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Que s’est-il pensé ?
Ce texte ne donne pas, volontairement, dans la nuance des termes pour nous qualifier, nous préférons nous auto qualifier d’Arabes, tout simplement, comme le font tous les Arabes, immigrés y compris, entre amis, dans la famille, entre inconnus etc... Enta ’arbi ?, T’es arabe ?, demande-t-on à l’inconnu(e), dès que des traits physiques ou des paroles révèlent nos origines, prélude à une certaine connivence à la fois bien réelle et complètement fantasmée. Depuis des décennies, la surenchère d’ouvrages de sociologie ou d’essais politiques jouant avec les termes pour nous (dis)qualifier n’ont eu pour effets que de faire diversion par rapport aux vraies questions qui se posent à nous, et dont nous prétendons poser ici quelques jalons. Ces bavardages de sociologues de salon, pour qui le qualificatif d’« Arabe » est quasiment et généralement perçu comme une insulte [ou plutôt une infirmité], ne nous aident en rien dans la réflexion sur l’immigration maghrébine, malgré toute l’urgence des problèmes qu’elle soulève et qu’il faudra bien un jour regarder d’un point de vue émancipateur. Arabe, donc. Le terme est aussi impropre que n’importe quel autre, et de multiples façons – d’abord parce que les descendants des arabes colonisant le Maghreb berbère sont rares... Mais il est aussi pertinent puisqu’il répond à la réalité telle que les gens la vivent, et à laquelle l’islamisme donne de plus en plus un seul, et unique, sens.
Les discours des extrêmes droites, nationales ou islamiques, qui nous voient comme des conquérants et des fanatiques en puissance, ou encore celui des régnants et des possédants, pour qui nous sommes une main-d’œuvre bon marché exploitable à loisir et manipulable à souhait en fonction des aléas diplomatiques et des nécessités économiques, sont connus et rodés. Un silence gêné entoure celui de l’extrême gauche qui nous voit comme des victimes, éventuellement révolutionnaires, et dans tous les cas comme faire-valoir de ses pseudo-généreux élans. Or, nous voir ainsi, c’est nous considérer d’abord comme des êtres humains totalement passifs, ballottés et dominés contre notre gré (même si évidemment, selon une vision bien rousseauiste, « c’est pour notre bien »), c’est nous voir ensuite comme les porteurs de la pureté populaire, éventuellement révolutionnaire, qui s’ignorent comme tels et qu’il suffit d’éclairer et de guider. Tous ces discours ont pour but de nous assujettir aux figures coloniales du « bon » ou du « mauvais sauvage » qu’en tant qu’ex-colonisés – et ex-colonisateurs ! – nous portons en nous.
En tant que militants de l’émancipation des individus et des peuples, mais aussi en tant qu’Arabes, nous nous sentons doublement insultés par ces discours et refusons de céder à la domination et à la manipulation, quelle qu’en soit l’origine.
Le déni de l’acculturation
Un autre mythe voudrait que tout immigré ait été arraché à sa terre natale par la force et la violence. Or, hormis l’immigration musclée au lendemain de la Seconde guerre mondiale et le cas de réfugiés politiques – qui ne se soucient guère des dangers qui pèsent, ici aussi, sur nos libertés menacées – la quasi-totalité des immigrés arabes (ou pas, d’ailleurs) en France sont des gens appartenant aux classes moyennes, petites-bourgeoises et aisées de leur pays d’origine : ils ne sont ni paysans sans terre, ni ouvriers journaliers, ni chômeurs ruraux, ni persécutés. Et d’autre part ils sont venus de leur plein gré. C’est le cas depuis plus de quarante ans, et c’est le cas de nos parents ; ce qui les a poussés à quitter leur pays à la fin des années 1960 n’est ni la guerre, ni la famine, ni une catastrophe naturelle – à moins de considérer les jeunes indépendances de l’Afrique du Nord comme telle. Et c’est le cas le plus courant. Sans doute nous dira-t-on que l’immigration est un des mécanismes du capitalisme – c’est bien ce dont nous voulons parler.
Que fuyaient donc nos parents quand ils ont quitté leur pays, souvent après les indépendances ? Pourquoi n’y sont-ils pas restés, en femmes et en hommes libres, pour bâtir une société libre ? Et pourquoi sont-ils venus en France, rallier le colonisateur vaincu ? Peut-être parce qu’ils avaient d’excellentes raisons de se méfier du rapport des Arabes au pouvoir politique, tant ce dernier est traditionnellement et historiquement marqué par l’atavisme autocratique ; peut-être aussi par désir de s’arracher à une domination familiale ou villageoise étouffante, ou encore parce que la France les fascinait, bien qu’ils eussent été dominés par cette dernière, etc. Les raisons sont multiples et plus ou moins avouables. Les poser et examiner calmement les réponses permet surtout d’attaquer un autre mythe fondateur, celui de la figure de l’immigré pantin manipulable et meskine, misérable, baladé par les puissants, [mythe singulièrement relayé et porté à son paroxysme par les gauchistes et autres tiers-mondistes démagogiques depuis les années 80.]
Pas d’histoire, masque d’Occident
Ce mythe-là est coriace. Il est colportée à la fois par les visions racistes et victimaires (on va voir là encore comment ces deux visions se rejoignent en une seule) et relayé par une grande partie des intéressés eux-mêmes ; il consiste à faire porter l’échec des pays décolonisés entièrement au colonisateur. Notre propos n’est pas ici de faire le bilan des décolonisations et de la responsabilité première des peuples décolonisés dans l’échec de ces dernières. Mais il faut tout de même dénoncer les analyses belliqueuses, démagogiques et discriminatoires, qui imputent l’entière responsabilité de ces échecs aux Occidentaux. Ces positions sont non seulement fausses, mais aussi fondamentalement racistes anti-arabes, bien qu’elles soient trop souvent défendues par les maghrébins et les musulmans eux-mêmes. Elles confortent une idéologie selon laquelle il n’y aurait qu’un peuple et un seul : ici, en l’occurrence, le peuple occidental, non seulement capable de faire son Histoire mais capable de faire et de défaire entièrement celle d’un autre – ici, le peuple arabe - réduit à l’impuissance politique par on ne sait quelle mystérieuse tare.
Ce genre d’idéologie porte un nom : c’est du racisme.
Ce type de positions est une insulte aux femmes arabes d’hier et aux luttes autonomes qu’elles ont menées pour leur libération, sur lesquelles nous nous appuyons aujourd’hui pour poursuivre ce combat. Car ces luttes féministes arabes, dont les prémisses remontent au tout début du XIXe siècle, sont le fruit d’influences littéraires occidentales et non de pressions – fait indéniable en ce qui concerne les pays du cœur arabo-musulman et relatif en ce qui concerne ceux du Maghreb. C’est oublier que ces femmes sont les seules des trois catégories de personnes discriminées par la Loi coranique à s’être libérées – pour une part – de leur statut d’infériorité, là où les esclaves et les non-musulmans doivent leur libération uniquement aux pressions européennes. C’est aussi miner, au passage, les luttes actuelles face à la détérioration du statut de la femme et des non-musulmans. C’est enfin et surtout mépriser tout ceux qui ont lutté pour ces décolonisations, pour que leurs peuples prenne leur destinée en main, et tout ceux qui se lèvent et meurent actuellement en Syrie, ceux qui se battent aujourd’hui pour la défense de la laïcité en Tunisie et en Egypte, parfois au péril de leur vie et de celles de leurs proches, ou encore ceux qui se sont levés hier dans d’autres pays arabes pour faire tomber leurs dictateurs.
Cachez cet Arabe que je ne saurais voir
Est-ce par peur d’être déçus par les motivations de ceux que certains voudraient voir comme les nouveaux sujets révolutionnaires de l’Histoire que ces questions sont bannies au sein de toutes les organisations d’extrême gauche ? Pourtant, il vaut mieux le savoir, les immigrés arabes ne sont ni plus ni moins anticapitalistes que qui que ce soit. Ce qui les attire en France, c’est la liberté, et avant tout la liberté de consommer, de s’enrichir, voire d’entreprendre. Ils n’ont bien souvent aucun espoir de voir émerger celle-ci dans leur pays d’origine où le pouvoir est traditionnellement corrompu. La liberté de commercer et de consommer n’y est accessible qu’à une petite minorité du cénacle des dirigeants et de leurs affiliés, et cela est d’autant plus sensible en période de crise économique. La majeure partie, pour ne pas dire la quasi-totalité des immigrés arabes se fichent de défendre l’héritage en ruine des grandes luttes émancipatrices de l’Occident. De ce point de vue, ils ne se distinguent en rien de la majorité de la population française à laquelle ils sont parfaitement intégrés. La perspective d’une participation plus ou moins importante au festin capitaliste que promettaient les Trente Glorieuses – et que met à mort la crise économique actuelle – motive en grande partie leur exil vers la France. Le confort matériel et la richesse technologique de l’Occident fascinent les maghrébins comme le reste de l’humanité qui en est privée.
Si les immigrés ont pu apprécier le climat de liberté et l’ambiance relativement égalitaire qui règne en France, provenant de sociétés traditionnelles à fort contrôle social, il semble que ce climat ne leur convient plus – et pour cause : il est moribond. L’Occident, de plus en plus avec le temps, n’invite les immigrés qu’à certaines formes d’intégrations économiques, auxquelles ceux-ci adhèrent avec plus ou moins de facilité en fonction de leurs origines.
Portrait du néo-ex-colonisé
L’Arabe immigré moyen n’a aucun problème ni avec l’injustice sociale, ni avec l’autoritarisme, ni avec le sexisme du moment qu’il n’en est pas immédiatement victime. Ce sont là des lieux communs admis entre nous. Si vous lui dites que ce n’est pas juste qu’il y ait des pauvres et des riches sur terre, il vous dira « non, ce n’est pas juste mais, Allah ghélab – La volonté de Dieu est puissante –, ça a toujours été comme ça dans l’Histoire de l’humanité » ; si vous lui signalez que ce n’est pas juste qu’il y ait un chef auquel on doive se soumettre aveuglément, il vous répondra : « il en faut toujours un, sinon c’est la fitna (le chaos) » ; si vous lui dites que les ras marbouta, les têtes closes par un turban, qui pullulent dans nos quartiers, ici et au bled, sont porteuses de menaces pour la liberté comme pour l’arabité de chacun, il répliquera : « oui, mais quand même, ce sont des musulmans, sans doute un peu égarés mais bon... Ce sont nos frères quand même, et ils ne font de mal à personne », etc. ; si vous lui faites part de votre inquiétude face à la montée du nombre de femmes et de fillettes voilées dans votre quartier, il vous dira : « c’est rien, ça... Quand même, c’est bien que des femmes choisissent la sûtra, la protection divine, dans ce pays de débauche », etc. Enfin, si vous lui dites que le port du voile et la lapidation à mort sont des archaïsmes inhumains, il le reconnaîtra peut-être du bout des lèvres et s’empressera alors de vous signaler que « la peine de mort existe aux Etats-Unis »... On voit là comment le pire de l’Occident est retenu et convoqué pour justifier l’injustifiable. L’Arabe moyen, musulman occidentalisé mais néanmoins semi-moderne, n’évoquera certainement pas alors les luttes qui sont venues à bout de cette même peine de mort, en France notamment, ni l’impossibilité de telles luttes, en Iran par exemple. Sauf évidemment si il a un intérêt immédiat ou différé à vous dire autre chose. Car, et c’est regrettable, l’opportuniste de Jacques Dutronc et le Tartuffe de Molière cohabitent bien souvent et sans difficulté majeure dans notre néo-ex-colonisé. Peut-être n’y a-t-il pas plus d’Arabe moyen que de Français moyen : mais ce qui est sûr, c’est qu’en France, les manifestations arabes contre l’intégrisme musulman sont extrêmement rares, [et le fait d’une petite élite [1]], contrairement aux manifestations françaises contre le Front National.
L’impasse stratégique
La combinaison des figures de l’opportuniste et du Tartuffe rend effective la participation, d’une part au manège bigot qui renforce l’islamisme, et d’autre part, aux rapports néo-coloniaux entre Etats occidentaux et pays sous perfusion économique, dont une bonne part des revenus provient de l’argent des immigrés, souvent durement gagné ici. Car celui qui émigre a l’injonction de réussir et, surtout, de montrer qu’il a réussi. Comment autrement justifier ce qui dans les cultures traditionnelles est quasiment sacrilège, à savoir l’éloignement volontaire du tissu familial et culturel d’origine ? Le choix de quitter la terre où sont enterrés ses ancêtres, le pays de son père, etc., est loin d’être anodin, pour un Arabe. L’installation pacifique de musulmans en terre non-musulmane n’a été possible et autorisée par les docteurs ottomans de la Loi islamique qu’à partir du début du XVIIIe siècle ; elle n’est effective et significative que depuis une soixantaine d’années environ. De plus, les familles traditionnelles dont nous sommes issues n’ont pas vécu de révolution culturelle débouchant sur une remise en cause du paternalisme, de l’autoritarisme et de la famille, comme celle de Mai 68 en France. Le choix de l’exode vers la France – ennemi d’hier – est donc loin d’être une simple affaire dans l’imaginaire arabe et, de ce fait, doit être justifié.
La ghorba, l’exil, pour être excusé doit conduire à la réussite sociale qui, en France, se veut axée principalement autour du mérite et de l’effort personnel ; dans nos pays d’origine, le rang et la fonction occupés étaient traditionnellement et sont encore trop souvent le fait de filiations et d’accointances avec la clique régnante. La réussite sociale en Occident passant par les canaux officiels du capitalisme (diplômes, formations, concours, entretiens, carrière, augmentation, etc...), d’ailleurs de plus en plus obstrués, demande de ce fait un effort singulier pour des individus qui y sont partiellement étrangers. Cette réussite doit se manifester notamment à travers l’importation de camelote occidentale, et de rêves de pays de Cocagne où koulchi lebes abdullah, tout va bien, Dieu merci, et en plus le petit va à la mosquée tous les vendredis, ma klatouch franza, ched fi dinou, comme on dit, la France ne l’a pas mangé, il garde sa Foi, même si c’est souvent loin d’être le cas, pour le meilleur comme pour le pire. Et pour cause : celui qui vit son exil comme une trahison cherchera constamment à prouver à lui-même et aux autres qu’il est plus arabe que les Arabes restés au pays, ce qui se réduit aujourd’hui à être plus musulman que les musulmans du pays... Cet idéal difficilement accessible en terre infidèle doit bien entendu être constamment contrebalancé par la volonté de devenir toujours plus prodigue qu’eux. Il en résulte une posture proprement intenable, à moins de jouer, au gré des circonstances et des intérêts, sur tous les tableaux. Cette stratégie fut particulièrement mise à jour lors des élections tunisiennes pour la Constituante d’octobre 2011.
Le fait que les Tunisiens vivant en France aient voté dans les mêmes proportions que les Tunisiens en Tunisie,pour le parti islamiste Ennhada [quatre sièges remportés sur les dix réservés à la France] interroge sur les intentions des premiers vis-à-vis de leur pays d’origine et de la France. Car le message induit est troublant : Il y a, d’une part, l’islamisme là-bas pour le supplément d’âme et surtout la bienveillance des islamistes et des chefs locaux – qui commencent à tenir des villages tunisiens sur le mode de la seigneurie féodale. Et il y a, d’autre part, la France, pour son confort, son argent et sa sécurité. Tant pis si le peuple tunisien souffre d’une application élargie de la Shari’a, nous, nous sommes en France à l’abri. Nos filles, qui étudient le management international pour un jour travailler avec les Saoudiens peuvent le faire en toute sécurité ici, sans être physiquement menacées par ces groupes de salafistes violents qui font de plus en plus d’incursions et d’intimidation dans les universités, comme en Tunisie...
Là encore, cela porte un nom : c’est de l’opportunisme.
Les Arabes restés au pays ne sont pour la plupart pas dupes de ce manège ; certains le dénoncent même à demi-mot et sur le ton de la dérision. C’était le cas du « Mouvement des Cons », né d’une réaction des Tunisiens face au vote islamiste des Tounsi fi franza, tunisiens vivants en France : Cette provocation potache appelait alors sur Facebook les Français résidant en Tunisie à voter Le Pen ([ce que 240 d’entre eux firent lors des présidentielles de 2012 – reste à savoir s’ils sont d’origine française])... La démarche de ce groupe traduit, de façon cynique, les questions que beaucoup de citoyens des pays arabes se posent en silence vis-à-vis de la France : pourquoi laissez-vous des liberticides jouer avec vos libertés ? Ces libertés pour lesquelles vous comme nous nous sommes un jour battus ne seraient-elles plus bonnes ni pour nous Arabes ni pour vous Français ? Pourquoi ces gens là participent-ils à construire le chaos dans notre pays tout en étant à l’abri de celui-ci en France ? Pourquoi, enfin, acceptez-vous que des électeurs islamistes possèdent la nationalité française, quand ils en bafouent les principes de liberté et d’égalité ? Questions malheureusement que seule l’extrême droite pose en France, les exacerbe, les déforme, les isole et y apportant ses propres réponses, et c’est là tout le drame.
Farces et douleurs en islam
Les mouvances et régimes politiques islamistes exhument la xénophobie qui sommeille en chacun de nous, Européens, Arabes, Africains, Asiatiques, Américains. L’islamisme permet aux sujets arabo-musulmans d’exprimer et de fonder leur rejet de la différence et leur sexisme. Il leur permet, d’une manière générale, d’affirmer leur prurit de domination et la désignation de boucs émissaires et d’ennemis, l’ennemi étant celui qui n’est pas musulman, celui qui n’est pas dans le droit chemin. Cela aussi porte un nom, c’est de la xénophobie, voire du racisme pur et simple comme celui qui s’exprime banalement vis-à-vis du kahlouch, le noir, d’autant plus si ce dernier ne reconnaît pas Mahomet. Oui, les Arabes peuvent être xénophobes et réactionnaires – et ils le sont dans leur écrasante majorité. Les gens de la gauche bien pensante comme radicale hurlent à le lire, quand les plus honnêtes d’entre nous l’admettent en riant sans grande difficulté, et surtout, mais plus rarement, n’en font pas une fatalité. Celui qui ne veut pas se plonger dans les livres d’histoire pour étayer cette évidence n’a qu’à interroger un Sénégalais immigré en Mauritanie, ou un chrétien nigérian chassé de son village par les massacres perpétrés actuellement par les pro-islamistes dans son pays, ou encore un ouvrier hindou ou un bouddhiste thaïlandais en Arabie saoudite, etc.
Refuser pour des raisons tactiques de voir la xénophobie arabe, c’est bien entendu l’encourager de façon pernicieuse ; cette attitude de déni semble être un des principaux ressorts du passage de la posture de victime, naturellement pure, innocente et flouée à celle de rebelle éternel, bourreau dangereux et potentiellement barbare.
Les autres franges immigrées (asiatiques ou européennes de l’Est, par exemple) ne resteront pas éternellement passives et confiantes en l’Etat, surtout si leur liberté de commercer est menacée par une poignée d’autres immigrés, qui jalousent leur réussite économique et se plaignent de n’être « plus chez nous » dans les quartiers jadis occupés majoritairement par des maghrébins. C’est notamment ce qu’on peut observer dans le quartier de Belleville à Paris, où les récentes tensions entre « jeunes racailles », notamment arabes et xénophobes, et travailleurs (notamment sans-papiers) Chinois et non moins xénophobes semblent annoncer un ras-le-bol réciproque dont on peut penser qu’il va se radicaliser et s’amplifier. Là encore, refuser d’admettre ce qui saute aux yeux, c’est laisser le soin à la droite de poser et de traiter le problème, voire le « régler », encore une fois à sa manière, c’est-à-dire en l’hypertrophiant, le déformant, l’arrachant à son contexte pour en faire un élément de son idéologie xénophobe.
Double appartenance, double absence, double exclusion
Rares sont aujourd’hui les individus au sein de la société française capables de constance et d’honnêteté dans leurs relations, qu’elles soient amoureuses, amicales ou politiques. Le besoin vital de relations sociales nous amène cependant à construire des liens mutuels hypocrites et claniques : On lutte ici entre écologistes bobos pour des repas bio à la cantine, là entre musulmans pour des repas halal, là encore entre transsexuels pour réclamer l’invention d’un troisième sexe administratif, etc. Les croyances les plus délirantes deviennent alors indiscutables, et signent la mise à mort de la perspective d’une société cohérente et unie autour d’un projet qui dépasse les particularismes et pose l’égalité et la liberté comme principes fédérateurs de ses membres. Pris dans ce mouvement, les immigrés arabes jouent leur part de la partition. Au fond d’eux-mêmes, nombre d’entre eux sont peu convaincus de leur croyance religieuse, beaucoup savent qu’ils se racontent des histoires, en reprenant et en exacerbant la part la plus aliénante de leur culture d’origine : l’islam. Mais il semble extraordinairement difficile de se l’avouer et de l’avouer publiquement, en prenant le risque d’être banni de son clan et de vivre la peur d’être renvoyé au vide d’une société occidentale qui survit et se ment à défaut de vivre et de s’inventer. Dans une France psychiquement et socialement ravagée, nombreux sont les Arabes qui délirent et fantasment autour de leurs origines, leur culture, qu’ils ne connaissent pas, ou mal, la plupart du temps. En guise d’antidépresseur – fourni entre autre par l’Arabie saoudite – ils se réfugient dans une pratique décérébrée, prosélyte, tartuffesque et tout sauf spirituelle de l’islam.
La maladie de l’identité arabe
Le commerçant bigot estampillé « halal », ignore sans doute que tout en affirmant sa bigoterie et son goût pour le marketing, il délaisse une part précieuse de son identité arabe, celle qui veut que l’aliment soit préparé avec soin, patience et amour car destiné à être partagé ; celle qui veut que le mets ingurgité soit un remède pour le corps comme pour l’âme ; celle qui veut surtout que, bien que commerçant, il reste attentif à la satisfaction du consommateur et ne pratique pas la ghadra, traîtrise à la limite de l’empoisonnement volontaire d’autrui. Et voilà nos rebeus moyens contents de produire et de consommer des denrées dont le goût et la qualité feraient hurler nos grand-mères, et d’oublier jusqu’à la recette des bricks et de la mouloukhia pour épouser celles de la plus commerciale pizza halal et du plus tendance encore sushi halal. L’intégration fonctionne à plein dès qu’il s’agit de business, tout en préservant son ticket pour le paradis musulman : c’est là tout l’art de l’islamo-opportunisme.
L’islamisme, en se déployant, emporte avec lui tous les comportements autrefois désintéressés et spontanés qui faisaient la richesse des relations sociales entre les Arabes et les autres et entre les Arabes eux-mêmes. L’auto-dérision, l’art du conflit, la franchise, etc, sont autant de comportements qui s’évanouissent au profit du calcul, de l’intérêt immédiat ou posthume et de l’hypocrisie. Une institutrice musulmane, tout en ajustant le voile qu’elle remet sur sa tête une fois sortie de l’école publique où elle enseigne, vous dira sans la moindre gêne que, pour ne pas vous avoir raccompagné en voiture aussi souvent qu’elle l’aurait pu, elle regrette d’avoir perdu « plein de hassanat », ces bonnes actions qui, cumulées, augmentent les chances d’accéder au paradis, celles qui s’exercent sur des supposés musulmans étant davantage « rémunérées ». Ce type de comportement tend à se normaliser chez les musulmans, qui ainsi enterrent chaque jour un peu plus la gratuité du geste solidaire et le souci de l’autre, dont nous pouvions nous enorgueillir ; mais aussi toutes les attitudes de frugalité et d’économie domestique basées sur la récupération et l’échange, au profit de débordements consuméristes, particulièrement visibles lors des retours au pays, et paroxystiques en période de ramadan. Ainsi disparaissent à vue d’œil de précieux leviers sur lesquels pouvait s’appuyer une écologie du quotidien – que certains appellent « décroissance » ou « simplicité volontaire », qui se cherche chez les Français et qui était naturelle et très présente, jusqu’à il y a peu, dans ces cultures traditionnelles. Là où l’islamisme apparaît, tout devient comptable, et plus rien n’est pris au sérieux dans ce processus, lent mais efficace, de déshumanisation des rapports entre les individus et entre ceux-ci et leur environnement.
Ainsi le musulman bigot profondément matérialiste endosse-t-il, sans difficulté aucune, la figure du petit boutiquier comptable, commerçant ici bas et avec l’au-delà, et dont les succès s’accommodent toujours de quelques petits arrangements ici et là.
Le pacte victimaire
La chanson de Daniel Balavoine, L’Aziza, hymne antiraciste matraqué sur nos ondes au cours des années 1980, contient une phrase qui résume très bien la posture victimaire. Elle traduit la tentation qu’ont nombre d’Arabes – immigrés ou pas – d’épouser une figure, elle aussi admirée et haïe, celle du Juif. La chanson s’adresse à une « beurette » et lui signale : « Ton étoile jaune c’est ta peau / tu n’as pas le choix ». Il est étonnant que cette phrase odieuse n’ait pas donné lieu à un tonnerre de réactions des descendants de Juifs et de résistants morts dans les camps hitlériens. Car, l’air de rien et en musique, le génocide des Juifs est associé – et mis au même niveau – que les discriminations, les exclusions, et quelquefois les crimes, dont sont victimes les Arabes, comme l’est la majorité des franges de la population française, qu’elles soient immigrées, féminines, handicapées, âgées jeune, ou tout simplement pauvres.
Mais, plus encore, la suite de la phrase introduit de façon très explicite l’idéologie victimaire dominante qui aboutit à la judiciarisation des rapports entre les individus et leur société vidée ainsi de ses citoyens responsables mais remplie de victimes qui exigent constamment réparation : « Ton étoile jaune... ne la porte pas comme on porte un fardeau / Ta force c’est ton droit. ». Le glissement s’opère d’immigré maghrébin à victime suprême, qui, en tant que telle, a tous les droits, le droit de faire et de dire n’importe quoi, en premier lieu, et surtout, celui de devenir à son tour, bien entendu, bourreau. Non, notre peau n’est pas une « étoile jaune », pas plus que notre gueule ou notre histoire ou quoi que ce soit d’autre et nous ne voulons être ni persécutés, ni persécuteurs. Et, oui, nous avons le choix de ce que nous voulons être : des individus émancipés, dignes et à la hauteur des enjeux de leur époque ; c’est-à-dire responsables, et n’attendant, de ce fait, rien des marchands de paradis terrestres ou virtuels.
La posture victimaire n’est pas une alternative à la posture islamiste : elle en est à la fois l’envers nécessaire et le complément organique. Les ressources pour s’extraire de ce faux dilemme existent autant qu’elles sont à créer. Il s’agit finalement de sortir de cette position infantile si bien décrite par le célèbre dicton de nos grand-mères, nal’eb oula nfassed, je joue ou je casse.
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