Vivre ensemble ou un exemple de pédagogie institutionnelle en maison d’enfants

instauration de rapports étroits entre jeunes et adultes et prise en charge des problèmes quand il s’en présente...
dimanche 14 novembre 2010
par  LieuxCommuns

Article paru dans Informations sociales (1989), n°7.

J. PAIN & M. PONCELET

Constituée au coeur des techniques Freinet dans les années 60 (1) la pédagogie institutionnelle s’est progressivement ouverte de l’école et de la classe aux institutions éducatives, spécifiquement d’internat et d’hébergement (2), en même temps qu’à la formation (3). Nous nous appuierons ici sur l’une des expériences de nos réseaux, en maison d’enfants, initiée en 1976, pour montrer brièvement le dispositif pédagogique au travail.

Une institution instituante

Implantée dans la province de Namur et dépendant de la Maison de nos enfants, une unité de vie (dite M 12 pour Maison de douze enfants) accueille une quinzaine de jeunes garçons et filles. Le groupe est encadré par une équipe de trois éducateurs, deux éducatrices, une chef éducatrice et une assistante sociale à mi-temps. Nous y avons expérimenté et approfondi un certain nombre d’outils pédagogiques permettant aux jeunes et aux adultes de vivre ensemble.

Chacun à la parole, mais d’une manière structurée et non destructrice. Le pouvoir et les responsabilités sont partagés, les lois de vie commune négociées démocratiquement. Un fonctionnement qui apprend au jeune à mieux maîtriser et comprendre la situation dans laquelle il se trouve, en le réhabilitant comme sujet susceptible d’intérêt, capable de mener à bien son existence, d’être considéré en tant qu’individu, reconnu et estimé socialement

Souvent, les jeunes qui nous arrivent ont, pour la plupart, déjà vécu un périple institutionnel. On parle de « cas sociaux ». En général, après la faillite familiale bien vite cautionnée, se multiplient des interventions fréquentes qui font suivre au jeune un itinéraire chaotique de placement en placement Cette situation engendre chez l’enfant des attitudes de revendication, un sentiment profond d’injustice et d’insécurité, de dévalorisalion, de culpabilité. Il considère son placement en partie comme le résultat d’une faute qu’il a commise et qui se perpétue (4). Dès lors, l’agressivité, la violence du jeune, née de ces sentiments de frustration, d’impasse, le manque de dialogue, l’absence de repères structurants, contribuent également à inciter au passage à l’acte, réponse individuelle à un problème plus global lié à l’environnement du jeune.

C’est pourquoi il nous semble important d’utiliser dans le cadre des foyers d’hébergements des structures qui tendent à repositionner l’individu. Retrouver la confiance des autres, la sienne et, par le langage, se distancier du rapport de force physique, des coups induits par la crainte d’être soi-même détruit (5).

Outils, instances, dispositif

LE CONSEIL

Il est l’outil central de notre système pédagogique mais ne peut se dissocier de la structure globale qu’il articule en fait, puisqu’il est le lieu de négociation, de l’organisation de la vie du groupe et de l’unité. C’est donc le lieu des échanges et le lieu où s’élaborent les lois. Dans ce cadre, la structuration y est tout à fait importante puisqu’elle rend le lieu sécurisant et permet la résolution des situations conflictuelles et des tensions affectives qui, non résolues, amèneraient la « mort symbolique » du groupe (1). Chaque lundi, à la même heure, au même endroit, enfants et adultes se réunissent La première semaine pour le conseil, la seconde pour la réunion des ceintures de comportement et ainsi de suite. Lors du conseil, tout le groupe se réunit sous la présidence d’un jeune ayant été élu à la majorité quinze jours plus tôt. C’est lui qui anime ou co-anime, distribue la parole et organise, avec le secrétaire et un éducateur, l’ordre de passage des points repris préalablement dans le « carnet de conseil ». Ce carnet, à la disposition de celui ou celle qui désire y noter un point précis à débattre au conseil, se compose de deux parties : d’un côté, l’ordre du jour, les informations, les demandes précises, les activités, les responsabilités ; de l’autre côté, la rubrique « Je critique - je propose ».

Le conseil commence toujours par cette partie qui est beaucoup plus utilisée par les plus jeunes. Dans de nombreux cas, le carnet sert à éviter le règlement de compte immédiat et protège les plus jeunes de l’agressivité et de la brutalité de certains grands à leur égard. Le « Je propose » permet ainsi au jeune de travailler sur la réparation, agie et contrôlée par le groupe. Toutes les décisions du conseil sont inscrites dans un cahier et font force de loi. On évite, de ce fait, les sanctions arbitraires, les faveurs... Il s’agit de restaurer le travail de la symbolisation perpétuellement dégradée par le milieu socio familial et de situer à sa juste place la fantasmatique imaginaire du jeune, celle qui lui permet d’éviter la loi, en le ramenant sans cesse à la réalité, comme réalisation tout aussi possible de soi-même. Il faut nécessairement « s’expliquer autrement ». Il n’est pas question d’imposer ou d’exercer son pouvoir par la force physique. Le partage des pouvoirs, des responsabilités, la rencontre des autres, la confrontation s’articulent par le langage. Chacun peut alors avoir une place, la sienne, reconnue par tous (6).

LES CEINTURES DE COMPORTEMENT

Nous nous sommes inspirés du fonctionnement des ceintures dans les classes coopératives (15 et 20), ainsi que de l’expérience de l’école de La Neuville (7). Il s’agissait pour nous d’adapter ce système à l’hébergement. Car nous n’avons pas à mesurer des niveaux scolaires (tous les jeunes vont dans des écoles à l’extérieur) mais avant tout le degré d’autonomisation et de socialisation de chaque jeune. Donc, les ceintures de comportement sont centrées sur la responsabilité individuelle et collective, l’acquisition de comportements « attendus ». Chaque enfant sait où il en est et voit ce qu’il doit apprendre pour progresser dans tel ou tel domaine (la prise en charge de soi, l’hygiène, la politesse, le respect de l’unité, au conseil, en scolaire).

Des critères établissent la progression dans chacun des différents domaines et sont représentés sur un grand panneau d’affichage, suivant le système des couleurs des arts martiaux : auto- et interévaluation. Deux grilles de ceintures sont en application : nous avons basé le système pour les plus jeunes sur des critères d’apprentissage et d’acquis, tandis que pour les adolescents nous parlons du comportement. La réunion des ceintures a lieu un lundi sur deux. Les plus jeunes se retrouvent avec deux éducateurs pour faire le point sur leurs ceintures ; le groupe des grands se réunit ensuite.

On assiste là à une forme de socialisation extrêmement nette : socialisation qui se traduit par la coopération, la catégorisation, l’attribution, et qui s’accompagne d’une individualisation comparative et corrélative (8), d’où l’importance de prendre le temps pour encourager leurs efforts pour « grandir ». C’est aussi, comme au conseil, un lieu privilégié d’expression et d’élaboration progressive de la parole des petits. Avec les aînés, nous parlons d’autonomie et analysons avec eux la « problématique adolescente ».

LE REFERENT EDUCATIF

Chaque jeune de l’unité a un réfèrent. C’est un éducateur plus particulièrement responsable qui va s’occuper du suivi scolaire, accompagner l’assistante sociale et le jeune lors des visites en famille et sera plus attentif à son évolution pédagogique et individuelle. Avec lui, lors d’entretiens structurés dans le temps et l’espace, il fait ponctuellement le point sur sa situation dans l’unité, sur l’évolution des projets à court et long termes, l’aide et le soutien dans ses démarches et activités extérieures. Le cadrage de cette relation va constituer un tiers médiateur. L’échange n’est possible que si l’objet en est bien défini. On se parle « à propos de... ». Il est bien question ici de repérer les phénomènes de transfert institutionnel et les relations dites « duelles ».

Comme on a pu en juger, en pédagogie institutionnelle, la pratique des réunions est fondamentale ; le conseil est l’élément clef du système des réunions et de la structure éducative que cette pédagogie nous propose. Les réunions, par leur rituel, et leur différenciation ajustée, permettent de libérer la parole tout en la structurant et offrent à chacun la possibilité d’être reconnu en tant qu’individu avec sa personnalité propre.

Démarrer l’année éducative : un point clef

La remise en place du dispositif institutionnel et de la structure M 12 s’effectue chaque année dès la rentrée scolaire de septembre. Une à deux journées de travail ont heu au sein de l’unité. Le travail de ces deux jours est essentiel, il pose les bases de la structure pédagogique, permet à chacun de reclarifier son rôle et ses responsabilités, pour une meilleure prise en charge des jeunes qui nous sont confiés. Un fascicule constituant un condensé des repères quotidiens est préalablement envoyé à chaque membre de l’équipe ainsi qu’aux divers personnels travaillant de manière ponctuelle dans l’unité. Pour les jeunes, il est tout aussi important de marquer symboliquement le démarrage de l’année. C’est pourquoi le conseil de la rentrée a lieu le premier lundi de septembre (lundi étant un jour clef dans cette unité : alternativement jour du conseil ou de la réunion des ceintures). Chacun y vient avec le fascicule qu’il a, comme les personnels, reçu précédemment et que nous reprenons oralement.

Lors du premier conseil de 1988, chacun s’est présenté et a fait le bilan de la période de vacances écoulées ainsi que le point sur la situation à venir. Nous sommes ensuite passés aux points et à la distribution provisoire des tâches ainsi que de certaines responsabilités. 11 fut alors proposé à chacun de réfléchir à l’élaboration de ses « ceintures ».

Un exemple de problème et de sa prise en charge pédagogique

Fin juillet 1988, le groupe ne compte plus que huit jeunes ; en septembre, il est à nouveau complet : quatorze. La difficulté naîtra donc en partie de sa restructuration relationnelle.

L’équipe gère assez sereinement les problèmes classiques liés à la constitution d’un nouveau groupe lorsque, fin octobre, elle constate d’autres problèmes plus aigus : tension importante, angoisse de certaines adolescentes. Certains, semble-t-il, supportent moins la vie collective mais, paradoxalement, désinvestissent l’organisation de la vie à l’extérieur de l’unité. Le journalier rapporte alors une série d’événements qui vont inquiéter l’équipe par leur multiplicité : les disputes entre filles ou entre filles et garçons deviennent fréquentes ; les vols d’objets personnels, ou la destruction, sont l’objet de discussions au conseil. Il est aussi question de « brossages » scolaires, de « saouleries » à Beauraing. Un garçon, le plus perturbé, fera même une fugue de deux jours.

Le 26, deux (anciens) aînés vont assez mal ; Marie court, crie, énerve tout le monde ; Jean, pour la deuxième fois de la semaine, casse la cruche du percolateur. L’éducateur présent ce jour-là est un ancien de l’équipe ; c’est à lui que Jean et Marie vont expliquer ce qui les préoccupe : une des nouvelles, Aline, treize ans, croit être enceinte car Pierre, au retour d’une « saoule-rie » avec les autres, est allé la retrouver dam sa chambre, en pleine nuit. L’éducateur apprend aussi que la soeur d’Aline avait eu des relations sexuelles avec Léon ; ce jour-la, d’ailleurs, il avait surpris une réunion « secrète » de tous les grands, hormis Jean et Marie. Deux des lois fondamentales avaient donc été transgressées : pas de relations sexuelles « institutionnelles », pas de violence (la troisième étant : pas de « parasitage » du collectif).

L’éducateur a une première discussion avec les deux garçons concernés. C’est l’angoisse par rapport à ce que cela va provoquer en terme de remise en question de leur projet au M 12, mais c’est aussi un soulagement devant ce problème qui les dépasse. D’ailleurs, la tension du groupe s’apaise complètement

Le lendemain, le directeur, l’assistante sociale et la chef-éducatrice décident d’une stratégie éducative :

  • pas de renvoi mécanique de la maison ;
  • nous informons les juges de la jeunesse concernés et nous demandons des réunions où seront convoqués le ou les parents, le jeune et nous-mêmes ;
  • le directeur programme d’autres réunions, dès le soir même. Dans un premier temps, nous recevons chaque jeune pour reparler de la loi et signifier que des décisions, autres que le renvoi, seront prises en réunion d’équipe et discutées en conseil ; toutefois, il est dit qu’une nouvelle transgression d’une des lois fondamentales entraînera illico le renvoi car il est important de rétablir des limites. Dans un second temps, l’assistance sociale est présente à la réunion, mais uniquement pour appliquer la décision du directeur : prendre rendez-vous avec parents e : juges - ceci afin de préserver son rôle ;
  • l’assistante sociale est également chargée de contacter une sexologue qui viendra faire une ou deux séances de travail avec les adolescents.

Lundi 31 : l’équipe propose plusieurs choses, cautionnées par la direction :

  • les ceintures sont suspendues pour certains ;
  • un déménagement des chambres séparera davantage celle des filles et celle des garçons ; la « chambre de garde » des éducateurs sera installée entre les deux. Un plan avec l’attribution des lits sera affiché ; le déménagement est prévu pour le mercredi ;
  • un conseil extraordinaire avec les plus de douze ans est programmé pour le lundi suivant (en fait il s’agit plus d’un temps de parole avec, comme base de discussion, les raisons de la loi sur l’interdit de la sexualité dans la maison et une analyse du problème de ce groupe à l’égard de la loi) ;
  • la référente des deux filles prendra rendez-vous chez une gynécologue, plus pour des explications sur l’anatomie et son fonctionnement que pour un examen physique puisqu’un rapport du test de grossesse et de la prise de sang révèle un résultat négatif ;
  • il est demandé à la psychologue de voir les plus jeunes afin qu’ils expriment ce qu’ils ont compris de la situation du groupe des grands et s’ils n’en souffrent pas ;
  • nous transmettons nos décisions aux juges et leur demandons de les communiquer aux jeunes lors des rendez-vous qu’ils nous avaient fixés d’urgence.

De ce fait le jour du conseil extraordinaire, chacun savait à quoi s’en tenir. D’ailleurs, on peut considérer que cette réunion a clos une première phase de l’analyse, permettant symboliquement un « nouveau départ ». La plupart des jeunes purent y prendre la parole, il est évident que, plus tard, des incidents eurent encore un lien avec cette histoire. Les problèmes ne manquent pas ! Mais cet incident avait pu être discuté en conseil et géré sainement par le dispositif, les instances et les structures pédagogiques.

C’est à travers un fonctionnement intégrant étroitement adultes et jeunes que se mettront en place les repérages essentiels à la vie et à l’existence de la collectivité (9).


Notes

(1) Cf. « La pédagogie institutionelle des groupes d’éducation thérapeutique », in OURY F., VASQUEZ A. (1971), « De la classe coopérative à la pédaggie institutionnelle » - POCHET C. OURY F., OURY J., (1986), Miloud, ou l’année dernière j’étais mort. Matrice.

(2) L’expérience belge et la pédagogie des réseaux institutionnels sont illustrées par deux livres : l’un du Grapi (Groupe de recherche et d’action en pédagogie institutionnelle), l’autre de l’Arespi (Association pour un réseau des pratiques de l’institutionnel)

(3) PAIN J. (1981). Pédagogie institutionnelle et formation, Micropolis - PAIN J. (1987), « L’intervention institutionnelle ». Traces de Faires, n° 3, Matrice - PAIN J. (1993), La pédagogie institutionnelle d’intervention. Matrice.

(4) MAZETP. (1979), « Ils ne sont pas nés délinquants ». Autrement, novembre 1979.

(5) HELLBRUNN R., PAIN J. (1986), Intégrer la violence. Matrice.

(6) OURY F., POCHET C. (1979), Qui c’est l’conseil ?, Maspero.

(7) Fondée il y a quinze ans, l’école de La Neuville (Seine-et-Marne) a été suivie par Françoise DOLTO et Fernand OURY. Deux cassettes vidéo sont disponibles aux éditions Matrice : L’Ecole de La Neuville et Le Journal scolaire.

(8) WALLON H.. « Psychologie et éducation de l’enfance. Buis et méthodologie de la psychologie ». Enfance, numéro spécial. 1959-1963 ; - BANDURA A. (1980), L’Apprentissage social. Mardaga.

(9)OURYJ. (1986). Le Collectif, Scarabée.


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