« La manifestation devant l’ambassade des Etats-Unis n’était pas le fait de salafistes »

jeudi 20 septembre 2012
par  LieuxCommuns

Le Monde, 17.09.2012

La polémique enfle sur la manifestation qui s’est tenue samedi 15 septembre devant l’ambassade des Etats-Unis, en réaction au film islamophobe, Innocence of Muslims. Dimanche, le parquet de Paris a ordonné une enquête sur la manifestation, ayant notamment pour objet d’identifier les organisateurs.

Parmi les 200 à 250 manifestants, dont 152 ont été interpellés, beaucoup avaient expliqué être venus après avoir reçu des SMS ou des messages sur les réseaux sociaux. La piste de la mouvance salafiste a été évoquée. Samir Amghar, membre de l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman à Paris (IISMM-EHESS), spécialisé sur l’islamisme en Europe et auteur de Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident (Michalon, septembre 2011), apporte son éclairage sur ce rassemblement.

Qui est derrière cette manifestation ? Y a-t-il eu des appels à manifester sur la blogosphère salafiste en France ?

Je ne souscris pas à la thèse selon laquelle c’est une manifestation de radicaux musulmans ou une manifestation qui a été instrumentalisée par des leaders salafistes français. Je n’ai pas trouvé d’appel à manifester sur les sites communautaires salafistes. A partir du moment où les gens portent une barbe et une djellaba, on parle de salafistes mais la grande majorité des manifestants de samedi étaient des musulmans lambda qui se sont réunis par le biais des réseaux sociaux.

Il s’agissait de jeunes entre 18 et 35 ans, issus de la seconde génération d’immigrés musulmans réislamisés et habitant les quartiers populaires. Ces jeunes, qui ont intériorisé les ressorts démocratiques et les modes d’expression à travers un prisme légaliste, ont manifesté parce qu’ils considéraient que leur identité musulmane était critiquée. On note un certain manque d’expérience des organisateurs qui n’avaient pas d’autorisation préalable pour manifester, n’avaient ni pancarte ni slogan construit. Ce sont des musulmans qui tentent, dans une tradition républicaine, de manifester mais n’en maîtrisent pas les codes.

La mouvance salafiste était donc absente de cette mobilisation ?

Il y avait quelques salafistes mais qui ne composaient pas la majorité des manifestants. D’une manière générale, et on l’a notamment observé autour de l’affaire du voile ou celle des caricatures de Mahomet, les salafistes s’opposent à tout rassemblement sur la place publique car ils sont pour une dissociation des sphères politique et religieuse. Les salafistes français sont les plus dépolitisés, les plus éloignés de la chose publique au sein de la communauté musulmane.

Pourquoi cette mobilisation a-t-elle été déplorée par le Conseil français du culte musulman (CFCM) ?

Le CFCM n’est pas l’organe de représentation des musulmans en France, mais regroupe des instances de représentation de l’islam. Il a toujours fait montre d’un hyper-consensualisme à l’égard des autorités publiques et du ministère de l’intérieur, d’où cette condamnation. Après la démission, en juillet, de cette instance de la Grande Mosquée de Paris (GMP) et de son président Dalil Boubakeur, qui avait été précédé de celle de l’Union des Organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, le CFCM ne réunit plus que le Tabligh, le Rassemblement des musulmans de France (RMF) et des organisations issues de l’islam turc. Son président actuel du CFCM est Mohammed Moussaoui (RMF).

Pouvez-vous présenter la mouvance salafiste en France ?

Les renseignements généraux parlent d’une mouvance qui réunirait quelque 12 000 personnes en France aujourd’hui. Ils ont en commun une même doctrine religieuse fondée sur une idée littéraliste de l’islam, visant à comprendre la tradition prophétique. Les plus représentés sont les salafistes quiétistes, proches des théologiens d’Arabie Saoudite, qui prônent l’apolitisme et s’opposent à la violence politique. Le salafisme djihadiste est quant à lui ultra-minoritaire en France. Les renseignements généraux ont fait un travail très efficace de démantèlement et de déstructuration du mouvement djihadiste. Tous ses chefs et militants sont en prison.

La mouvance quiétiste s’est développée dans les années quatre-vingt dix avec l’arrivée en France des militants du Front islamique du salut (FIS) algérien et le retour de Français de la seconde génération d’immigration ayant suivi un cursus dans les universités d’Arabie Saoudite. Ils sont implantés en région parisienne ainsi que dans les villes à forte concentration de population musulmane sur un axe Lille-Paris-Lyon-Marseille. On observe aussi de plus en plus une tendance à l’implantation dans les petites et moyennes villes, ainsi que dans des villages.

Ils se développent surtout par prosélytisme passif, par le biais de sites Internet où interviennent des prédicateurs ou par une prédication élitiste qui s’exerce par le biais de réseaux interpersonnels. La mouvance salafiste trouve un écho dans les quartiers populaires avec la réislamisation, notamment parce qu’elle est d’implantation récente par rapport à d’autres mouvances comme celle des Frères musulmans par exemple, qui existe depuis 40-50 ans en France, mais aussi parce que la mouvance salafiste est plutôt le fait de jeunes de 18-35 ans, qui se reconnaissent donc entre eux. Mais, c’est un mouvement désorganisé et qui ne dispose pas de structures au niveau national. Ils n’ont pas de leader et fonctionnent en réseau autour des mosquées.

A l’instar des salafistes en Egypte ou en Tunisie dont certains se sont politisés après le printemps arabe, en créant des partis politiques notamment, pourrait-il y avoir une politisation des salafistes français ?

On constate en effet depuis quelques années une évolution assez nette mais marginale de certains salafistes quiétistes qui prônent désormais une certaine politisation par le biais d’associations, de lobbys, pour faire pression sur les maires notamment. Cela se comprend par rapport à l’Egypte ou la Tunisie où il y a une politisation et une reconfiguration du champ politique. Certains théologiens d’Arabie saoudite restent apolitiques mais prônent la politisation en Europe, face aux opportunités démocratiques et légalistes.

Le groupuscule Forsane Al-Izza, qui a été démantelé, relevait de cette logique quand il appelait à manifester dans les mosquées, devant les mairies, brûlait des codes civils. Certains salafistes reprennent ainsi des techniques proches des anarchistes qui consiste à faire de « la propagande par le fait » : faire du buzz pour faire prendre conscience de son existence aux musulmans et aux autorités publiques. Dans d’autres cas, comme celui des caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo, certains salafistes avaient décidé de saisir les tribunaux pour faire interdire la publication des caricatures.

Propos recueillis par Hélène Sallon


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