Présentation du collectif Lieux Communs sur Radio Libertaire (1/2)

jeudi 19 décembre 2013
par  LieuxCommuns

Entretien diffusé sur Radio Libertaire le dimanche 28 octobre 2013 en direct du Salon du Livre libertaire de Merlieux.



Monique : Radio Libertaire 89.4, la radio sans dieu, sans maître, sans publicité, la radio de la Fédération Anarchiste, qui justement se trouve en direct de Merlieux pour le Salon du Livre Anarchiste [organisé par le groupe Kropotkine ] ! Pierre, tu nous as rapporté des invités qui semblent très intéressants.

Pierre : Bonjour à tous. Je suis avec Maïline et on va faire un interview de Quentin du collectif Lieux Communs. Bonjour Quentin.

Quentin : Bonjour à tous.

Pierre : Quentin, tu as donc un stand au Salon du Livre libertaire. Est-ce que tu peux nous présenter ton collectif et ce que tu as apporté comme littérature ?

Quentin : Oui, je vais essayer de faire une présentation assez rapide. On est un petit collectif, on s’est constitués réellement en 2005-2006 un peu à partir de rien, à partir de rencontres de gens d’horizons assez divers : des anarchistes, situationnistes, ultra-gauche, [ou non-politisés], etc. On a trouvé un terrain d’entente autour de l’œuvre de Castoriadis, qui nous a beaucoup marqués individuellement, et on trouvait qu’il y avait là des chantiers à poursuivre. On s’est formellement constitués avec un site (qui porte aujourd’hui le même nom que le collectif) à partir de 2007-2008. Tous militants, tous ayant fait de nombreux mouvements sociaux, étant investis dans de nombreuses luttes. Et on tente de tirer des leçons de ce qu’on voit, de ce qu’on entend, d’ouvrir des terrains d’investigations, des interrogations, pour tenter de faire avancer la pensée critique, ce qui nous semble un enjeu très important actuellement.

Pierre : Vous faites des tracts, et des brochures qui sont assez accessibles. C’est prix libre, ou en tout cas pas très cher, pour essayer de toucher le plus grand public possible, j’imagine ?

Quentin : Oui, ça c’est le principe de départ. Ce sont des textes qui sont assez travaillés, en général, mais le but est toujours de s’adresser à tous : On publie donc des brochures avec un minimum de marge, qui servent juste à auto-alimenter la production de brochures – et de tracts, qui sont évidemment à perte. Donc des brochures à deux euros, vraiment à prix accessible, avec un minimum de travail de mise en page, etc. On a un côté un peu brut, y compris les tracts, qui sont assez denses, recto verso – on rentabilise la surface papier...

Sur les méthodes d’écriture des textes

Maïline : Vous les écrivez collectivement, les textes ?

Quentin : Oui. Tous les textes sont signés collectivement. On a un fonctionnement assez simple : L’un de nous a une idée de texte, ou on considère qu’il faut écrire un texte sur tel sujet. On en discute avant, on discute des idées, etc., et la personne écrit, c’est l’auteur, donc c’est lui le maître du texte. A partir de là, chacun de nous le lit, fait des commentaires, des ajouts, etc. Et le texte devient autre, mais jusqu’ici, à chaque fois, bien mieux que ce que l’auteur avait posé en premier, quelle que soit sa prétention.

Maïline : C’est intéressant.

Quentin : Plus qu’intéressant, c’est vraiment très stimulant. Moi je n’avait jamais vécu ça.

Maïline : Comme dynamique d’écriture, oui, c’est rare.

Quentin : Et même intellectuellement, de rencontrer une telle convergence, ça ne m’était jamais arrivé avant. C’est ce que j’avais cherché pendant longtemps : j’écris un texte, je le plonge dans le collectif, je le ressors, et, un peu comme le rameau de Stendhal, il est sublimé.

Maïline : Il a pris de nouvelles couleurs.

Quentin : Oui, il est sublimé, il prend de nouvelles couleurs, de nouveaux reflets, et j’en suis extrêmement content. Mais en toute honnêteté, on le signe Collectif Lieux Communs, parce que, réellement, c’est une œuvre collective.

Maïline : Tu as utilisé le terme d’ultra gauche pour vous présenter tout à l’heure. Je suis étonnée parce que j’ai l’impression que c’est un terme plutôt entendu dans les médias comme négatif. J’avais la sensation – mais c’est assez naïvement que je pose la question – que le terme d’ultra gauche était plutôt une construction médiatique.

Quentin : Oui. Je n’en fais pas non plus un cheval de bataille. Je fais référence notamment à Bourseiller qui l’a popularisé avec son bouquin [1]. L’ultra gauche, on va dire, c’est tout ce qui a émergé dans les années 60-70 à gauche de l’extrême gauche traditionnelle. Donc j’entends là-dedans – bon, c’est polémique – en partie le situationnisme, et tout le mouvement autonome, essentiellement, dont plusieurs d’entre nous proviennent approximativement. Mais on s’est tous arrachés assez largement à nos familles d’origine, et on se considère tous beaucoup plus « de Lieux Communs » que d’autre chose.

Les assemblées générales et le pouvoir

Pierre : Ce qui m’a plu, c’est que c’est vraiment concentré sur des idées que vous voulez transmettre, plus que sur telle ou telle chapelle. Le premier texte que j’ai lu de vous, c’était un texte sur les assemblées générales. Pour reprendre les termes de Normand Baillargeon, c’est une espèce de texte d’autodéfense intellectuelle. Peut-être pourrais-tu expliquer en deux-trois mots de quoi il retourne ?

Quentin : Oui, même plus qu’intellectuelle. C’est peut-être le texte le plus pratique qu’on ait écrit. Les autres sont plutôt d’ordre général, parfois concrets, quand on parle de la crise économique, mais là, c’est pratique. C’est un texte qui a longtemps mûri entre nous, on a beaucoup pratiqué les assemblées générales de tous types : de syndicats, radicales, d’étudiants, etc. Et on voulait essayer de condenser un peu tout ce qu’on en pensait : les impasses, les mécanismes répétitifs, et les moyens d’en sortir. Ça a donné ce tract-là, qu’on a écrit à l’occasion du mouvement social [de septembre-octobre 2010 contre la réforme des retraites [ [2] ] – le mouvement social agit toujours comme un accélérateur. Il traînait depuis 2006 dans nos tiroirs, et là, on l’a finalisé à partir d’un échange entre nous. Effectivement on n’est pas mécontents. C’est un texte qui a beaucoup circulé notamment lors du mouvement des « Indignés » [français de juin 2011 [3] ].

[Vraie-fausse interruption technique de 20 s.]

Pierre : Dans ce texte sur les assemblées, ce que j’ai trouvé très bien, c’est que dans ce texte, en gros, il y a deux étapes : une où tu expliques comment on peut arriver à noyauter une assemblée générale et finalement se la mettre sous sa botte ; et deux, le côté pratique dont tu parlais : qu’est-ce qu’on peut faire pour contrer ceux qui tentent de faire ça ?

Quentin : Ça fait partie d’une réflexion plus générale : donner à chacun, quel qu’il soit, les moyens de gagner son autonomie, une autonomie individuelle et collective. Là pour le coup, ce serait une sorte d’autonomie groupale où on arriverait dans l’assemblée générale à construire une action autonome. D’où le titre du tract « Pour des assemblées générales autonomes ». On décrit effectivement les mécanismes de manipulation d’une assemblée générale [4], qui sont extrêmement rodés depuis des dizaines d’années sinon des siècles, et les moyens d’en sortir. Ceux-ci ne sont pas évidents. On est à la limite de la démocratie effectivement, puisqu’on appelle à se constituer en fraction déclarée, ouverte, où on prétend faire respecter la parole et la volonté générale.
Toutes ces réflexions-là et cette pratique-là, elles entrent chez nous dans le cadre beaucoup plus général de la démocratie directe, puisqu’on est un collectif constitué essentiellement autour de la démocratie directe, qu’on allie également à la revendication de l’égalité des revenus et de la redéfinition des besoins. L’assemblée générale est pour nous l’organe de base d’une démocratie directe en tant que régime, et pas simplement en tant que moyen de lutte.

Pierre : Démocratie directe est un peu employé à toutes les sauces. Est-ce que tu pourrais préciser ce que vous, vous entendez par démocratie directe ?

Quentin : Nous, on reprend le terme de démocratie directe. Les mots ont le sens qu’on leur donne et celui-ci a été plus ou moins galvaudé. En même temps, si on s’en tient à l’étymologie, le pouvoir du peuple, c’est une chose dont on peut se réclamer, y compris le mouvement anarchiste ou socialiste révolutionnaire, tel qu’il a pu être, le mouvement ouvrier.
Par démocratie directe, on entend autogestion généralisée, auto-gouvernement, pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple. Pour nous, ce serait un projet politique qui recoupe largement toutes les aspirations que l’on voit émerger, notamment en Occident depuis le XIVe siècle. C’est à travers cette grille-là, qu’on appelle le projet d’autonomie (pour reprendre les catégories de C. Castoriadis), que l’on voit toutes les luttes d’émancipation, les hommes, les femmes, les pauvres, les revendications de justice sociale, les revendications de pouvoir, toutes les interrogations sur le pouvoir et la manière de l’exercer.
Démocratie directe aussi, parce qu’on fait également le lien – et ça, c’est relativement récent, en tout cas en France – avec la Grèce antique, qui n’est pas pour nous évidemment un modèle mais un germe dans lequel ont été expérimentés des siècles durant des dispositifs de prise de pouvoir et de contrôle des délégations.

Le pouvoir informel

Monique : Ce que j’aimerais bien comprendre, c’est le lien – ou la différence – que vous faites avec le fédéralisme libertaire. Parce que là, il s’agit effectivement de démocratie directe à base fédéraliste, alors que chez un certain nombre d’auteurs dont tu as parlé tout à l’heure, il reste tout de même – et moi, ça me gêne énormément – un certain pouvoir des intellectuels comme « allez, les pauvres gens, ils savent pas quand même, on va leur apprendre ». Et ça, ça me gêne terriblement. Dans ce que tu disais, sans citer les auteurs, j’entendais du fédéralisme libertaire, ce qui me convient tout à fait, et les auteurs que tu mets en avant ne sont pas exempts de cette avant-garde éclairée des intellectuels qui pose de gros problèmes, aux anarchistes en tout cas.

Quentin : Question difficile. Je pense que tu parles de Castoriadis, puisque je n’ai cité qu’un seul auteur, je crois...

Monique : Ah, entre autres, oui.

Quentin : « Pouvoir des intellectuels », je ne sais pas ce que tu entends par là. Nous, quand on parle de démocratie directe, c’est le peuple.

Monique : Oui, mais ça, c’est aussi ce qu’ont essayé de mettre en avant nos chers révolutionnaires, qui ont mis en place une soi-disant démocratie complètement représentative, et là, je suis désolée, le pouvoir du peuple par le peuple, ils l’ont mis en étendard, mais ce n’est pas ce qui se passe. Donc, ça, ce n’est pas sérieux.

Quentin : Dans ce que tu dis, j’ai l’impression qu’il y a une question qui est juste une question de terminologie et puis une question de fond.
Concernant la question de terminologie ; Nous, on ne se réclame absolument pas de l’accaparement du pouvoir : Nous sommes contre la représentation. Nous sommes absolument contre le monopole du pouvoir par qui que ce soit, y compris le pouvoir implicite tel qu’il peut émerger dans des collectifs militants, notamment [5]. Donc il y a aussi tout un travail de psychosociologie à avoir (c’est notamment ce qu’on fait implicitement dans le tract sur les assemblées générales) pour arriver à comprendre où est le pouvoir, même si dans les formes, il n’y a pas de pouvoir réellement constitué. Pour nous, le pouvoir existe en permanence et la question est : où est-il ? Qui détermine les règles ? Les lois que l’on respecte ? Donc sur la finalité, on est tout à fait égalitaires.
Pour ce qui est ensuite du fond, là, c’est une question vraiment importante, mais je ne crois pas qu’on ait de réponse. Qu’en est-il des gens qui s’investissent, qui réfléchissent plus que les autres ? Qu’en est-il des gens qui ont plus de talent pour parler en public, etc. ? Ça, c’est une véritable question. La réponse ne peut qu’être pratique, par l’action des gens, par l’image qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes, de la relation qu’ils peuvent entretenir avec le savoir, avec la parole et avec leurs propres actions. On voit lors des mouvements sociaux des gens qui jusqu’ici n’ont aucune pratique de la politique, qui se mettent à être beaucoup plus éloquents, convaincants et intelligents que la plupart des professionnels du militantisme.

Monique : Oui. Mais dans l’organisation… Après, je vous redonne la parole tout de suite, Maïline et Pierre... Mais dans l’organisation de la vie au quotidien d’une communauté de personnes dans un village, un quartier de ville, un immeuble, il ne s’agit pas d’être éloquent. Il s’agit d’être capable de prendre en commun des décisions pour ce qui nous concerne.

Quentin : Absolument. Mais lors des discussions, des réunions, c’est quand même souvent la personne la plus éloquente qui est capable d’emporter la décision. Après, est-ce que les gens…

Monique : Non, là je ne suis pas d’accord...

Quentin : ...Après, la question est : est-ce que les gens sont capables de faire la distinction entre la rhétorique et la réalité de ce qu’ils veulent et de ce qu’ils sont capables de faire ? Ou bien est-ce qu’ils sont plutôt prêts à se laisser séduire et à tomber dans les bras du premier démagogue venu ? C’est ça, pour nous, la véritable question.

Monique : Là, je crois qu’en filigrane, on en arrive à une autre question, qui est celle des modalités de prise de décision... Mais, Maïline et Pierre, on va s’arrêter là maintenant…

Pierre : Non non, continue, vas-y, moi du coup, je suis…

Maïline : Moi, ça m’intéresse. Il n’y a pas de problème...

Pierre : Il n’y a pas de problème. Continue (rire).

Monique : Parce que dans ce que j’entends là, quand tu dis : « est-ce que les gens vont suivre celui qui est le plus éloquent ? », ça veut quand même dire que derrière, il y a un vote.

Quentin : Non.

Monique : Non ? D’accord. Mais alors comment ?

Quentin : Comment quoi ?

Monique : Comment la décision est prise ?

Quentin : Je ne sais pas, le fait est que la décision se fait en fonction d’une opinion. C’est-à-dire que pour nous, la démocratie directe, ça veut dire avant tout que la politique n’est pas une science, ce n’est pas un savoir. Contrairement à ce que dit toute la tradition marxiste, le cours de l’histoire n’appartient pas à quelques docteurs qui en auraient compris le sens ultime et qui pourraient donner au menu peuple les directives à suivre.
La démocratie, ça veut dire radicalement que les décisions que nous prenons, ce sont nous qui les prenons en fonction de nos opinions. Et ces opinions, elles sont amenées à changer, et heureusement. Il faut les reconsidérer, les peser, examiner les tenants et les aboutissants de la question. C’est un travail qui n’est pas évident. Est-ce qu’il faut partir à la guerre, monter une radio, construire à tel ou tel endroit ? Ce sont des questions qui sont extrêmement concrètes, qui impliquent un débat, des échanges dans lesquels il y a des gens qui ont plus ou moins de poids. Ça me semble assez clair. Après, la réponse est beaucoup moins évidente, c’est une réponse qui ne peut être que pratique.
Et c’est en général la démarche qu’on a dans notre collectif : on pose des questions , que nous prétendons être de véritables questions, auxquelles nous n’avons pas de réponse, non pas parce qu’on n’a pas assez réfléchi, mais parce que les véritables réponses, ce seront les gens qui les trouveront. Les gens qui pratiquement, localement, trouveront un fonctionnement, une culture, des idées qui leur conviennent. Donc nous posons des questions : on fait un travail qui est un peu anxiogène, quelque part. Sur le cours du monde actuel notamment, on n’a pas de solution. On ne peut pas même prétendre que la solution est la démocratie directe, parce qu’aujourd’hui, de ce que nous voyons, les gens ne veulent pas la démocratie directe.

(.../...)

Seconde partie disponible ici



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