Considérations sur la crise

lundi 9 août 2010

Cette crise n’est pas une nouvelle crise financière ou économique banale, c’est LA crise anthropologique du capitalisme dont Castoriadis avait évoqué l’arrivée imminente à de nombreuses reprises depuis le début des années 80. Les remèdes de cheval administrés à l’économie par tous les Etats (avec notre pognon et sans notre accord), pour sauvegarder le système, ne résoudront rien. Les têtes à claques infantiles et irresponsables qui nous « gouvernent », et s’en mettent plein les poches, sont entièrement responsables de ce qui se passe actuellement. Ce sont elles qui ont imposées dérégulations, délocalisations, privatisations, financiarisation, désindustrialisation, individualisation et précarisation généralisée. Elles ont par là détruit toute possibilité d’oppositions internes et collectives à un système économique irrationnel. Les mêmes imbéciles, tarés et monstrueusement cupides, restant au pouvoir, il ne pourra y avoir « moralisation » du capitalisme malgré leurs discours d’arracheurs de dents ; les mêmes causes produiront les mêmes effets (l’abruti arriviste Coppé : « Malgré la crise, nous continuerons nos réformes. » !!). Autrement dit, ces sales gamins égoïstes qui jouent avec la planète et la vie des gens mériteraient une bonne fessée, mais il n’y a plus personne pour leur administrer et pour les priver de leurs joujoux... Les temps qui viennent vont être chaotiques et barbares, les mauvaises nouvelles, écologiques et économiques, vont tomber en avalanches, et le réveil va être douloureux pour les populations occidentales qui ont encore été préservées quelque peu jusqu’à présent. Elles ne semblent plus, hélas, pouvoir ou vouloir prendre en main leur destinée. »

La faiblesse des réactions collectives (la modernité nous a rendue incapables en Occident, et bientôt partout ailleurs, de nous constituer en « peuples » conscients de leurs responsabilités et ennemis des privilèges) est évidemment ce qui peut arriver de pire pour que l’économie « capitaliste » continue de ravager tranquillement la planète ad vitam aeternam (ses contradictions insurmontables arriveront d’autant plus vite). Mais cela ne peut nous réjouir bien sûr, il y a bien trop de souffrances et de déstructurations humaines, trop de destructions irréversibles de la biosphère à la clef dans cette attente...

Un nouveau keynésianisme, une répartition équitable des richesses pour que les gens puissent continuer à consommer toutes ces merveilleuses marchandises modernes serait la solution la plus rationnelle pour le système, mais plus personne « en haut » ne peut ou ne veut plus lui imposer de telles contraintes et régulations, d’ailleurs cela ne ferait que retarder certaines échéances catastrophiques. Je pense, comme Castoriadis, qu’il y a bien une « logique » totalitaire de l’économie « capitaliste », la logique du profit, mais qu’il y a aussi des individus pour la favoriser, choix et intérêts bien compris, l’oligarchie, et d’autres qui peuvent ou qui pourraient s’y opposer. Plus ces derniers feront cela en toute conscience, essayant de réaliser des projets sociaux et économiques respectueux de chacun et de la Nature, plus ils auront de chance de mettre un terme à la fuite en avant morbide actuelle.

En l’absence de grands mouvements sociaux portant de tels projets, on peut comprendre la volonté de certains opposants au système de créer des petites communautés démocratiques et conviviales, autarciques dans la mesure du possible. « L’exemplarité » de ces tentatives pour sortir du système n’a pas l’air, pour le moment, d’inciter grand-monde à la désertion de la société de consommation (c’est la multiplication partout de celles-ci qui pourraient avoir une signification profonde dans ce sens...). Il est vrai que ce qu’elles ont à proposer aux foules atomisées du monde moderne n’est pas très séduisant pour les hommes d’aujourd’hui : efforts personnels, persévérance, responsabilité, frugalité choisie, travaux collectifs, coopération, bienveillance, indulgence, politesse, civilité (ce sont les petits conflits caractériels et les petites divergences idéologiques qui sont le plus dur à « gérer » dans ces communautés de gens très conscients et très instruits où le quant-à-soi individuel très élevé mène souvent à des incompréhensions ou des rivalités insurmontables... suivez mon regard...). C’est bien là le problème de tous les « révolutionnaires » aujourd’hui ; nous n’avons rien de bien « séduisant », en regard des conforts incroyables, des commodités sans nombre, et des divertissements magiques qu’offre la société moderne, à proposer comme mode de vie très désirable sinon, peut-être, des rapports sociaux plus égaux, plus justes, de plus grandes chances de se réaliser individuellement, et des relations sociales (qui sait ?) plus riches..."

R. Juin 2010


TITANIC AMER

Aujourd’hui toutes les sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production sont comme abasourdies par une fantastique accumulation d’absurdités criantes. Nous sommes entrés dans une période de régression sociale et historique ubuesque, et il faudrait être inconscient ou malhonnête pour s’en réjouir.

La liberté despotique des mouvements de capitaux détruit des secteurs entiers de la production et l’économie mondiale s’est transformée en casino planétaire. La règle d’or du capitalisme a toujours été, dès la première moitié du XIXe siècle, la minimisation des coûts pour un maximum de profits, ce qui impliquait logiquement les salaires les plus bas pour une productivité la plus haute possible. Ce sont des luttes politiques et sociales qui ont contrecarré cette tendance, en imposant des augmentations de salaires et des réductions de la durée du travail, ce qui a créé des marchés intérieurs énormes et évité ainsi au système d’être noyé dans sa propre production. Le capitalisme ne conduit pas spontanément vers un équilibre, mais plutôt vers une alternance de phases d’expansion — la fameuse expansion économique — et de contraction — les non moins fameuses crises économiques. Les nouvelles politiques d’interventions de l’Etat dans l’économie, dès 1933 aux Etats-Unis, pour une meilleure répartition du produit social, ont été rageusement combattues par l’establishment capitaliste, bancaire et académique. Pendant longtemps les patrons ont proclamé qu’on ne pouvait pas augmenter les salaires et réduire le temps de travail sans entraîner la faillite de leur entreprise et celle de la société tout entière ; et ils ont toujours trouvé des économistes pour leur donner raison. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’augmentations des salaires et régulation étatique ont été acceptées par le patronat, ce qui a entraîné la phase la plus longue d’expansion capitaliste : les « Trente Glorieuses ».

Dès les années 1980, cet équilibre entre le capital et le travail a été détruit par une offensive néo-libérale (Thatcher, Reagan) qui s’est étendue à toute la planète. Cette contre-révolution réactionnaire a permis un retour insensé au « libéralisme » sauvage, qui a profité aux grandes firmes de l’industrie et de la finance. Par ailleurs, la monstruosité devenue évidente des régimes soi-disant socialistes et réellement totalitaires (ce n’était pas la dictature du prolétariat, mais la dictature sur le prolétariat…) a discrédité pour longtemps l’idée même d’émancipation sociale. L’imaginaire capitaliste a triomphé.

A tremper sans vergogne dans les eaux glacées du calcul égoïste, les décideurs ont perdu toute lucidité. Ils ont ainsi éliminé les quelques garde-fous que 150 ans de luttes avaient réussi à leur imposer. Les firmes transnationales, la spéculation financière et même les mafias au sens strict du terme mettent à sac la planète sans aucune retenue. Ici il faudrait accepter de se serrer la ceinture pour être concurrentiels. Les élites dirigeantes se goinfrent de manière décomplexée, en expliquant doctement à la population médusée qu’elle vit au-dessus de ses moyens. Aucune « flexibilité » du travail dans nos vieux pays industrialisés ne pourra résister à la concurrence de la main-d’œuvre « à bas coût » (comme ils disent) de pays qui contiennent un réservoir inépuisable de force de travail. Des centaines de millions de pauvres sont mobilisés brutalement dans un processus d’industrialisation forcenée. Et là-bas comme ici, ce sont des hommes que l’on traite comme quantité négligeable, c’est notre Terre patrie et ses habitants que l’on épuise toujours plus.

Toujours plus, toujours plus … mais toujours plus de quoi ? Plus d’intelligence et de sensibilité dans nos rapports sociaux ? Plus de beauté dans nos vies ? Non. Le superflu prolifère, alors que le miminum vital n’est même pas toujours là, et que l’essentiel manque. Plus de téléviseurs extra-plats, plus d’ordinateurs individuels, plus de téléphones portables. C’est avec des hochets qu’on mène les hommes. « Nulle part il n’existe d’adulte, maître de sa vie, et la jeunesse, le changement de ce qui existe, n’est aucunement la propriété de ces hommes qui sont maintenant jeunes, mais celle du système économique, le dynamisme du capitalisme. Ce sont des choses qui règnent et qui sont jeunes ; qui se chassent et se remplacent elles-mêmes. », écrivait déjà Guy DEBORD en 1967 dans La Société du spectacle.

Du pain et des jeux est la nouvelle religion dans tout l’empire techno-marchand, dont nous vivons peut-être bien le début de la fin.

De belles âmes prônent ici et là l’adoption d’un développement durable, plus doux pour les humains et leur environnement ; on ralentirait les processus dévastateurs, on consommerait moins de combustibles fossiles, on ferait des économies, etc.

C’est un peu comme si l’on conseillait au commandant du Titanic de simplement réduire la vitesse de son vaisseau pour éviter l’iceberg naufrageur, au lieu de lui faire changer de cap.

Le dessinateur Gébé était peut-être plus réaliste quand il écrivait dans L’An 01, au début des années 1970, cette formule provocante :

« On arrête tout. On réfléchit. Et c’est pas triste. »

Un tel propos peut sembler dérisoire, pour ne pas dire révolutionnaire.

Mais tout le reste, toute cette réalité qui se morcèle sous nos yeux , n’est-ce pas plus dérisoire encore ? 

Nous avons à perdre quelques chaînes.

Et nous avons un monde plus libre à reconstruire.

Pourquoi pas ?

Un incorrigible rêveur (Paris, le 1er mai 2010)

onreflechit yahoo.fr

Pour déchiffrer l’actualité économique, le blog de Paul Jorion est irremplaçable : www.pauljorion.com Pour une réflexion plus générale sur ce monde étrange où nous vivons, lire La « rationalité » du capitalisme (dont ce tract est très librement inspiré), de Cornélius CASTORIADIS, disponible en poche dans Figures du pensable (1999).


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