Essai sur la guerre du golfe (2/4)

A propos du Proche et du Moyen-Orient : Quelques mots d’histoire
mercredi 10 août 2011
par  LieuxCommuns

  • A propos du Proche et du Moyen-Orient : Quelques mots d’histoire (ci-dessous...)

(.../...)

Première partie disponible ici

6) Le problème du Proche et du Moyen-Orient et du monde arabe et musulman en général.

a) L’expansion de l’Islam, le Proche et le Moyen-Orient.

Pour traiter ce problème, il est indispensable de refaire un peu d’histoire. Remonter aux Assyriens aux Perses et aux Mèdes, aux Hébreux, à Alexandre et aux Romains, voire avant, au néolithique supérieur, n’est peut être pas indispensable, sauf que l’idéologie de nombre de peuples de la région du Moyen Orient fait sans arrêt référence à des événements qui se sont déroulés entre mille et trois mille ans avant l’époque moderne. De même on ne peut négliger les aspects religieux de la vie quotidienne, même et surtout qu’il nous est aujourd’hui assez difficile, dans l’environnement matérialiste et dans la pratique a-thée (au sens étymologique de ce terme) de comprendre les mentalités de peuples qui vivent dans une religiosité inconnue chez nous depuis le Moyen Age. N’oublions pas qu’un musulman, même peu croyant, effectuera ses cinq prières quotidiennes quel que soit l’endroit où il se trouve, qu’il respectera le jeûne du ramadan, et, en principe, qu’il viendra prier avec ses “frères” tous les vendredis à la mosquée. Toutes ces pratiques sont en fait des pratiques publiques. Leur pouvoir contraignant est considérable et l’emprise de la religion reste profonde sur les sociétés islamiques.

Il ne faut donc pas s’étonner que les leitmotive qui courent dans les groupes musulmans fassent sans arrêt référence à l’Islam, au prophète et à la communauté, l’Omma.. Ainsi nombre de fondamentalistes qui veulent réaliser une Imitation de Mahomet , comme d’autres voulaient faire une Imitation de Jésus Christ , expliquent à qui veut les entendre que l’Islam de cette époque est l’exemple de la démocratie véritable, du bonheur parfait et de la rectitude morale, et il n’est pas sans intérêt de rentrer un peu dans les détails.

A la mort de Mahomet, inattendue de lui-même, rien n’était prévu pour régler le problème de sa succession. La communauté musulmane devait se choisir un nouveau chef, le Calife, le lieutenant du prophète. Son choix, paraît-il modèle de choix démocratique, n’est pas très clair et résulta en fait de compromis entre les puissants des tribus arabes. Abou Bekr, un des beaux pères du prophète, fut choisi. Il ne régna que deux ans (632-634), mais il lança les tribus arabes dans des rezzous hors du pays, vraisemblablement pour mettre fin à nombre de luttes internes, et aux sécessions de tribus se regroupant autour de “faux “ prophètes. Les tribus partirent donc pour faire des raids, un peu à la manière des Normands, et ramenèrent passablement de butin à la Mecque et à Médine. Ce faisant, elles restaient dans la tradition bédouines de rançonner les caravanes qui allaient d’un oasis à l’autre ou se rendaient vers le sud du pays pour y chercher des aromates. Abou Bekr mort, il fallu choisir un autre successeur, toujours paraît-il par une élection. Mais de fait le Calife avait renvoyé l’ascenseur en désignant lui-même Omar, qui l’avait soutenu lors de sa propre nomination, contre un gendre de Mahomet, Ali. Le règne d’Omar (634-644) voit quelques milliers d’arabes convertis par Mahomet, mais aussi alléchés par le butin rapporté précédemment, sortir de l’Arabie. Ils entraient dans les pays dits du “croissant fertile”, c’est-à-dire plus ou moins le Proche Orient actuel, pays de vieilles civilisations, regroupant la Syrie, la Mésopotamie, la Palestine, pays essentiellement agricoles, avec des régions fertiles au voisinage des fleuves et aussi des régions désertiques. Ces pays étaient sous la domination de Byzance, en général convertis au christianisme, et rassemblaient des peuples divers, le plus souvent des sémites, et parmi eux quelques arabes. En quelques années, les Arabes d’Arabie avaient conquis la région, et atteint les frontières de l’empire sassanide de Perse qu’ils commencèrent à occuper. Toujours sur leur lancée, ils conquirent l’Egypte et commencèrent à s’aventurer vers l’Afrique du Nord. En fait les différents peuples soumis à la domination byzantine sautèrent sur l’occasion d’échapper à une administration tracassière, aux impôts élevés, etc. L’expansion de la nouvelle religion pouvait sembler irrésistible. Bien entendu les troupes conquérantes comprenaient aussi des convertis et les particularités des peuples conquis allaient vite refaire surface, aggravées encore par les tendances individualistes héritées des bédouins.

A la mort du deuxième calife Omar, en 644, assassiné par un chrétien, on écarta de nouveau Ali , jugé trop intransigeant et voulant revenir à la pureté initiale (déjà !), et on nomma une sorte de potiche, Othmân, en fait le représentant de la puissante famille des Omayyades. Othmân consolida les conquêtes, fit établir un texte définitif du Coran pour éviter les interprétations. C’est que naissaient nombre de schismes, conformément à la vieille tradition des régions conquises, qui avaient déjà connu toutes les hérésies chrétiennes. La puissance califale était en réalité ébranlée. Othmân avait même pris la décision de ne plus encourager les conversions car elles réduisaient les revenus provenant des impôts que devaient payer les dhimmis (ceux qui étaient autorisés à continuer de pratiquer leur religion). Tout cela lui fut reproché, ainsi que le comportement de son entourage. Il fut assassiné à son tour en 656 et Ali fut enfin élu (comment et par qui on ne sait trop) calife. En fait il ne fut pas reconnu par tout le monde et dût mener la guerre contre les dissidents omayyades retranchés en Syrie. D’abord il dût réduire la Mésopotamie et livrer à Bassora la première bataille entre musulmans. Mais cette victoire fut sans lendemain. Il fut assassiné en 661 par des Kharedjites , des plus extrémistes que lui, qui lui reprochaient son incapacité.

Ainsi en moins de quarante ans l’Islam avait sans doute conquis un empire gigantesque mais s’était déjà abondamment déchiré, contrairement à l’image idyllique que certains voudraient en donner. Certes après la mort d’Ali, les Omayyades s’installent à Damas (rompant ainsi de fait avec l’Arabie), battent et tuent le fils d’Ali, Hussein, à Kerbala, en Irak, s’imposent pratiquement à tout le Moyen-Orient. Ils rompent de fait avec la prétendue démocratie élective et renouent avec les monarchies héréditaires. Ils créent la dynastie qui porte leur nom et dont le pays central est la Syrie. Leur capitale est Damas, qui est à l’époque une des villes les plus riches du monde. Leur cour est brillante et leur civilisation au moins égale à celle des byzantins, mais elle mêle à la composante islamique les héritages venus de l’ancienne Syrie, tant chrétiens, que juifs ou même païens. On est loin des arabes bédouins. Les Omayyades reprennent cependant les conquêtes et l’empire musulman, plus ou moins unifié sous leur direction, s’étend des Pyrénées à l’Indus. Du point de vue religieux ils défendent l’interprétation sunnite c’est-à-dire celle qui pallie une certaine insuffisance des règlements législatifs dans le Coran par une sorte de tradition orale sensée s’appuyer sur la vie de Mahomet et de ses premiers compagnons.

Leur règne dure jusqu’en 750 avec des hauts et des bas, surtout à partir de 720, où un descendant d’Abbas, un des oncles du prophète, s’allie aux chiites, les partisans d’Ali (qui ont maintenant leur martyr en la personne d’Hussein), et à des Persans, pour les éliminer complètement et se proclamer calife à Kufa, l’ancienne Ctésiphon. Cette fois la nouvelle dynastie, les Abbassides, s’installe dans l’ancienne Mésopotamie qui à l’arrivée des premiers arabes était séparée entre la Perse et Byzance. Elle y fonde sa capitale, la ville de Bagdad, où elle va régner pendant cinq siècles. Damas a définitivement perdu toute importance. La brillante civilisation qui se développe à Bagdad, surtout dans le premier siècle, est de nouveau un remarquable mélange d’influences helléniques, araméennes, hindoues, persanes, qui proviennent entre autre de sa situation au barycentre entre l’Orient et l’Occident. C’est à cette civilisation “arabe” que l’on doit d’avoir transmis à la renaissance européenne, via l’Espagne musulmane et juive, l’héritage grec et les développements remarquables qu’elle a elle-même créés. Elle est sans commune mesure avec celle de l’Occident chrétien obscurantiste et de son église intransigeante, destructrice quasi-systématique des héritages de la civilisation antique. Symptomatique du mélange du monde abbasside, les princes qui y règnent sont nés de femmes non arabes et les vizirs qui la gouvernent sont de toute origine, par exemple Persans comme les plus célèbres d’entre eux les Barmécides, les ministres d’Haroun ar-Rachid dont parlent les Mille et Une Nuits. En grande partie la richesse de l’empire abbasside provient, non seulement de l’agriculture, mais aussi du commerce arabe qui sert de liaison entre l’Extrème Orient et l’Occident. La route de la soie passe par les pays musulmans.

C’est en se référant à cette période que l’on fonde la réputation d’un Islam tolérant, leitmotiv d’une certaine propagande actuelle qui ne touche pas seulement les milieux musulmans. Ce genre d’affirmation nécessite quelque mise au point. Certes, à certaines périodes, l’Islam est tolérant, mais il faut bien souligner que cette tolérance s’exerce sous sa domination et dans ses termes. Tout pendant que les dhimmis veulent bien accepter leur position subalterne, tout va bien, ils peuvent même monter dans la hiérarchie sociale et s’enrichir. Mais il ne peut être question pour eux d’aller au delà. On songe irrémédiablement à la condition des juifs dans la région de Montpellier en France à la même époque, qui pouvaient prospérer tranquillement, à condition d’envoyer chaque année, en signe d’infériorité, un des leurs se faire gifler publiquement le Vendredi Saint pour expier le déïcide au nom de son peuple. Dans les deux cas il reste une affirmation : on ne saurait tenir pour égaux les tenants de la vraie religion et les autres. Il en va de même pour les royaumes chrétiens espagnols du Moyen âge qui ont des juifs et des musulmans comme ministres, mais qui, même si le roi est quelque peu impie, ne mettent pas en cause la supériorité du christianisme. Quoi qu’il en soit, et pour s’en tenir à cette période du Moyen âge, l’Islam, compte tenu de ces réserves, est plus “tolérant” en moyenne que la chrétienté qui, elle, extermine les hérétiques. Mais il a quand même des périodes de retour à l’oppression et à l’intolérance, souvent sous la forme de soulèvements de fanatiques voulant rétablir la vraie foi et déclarant la guerre sainte.

Si je me suis étendu assez longuement sur cette période de l’Islam, c’est que d’abord elle est en général assez mal connue en Occident, mais c’est surtout qu’elle fait partie de cet imaginaire arabe qui parcourt tant les intellectuels que les masses du monde islamique. En fait la civilisation arabe proprement dite ne dure qu’un siècle au plus, et encore. En revanche ce qui a davantage duré et marqué c’est une civilisation cosmopolite fondamentalement musulmane qui s’incorpore des composantes venues d’un peu partout, dont elle a su faire une digestion et une amélioration remarquable. Car, en réalité, dès le Xe siècle le pouvoir des califes abbassides n’est plus que nominal. L’Egypte, devenue chiite, l’Afrique du Nord, l’Espagne, l’Arménie leur échappent. De plus les grandes invasions, déclenchées par le renforcement de l’empire Song en Chine, commencent dans la seconde moitié du Xe siècle, avec l’arrivée des Turcs seldjoukides. Ceux-ci adoptent le sunnisme et créent le sultanat qui, en fait, est émietté en principautés rappelant le féodalisme européen. Comme tous les nouveaux convertis, ils se montrent d’abord intransigeants et interdisent la visite des lieux saints aux chrétiens (pourtant source importante de revenus) donnant le prétexte aux croisades dont je dirai quelques mots plus loin, mais aussi réimposent le sunnisme à l’Egypte qu’ils gouvernent par Mamelouks interposés. A leur suite se précipitèrent toute sorte d’envahisseurs. D’abord les Mongols. Ils prennent Bagdad qu’ils détruisent en 1258 et qui, si elle se releva quelque peu par la suite, ne reprit jamais son rôle de capitale, ni a fortiori sa place de centre du monde. Les Mongols, souvent bouddhistes (!!) ou incrédules et plutôt favorables aux chrétiens, jouaient sur les oppositions entre les diverses religions et sectes et désiraient même établir un état laïque (au XIIIe siècle !). Sans leur défaite par le sultan d’Egypte, due à ce que les Croisés ne vinrent pas les soutenir, ils auraient vraisemblablement mis fin à toute puissance musulmane indépendante. Ensuite en vinrent d’autres, dont les turcomans de Tamerlan qui rétablirent, dans les massacres, l’orthodoxie musulmane. La paix ne fera sa réapparition que lorsque les Ottomans réussiront à imposer la domination, d’ailleurs universellement détestée, des Turcs de la Sublime Porte, qui ont pris Constantinople, nommée maintenant Istanbul. Les invasions cessent entre autres parce que l’invention des armes à feu permet aux villes de se défendre efficacement. En réalité toute la région avait déjà perdu son importance mondiale dès le XVe siècle, tout simplement parce que le commerce des épices et de la soie était passé entre les mains des navigateurs occidentaux et se faisait par l’océan atlantique (la raison du déclin de Venise). Le Proche Orient entre dans une totale léthargie. Il faut attendre le XIXe siècle pour voir y arriver Bonaparte, puis y enregistrer quelques tentatives pour secouer le joug de la puissance turque en déclin. Ainsi les chrétiens du Liban qui conquièrent en partie la Syrie et doivent d’ailleurs faire face à une révolte qui les chasse. Ainsi les Mamelouks de Méhémet Ali l’Egyptien, qui conquirent la Palestine et la Syrie se dirigèrent vers Istanbul qui fut sauvée par l’intervention... des grandes puissances, Angleterre, France, Russie !

Le cas de la Perse, autre état important de cette région est encore plus symptomatique. Si dans le Moyen Orient l’arabe put s’imposer comme langue véhiculaire (et encore sous des formes dialectales telles qu’il est difficile pour un Egyptien et un Irakien de se comprendre), à des peuples d’origine sémitique parlant des langues de la famille de l’arabe, la Perse, peuplée d’Indo-européens, si elle se convertit à l’Islam, résista à l’arabisation, gardant sa langue puis son indépendance. Elle subit aussi les invasions, connut tout sorte d’aléas et fut même à un moment gouvernée par un prince mongol bouddhiste qui favorisait les chrétiens et opprimait les musulmans. Au début du XVIe siècle elle se libéra complètement de toute influence turque et créa un empire gouverné par le shah qui s’empressa d’imposer le chiisme comme religion d’Etat tout simplement parce que les Turcs étaient sunnites. La Perse connût son apogée au XVIIe siècle allant même jusqu’à reconquérir ce qu’elle considérait comme ses provinces occidentales, les provinces orientales de l’Irak actuel où se trouvent les villes saintes chiites de Nedjef et de Kerbala. En tout cas elle ne cessa de se défendre contre les turcs sunnites de Constantinople et réussit à préserver ses particularités jusqu’à nos jours.

Vieux pays de civilisation, l’Egypte a aussi connu des fortunes diverses. Après sa conquête par Omar, elle mit un certain temps à se convertir à l’Islam et à adopter la langue arabe (au VIIIe siècle seulement, et elle garde une importante minorité copte). Un temps indépendante, elle est reprise par les califes abbassides, puis conquise par les fatimides chiites venus de .. Tunisie, qui fondent la ville du Caire où ils installent un anti-califat. Ils règnent de 969 à 1171. Ils sont renversés par Saladin qui rétablit le sunnisme, tout en restant indépendant de Bagdad et qui reprit Jérusalem aux Croisés (voir plus loin).Viennent ensuite les Mamelouks, esclaves de la garde des descendants de Saladin, qui font du pays un des plus prospère de l’Islam. Ils arrêtent l’expansion mongole du XIIIe siècle et règnent sans partage jusqu’au XVIe siècle où ils passent sous la domination de la Porte. En fait l’Egypte avait déjà perdu sa puissance dès le XVe siècle, à la suite de la découverte du cap de Bonne Espérance. L’arrivée de Bonaparte s’inscrit dans le cadre de la rivalité franco-anglaise. Elle laisse l’Egypte dans le plus complet désordre, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Méhémet Ali (1805-1849 ) qui, comme je l’ai dit plus haut, menaça Istanbul, mais fut arrêté par les Anglais qui en profitèrent pour imposer leur volonté puis une occupation militaire à partir de 1882.

L’Arabie, dont étaient sortis les conquérants, ne joua pratiquement aucun rôle dans cette période. Pays pauvre, mais détenant les lieux saints source de revenus à cause du pèlerinage, elle se borna à résister le plus possible aux empiétements des Califes. Les rivalités internes étaient incessantes et en particulier entre les deux villes saintes de la Mecque et de Médine qui s’appuyaient tantôt sur l’Egypte, tantôt sur Bagdad, tantôt sur la Porte. Les sectes y proliféraient. L’Arabie du Sud, essentiellement le Yémen, beaucoup plus riche, gardait une espèce d’indépendance. Quant aux futurs émirats de la côte du golfe persique, connue aussi sous le nom de côtes des pirates, ils tiraient l’essentiel de leur ressources de la course contre les bateaux britanniques de la compagnie des Indes. Ils échappaient à la tutelle directe des Turcs et le Koweit, déjà sous un semi-protectorat anglais depuis 1799, sans doute pour faire cesser la course, fut reconnu “indépendant dans le cadre de l’empire ottoman” par un accord... anglo-turc de 1913 !

On imagine difficilement en Europe occidentale, région chargée d’histoire ininterrompue, ce que peut signifier pour un intellectuel et pour un peuple patriote de n’avoir d’histoire glorieuse et stable que mille ans ou presque auparavant. Si on se reporte vers le passé plus proche, on n’y voit que guerres, rapines et esclavage. D’où cette volonté d’oubli de toute cette période et ce retour à un passé fantasmatique. Les peuples heureux n’ont pas d’histoire dit-on, il semble que d’en avoir une en quelque sorte fantôme ne fasse pas le bonheur. De plus toute référence à cette époque des califes arabes réveille toujours quelques rancoeurs entre Damas et Bagdad, s’articulant sur le souvenir de la rivalité Omayyades-Abbassides. Hafez el Assad et Saddam Hussein font souvent allusion à ces époques glorieuses, le second remonte même à Nabuchodonosor II, roi de Babylone de 605 à 562 avant le Christ, peut être parce qu’il avait déporté les Hébreux, peut être aussi parce qu’il avait battu les Egyptiens. En tout cas Saddam, en déportant récemment les Kurdes, a renoué avec cette invention assyrienne.

Autre imaginaire encore, celui qui court autour des croisades. Certes l’arrivée des Croisés, ces bandes de sauvages persuadés de détenir la vérité, menant la guerre sainte (tiens , tiens !) détruisant tout sur leur passage, massacrant hommes femmes et enfants, intimement persuadés qu’ils gagnaient ainsi le paradis, a été un terrible choc pour des populations qui, à l’époque vivaient dans une paix relative, en fait sous le régime de luttes ritualisées entre princes féodaux, en principe vassaux des Turcs seldjoukides. Mais au cours du temps les Francs finirent par prendre les habitudes locales, et, mis à part la religion, ils ne différaient guère des autres princes et sultans. Les renversements d’alliance étaient fréquents, et des princes chrétiens et musulmans n’hésitaient pas à s’allier entre eux contre d’autres princes chrétiens ou musulmans. Lorsque Jérusalem fut reprise par Saladin en 1188, il s’en suivit la troisième croisade. Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion prirent Saint Jean d’Acre en 1191 et signèrent avec Saladin une paix qui lui laissait l’intérieur de la Palestine et la Syrie mais qui gardait aux Francs tout le littoral. On est loin de cette victoire définitive qui traîne dans l’imaginaire musulman. De plus Saladin n’est pas un arabe, mais un Kurde, et quand on sait ce que pensent des Kurdes ceux qui se disent arabes....

b) Histoire politique du Proche et du Moyen Orient de la guerre de 1914 à 1945.

Ainsi au début du XXe siècle le Proche et Moyen Orient se trouve, pour l’essentiel divisé entre l’empire turc de Constantinople, le royaume de Perse encore affaibli et l’Egypte déjà sous la domination anglaise. D’Arabes, il n’est pour ainsi dire plus question. De fait, et c’était le but du long rappel historique de le montrer, le Proche et Moyen Orient est un kaléidoscope de peuples divers, résultant d’invasions, de déplacements forcés etc. et dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont guère unis, même s’ils se retrouvent parfois vaguement dans le souvenir de splendeur passée de leurs pays. Géographiquement ils sont mêlés les uns dans les autres, et outre que les différences religieuses continuent de jouer un rôle considérable, il n’y a pas à proprement parler de sentiment national, sauf en Perse, en Egypte et peut être dans la partie chrétienne du Liban. Le fait que certains peuples se prétendent “arabes” est purement idéologique. Il repose sur l’utilisation de la langue, mais aussi sur l’idée que le peuple arabe, celui du prophète, est le premier peuple de la terre, le peuple élu véritable, et que par conséquent il est noble d’avoir quelques gouttes de ce sang dans les veines, et que ces quelques gouttes effacent pour ainsi dire l’origine bâtarde des autres.

Paradoxalement c’est l’Occident qui va réveiller cette région. Dès la fin du XIXe siècle, il y a une très forte concurrence entre quatre grandes puissances l’Angleterre, la France, l’Allemagne et la Russie, alors dans sa période d’expansion. Le tout se fait dans l’ambiance de décomposition progressive de l’Empire Ottoman, qualifié à l’époque d’homme malade.

La Russie vise à obtenir des débouchés sur les mers chaudes. Elle voudrait pouvoir contrôler les Dardanelles voire le Bosphore, elle s’en prend donc plus directement à la Turquie qu’à l’occasion l’Angleterre défend. Celle-ci, au contraire, veut assurer sa route vers les Indes, et ce d’autant plus que s’est ouvert le canal de Suez en 1869. Elle occupe donc l’Egypte dès 1882. Si elle pénètre en Perse c’est qu’elle veut contrer l’avance des Russes qui viennent de se constituer leur empire du sud de l’actuelle URSS. Ce n’est pas tellement le pétrole qui l’intéresse encore, sauf qu’en 1908 le premier puits perse fournit du naphte. Les Anglais créent l’Anglo Persian Company. J’en reparlerai un peu plus loin.

Avec la guerre de 1914 la situation évolue rapidement. La Turquie s’est alliée à l’Allemagne et à l’Empire austro-hongrois. Les Alliés vont la traiter en envoyant un corps expéditionnaire en Grèce (à Salonique). Mais l’Angleterre réagit sur un autre terrain. C’est elle qui fait réellement naître le mythe unificateur, le mythe arabe, dirigé contre les Turcs. Elle s’installe dans ces régions où l’on prédit l’existence de sources de pétrole et réalise une sorte de continuité territoriale jusqu’aux Indes. Elle va chercher un hachémite, Husayn ibn Ali (membre d’une famille qurayshite dont faisait partie Mahomet et alors gardien des lieux saints en Arabie), pour mener une insurrection arabe contre les Turcs. L’hachémite aurait voulu s’installer à Damas et refaire sous sa direction une sorte d’unité du Proche Orient. Mais c’était compter sans l’opposition de la France, et aussi en sous main, de l’Angleterre. Finalement celle-ci créa deux royaumes, l’un en Jordanie, l’autre en Irak, donnés aux fils d’Husayn. Ces souverains, sortis d’Arabie, revenaient, à 1300 ans de distance, conquérir le Moyen Orient !

Les Français n’avaient pas voulu rester à l’écart de toute cette affaire. Ils avaient envoyé un corps expéditionnaire soutenir l’armée anglaise de lord Allenby en Palestine, manière pour eux d’affirmer leur présence face à la toute puissante Angleterre. Celle-ci avait voulu se réserver une sorte de présence effective sur les débouchés pétroliers (les sorties des pipelines venus de Mossoul, dans le nord de l’Irak) en créant les protectorats de Palestine, de Syrie et du Liban. Ces deux derniers furent attribués à la France. Dans leur protectorat les Anglais, liés par la déclaration Balfour (1917) qui prévoyait la création d’un Foyer national juif en Palestine, autorisèrent les implantations de colonies sionistes. D’une certaine manière la politique traditionnelle de la Grande Bretagne se retrouve ici : elle a mis en place tout ce qu’il fallait afin de diviser pour régner. Dans leur protectorat, les Français essayèrent de mener le même genre de politique. Ils créèrent le Grand Liban à dominante chrétienne, divisèrent la Syrie en quatre états, cédèrent la ville d’Alexandrette aux Turcs, etc.

En Arabie, les choses en allèrent autrement. Les Anglais, toujours menant leur politique d’équilibre, avaient favorisé la fois Husayn ibn Ali et le wahabite rigoriste ibn Saoud. Par une suite de coups de mains hardis ce dernier, venant du Koweit, finit par s’assurer la domination sur l’Arabie proprement dite et par chasser Husayn. À l’époque il n’est pas question de pétrole, et ibn Saoud ne veut que rétablir la religion vraie, la pureté des lieux saints, ramener le calme entre les bédouins, et bien entendu se conquérir un royaume.

En Perse, la dynastie des Qadjar avait dû louvoyer entre la domination anglaise et la domination russe, dans une situation rendue encore plus complexe par les manoeuvres des Allemands. En 1901 une révolte avait imposé un parlement au shah, mais en 1908 les Anglais et les Russes réinstallèrent le gouvernement autocratique. Nous avons vu que c’est à cette époque que jaillit le premier pétrole. Pendant la guerre mondiale il y eut une sorte de guerre civile locale pendant laquelle les partisans de l’Allemagne et les Turcs furent vaincus. Les Anglais sortirent maîtres de la situation et voulurent imposer une sorte de protectorat. Ils y tenaient d’autant plus que le pétrole prenait de plus en plus d’importance et qu’ils cherchaient à défendre les intérêts de l’Anglo-Persian. Ils en furent empêchés par les Etats-Unis et la France. Il en résulta une période troublée au cours de laquelle le ministre de la défense Reza Pahlavi, un ancien gendarme de la garde impériale, déposa le souverain et se proclama shah in shah (1925).Mais l’Anglo Persian garda la main sur le pétrole. En Egypte enfin, les Anglais restaient maîtres de la situation. Ils y entretiendront longtemps des garnisons.

Ainsi, à la fin de la première guerre mondiale l’Angleterre semble régner pratiquement sans partage sur toute la région. Elle y impose ses choix. Le pétrole devient de plus en plus important dans le monde, mais le capital anglais reste pratiquement libre d’en déterminer l’exploitation qui lui convient. Ainsi, en Arabie, ibn Saoud avait accordé une concession de recherche à des entreprises britanniques. Elle ne fut jamais exploitée, les britanniques ne voulant pas créer de concurrents à l’Irak Petroleum ni à l’Anglo Persian. De plus, sur la foi de leurs techniciens, ils ne croyaient guère à la richesse du sous sol de l’Arabie et des Emirats. Les savants n’ont pas toujours raison.

Cette domination n’est pas vraiment une colonisation, les Anglais y règnent toujours par personnes interposées. Ils laissent donc une apparence d’indépendance, avec parfois la présence d’un contingent militaire comme en Egypte. Pour assurer leur règne, ils pratiquent une politique de bascule, favorisant tantôt le régime en place, tantôt ses opposants. Ils continuent aussi de lutter contre les autres capitalistes qui veulent soit accroître leur influence comme les Français, soit s’introduire dans la région, comme les Allemands et surtout les Américains.

Bien entendu, dans la situation nouvelle ainsi créée, une sorte de nationalisme commence à se faire jour. Le modernisme fait son apparition et, avec lui, une volonté de développer le pays. Beaucoup de dirigeants locaux veulent créer une industrie, voire même des universités modernes. D’autres, au contraire, ne veulent rien entendre de tel car ils y voient une menace pour leur pouvoir. Il y a cependant, à cause des rivalités entre capitalistes et de la montée des classes moyennes une certaine liberté d’action. Par exemple ibn Saoud accorde en 1933 à la Standard Oil of California, une concession valable jusqu’en 1999. L’émir du Koweit accorde en 1933 une concession qui associe Anglais et Américains. Certains cherchent à obtenir le soutien de l’Allemagne nazie. Ainsi en Perse, où le shah lance une vaste politique de modernisation qui favorise assez systématiquement les Allemands. Ceux-ci jouent un rôle important dans l’industrialisation, la création des moyens de communication et inquiètent fortement les Anglais. Ce flirt avec les nazis dépasse nettement les dirigeants et touche souvent les masses populaires. La propagande antijuive est assez développée. Les minorités juives sont nombreuses et assez riches dans ces pays. On leur reproche d’être alliées au capitalisme international colonisateur. La sympathie pour les nazis va assez loin surtout pendant la seconde guerre mondiale, au moment où Rommel s’approche de l’Egypte. L’Afrika Korps comme libérateur des peuples arabes ! En Irak, après la chute de la France en 1940, des nationalistes font un coup d’état favorable à l’Axe. Les Anglais finissent par réagir, occupent le pays, et rétablissent la politique de collaboration. Pendant ce temps, le gouvernement de Vichy avait autorisé les Allemands à utiliser la Syrie comme base aérienne pour aller soutenir les Irakiens. Les Anglais, venus d’Egypte, et aidés des Français Libres de Catroux, occupent le pays et le Liban en mai 1941. En Perse, devenue l’Iran en 1935, le shah est accusé de favoriser les menées nazies. Le pays est envahi par les Anglais et... les Russes. Le shah est déposé en septembre 1941 et remplacé par son fils Mohammed, celui que nous avons connu.

A côté de toutes ces péripéties, on peut aussi noter l’apparition des premiers partis politiques nationalistes et socialistes (pas nazis !). En Egypte, c’est le Wafd (parti extrêmement populaire avant la guerre), essentiellement nationaliste, qui s’oppose à la cour et que les Anglais favorisent ou freinent selon les besoins de leur politique de bascule. Dans le Croissant Fertile, c’est le Baath, fondé en 1940, par des chrétiens et des musulmans. Contrairement à l’Egypte, ou à l’Iran, où la tradition nationale existe vraiment, le Baath doit s’appuyer sur un autre genre d’idéologie que le nationalisme pur et simple. Il se veut héritier de la grandeur arabe, en fait de l’Islam, mais vu sous son angle civilisateur, universel, tolérant et transnational. C’est pourquoi il se proclame anticonfessionnel, socialiste et négateur jusqu’à un certain point des frontières hérités du partage franco-anglais d’après la dernière guerre. Il s‘oppose à la création arbitraire des royaumes hachémites et promène une phraséologie socialiste qui rappelle passablement celle des communistes. Il se prononce en faveur de réformes agraires et de nationalisations des sources de pétrole. Le parti Baath est le premier parti panarabe digne de ce nom. De fait il essaie de créer une nouvelle notion de l’arabisme, indépendante de l’Islam. Mais il est évidemment loin d’être uni, et, comme on le verra un peu plus loin, dès qu’il pourra prétendre au pouvoir, il éclatera rapidement pour se transformer en champ clos de rivalités de personnes et de cliques.

Pour être complet, il faudrait mentionner le parti communiste et les fondamentalistes religieux. Le premier est pratiquement inexistant, sauf peut être chez des intellectuels juifs et arméniens, et en Iran où la Russie a une chance de jouer un rôle. Les seconds restent puissants, mais on peut les considérer néanmoins comme en perte de vitesse, sous une certaine poussée de la modernisation. Le monde musulman, dans son ensemble et pas seulement dans ces régions qui subissent l’influence directe de l’Occident, n’est plus isolé. La radio a fait son apparition, les trains commencent à circuler, les voitures aussi. L’Orient qui plaisait tellement aux peintres romantiques est mort. C’est la naissance du nouveau monde qui a résulté de cette disparition que nous avons vue et voyons encore se dérouler sous nos yeux. Il est temps de se pencher sur cet accouchement.

(.../...)

Troisième partie disponible ici


Commentaires

Navigation

Articles de la rubrique

Soutenir par un don