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lundi 31 janvier 2011
par  LieuxCommuns

Notes sur le mouvement social d’octobre 2010

Ce texte fait partie de la brochure n°16 « Octobre 2010 - La lutte à la croisée des chemins ». Elle est en vente pour 2€ dans nos librairies. Son achat permet notre auto-financement et constitue un soutien aux librairies indépendantes (vous pouvez également nous aider à la diffusion). Il est (…)

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jeudi 3 février 2011 à 14h23 - par  Jacques Wajnsztejn

J’ai trouvé votre texte intéressant mais je voudrais vous faire quelques remarques :

  • dans la forme je trouve dommageable d’avoir utilisé parfois comme sous-titre un passage en revue des forces en présence ou protagonistes du mouvement ce qui aplatit les différences et donne l’impression d’une équivalence alors que syndicats et insurrectionnalistes, pour ne reprendre que cet exemple, ne constituent pas des structures et des espaces d’intervention comparables.
  • Si pour vous 2010 semble clô la période initiée en 1995 (je dirais plutôt en 1986), c-à-d celle des « mouvements sociaux » faudrait-il dire encore pourquoi. D’accord pour dire que cette période succède à celle des luttes ouvrières des années 60-70 et à leur défaite qu’on peut dater pour l’Europe à 1979-80. Mais ces mouvements sociaux se situaient encore en référence au fil rouge de l’histoire des luttes de classes et du mouvement ouvrier. Et cela malgré le fait qu’ils aient abandonné (surtout à partir de 1995) leur base de classe (« Tous ensemble »). Ce qui relie encore tout cela, c’est l’extension continue, au moins jusqu’à 2000 du salariat et le maintien de l’idéologie de la centralité du travail. On retrouve cette idée de centralité du travail aussi bien dans le mouvement de 95 autour d’une Sécurité Sociale légitimée et financée justement sur cette base bien que les premiers signes de sa nécessaire fiscalisation dans une société qui n’est plus une société du travail apparaissent déjà (CSG, CMU), que dans le mouvement de 2003 sur des retraites basées sur le même principe et soumises donc aux mêmes conditions. En est-il autrement dans le mouvement de 2010 ? Je ne le pense pas et votre texte non plus quand il analyse la SS comme le fruit du plus grand mouvement émancipateur de tous les temps ! Le mode de régulation fordiste auquel appartient ce type d’institution (la SS) n’est émancipateur que par rapport à une situation où la force de travail serait tendanciellement réduite à l’état d’une pure marchandise, ce qui est déjà très discutable (cf. la critique de Polanyi adressée à la thèse de Marx et aussi nos analyses dans la revue Temps critiques), mais n’est en rien émancipateur vis-à-vis du travail comme fruit de la séparation, de la domination et de l’exploitation. Le mouvement de 2010 est encore en plein là-dedans puisqu’il n’a, pas plus qu’en 2003, fait le lien entre les attaques sur les acquis (âge des retraites et niveau de vie), la perte de substance du travail (pour une majorité il n’est plus qu’un « emploi » et dans certains pays un « job ») et l’inessentialisation de la force de travail. C’est ce lien qui aurait pu lui permettre de poser un écart par rapport à la situation de salarié et de développer une perspective autre que vous appelez de vos voeux.
  • le texte me semble donc contenir une contradiction entre le fait de dire que le mouvement n’a pas développé de projet autre, d’alternative et le fait de ne pas reconnaître qu’il est encore dans cette optique de la société du travail. Votre idée d’un salaire égal pour tous tombe alors à plat car nous ne sommes plus dans les années 50-60 de Socialisme ou Barbarie pendant lesquelles le salariat continuait son extension quantitative tout en développant une nouvelle division du travail et de nouvelles hiérarchisations. Aujourd’hui de plus en plus d’individus se retrouvent en bordure du travail (les stagiaires, les rmistes, les contrats aidés, les chômeurs) en bordure du salariat (les nouveaux petits entrepreneurs, les intermittents du spectacles et tous les free lance et petits boulôts)et pour eux un salaire égal pour tous n’a pas grande signification : ce qu’ils veulent c’est une extension de la gratuité, un revenu garanti en dehors du temps de travail officiel (remise en cause de la loi de la valeur) ou éventuellement comme à la Guadeloupe, en Egypte ou ailleurs un prix maximum sur les produits de première nécessité, mais comme vous le dites ils ne sont pas contre cette société car la société capitalisée c’est justement une société qui a englobé les antagonismes et particulièrement celui entre capital et travail pour ne plus laisser subsister que la dépendance réciproque (à la puissance et au profit d’un côté, au revenu de l’autre). Comme vous le dites cela a été le fruit d’une véritable révolution anthropologique (nous parlons nous plus globalement d’une révolution du capital) qui ne se limite donc pas au pouvoir de cette oligarchie qui vous semble mener le monde.
  • Si les AG interpro d’aujourd’hui n’arrivent pas à la hauteur des coordinations de 86, c’est un peu pour les mêmes raisons : les coordinations reposaient encore sur l’idée de professionnalité et sur la défense du métier (« roulants » de la SNCF, infirmières des hôpitaux) dernier vestige de l’identité ouvrière fondée sur le travail or dans la société capitalisée cette identité ne peut même plus être affirmée ou alors il faut quasiment se mettre dans l’illégalité pour continuer à le faire (cf. le cas des enseignants « désobéisseurs » ou des salariés de Continental). Les AG interpro représentent une forme encore plus artificielle de la décomposition des classes : les coordinations (comme plus tard le néo-syndicalisme à la SUD issu des mêmes corporatismes) exprimaient déjà la fin de l’unité comme projet et le repli sur les corporations (les « roulants » refusaient de se lier aux autres cheminots, les infirmières cherchaient à faire reconnaître la valeur de leur diplôme sans rapport avec les conditions des salariés subalternes des hôpitaux), les interpro représentent aujourd’hui une tentative artificielle de recréer une unité dite à la base alors qu’elle ne regroupent souvent que les néo-syndicalistes plus ou moins gauchistes et quelques grévistes mouvementistes. Leur seul rôle est finalement de reprendre le mot d’ordre classique du mouvement ouvrier à ses meilleurs moments : grève générale ou alors celui qui a été érigé en modèle par les mouvements sociaux depuis les années 2000 : grève reconductible. Or ces deux formes renvoient à des modes d’action typiques de l’époque de la centralité ouvrière, typique de l’époque où le nerf de la guerre c’était la production et où il fallait faire céder les patrons. Il en est tout autrement quand le principal patron (direct ou indirect) c’est l’Etat et que ce qui est central ce n’est plus la production mais la reproduction. De là provient la dimension stratégique, à l’origine, des blocages : ils représentent une action contre les flux plus que sur les stocks, une action vers l’extérieur plus que vers l’intérieur. Là aussi on a changé de période, on n’est plus dans les occupations et les tentatives d’autogestion ou de gestion ouvrière, encore une perspective de SoB, mais dans l’idée plus ou moins explicite que le capital s’est restructuré sous forme de réseau. De la même façon que sur la chaine des années 60-70 il suffisait qu’un secteur bloque un segment de la chaine pour arrêter le processus usinié on a aujourd’hui l’impression que bloquer un segment du réseau suffit à arrêter le procès d’ensemble du capital. C’est ce qui a donné son retentissement au blocage des ports pétroliers. Mais les limites du blocage sont vite apparues : le blocage ne peut être partiel, il faut qu’il aille jusqu’à la paralysie comme vous le dites très bien ; le blocage doit être massif sinon il devient un mouvement de quelques uns qui vient se substituer à la grève de tous (c’est en cela que la CGT, dans ses derniers bastions a utilisé la technique du blocage et des opérations coups de poing dans la tradition stalinienne) ; le blocage n’est qu’une forme qui ne vit et se développe qu’en fonction d’un contenu. Si ce contenu n’est pas discuté et ne s’approfondit pas, la forme devient rapidement une coquille vide qui s’épuise.
  • il est à noter quand même que les blocages ne sont arrivés que dans un deuxième temps et qu’ils ont produit une certaine radicalisation du mouvement dans la mesure où ils n’ont pas concerné que certains secteurs et entreprises mais aussi la rue. Dans plusieurs villes, comme à Lyon par exemple c’est la rue qui a été occupée, les centre-villes qui ont été bloqués parce que justement, dans ce second moment de nouveaux protagonistes ont rejoints le mouvement, protagonistes qui remettaient en question leur affectation dans un lieu particulier (les lycées, les facs, les banlieues) pour déborder vers d’autres lieux, d’autres protagonistes, d’autres formes d’action. Ceux qui alors occupent la rue, des gares ou même l’opéra Bastille comme vous le mentionnez ne font pas que « cultiver leur propre monde, complètement étranger à celui auquel ils pensent trouver un terrain d’intervention » ; ils manifestent justement cette crise de la société du travail que je signalais plus haut et le fait que cette crise est une crise de la reproduction de l’ensemble des rapports sociaux. Il n’est donc pas question pour eux de « trouver un terrain d’intervention » dans le « social » et auprès d’un peuple que finalement ils méprisent parce que soumis aux drogues du capital, pas question de trouver un terrain d’intervention social dit autrement et c’est pour cela qu’ils veulent faire « sécession ». Ils n’ont donc aucun rapport avec les maos de la Gauche prolétarienne des années 70 : il ne miment pas en les radicalisant le langage des franges lumpenisées du prolétariat (cf. le journal « la Cause du peuple ») et le pathos viril des ouvriers aux mains calleuses de la métallurgie et de la sidérurgie. Tout juste cherchent-ils le contact avec une nouvelle « plèbe » qui leur apparaît elle aussi comme objectivement sécessionniste mais qui leur reste étrangère (ils ne « s’établissent » pas dans les banlieues comme les maos le faisaient à l’usine, ils cherchent à constituer leurs propres quartiers ou tout au plus à zoner en bordure des quartiers immigrés délabrés des centres-villes plus accessibles financièrement. Le seul point commun étant cette ignorance ou ce refus, ce qui revient au même du point de vue des résultats, de ce qui a été avant, l’histoire du mouvement ouvrier et des luttes prolétariennes. Voilà pour le moment, j’espère ne pas avoir été trop long,

JW

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