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mercredi 11 mai 2011
par  LieuxCommuns

Les soulèvements arabes face au vide occidental : l’exemple tunisien

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vendredi 27 mai 2011 à 11h07

Bonjour à tous,

Je viens de lire avec intérêt la polémique qui oppose Lieux communs et Ni patrie Ni frontières. Je suis un travailleur, militant et amateur de philosophie, en particulier celle de Cornélios. Aussi, j’ai trouvé le titre de l’article « Bye bye Castoriadis » provocateur mais efficace, sans cela je ne l’aurais jamais lu ! Il est provocateur mais il est insensé. Je ne comprends pas pourquoi il faudrait rompre définitivement avec qui que ce soit ? Y aurait-il un sens à dire qu’il faut rompre définitivement avec Platon ou Aristote ? Et qu’est-ce que ça voudrait dire ? Ne plus les lire ? Ne plus les admirer ? Ne plus les critiquer même ?

En revanche il doit avoir une raison pour appeler à rompre définitivement. Quand on lit le texte on voit que les attaques concernent uniquement des déclarations circonstancielles, nullement les philosophèmes.

J’en viens directement au fait. La pensée de Castoriadis sur la religion, les types anthropologiques et la démocratie se condense dans d’autre textes que ceux cités : « Ce qui fait le Grèce », « Institution de la société et religion, in Domaines de l’homme », et bien sûr « l’Institution imaginaire de la société ». Il faut dire d’emblée que comme chez tout grand philosophe, sa pensée philosophique dépasse parfois ses « considérations journalistiques ». Ainsi peut-on voir assez facilement que les déclarations dans les interview ou dans les textes d’intervention ne sont pas des conclusions nécessaires de sa pensée philosophique mais des analyses qui prétendent éclairer le sujet sur le versant le plus pertinent. On peut tout autant, à partir de la pensée théorique de Cornélios, affirmer autre chose, affirmer qu’il est plus pertinent d’appréhender les choses sous un autre angle etc.

Par exemple sur la religion. Castoriadis semble dire que toute religion est par principe contradictoire avec la rupture de la clôture de la signification. Que la religion est un moyen de présenter le chaos tout en le cachant. Or il convient d’affronter ce chaos pour penser l’auto institution de la société, différencier les niveaux ontologiques ensembliste-identitaire et poïétique, articuler imagination-création-logique-vérité matérielle dans les sciences etc.

Mais voilà, il se trouve que les Grecs aussi étaient croyants (faut-il distinguer et dans quelle mesure la croyance en général et la religion ? Question abordée par Castoriadis) et qu’ils continuèrent à l’être jusqu’au bout. Pourtant ils ont été démocrates et philosophes ! En revanche les bouddhistes, qui ont une ontologie plus propice à la pensée de la création n’ont pas envisagé véritablement la politique, du moins à ce que j’en sais. D’un autre côté, les religions du livre et les cultures idoines, a priori hostiles à la poïétique humaine, n’ont pas empêché les proto bourgeois et les Révolutionnaires de reprendre le projet d’autonomie. Rien d’essentialiste là dedans donc.

Faut-il se nier soi-même comme croyant pour être démocrate ? La question peut légitimement être posée. Et si l’exemple grec réfute cette idée, on peut quand même reprendre la question en pensant la démocratie plus loin que les grecs (les limitations des grecs venaient-elles de leurs croyances (religieuses) ? Plus généralement, est-il possible de croire en Dieu du livre et de penser que l’origine du sens est dans l’imaginaire humain ?). Castoriadis dit par ailleurs que le christianisme originel est un acosmisme qui interdit toute construction sociale (« Le cache-misère de l’éthique » in la montée de l’insignifiance), et que les chrétiens ont commencé à se nier dès le début. Pensée essentialiste ? Il est clair que dans ces domaines rien n’est pur et que la pensée abstraite, pour puissante qu’elle soit, peut être un piège si elle n’est pas prise pour ce qu’elle est et que ses grosses catégories ne sont pas utilisées à bon escient. Se nier soi-même, n’est-ce pas pourtant une belle définition de l’homme comme être en devenir ? Rien de péjoratif là dedans. Par ailleurs l’ontologie de Castoriadis est fondamentalement non essentialiste.

Mais ainsi, que peut-on dire du type anthropologique démocratique ? D’abord qu’une fois apparue la démocratie est en droit accessible (héritage) à tous les peuples. Et en soi, la démocratie pourrait émerger n’importe où de par la puissance poïétique de l’imaginaire social instituant (la Grèce n’est pas l’origine nécessaire de cet éthos car l’imaginaire n’est pas déterminé, mais il y a des étayages qui, absents, étoufferaient son développement. Or en Grèce, l’institution imaginaire de la société a permis à cette nouvelle poussée imaginaire de se développer). Dans cette veine, on ne peut nier que certains aspects de certaines cultures tirent dans l’autre sens. Il convient alors de penser les difficultés à étayer les poussées révolutionnaires mais aussi d’être conscient que la révolution permet de se donner les conditions du changement de l’institution imaginaire de la société. Ceci n’est pas un cercle logique vicieux mais le « cercle de la création ».

On a donc tout sauf une pensée essentialiste. Alors pourquoi Castoriadis parle ainsi des arabes ? Sans doute parce qu’il pensait que l’aspect le plus prégnant à un moment donné était l’aspect contraire à la démocratie. Faut-il dire avec lui tel que tu l’entends que les arabes ou les musulmans sont incapables de démocratie ou de critique ? Certainement pas. Faut-il dire qu’ils ne peuvent l’être qu’en se niant ? La question apuuyant lourdement cette notion de négation de sa prétendue essence peut être envisagée comme question théorique coquette mais n’a pas ici grand intérêt. Car la complexité oblige à penser l’auto altération continue des sociétés même les plus figées en apparence (cela Castoriadis le dit dans l’IIS), de même que les échanges et les « contaminations ». Pourtant, à ce moment précis, Castoriadis pensait que dire simplement et grossièrement que les arabes n’étaient pas sur cette voie était plus clair. Position évidemment critiquable.

Rappelons tout de même qu’il fait la même chose avec l’Occident. Il le critique à longueur de page. Explique comment notre type anthropologique n’est plus démocratique (privatisation et conformisme). Certes il y a l’héritage grec et révolutionnaire mais il est autant notre héritage aujourd’hui que celui de n’importe qui (et plus visiblement chez les arabes que chez nous, indétermination de l’histoire…). L’héritage c’est aussi la manière dont on s’en saisi. Il n’y a donc pas de préséance, seulement un « faire être » propre aux divers peuples. Après on dira sans doute avec vérité que cet héritage n’est pas totalement aussi présent chez certaines tribus (qui ne connaissent pas ces notions), dans certains peuples (qui tendent à s’instituer autrement) etc. Enfin, on peut penser avec Castoriadis que le gréco occidental est fondamentalement ambigu car il porte « génétiquement » le projet d’autonomie mais également le projet de maîtrise rationnelle.

Pour terminer, mais là c’est plus de la gaudriole bien que ce soit un raisonnement d’une rigueur sans faille :

Yves dit que « certains libertaires » devraient « couper définitivement le cordon ombilical qui les rattache à leur Maître à penser ». L’argument peut sans dommage se résumer ainsi : Castoriadis assène des affirmations essentialistes non argumentées mais théoriquement insalubres : les musulmans et par métonymie les arabes n’ont pas l’ethos démocratique puisque leur religion, essence de leur culture et de leur être, est une religion de la révélation qui met une borne radicale et définitive à la critique. Cette essence est incompatible avec l’esprit critique et la création que représente la démocratie. Or les évènements au Maghreb contredisent cela. Donc, il convient de rejeter définitivement toute la pensée de Castoriadis.

Sauf que voilà, Yves est pris à son propre jeu, il se fait essentialiste : les libertaires ne peuvent être castoriadisiens, ni comme culture (Castoriadis comme grand philosophe de la tradition) ni comme école (poursuite de l’ontologie castoriadisienne). Un libertaire castoriadisien est aussi inpensable pour Yves qu’un arabe (donc musulman) athé ou démocrate pour Castoriadis après quelques verres au PMU ! On ne peut être libertaire et castoriadisien qu’en se niant soit même. Or, il y de la raison, de la critique, du débat, des discordances, des orientations divergeantes entre ceux qui s’intéressent à la pensée de Cornélios. Donc, par pure pensée Yvesque il convient de conclure : Yves est essentialiste et il faut rompre définitivement avec lui ! CQFD

J’espère avoir rendu justice à Castoriadis, et pour me remercier d’avoir produit un tel effort de pensée, merci de m’accorder une épitaphe à la Königsberg :

« Le ciel étoilé au-dessus de moi, et Kornélios Kastoriadès en moi ! »

Frédéric

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