo-musulmans ou de la Turquie par son héritage despotique), ont mis en œuvre une critique explicite de tous les rouages de pouvoir et de l’appareil médiatique, et exploré quelques voies nouvelles pour d’échapper à ce verrouillage. On peut également déceler divers embryons de réactions de ce type depuis quatre ou cinq ans dans tout le monde occidental, mais ils ne sont pas directement fonction de l’intensité de la crise sociale (aux États-Unis, par exemple, “Occupy Wall street” n’a pas débouché sur une contestation de très grande ampleur, et les protestations en Espagne, de moins en moins “classiques”, peinent à déboucher sur une remise en cause centrale des institutions).

Le numéro 26 du Crépuscule a fourni un éclairage sur les conditions du verrouillage de la situation : dans les pays occidentaux, et particulièrement en France, cela ne passe plus simplement par la domination d’appareils politiques rivaux cherchant à contrôler l’État, l’administration, etc., et faisant au fond toujours la même politique. A la différence des pays musulmans ou de pays échappés à la domination “soviétique”, les médias en Occident échappent au contrôle du pouvoir politique, mais loin de le contester, ils tendent à s’en subordonner ses leviers. Les instances politiques, irréversiblement disqualifiées, et de plus en plus morcelées, semblent entrées dans un processus de désagrégation et de vassalisation.

Cette “pieuvre médiatico-politique” fait prévaloir des thématiques que des politiciens relaient, de plus en plus à titre individuel, en apparaissant sur le devant d’une scène que les réseaux médiatiques activent ou désactivent à volonté. Les débris de cette caste politique semblent surtout réduits à suivre le mouvement, le plus souvent pour des raisons que chacun de ces “professionnels” veut croire tactiques et donc provisoires. La confusion extrême et l’artifice de l’urgence servent de prétexte à ce nouveau type de fonctionnement, qui constitue une étape de la crise de régime rampante : l’horizon d’une austérité permanente sape les leviers de légitimation qui s’appuyaient sur l’expansion de plus en plus artificielle de la société de consommation. Cette rencontre sous forme de cabales très Ancien Régime entre les réseaux d’influence médiatiques et une partie subordonnée du personnel politique ne conserve plus que des antagonismes de façade, à la manière de clubs sportifs, où la seule lutte autorisée est celle pour les places.

L’invention d’épouvantails aide beaucoup à faire passer un tel type de fonctionnement. Ce magma de pôles rivaux informels n’a pas de stratégie claire, il n’agit pas selon une logique de conspiration, mais constitue un milieu chaotique qui avance à tâtons en fonction d’intérêts de court terme. Sa boussole est de privilégier les problèmes qui peuvent être mis en scène de manière concentrée et répétitive : conformément à l’obsédante rhétorique du choc caractérisant l’industrie du divertissement, il faut que “ça saigne”. Cette industrie de la diversion désamorce l’expression des protestations économiques, pour le moment réduites à certaines opérations défensives (contre des licenciements) ou à certains milieux sociaux, dont la réaction peut être qualifiée au fond de corporatistes. Le cas des “bonnets rouges” en Bretagne, région la plus péri-urbaine de toutes, est le seul qui dépasse quelque peu le corporatisme de branche pour atteindre une espèce de revendication régionale, mais dans la confusion sociale la plus totale. Cela contribue à émettre un veto sur certaines tentatives de “réforme” par le pouvoir, comme l’“éco-taxe” (votée par l’équipe de “droite” en son temps !). L’étrangeté du traitement des “affaires” politiques qui sortent régulièrement sur le parti de droite (UMP) et les effets en retour médiatiques inattendus sur les incohérences des membres du gouvernement (à propos de révélations concernant Sarkozy) éclaire encore ce fonctionnement paradoxal : à chaque épisode, la pieuvre médiatico-politique désagrège un peu plus aussi bien la crédibilité de l’UMP que celle des partis au gouvernement. Et les cibles de ce jeu ne semblent même pas se rendre compte de ce processus...

L’ANNÉE 2013

Les récentes actions de verrouillage dynamique de la scène publique ont connu quatre moments, auxquels la pieuvre médiatico-politique a donné une résonance majeure, parfois à son corps défendant :

Premier moment : La question du mariage homosexuel

Au printemps 2013, la loi sur le mariage homosexuel a caractérisé une opération de diversion de la Gauche institutionnelle, en imitation explicite de l’abolition de la peine de mort décidée en 1981, selon le vieux schéma utilisé par Mitterrand : un vote du parlement allant éventuellement à l’encontre de l’opinion publique et établissant un fait accompli, avec la conviction que cela finira par être digéré et intégré par l’opinion. Mais cette “réforme sociétale”, intitulée “mariage pour tous” [1] dans la novlangue officielle, s’inscrit dans un processus de fait accompli, dont l’aboutissement final est largement rejeté dans le pays. Si dans l’opinion, le mariage homosexuel tend à être accepté majoritairement (bien que la minorité qui le refuse soit importante), cette minorité trouve un solide terrain de contestation dans le souvenir d’épisodes à la fois antérieurs (le “PACS”, espèce de contrat civil, était censé depuis 1999 rendre inutile l’institutionnalisation d’un mariage homosexuel) et potentiels : ce mariage homosexuel apparaît d’ores et déjà comme un préliminaire pour la mise en place de la Gestation Pour Autrui (avec son cortège mercantile de mères porteuses) et la Procréation Médicalement Assistée (avec son continent enfoui de manipulations médicales de plus en plus incontrôlables). La démarche suivie par cette modification institutionnelle des lois sur le mariage, sur l’héritage, etc., suit une procédure typique de la Gauche culturelle : s’appuyer sur des associations minuscules, mais subventionnées, très fortement relayées par l’appareil médiatique. Dépourvues d’une implantation importante (les milieux homosexuels n’étaient guère demandeurs !), elles utilisent des leviers institutionnels et une couverture médiatique complaisante pour peser de manière disproportionnée. Le volontarisme idéologique de ces “associations” professionnalisées est ancré dans les procédés caractéristiques de la Gauche fondamentale, avec des capacités d’agressivité et de mensonge intactes.

La résistance au mariage homosexuel, surtout ancrée dans des populations qui sont peu atteintes par les problèmes économiques immédiats, a surpris les autorités par son ampleur. Les opposants ont au fond tenté de rejouer la contestation de masse apparue sur l’École privée, qui avait triomphé des velléités mitterrandistes d’aligner l’école privée sur l’école publique, en 1984. Malgré les exagérations des organisateurs sur le nombre de manifestants (il n’y a pas plus menteur qu’un organisateur de manifestation), ces défilés ont été considérables et profondément significatifs, d’autant que ces actions sont passées par des voies inédites et ont employé un langage inhabituel : utilisation intense d’internet, collectifs d’agitation hors partis, nouveau type d’actions publiques (“mères veilleuses”, etc.). Les belles âmes se réclamant de 1968 se sont surtout offusquées de voir ces forces inattendues reprendre des méthodes essentiellement non violentes, aussi tenaces qu’impertinentes [2].

Cette querelle sur le mariage homosexuel est si “transversale” qu’elle induit aussi une confusion majeure dans les courants assimilés, parfois à tort, à la droite conservatrice et qui sont avant tout préoccupés par la question musulmane en Europe. Les manifestations contre le mariage homosexuel (mouvement intitulé “La manif pour tous”) a en effet accepté une petite présence de religieux musulmans (dont le texte de leur banderole disait, en arabe, autre chose que sa version française...). La complexité des lignes de

fracture est telle que les partis de la droite officielle ou le Front national se sont tenus pour l’essentiel à l’écart de cette mobilisation. Le FN sait que sa clientèle électorale, de plus en plus populaire, n’est pas hostile au principe du mariage homosexuel, alors qu’elle n’accepterait sans doute ni la GPA ni la PMA (visiblement minoritaires dans l’ensemble de la société). Peu de gens se sont avisés que cette institutionnalisation du mariage homosexuel constitue l’un des traits les plus éclatants de la divergence civilisationnelle accélérée entre l’Occident et l’Islam. Un simple coup d’œil sur une carte mondiale illustrant la répartition des législations sur le sujet met en évidence un effet de ciseaux anthropologique. On y trouve la confirmation que l’Amérique latine converge sur ce point comme sur beaucoup d’autres avec l’Occident, tandis que le monde musulman et une grande partie de l’Afrique divergent absolument.

Ce fossé qui s’approfondit très vite est indissociable d’un autre effet de ciseau : la sortie de la religion s’accélère en Occident (et devient consistante même aux États-Unis), tandis que le retour au moins de façade à une version fossilisée et militarisée de l’islam se répand, en s’appuyant sur un “retour à la religion” dont il est difficile d’évaluer la sincérité, mais qui a envahi tout le monde musulman en une quarantaine d’années et qui tend d’autant plus à s’affirmer dans les populations musulmanes immigrées en Europe. L’ambiance de confusion est telle que nombre d’agressions publiques contre des homosexuels sont le fait de jeunes musulmans violents, mais sont attribuées par les médias à une “extrême- droite” classique qu’il faudrait croire envahissante.

La plus grande partie de la population la plus concernée par la catastrophe sociale en cours est en dessous des radars médiatiques. Elle a eu pour réflexe de s’abstenir de tout soutien aux deux “camps” en présence dans les exercices d’hystérie en miroir, ce qui explique le caractère squelettique des manifestations des promoteurs du “mariage homosexuel”, qui contrastait tant avec la vigueur des manifestations d’opposants à cette loi.

Deuxième moment : fabriquer de l’antiracisme

A l’automne 2013, à la suite d’une petite manifestation à Tours contre le mariage homosexuel (qui faisait partie des protestations survenant bien après le vote de la loi), deux enfants de onze ans ont voulu se moquer de Taubira la ministre de la Justice, d’origine guyanaise, qui avait été à l’avant-garde de la présentation de cette loi. Ces deux enfants, qualifiées de “jeunes adultes” par les médias, auraient lancé des bananes contre cette ministre, en la traitant de “singe”. Une publication de l’extrême-droite française classique, Minute, au tirage infime aujourd’hui, quelques milliers d’exemplaires, a ironisé sur les mots “bananes” et “singe”, mais en utilisant des expressions courantes qui ne peuvent en aucune manière être qualifiées de “racistes” par elles-mêmes (à moins de considérer que les deux mots sont tabous et doivent être retirés du dictionnaire), et deux candidates aux futures élections municipales (l’une de “droite”, l’autre du FN) ont voulu caricaturer cette ministre sur ce ton (elles ont été prestement exclues). Cette collection infime d’anecdotes a été saisie comme une occasion pour déclencher une campagne de grande ampleur avec la volonté de dénoncer un renouveau général du “racisme”. La grosse caisse médiatique s’est emballée sur le thème du “retour de la bête immonde”. Or, ces tentatives de mobilisation de rues n’ont rencontré que le vide, tant la population se montrait indifférente à ce type de manœuvre. Cet échec, escamoté aussi vite que possible par les médias, a stupéfait les appareils politiques, qui ont dû constater l’impuissance des leviers qui leur avaient si bien réussis depuis trente ans. Le racket politico-médiatique que fut SOS-Racisme en avait été le navire-amiral. C’est ainsi que reviennent à la surface quelques-unes des étapes significatives qui ont ponctué la l’avènement de la pieuvre médiatico-politique.

Troisième moment : débusquer un antisémite non musulman

Sans cet échec abasourdissant d’un antiracisme de commande à la fin de l’automne 2013, on ne peut comprendre le rôle de l’affaire “Dieudonné” qui a suivi de peu. Elle a pris le relais de l’opération manquée en suivant, cette fois, des lignes d’action conformes au nouveau type d’intervenants : l’initiative est revenue à des journalistes [3], et a été relayée à titre personnel par le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui a agi dans un isolement apparent (la ministre de la Justice Taubira se montrant d’une circonspection et d’une discrétion remarquable, en se contentant d’un service plus que minimum [4]). Quant aux autres ministres, ils n’ont fait que suivre du bout des lèvres, avec un retard marqué.

Le personnage “Dieudonné” se veut “humoriste” mais joue ouvertement un rôle d’histrion racialiste comme s’il existait pour lui une “race”, celle qui n’a pas de couleur, la “blanche”, contre laquelle tout serait permis au nom de la dénonciation de l’esclavage pourtant aboli en 1848 par la République française (la première abolition datant de la Révolution française, sur laquelle le premier Bonaparte était revenu après avoir liquidé la Première République par un coup d’État). Cet individu engagé en politique au milieu des années 1980 pour “combattre le Front national” est ensuite, sans explication, entré en amabilité avec ce même parti, a fait parrainer un des ses enfants par J.-M. Le Pen en personne, et déguise depuis ses prises de positions en affirmations “pro-palestiniennes” ou pro-islamiques plus ou moins agressives (il a soutenu Kaddhafi, et est allé apporter sa solidarité au régime iranien dans l’affaire d’une femme condamnée à la lapidation). Son antisémitisme militant (il ne dédaigne pas de se commettre avec des négationnistes célèbres, voire à les inviter sur scène) fournit la clé de ce parcours paradoxal [5]. Contre toute évidence historique, il accuse “les Juifs” d’avoir été les organisateurs de l’esclavage des Africains (dont le moteur premier fut ancré, quatorze siècles durant, dans les empires musulmans, qui razziaient volontiers pendant des siècles des populations européennes sur les côtes de la méditerranée !), et ne cesse de reprendre les lieux communs délirants de cette religion inversée qu’est l’antisémitisme, qui ne revendique pas de dieu, mais un diable ubiquitaire et infiniment pervers. Il a inventé le geste dégradant de la “quenelle”, forme de salut nazi au rabais, qui se veut viol symbolique, homosexuel, de ses cibles... Il accuse maintenant “les Juifs” d’être les promoteurs du mariage homosexuel, etc. Malgré les diverses condamnations juridiques qu’il a subies, il n’a exécuté aucune décision de justice pendant plus de dix ans, bénéficiant d’une indulgence judiciaire exceptionnelle. Ce qui ne l’a pas empêché de racketter ses admirateurs en leur demandant des contributions face à cette “persécution”, qu’il a visiblement détournées à d’autres fins.

De plus en plus boycotté par le petit monde de l’industrie du divertissement, il est parvenu à exister sur internet depuis des années, au moyen des vidéos de ses apparitions sur scène. Il a organisé son insolvabilité financière, ses proches détenant officiellement ses avoirs et sa fortune, tout en réussissant à faire passer à l’étranger des sommes non négligeables (des centaines de milliers d’euros au Cameroun, pays d’origine de son père). Il n’a, au fond, cessé de se conformer très exactement au comportement abject qu’il attribue à la figure du “Juif”. Une perquisition policière en janvier 2014 a même découvert plus de 600.000 euros en liquide dans les lieux qu’il habite, etc.

Ce Dieudonné est significatif en ce qu’il incarne l’évolution de l’humour de représentation, son point d’aboutissement en industrie du ricanement, qui prétend singer la gouaille ouvrière disparue, mais ne sait plus que répéter le même mantra, fréquent en milieu populaire aujourd’hui : “tous des cons, sauf moi” [6]. Il en manifeste la fonction profonde : avilir jusqu’au rire. Dieudonné y parvient mieux que d’autres parce qu’il adjoint à ses tirades une tonalité superficiellement politique : il se rêve en tribun haranguant les foules, cette version dégradée du messie.

Son public est étrangement composite. Depuis ses tentatives de formation d’une liste électorale “pro-palestinienne” il y a quelques années (façade d’une liste antisémite qui n’osait pas dire son nom), il tente de se trouver une clientèle dans une jeunesse musulmane, au nom d’une “lutte contre un ennemi commun qui serait le “Juif” intemporel, symbole d’un Occident dont cet histrion profite tout en voulant rageusement l’anéantir [7].

Malgré son ampleur soudaine, l’opération contre ce Dieudonné n’a pas laminé sa cible. Il s’est débattu dans une guérilla judiciaire tenace et survit dans sa posture, même s’il n’est nullement victorieux et que les diverses procédures judiciaires en cours ne devraient pas lui permettre d’échapper indéfiniment à la loi. Le plus significatif est que sa résistance passe précisément par les canaux de contournement du verrouillage médiatico-politique qui sont de plus en plus clairement la voie d’échappement à tous les mécanismes de blocage historique en place. Son public affiche ouvertement sa détestation des médias institués. Entre ce “Dieudonné” et la pieuvre médiatico-politique, c’est à qui réussira à mettre l’autre en pleine lumière pour provoquer sa désagrégation sous le regard d’un public passif.

Il est, enfin, lourdement significatif que dans le petit entourage clanique de Dieudonné on trouve quelques personnages comme Soral, ancien adhérent PC, passé au Front national, où il devait en quelque sorte tenter de rallier une partie de la jeunesse musulmane sur des positions autoritaires. Il y a totalement échoué, ce qui ne peut surprendre, étant données les nostalgies coloniales fondatrices du parti de Le Pen. Mais il a poursuivi hors du Front national sur cette voie, en tentant de trouver une convergence avec un tel public, par un antisémitisme qui se prétend “antisioniste” et qui assume une bêtise militante caractéristique. Il ne s’agit pas d’une démarche simplement cynique ou manipulatrice : ces gens aspirent à se rapprocher du seul totalitarisme crédible aujourd’hui, ne serait-ce que dans la position peu glorieuse du compagnon de route, mais avec des contradictions logiques incessantes (le milieu Soral serait favorable au régime d’Assad en Syrie).

Quatrième moment : L’ambiguïté du “genre” à l’école

La querelle sur le “mariage pour tous” était une opération annoncée dans le programme électoral de Hollande en 2012, et s’inscrivait dans la stratégie “sociétale” censée compenser le vide socio-politique du parti au pouvoir. Elle a laissé des traces profondes en terme politique, puisque loin de “réunir” la population, elle a été une occasion de clivages offensifs inattendus et durables, malgré l’appui de la quasi- totalité de la pieuvre médiatico-politique en faveur de la nouvelle loi.

La tentative de déclencher une hystérie antiraciste à l’automne 2013, nettement plus improvisée mais destinée à mettre en difficulté le Front National à l’approche des élections municipales et européennes de 2014, a rencontré un échec public immédiat.

La mise en accusation de l’histrion Dieudonné, qui a servi de prolongement encore plus inattendu à l’opération précédente, a démontré que malgré la puissance des leviers qu’elle contrôle, la pieuvre médiatico-politique ne parvient pas à pulvériser un personnage pourtant insignifiant, dès lors qu’il réussit à s’adosser à des canaux d’intervention non conventionnels et qu’il bénéficie d’une audience autonome auprès d’un public en déshérence.

Le quatrième moment est un prolongement de la querelle sur le mariage homosexuel, mais il n’a été voulu ni par une instance politique ni par une initiative médiatique, signe que la nébuleuse du pouvoir n’a même pas conservé l’initiative sur ce type de sujet. Une polémique est apparue à propos des opérations de critique des “stéréotypes sexuels” à l’école, perçues comme des précurseurs d’un enseignement expérimental à venir, tendant à présenter de nouveaux modèles parentaux (déconnectés du sexe biologique). Cette fois encore, cette réaction est passée par des canaux étrangers aux partis politiques. Comme sur les autres sujets, le FN s’est montré d’une grande discrétion, tant il se sait dans le viseur de la pieuvre médiatico-politique, ce qui montre qu’il est en partie neutralisé par les leviers qu’elle utilise. Il a cependant appris à contourner ces contre-feux de plus en plus hystériques et inefficaces en cheminant en silence dans l’opinion.

Depuis janvier 2014, un boycott s’est en tout cas organisé çà et là, à la suite du bouche-à-oreille et d’appels sur internet contre les séances présentées dans les écoles comme une “critique des stéréotypes sexuels”. L’incohérence des instigateurs de ces séances a nourri la méfiance : ils se revendiquaient encore dans les mois précédents de la “théorie du genre” et expliquent maintenant que cette “théorie” n’existe pas, et ils ont été jusqu’à faire intervenir, par une maladresse pour le moins abyssale, un “poète transexuel militant”, David Dumortier, dans une classe d’enfants de dix ans (Le Figaro, 12/02/2014). La défiance se répand le plus dans un “public” que la Gauche officielle croyait acquis : de nombreuses familles d’origine turque, maghrébine ou rom ont suivi la consigne en retirant ces jours-là les enfants de leur établissement (une centaine environ) !

Une militante a joué un rôle efficace dans la préparation discrète du boycott de ces séances : Farida Belghoul, à qui l’on attribue des proximités avec le milieu de Soral, mais qui semble surtout engagée dans une logique de néo- islam intransigeante (présenté comme “soufi”, ce qui n’est guère limpide). Ce que l’on sait de sa trajectoire activiste est instructif. Après la “marche des Beurs” de 1983, une nouvelle action avait eu lieu en 1984, “Convergence 1984”, où des militants libertaires avaient été actifs, et qui avait rencontré un succès d’estime. Elle fut très rapidement court-circuitée par une opération d’un genre nouveau, SOS-Racisme, destinée à instrumentaliser ces réactions des jeunes, issus de l’immigration ou non, pour orienter leurs actions vers une simple dénonciation politico-festive du Front National, au bénéfice des tactiques politiciennes du PS contre les partis de droite. SOS-Racisme utilisa d’emblée la méthode du mensonge “viral”, qui se diffuse de lui-même. Son slogan- phare (“Touche pas à mon pote”, à connotation machiste) renvoyait à une prétendue agression d’un jeune maghrébin, qui aurait été secouru par des amis de toutes origines. Ce story-telling avant l’heure a depuis connu de nombreux développements. Avec SOS-Racisme, on a vu apparaître un mode d’organisation informe, à façade associative, véritable village Potemkine, soutenue par une charpente à l’arrière- plan, et l’action de divers appareils discrets (l’UEJIF, l’Union des Étudiants Juifs de France, a effectivement prêté son concours logistique), mais l’assistance médiatique fut cruciale pour toute cette opération. Cette “association” de synthèse, très fortement subventionnée, a fonctionné avec une charpente de permanents rémunérés par des moyens plus ou moins détournés. L’actuel Secrétaire général du Parti Socialiste, Harlem Désir, qui fut la figure télévisuelle de proue pour SOS-Racisme dans ses premières années, fut condamné des années plus tard par la Justice pour avoir bénéficié de rémunérations indues grâce à un emploi fictif lui permettant de se consacrer entièrement à “l’association”. Le rôle de SOS-Racisme fut au fond d’offrir à la jeunesse d’origine française, si désireuse de bien faire, l’occasion de se contenter de symboles a minima : participer à un concert place de la Concorde par exemple et bien voter face à l’épouvantail d’un Front national qui ne pouvait rivaliser sur ce terrain.

Farida Belghoul, ancienne militante de l’Union des Étudiants communistes, qui avait été très active dans “Convergence 84”, fut en première ligne pour constater, avec l’indignation que l’on imagine, cette opération de captation d’un nouveau genre. Ce type de fonctionnement (il y eut aussi, épisodiquement, le cas de l’association “Ras’le Front”, toujours réactivée à l’approche des élections dans ces années-là) illustre la généalogie des nouvelles méthodes de manipulation publique, dont la pieuvre médiatico-politique a hérité en les renforçant et en les industrialisant à sa manière [8].

Cet épisode de constitution du racket politico- médiatique SOS-Racisme mérite d’être retenu tant il s’est joué quelque chose à ce moment-là, alors que les milieux néo-musulmans (de l’islam politique aux djihadistes, en passant par les tenants d’une prédication intransigeante, “pieuse”) ne s’étaient pas encore cristallisés ou demeuraient sans influence significative. Il y avait en effet, et cela représentait certainement plus que l’action de simples noyaux idéologiques, une revendication spécifique dans ces années 1983-1985 chez un certain nombre de militants de ces banlieues. Ils insistaient beaucoup pour qu’il y ait dissociation entre “citoyenneté” et “nationalité”, la présentant comme la seule solution possible à leurs yeux. Ces jeunes gens, sans doute influencés par diverses théorisations qui n’apparaissaient pas directement, assumaient le fait de ne pas vouloir vraiment devenir “français”. Ils se présentaient en somme à la population de la République avec une exigence impossible, en lui disant en substance, “nous arrivons et nous voulons changer un trait fondamental de votre République occidentale”. Or ce trait de la république, indivisibilité et isonomie, c’est-à-dire égalité devant la loi, distingue tout simplement l’État-nation de la forme Empire où les statuts juridiques, quand ils existent, sont organiquement différenciés et de fait hiérarchisés. Cette demande n’a reçu aucun écho chez les jeunes Français d’origine, qui étaient pourtant prêts à les aider. Cet écart n’a pu que faciliter la récupération par SOS-Racisme de cette énergie qui ne demandait qu’à trouver quelque occasion de se manifester. Le parcours ultérieur d’un nombre non négligeable de ces jeunes militants des banlieues, un “retour” à une forme d’islam (politique ou non), apparaît donc rétrospectivement comme contenu en creux dans ce qui les motivait alors.

Dans la protestation récente contre le mariage homosexuel, le rapprochement des religieux musulmans avec des courants catholiques intégristes est devenu de plus en plus manifeste, paradoxe qui initie visiblement une pagaille inextricable parmi les secteurs qui veulent relayer l’esprit général de défiance vis-à-vis de l’islam [9].

Bref, le rapprochement des divers intégrismes religieux, apparu à l’occasion du “mariage homosexuel”, s’est accentué avec le refus de ce qui est perçu comme l’enseignement du “genre” à l’école. Farida Belghoul et A. Escada (un des responsables de Civitas, groupuscule catholique intégriste) cohabitent dans ces actions et discutent “amicalement”, même si l’allure d’enfant de coeur ratiocineur et fragile qui caractérise cet Escada contraste fortement avec la posture étonnamment autoritaire, très matriarcale, de Farida Belghoul, qui a visiblement retenu quelque chose de l’Occident contemporain ! Même le Printemps français, qui organise la perpétuation d’actions contre le “mariage homosexuel” et qui est un peu plus qu’un groupuscule, affecte de cautionner un tel rapprochement.

Comme le principal secteur populaire qui semble réagir aux dénonciations du mariage homosexuel et aux opérations qui ont suivi est ancré dans des familles d’origine immigrée, il y a là quelque chose d’infiniment problématique pour le Parti socialiste et Hollande, puisque ce public qui vote à plus de 90 % pour eux a été décisif pour faire la différence aux élections de 2012 vis-à-vis de la droite institutionnelle.

Une bonne partie de la réaction aux opérations officielles de “lutte contre les stéréotypes sexuels” à l’école est fondée sur une logique de rumeur et de suspicion intense. Ce fonctionnement par la rumeur est le pendant de l’énorme puissance d’intervention de l’appareil médiatique, au point qu’il devient imaginable que les rumeurs plus ou moins manipulées deviennent le langage même des motivations pour toutes les réactions de quelque importance sur à peu près n’importe quel sujet.

La “Rumeur du 9-3” l’illustre abondamment (93 est le numéro du département de la Seine-St-Denis, où la population immigrée est proportionnellement la plus importante) : désormais, en divers lieux du territoire (Châlons-en- Champagne, puis Niort, etc.), se répand l’idée que, pour d’inavouables raisons, les élus municipaux manœuvrent afin de faire venir des populations qu’il ne serait plus possible de “stocker” en Seine-Saint-Denis, populations qui sont redoutées comme pouvant engendrer une insécurité considérable. Les cas vérifiés où cette rumeur s’est imposée attestent son caractère de fantasme, en tout cas dès qu’elle dépasse le stade de craintes pour l’avenir. Le point crucial est qu’elle trahit une insécurité anthropologique qui nourrit une immense défiance, une rupture de confiance absolue, envers les élus locaux, vivier fondamental du milieu politique en France. Les Français ont rarement conscience que la faiblesse du tissu associatif, syndical et politique du pays est précisément compensée par ce réseau très diffus de conseils municipaux (avec ses 36 000 communes, le pays abrite 40 % du nombre total de communes de toute l’Union européenne). Le manque de “transparence” des décisions locales, de plus en plus fortement dénoncé par la population, loin de trouver une formulation autonome, chemine ainsi par des voies détournées.

La pieuvre médiatico-politique récolte là, ironiquement, les fruits de ses manipulations antérieures : 85 % des populations immigrées ne vivent pas dans les “Cités à problème”, et se trouvent sur des territoires beaucoup plus vastes, même si elles sont le plus souvent concentrées à proximité des principales “métropoles” (Paris, Lyon, Marseille, Lille). Et les “Cités à problème” ne sont pas non plus des “ghettos” comme le veut la vulgate stalino-gauchiste de la Gauche culturelle, mais des lieux où le transit de populations est intense et permanent.

RÔLE FONDAMENTAL DE LA CONFUSION

La surprise en 2013, qui est toujours signature d’un surgissement de l’histoire, ne vient pas de la dissymétrie des procédés de diffusion et d’intervention employés, mais d’abord de la nature des thématiques qui ont occupé la scène et qui sont très éloignées des préoccupations économiques explicites. Elle vient plus encore des agrégats qui se sont distingués.

Les formes structurées classiquement en parti sont désormais trop faibles, trop déconsidérées, pour déclencher une atmosphère d’hystérie en miroir, en refaisant le coup éventé de l’antifascisme ou de l’antiracisme. Mais diverses formes d’hystérie occupent cependant le devant de la scène, s’efforçant comme toujours de prendre la société dans une tenaille sans issue. L’invraisemblable diversion que constitue cette succession d’antagonismes fabriqués, et secondaires, est le symptôme indubitable d’une tension accumulée dans ce qui reste de tissu social, et qui ne parvient pas à trouver d’expression autonome. L’année 2013 montre que la société française commence à avoir des fourmis dans les jambes, mais redoute plus que jamais le passage à toute forme de violence. L’effet perturbateur de l’opération de diversion “sociétale” engagée par le pouvoir, est donc indéniable. Quelles traces ce détour va-t-il laisser ?

L’épreuve de force s’est déployée en plusieurs temps : que ce soit pour le “mariage homosexuel” (au printemps 2013) qui a suscité une réaction hostile sous forme de manifestations massives dans les rues, et l’apparition d’un milieu activiste largement étranger aux partis, mais aussi extérieur aux couches de population en difficulté économique ; que ce soit pour la tentative de dénonciation de “l’extrême-droite” (à travers les dieudonnistes), à la fin de 2013, qui pointe une agitation minuscule mais tenace de courants antisémites où convergent des néo-musulmans et des rescapés d’une extrême-droite classique, entourés d’un public assez nombreux, mais dépourvu de position claire, simplement en déshérence de tout discours politique articulé ; ou encore plus ou moins à la confluence des deux, en janvier 2014, avec la dénonciation des manœuvres organisées dans les écoles par un projet officiel de dénonciation des “stéréotypes sexuels”, qui peut donner lieu à d’étranges dérives. Les intervenants ne vont pas cesser de changer, mais tendent à se répartir de part et d’autre d’un ligne de fracture fonctionnelle. Un moralisme intense et superficiel, sur fond de rumeurs incontrôlables, constitue le langage des parties en présence, aux dépens de tout ce qui pourrait se manifester de vivant. Toute voie de contournement du verrouillage oligarchique de la société se trouve extraordinairement polluée par une confusion de moins en moins lisible, comme si l’exaspération ne pouvait s’exprimer sur le terrain politico-social, et s’accrochait à toute affectation de dissidence. On retrouve là la signature du mensonge en abyme, qui caractérise la Gauche fondamentale, qui aura été, décidément, la source contre-révolutionnaire la plus efficace depuis un siècle.

Ce que la pieuvre médiatico-politique explore à l’aveuglette depuis plus d’un an se cristallise en une logique de pourrissement des canaux d’expression qui lui échappent, dans le but d’amalgamer à diverses figures disqualifiées ce qui pourrait surgir du terrain social-historique [10]. Tout se passe comme si la recherche maniaque du contrôle de tout l’espace public avait fait place à une logique d’empoisonnement plus ou moins méthodique, où prévalent rumeurs et contre-rumeurs. La défiance publique, déjà si élevée, est poussée à s’aggraver toujours, ce qui a pour effet d’entraver les réactions collectives sur les sujets cruciaux. Le cynisme de ce procédé renvoie également à l’héritage des traditions totalitaires.

Il y va de beaucoup plus que de la liberté d’expression : les chausse-trappe se multiplient comme pour pousser “l’adversaire”, quel qu’il soit, à l’erreur dans une finale indécise. A chaque épisode marquant ce processus de confusion, l’hystérie en miroir est favorisée et censée s’étendre, sans que l’on puisse décider si cette atmosphère domine seulement les apparences ou imprègne en profondeur la société. Cette apesanteur indéfinissable est une expression du vide historique qui ne cesse d’envahir l’Occident depuis une quarantaine d’années, et en désarticule les références les plus ancrées dans l’aspiration à la liberté et à l’égalité. Il suffit cependant de rappeler le contenu exceptionnel des valeurs occidentales pour jeter le désarroi chez tous les héritiers des bouchers du XXème siècle.

Les nostalgiques des deux principaux régimes totalitaires ne pardonneront jamais à l’Occident d’avoir tenu face à l’Allemagne nazie et à l’Union soviétique et de leur avoir survécu. De même, les partisans du totalitarisme qui vient, fondé sur le néo-islam, qui revendiquent la forme impériale califale, l’une des plus achevées dans le genre despotique, ne peuvent pas davantage pardonner à l’Occident l’abolition de l’esclavage, car ce trafic fut l’une des grandes conditions de la puissance des empires islamiques, et leurs admirateurs en sont très conscients, sans trop oser le revendiquer pour le moment. Comment ne pas noter le paradoxe pathétique de ces immigrants d’Afrique subsaharienne qui affichent leur conversion à cette religion esclavagiste par excellence comme une démonstration d’esprit rebelle ? La bataille contre l’esclavage a été gagnée en Occident et par l’Occident, et il n’y aura pas de retour en arrière décisif tant que cet Occident conservera ses références et une puissance suffisante, deux conditions qui ne sont pas garanties si l’on observe le fil actuel de l’histoire contemporaine. Plus l’Occident se retire de l’Afrique et plus l’esclavage y fait son retour, mais ce genre de considération fait partie des thématiques interdites.

Les intellectuels de gauche, de plus en plus ralliés à une forme d’oligarchisation de la société, si prometteuse pour eux, sont devenus les athlètes d’une permanente comédie de l’innocence. Leurs reproches de plus en plus obsessionnels contre les “petits blancs”, traduit leur perte de complexe devant une inégalité sociale dont ils ont soif de profiter, aux dépens précisément de ces populations autochtones pauvres, en dissidence sociale croissante dans l’au-delà des périphéries urbaines. Le remplacement de la population est surtout géographique et médiatique, tant le morceau est gros, mais l’instabilité démographique inouïe, qualitativement nouvelle, qui s’est développée après 1945 rend fragile toute analogie avec le passé [11].

Quant aux immigrants, ils subissent à leur tour, strate après strate, cet effet de pompe successivement aspirante et refoulante, au profit de couches de nouveaux arrivants, toujours plus dociles et moins “chers” dont le métabolisme économique des “métropoles” entend se nourrir. Le cap résultant est le maintien d’une atomisation du terrain social et politique, qui laisse seuls debout les pôles organisés, médiatico-politiques, à la manière de ce que pratiquaient les appareils totalitaires. Il n’y a pas besoin de “complot”, même si ce fonctionnement brouillé ne peut qu’encourager les théories du complot, toujours révélatrices d’une incapacité à saisir ce qui est en jeu.

L’ARRIÈRE-PLAN INSTITUTIONNEL

Les journaux sont des fantômes, les partis sont des spectres et la pieuvre médiatico-politique dans son chaos d’intérêts et d’hypocrisies “systémiques” régit de plus en plus ce théâtre d’ombre au jour le jour, en prétendant monopoliser c’est-à-dire confisquer la démocratie qu’elle affirme incarner et résumer à elle seule. Pourquoi le centre de gravité de l’initiative publique se déplace-t-il ainsi ? L’usure des structures de pouvoir, largement interchangeables, y a sa part. Mais peut-elle suffire ? Comment ne pas déceler une perte de substance par un effet de translation du vrai pouvoir du niveau national au niveau européen, qui ne laisserait qu’une police des esprits s’occuper du ressort national ? La médiocrité, croissante depuis quarante ans, des dirigeants chargés du palier national serait un peu moins surprenante. Sans qu’elles disposent d’un pouvoir européen “organique”, les structures oligarchiques de l’UE ont de plus en plus acquis une capacité à déterminer les orientations fondamentales des États de l’Union. La politique de migration, qui est censé relever du niveau national, est de fait mise sous la coupe de décisions européennes. Plus généralement, la portée des leviers obscurs que la Banque Centrale Européenne actionne désormais semble s’imposer à toute la zone Euro, à la manière des arrêts de la Cour de Luxembourg sur les législations nationales. Quel degré de fait accompli l’ensemble de ces leviers ont-ils atteint ? [12] Les pouvoirs effectifs de l’Union européenne semblent devenir presque secrets, tant les directives sont obscures et la pratique divergente de la lettre des textes. Tout gouvernement oligarchique aspire à la clandestinité et à l’opacité.

Paris, le 29 mars 2014


[1Le décès récent d’Antoinette Fouque, féministe connue, a été l’occasion d’un rappel incident de manifestations féministes clamant il y a 40 ans : “mariage, piège à cons !". Sic transit...

[2La mésaventure de la militante journaliste C. Fourest, qui porte son homosexualité comme un drapeau et qui en a fait le support de son plan de carrière, a été significative : son train fut retardé par des activistes opposés au mariage homosexuel, couchés sur la voie ferrée (à son retour d’une réunion publique à Nantes). L’intransigeance des dénonciations “anti-fascistes” qui ont suivi a été révélatrice de la fébrilité de la Gauche fondamentale... Autre élément atypique : malgré le vote de la loi, une agitation demeure, obstinée, qui refuse d’admettre le fait accompli, et qui n’est pas groupusculaire.

[3Patrick Cohen (journaliste de la radio France Inter, contre qui Dieudonné avait ouvertement et de façon récurrente regretté la disparition des chambres à gaz) et Frédéric Haziza (La Chaîne parlementaire, Le Canard Enchaîné, Radio J). Ce dernier vient de publier “Vol au-dessus d’un nid de fachos”, dans lequel il résume le public de l’histrion de la façon suivante : “Un public plus anti-élitiste qu’anti-immigré, et en partie d’origine immigrée lui-même. Un public enfin essentiellement masculin, qui souffre dans sa virilité. Pour ce public-là, la cible, ce sont les Juifs, les francs-maçons et aussi, souvent, les femmes et les homosexuels”.

[4Cette ministre de la Justice a fini par signer un texte féroce à l’égard de ce Dieudonné, sur le site du Huffington Post, mais l’a-t-elle seulement rédigé elle-même ? Le fait que Dieudonné soit “métis” et en joue abusivement, au point de rechercher systématiquement les connivences racialistes avec divers sportifs “de couleur”, et de les obtenir aisément, l’a visiblement incitée à une indulgence qui ne dit pas son nom. Taubira, ancienne égérie indépendantiste guyanaise, hait la République française à un degré dont elle ne semble pas avoir conscience, mais qui se trahit au style de ses prises de position. Son ressentiment profond ne semble pouvoir trouver d’apaisement que le jour où l’esclavage des Blancs serait enfin institué en Europe...

[5Il a même tenté de lancer une pétition pour la libération de l’assassin antisémite Youssouf Fofana !

[6Le procédé consistant à transformer un public de rieurs en meute a déjà été expérimenté, et d’une manière infiniment plus subtile. Il est bon à cet égard de se remémorer comment Elias Canetti évoque le satyriste viennois Karl Kraus (voir “La Conscience des mots”, pp. 50-63), dont les références culturelles et la qualité intellectuelle étaient sans commune mesure avec le néo-barbare Dieudonné, bateleur pathétique.

[7Les diverses figures issues de l’immigration qui se sont enrichies dans l’industrie du divertissement (le sport en est une composante importante) manifestent une propension insistante à ch... sur la République française qui les a si aimablement traités. Comment ne pas mentionner ce Jamel Debbouze, qui se distingue sur ce registre, tant il affectionne l’insulte vis-à-vis de son public “français”, comme à Montbéliard en décembre 2012 ? Il a patronné un film mensonger sur la “marche des Beurs” de 1983, film sorti en 2014, qui a rencontré un vide sidéral (Debbouze a prétendu qu’il y avait alors des centaines de jeunes assassinés chaque année), etc. Cet ectoplasme, pur produit du mécénat politique de la Mitterrandie, protégé de Jack Lang, Premier courtisan, a encore bénéficié d’une visite quasi-officielle du Président Hollande le 8 février 2014 à Trappes !

Mieux ces arrivistes sont traités et plus ils méprisent la République d’accueil, comme s’ils n’avaient fait que mimer l’esprit occidental, auquel ils n’adhèrent pas, et qu’ils cherchaient à se venger de l’effort qu’ils ont dû simuler, afin d’accéder à la seule dimension qui les intéresse, une consommation dévorante. Le terme de “Français de papier”, revendiqué par de nombreux jeunes issus de cette immigration, s’incarne en eux au point de prendre une dimension institutionnelle. Les “racailles millionnaires” se comportent en infiltrés absolus dans une civilisation qu’ils détestent tant ils l’envient, aspirant passionnément à son naufrage définitif, qui évacuerait enfin tout point de comparaison.

[8Lalonde, au début des années 1990, a de même instrumentalisé “Les Amis de la Terre”, pour se constituer un club chargé de le propulser dans sa carrière. Les divers avatars de l’écologie-politique, qui n’ont guère dépassé la taille de simples groupuscules, n’ont cessé de présenter une dimension fondamentale de ce genre. Tous ces regroupements d’intérêts ont fonctionné sur un mode de racket politico-médiatique, qui ne rencontraient quelque résonance qu’en fonction des intérêts des principaux appareils politiques de pouvoir, avec la complaisance indispensable des réseaux d’influence médiatiques, encore subordonnés. Mais Lalonde, un peu trop habile à glisser de la “gauche” à la “droite” selon le gouvernement en place s’est “grillé” dans ce genre de manœuvres.

[9La manifestation dite “Jour de colère” (le 26 janvier 2014, 17 000 manifestants selon la police, 30 000 selon les organisateurs les moins mégalomanes) a vu s’inviter les dieudonnistes pour y former un petit cortège ouvertement antisémite, au grand dam du petit Parti de l’In-nocence (“la non-nuisance”) qui était l’un des initiateurs de l’action, et de Résistance républicaine, dont la figure de proue, C. Tassin, avait même préventivement boycotté la manifestation. Ces deux pôles activistes, qui semblent être davantage des milieux que des partis, et qui subissent de plus en plus l’influence gravitaire du FN (avec quelques sympathies individuelles pour un Soral !), sont dans l’ensemble indifférents à la question du “mariage homosexuel” et rejettent les âneries antisémites. Leurs thématiques se focalisent sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’islam (qu’ils ne savent pas distinguer du néo-islam). Les péripéties de l’année 2013 sont donc une source directe de fragmentation dans tout ce secteur d’agitation déjà très composite, situé hors des partis politiques classiques. Il est à noter que lors de cette manifestation du 26 janvier, les journalistes rencontraient sur place une hostilité ouverte et déterminée. Farida Belghoul, pour sa part, refuse toute interview et toute réponse aux médias institutionnels.

[10Le régime nazi demeure l’épouvantail par excellence, le seul mal inépuisable. La moindre connexion identifiable avec lui a valeur de souillure blasphématoire. Les régimes “soviétiques” ont eu beau massacrer beaucoup plus d’ouvriers et de paysans que lui, ils échappent aux critères de jugement revendiqués par les intellocrates. Il faut trouver un épouvantail d’extrême-droite, quel qu’il soit, le plus étonnant étant la cécité volontaire et forcenée vis-à- vis du néo-islam : bien que le filet djihadiste grossisse rapidement désormais dans les sociétés occidentales, les crimes innombrables dans le monde, qu’admirent et encouragent ces courants, rencontrent la mansuétude la plus déterminée, avec toutes les arguties mises au point depuis un siècle. Certains osent ainsi comparer les “combattants” du djihad aux volontaires des “Brigades internationales” en Espagne, mais là encore les mensonges actuels se fondent sur les mensonges du passé : ces unités ont commis contre les Républicains espagnols (et leurs dissidents internes) les pires crimes, et tout le monde le sait ! Qui peut encore ignorer ce qui s’est produit en mai 1937 à Barcelone et le sort du POUM ? Les volontaires djihadistes en Syrie ne font que répéter cette logique meurtrière d’éléments extérieurs réduisant les Syriens eux-mêmes au rôle d’idiots utiles pour une cause qui n’est pas la leur.

[11Les chiffres disponibles sur les statistiques de test de la drépanocytose, recommandé sur les nourrissons nés “à risque”, indiquent une proportion de 60 % en Ile-de-France (pour 2010 selon l’Institut national de Veille sanitaire, 54 % pour 2005). Cela signifie qu’au moins l’un de ses ascendants vient d’un pays à forte prévalence de malaria (le critère retenu pour le test est l’origine des deux parents, Afrique du nord et subsaharienne, principalement, où cette forme héréditaire de maladie du sang est prégnante, par réaction adaptative à la malaria). Un article situé au lien http://www.slate.fr/story/59407/dre... s’intitule étrangement “Drépanocytose : une discrimination négative à la française”, et reproche encore en 2012 que le dépistage soit particulièrement orienté vers les enfants de populations les plus susceptibles de développer la maladie (en français honnête, le titre devrait être « une discrimination positive à la française »...). Cette mesure statistique a pour effet embarrassant de rendre apparente la proportion des populations arrivantes, qui semblent destinées à devenir mécaniquement majoritaires dans la région d’Île de France, en moins de trente ans (dans les autres régions, le taux est plus faible : 40 % dans la région de Marseille, 30 % dans celle de Lyon, ou de Toulouse, mais 5 % en Bretagne). Les intellocrates, avec leur ton d’orthodoxie impérieuse, hachée et changeante, ont toujours affirmé qu’une telle possibilité de remplacement relevait d’un fantasme suspect. Fidèles à leur impudence, qui est au fond leur marque de fabrique, ils diront bientôt : “c’est trop tard, on ne peut plus rien y faire, parlons d’autre chose”.

[12Voir Assimilation, la fin du modèle français, de Michèle Tribalat, éd. du Toucan, 2013, chap. 13.


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