Pour un pôle action - réflexion sur l’université de St Denis

suivi de : D’une lutte à l’autre
vendredi 14 septembre 2007
par  administrator

Une déclaration fondatrice, suivi d’un bilan quelques mois plus tard. Fragments d’expériences pour qui voudrait ne pas repartir de zéro.

Une nouvelle époque semble s’ouvrir, caractérisée par le sentiment maintenant généralisé que plus rien ne paraît faire obstacle à une mise à sac programmée de la société par les puissants. Et il manque même le terrain d’expression d’une telle alarme. Les partis et syndicats sont complètement intégrés aux mécanismes institutionnels classiques. Ils ne peuvent qu’agir et parler dans la perspective des prochaines échéances électorales : les « mouvements sociaux » n’ont eu jusqu’ici comme seuls débouchés politiques que le retour aux affaires d’une gauche dont la décomposition aujourd’hui aveuglante plonge ses racines dans l’histoire du XXième siècle. Le basculement ressenti n’est pas tant du, alors, à la puissance des dispositifs d’asservissement qu’à l’absence totale de forces crédible pour leur faire face. Les quelques réactions collectives échappant à ces carcans sont isolées et impuissantes face à la terreur sourde qui règle les comportements : car plus la situation s’aggrave, plus la population demande à l’oligarchie régnante de s’en occuper afin de garantir le cadre de notre société de consommation. La simple vie sociale continue alors d’être pulvérisée par le repli sur soi, le cloisonnement généralisé et la fuite dans le divertissement. Dorénavant, c’est la peur qui structure tous les rapports sociaux et qui constitue le handicap majeur pour la création d’une véritable volonté populaire porteuse de projets politiques.

Nous sommes pourtant bien plus nombreux que nous ne le pensons habituellement à vouloir « faire quelque chose », à être partisans d’une démocratie réelle, directe, radicale, qui s’oppose à la représentation électorale comme aux logiques bureaucratique et hiérarchiques qui aliènent la quasi-totalité des organisations politiques existantes. Nous voulons une autogestion généralisée de tous les secteurs de la société, l’élaboration collective des règles communes, et non que des cliques et des clans décident à notre place quoi penser, quoi apprendre, quoi faire, quoi produire ou quoi consommer. Nous voulons l’autonomie pour la société comme pour l’individu, que chacun puisse lucidement décider des choix de son existence en participant activement à la vie sociale, politique et culturelle. Certains se déclarent altermondialistes, anarchistes ou syndicalistes, ou bien se réclament du communisme, de l’autonomie ou du conseillisme, d’autres se disent gauchistes, situationnistes ou autogestionnaires ; le plus grand nombre ne se retrouve dans aucune catégorie ni idéologie, par principe ou par expérience, ni dans aucun collectif organisé. Nous voulons travailler à l’élaboration collective de l’intelligence de la situation. Nous avons besoin de nous trouver et de nous retrouver, non pour le seul plaisir d’être et de faire ensemble ou pour enrichir nos pratiques et nos analyses, mais parce qu’il nous faut être à la hauteur de la montée en puissance des phénomènes visibles ou pervers de domination, d’aliénation, d’assujettissement, de contrôle et de répression qui se déploient actuellement. Quoi que nous fassions, aussi précieux cela peut-il être, nous sommes dans l’état actuel condamné à l’échec perpétuel si nous sommes incapables à la fois de l’approfondir et de l’étendre.

Dans et autour de l’université, nous nous regroupons dans divers collectifs, plus ou moins formels, plus ou moins durables pour échanger, apprendre, élaborer de nouvelles façons de penser et d’agir. Nous sommes étudiants ou non, constitués ou non en collectifs, et nous agissons, ici, dispersés. Nous avons participé à la lutte contre l’extradition d’Angelo d’Arcangeli et à l’occupation des sans-papiers de décembre. Nous tenons des tables de presse pour écrire, éditer et diffuser des textes théoriques et pratiques. Nous appelons à des projections-débats régulières et proposons des réunions thématiques, ou des manifestations diverses. Nous avons convoqués une assemblée générale régulière immédiatement après l’élection de N.Sarkozy, où des dizaines de personnes ont exprimé le besoin de prendre la mesure des temps présents en s’organisant, selon des modalités qui restent à décider ensemble, ici. Car l’université de St Denis est riche de sa situation exceptionnelle : elle est issue d’un passé gauchiste (l’expérience Vincennoise) dont il reste un héritage ambivalent ; elle forme à des enseignements qui peuvent permettre des approches politiques nouvelles ; elle est au coeur d’une banlieue où se retrouvent les populations immigrées, paupérisées et populaires, et d’une ville où les initiatives ne manquent pas ; elle est située à la croisée de quartiers sensibles, de lycées généraux et professionnels, d’entreprises privées ou municipales, face à une gare routière où transitent des milliers d’étudiants, lycéens, précaires de tous âges et de tous horizons. Tout est à faire : créer des solidarités concrètes, mener des enquêtes ouvrières, sortir un journal ou dégager de nouvelles pistes d’action collectives, ... Ce qui vivra durablement sera autant de bases solides indispensables pour faire pièces aux pouvoirs en place, gouvernementaux, syndicaux ou universitaires, lors de mobilisations nationales, où, pour l’instant nous ne jouons qu’un rôle insignifiant.

L’existence de collectifs articulés entre eux, la tenue d’assemblées générales régulières et la constitution de groupes de travail, où toute parole puisse être entendue, discutée, reprise par tous, peut être un moyen pratique par lequel chacun reprend possession de la réalité et puise le courage de l’affronter. Car te terreau sur lequel prospère le nihilisme fascisant qui s’étend aujourd’hui est un état de détresse générale : Parvenir à s’exprimer, à délibérer, à décider et à agir ensemble est devenu une prouesse rare : s’éduquer mutuellement et patiemment en ce sens doit devenir le centre cardinal de toute activité. L’émiettement des individus, des idées et des actes est d’une telle ampleur que les expériences où la société se retrouve elle-même dans sa diversité deviennent à la fois très précieuses, très difficiles et fugaces. Ce n’est certainement pas le nombre qui importe, ni le temps qui manque ; ce qui est requis, ce sont des volontés d’émancipation individuelles et collectives, qui n’aient peur ni de leurs faiblesses ni, par dessus tout, de leurs propres forces. Car la puissance libérée par une réunion de personne travaillant de concorde, assumant leurs conflits et visant la liberté pour tous est un des plus impressionnant levier de l’histoire. Il est possible que de tels oasis s’insinuent dans le désert actuel et perdurent, s’affrontant perpétuellement aux manipulations, à la bêtise et à la sclérose. La réussite ou l’échec dans l’exercice de l’égalité n’est évidemment jamais garanti par rien ni par personne : seule la peur de pénétrer dans des terres inconnues peut empêcher quiconque de prendre ses responsabilités d’homme ou de femme libre.

Pôle d’Action et de Réflexion, St Denis, septembre 2007 (Polear no-log.org)


D’une lutte à l’autre...

Eléments d’analyse et de bilan d’une implication collective dans une lutte désespérée

D'une lutte à l'autre
D’une lutte à l’autre
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« La pensée attend qu’un jour le souvenir de ce qui a été manqué vienne la tirer du sommeil et la transforme en leçon philosophique. »

T. W. Adorno, Minima moralia

Ce texte vise à tirer leçons de l’implication du « Comité d’action de Paris 8 » dans l’occupation de la faculté de St Denis-Paris 8 par des collectifs de sans-papiers (CSP93, Montreuil, SP Kabyle et 77) du lundi 18 au vendredi 22 décembre 2006 au soir (date de l’expulsion). Il s’adresse donc en premier lieu aux personnes ayant participé à la vie de ce comité mais également à ceux qui ont approchés de près ou de loin cette occupation. Mais le retour sur une expérience vécue, aussi singulière soit-elle, a toujours des résonances, souvent étonnantes, sur d’autres terrains : si la lecture de ce texte peut contribuer un tant soit peu à que les luttes qui se succèdent depuis près de trente ans ne bégayent interminablement les mêmes erreurs (qui passent, non moins interminablement, pour un défaut de volontarisme) alors sa rédaction aura, en plus, été utile à d’autres .

1 - Constitution du collectif. Comme l’an dernier déjà, une table de presse fut tenue à la rentrée 2006 par deux personnes, et devint progressivement un repaire pour les « radicaux », alors dispersés. A la mi-novembre, une réunion s’organisa pour que ces différentes personnes interrogent le MAS ; Mouvement Autonome de St Denis, collectif étudiant autogestionnaire issu des mobilisations anti-CPE de février-mars ayant obtenu des sièges aux élections étudiantes en réaction au monopole de l’UNEF dans les instances universitaires. La rencontre entre ces politisés récents et des individus proches de différents courants (autonome, libertaire, communiste,...), organisés (SUD, CGT, AL, CNT-AIT...) ou non, rassembla une vingtaine de personnes. L’assemblée se déclara alors « comité de lutte » local, principalement à l’occasion de la présence d’Angelo D’Arcangeli, étudiant du nouveau Parti Communiste Italien (maoïste) sous menace d’extradition. Cette première campagne (tour d’amphi, table de presse, démarches auprès de l’administration, rassemblements, concert, ...) fut rapidement source de conflits : notre disponibilité (réunions hebdomadaires) et nos effectifs (un « noyau dur » d’une demi-douzaine de personnes), nous condamnaient à ne jouer qu’un simple rôle de soutien local face à la « machine Angelo » qui, en bon militant professionnel, gérait la mobilisation en permanence et à une échelle régionale. D’autres luttes furent alors envisagées comme la cause des étudiants sans domicile qui dorment dans la fac ou celle des étudiants sans papiers.

2 - Mobilisation autour du collectif sans-papiers. Début décembre (le 8), une réunion permit de prendre acte de ce déséquilibre tandis qu’y participait les leaders d’un collectif de sans-papiers (CSP93) venant d’être expulsés de l’ancienne piscine de St Denis qu’ils occupaient. La question de la répression semblait être commune à leur cause (plutôt axée sur « l’immigration ») et à celle d’Angelo, qui proposa une occupation des locaux de l’université. Mais les échanges furent interrompus par un appel signalant une rafle en cours à Paris qui provoqua le départ de la majorité des participants. La semaine suivante (le 12) les discussions avec les « collectifs sans-papiers » furent moins évidentes : qu’il s’agisse de la date retenue pour une occupation (quelques jours avant les vacances de Noël), de leur optimisme tant sur la mobilisation des étudiants (sans-papiers ou non) que sur celle des soutiens extérieurs, de leur incapacité à s’ouvrir à des revendications plus larges correspondant aux spécificités du lieu, leurs discours à la fois enthousiastes et misérabilistes alliés à une improvisation totale semblaient très éloignés des principes que le comité de lutte commençait à formuler. Mais leur détermination, un accord de forme sur un élargissement des revendications autour de la problématique de la répression et surtout la perspective d’une mobilisation importante - une occupation qui plus est... - emporta inégalement notre assentiment. Une commission mixte se réunit pour rédiger les revendications sous forme de tract destiné à la diffusion lors de l’installation in situ, le lundi suivant.

3 - L’occupation. A partir de l’investissement des lieux, le18 décembre, notre implication fut très inégale, dispersée et réduite à des décisions individuelles, certains regardant de loin, d’autres devenant des soutiens centraux. La cause D’Angelo - grand absent malgré son concert de soutien à quelques mètres de là le19 - paraissait totalement abandonné, mais celle des sans-papiers ne fut pas pour autant massivement investi ; peu de comitards occupaient effectivement. Dès le deuxième jour, les caractéristiques escomptées du mouvement se concrétisèrent pour tous : le misérabilisme devenait victimisation (Cf. « Eléments d’analyse ») ; les soutiens, sans enthousiasme, s’engageaient peu ou pas du tout (Cf. « Au nom du père ») ; les mots d’ordre se réduisaient à un strict corporatisme ; les craintes d’une évacuation rapide se faisaient certitudes tandis que le leadership se transformait en Bureau Politique (sic) (Cf. « Les AGs : pouvoirs et bureaucratie »), épaulé par les organisations syndicales habituelles (UNEF, SUD), et négociant en catimini et dans le désordre le plus complet (Cf. « Du point de vue de l’administration »). Mais les contacts entre nous restèrent ponctuels et aléatoires, et aucune action collective ne fut menée à terme : une tentative de réunion avorta le19, un essai de tract à destination des occupants et soutiens également, le 20. Pourtant durant les trois derniers jours, le comité - présent à chaque AG, quotidienne - investi tacitement l’aile gauche de l’amphithéâtre réquisitionné, où se regroupèrent peu à peu, par affinités, opposants et radicaux, et d’où provenait essentiellement propositions alternatives, diagnostics, dénonciations et invectives (un membre du comité, à l’inverse, se révéla apprenti-oligarque). La dernière soirée fut la seule occasion où les membres du comité présents et d’autres opposants tentèrent une réunion « stratégique », qui ne déboucha finalement sur rien, face à l’évacuation imminente, qui ne rencontra qu’une résistance conventionnelle.

*****

1 - L’attitude du comité. Notre discrétion pendant cette mobilisation semble découler de certaine des caractéristiques propres à notre comité. Il est essentiellement un rassemblement local et affinitaire d’étudiants d’extrême-(ou ultra-) gauches anti-bureaucratiques et libertaires et rencontre les difficultés propres aux collectifs récents, informels, aux délimitations floues, sans leadership influent, qui refusent de tomber dans des schéma d’organisation rigides : car n’étant pas un groupe véritablement constitué aux principes et objectifs clairement formulés, nos positions sont incertaines. L’absence de positions tranchées susceptibles d’avoir un impact conséquent sur les événements a fait cruellement défaut, notamment lors des premières rencontres avec les collectifs de sans-papiers. Ensuite, dès la réunion inaugurale, les oppositions traditionnelles ont été mises en sourdines (notamment par la présence du M.A.S, c’est-à-dire de ses contradictions ouvertes notamment entre un projet autogestionnaire et une participation pleine des élus aux organes administratifs) au profit d’une mise à l’épreuve des clivages au travers d’actions communes. Ce choix pragmatique et lucide s’est apparemment dissout dans une fuite en avant activiste où chacun est renvoyé à sa propre appréciation des choses : le déroulement de l’occupation étant largement contesté, l’activisme s’est renversé généralement en résistance passive sans plus de confrontations internes. Enfin, la dynamique qui nous anime depuis la création du comité semble être construite sur une posture de soutien à des causes extérieures, sinon convenues, du moins balisées (Angelo, étudiants sans-logis, sans-papiers), et de surcroît peu discutées quant au fond, bien plus qu’une mise en forme de revendications singulières qui soient propres à chacun d’entre nous ; la participation à la lutte passe alors soit par l’attachement personnel à la cause défendue, soit par l’intérêt pour le mouvement même de la lutte prise en tant qu’expérience politique.

2 - L’implication équivoque du comité. Les comportements qui, de fait, découlent de ces attitudes, jouent un rôle dans l’ensemble qu’a formé la collectivité mobilisée durant ces cinq jours. Nous avons d’abord été la simple porte d’entrée aux CSSP93, accompagnant un corporatisme (au détriment de la spécificité d’un lieu) qui concède quelques revendications-appeaux (« lutte contre la répression »). Mais nous avons surtout créé une situation difficile : les sans-papiers se réclamaient, pour légitimer leur présence, du soutien du comité, qui, si il était peu visible jusque là, devint sur le coup complètement invisible. Les mots d’ordre à la base de l’action commune volèrent donc en éclat et le vide fut facilement comblé par la démagogie et l’opportunisme professoral, politicien ou syndical. Ceux-ci vinrent rajouter, par leurs multiples jeux de pouvoirs, un peu plus de paranoïa et de confusion, particulièrement après des dégradations anonymes perpétrés sur le local de l’UNEF (que l’on peut facilement expliquer comme une compensation face à l’inexistence de force(s) capables de faire pièce aux tendances et aux manoeuvres oligarchiques). La posture « oppositionnelle » qu’adoptèrent rapidement, principalement en AG, la plupart des comitards - qui persévéraient encore - et leurs « compagnons de route », ne fut, semble-t-il, que rarement perçue comme une position assumée sur laquelle s’appuyer, mais plutôt comme la marque agitée et polémique d’une participation aux « échanges » et renforçant très souvent l’adhésion aux pouvoirs « démocratiques » qui étaient dénoncés, du moins jusqu’à l’épreuve de réalité finale. Mais en restant dans notre rôle jusqu’à l’expulsion, annoncée de longue date, (et alors même qu’un collectif de sans-papiers se désolidarisait du mouvement le soir même) nous avons, de fait, accrédité l’occupation, au point qu’une récidive de la part des mêmes collectifs n’est pas improbable.

3 - Les possibilités d’actions. Sans faire rétrospectivement du comité ce qu’il n’est pas - une organisation structurée - il reste possible de pointer les marges de manoeuvres qui existaient en situation, et que nous ne faisons qu’exploiter actuellement hors situation. Le contexte extra-ordinaire d’une mobilisation (a fortiori une occupation) fait souvent se briser les routines habituelles, mais il est paradoxal qu’un comité de lutte se dissolve à cette occasion, atomisant ses protagonistes... Des réunions aussi fréquentes que l’exige la situation auraient permis de recouper systématiquement les informations, de confronter les analyses et de mettre au point une conduite à tenir. Le travail menée dans cette brochure (une - ou plusieurs - analyse claire de la situation et de ses enjeux, une chronologie des faits, une position publique quant à l’implication du comité), énoncé de l’intérieur de l’occupation et rendu public auprès des occupants et soutiens pouvait, certainement, rendre visible à tous l’engrenage absurde dans lequel le mouvement s’était fait prendre, pointer et dissiper (au moins ne pas nourrir) la paranoïa qui s’installait, contraindre chacun à se positionner clairement et rallier potentiellement les vagues « opposants ». Quels qu’auraient été les décisions prises, élaborées collectivement et une fois rendues publique, elles auraient brisées le discours officiels que renforçaient jusqu’alors les oppositions spasmodique et les désertions muettes. Une fois provoquée une crise - telle que celle vécue lors de la dernière AG du fait de l’imminence de l’expulsion et du « retournement » subit de la tribune - peut-être aurait-il été possible qu’émergent d’autres paroles - notamment celle, symptomatiquement manquante, des sans-papiers en grève de la faim

***

1 - Rêve du bon collectif. En réalité, la question ne se posait pas en terme de choix d’action, mais de présence assumée ou non au sein d’une mobilisation embourbée dans sa propre situation. Elle dépasse de loin le cas évoqué ici puisque les « radicaux » (ou plutôt l’extrême-gauche non-trotskyste) se trouvent rarement en prise avec une lutte dont ils partagent les principes cardinaux. Mais surtout, la résurgence quasi-systématique d’une confiscation du pouvoir collectif par une clique quelconque est un fait omniprésent – et sans cesse évacué, sinon pour nourrir la démission. L’attitude alors se borne le plus souvent aux comportements décrits ; opposition agitée et à courte vue ou désertion silencieuse, qui sont à la fois narcissiques et stériles et découlent de trois présupposés erronés qui affleurent fréquemment dans les discours. Le premier serait qu’une lutte doit être ou soutenue ou abandonnée, le second qu’un collectif en lutte ne peut supporter de contradictions trop fortes au risque d’une dislocation (provoquée ou non par des saboteurs infiltrés), le troisième serait que « le » pouvoir est intrinsèquement mauvais et son renversement nécessiterait un contre-pouvoir, donc une reproduction pure et simple des mécanismes dénoncés. Les trois renvoient évidemment à une conception particulière de l’activité politique, du pouvoir, et du collectif.

2 - Activité politique en recherche. A moins de ne considérer que seules les masses manquent pour un changement social et politique effectif, celle-ci ne peut se concevoir comme déjà donnée. Si elle ne veut être ni un accompagnement de lobbies de toutes sortes, ni énonciation dogmatique de conduites impossibles à tenir, ni éternel rite de passage pour citoyen rangé, il lui reste à préciser ce qu’elle vise. Elle peut, ou plutôt elle pourrait, être une activité visant l’auto-nomie, c’est-à-dire la constitution permanente de ses propres règles de faire et de penser, l’élucidation constante de ses valeurs, discours et fonctionnements, l’interrogation illimitée quant à ses propres fondements : activité qui ne considère aucun terrain comme acquis, y compris, et surtout, elle-même, qui se révèle constamment à elle-même. Les travaux menés ici méritaient de n’être ni des bilans ni des analyses a posteriori, mais des interventions in vivo, renvoyant aux collectifs en actions non pas des vérités ou des jugements, mais des éléments de compréhensions d’eux-mêmes – et par le dialogue s’instaurant, de nous-mêmes. Cette lutte pouvait être soutenue ou abandonnée, et elle fut les deux à la fois : elle aurait aussi pu être élucidée pratiquement quand à son histoire, son fonctionnement, ses visées effectives ou son imaginaire propre. Poser de telles contradictions pouvait faire craindre la dissolution de la mobilisation, mais ce fut, sans surprise, la dénégation de tels problèmes soustrait aux débats publiques qui fit du groupe la proie facile des leaders arrivistes, des paranoïaques prosélytes, des flics consciencieux et, surtout, du temps qui passe. La constitution d’un tel groupe de travail à l’intérieur d’une mobilisation peut être la constitution d’un pouvoir en compétition pour la direction du mouvement, et tout tend effectivement à ce qu’il en soit ainsi – ses ressorts internes en premier lieu. Mais il peut aussi être, momentanément, ce point fixe qui permet collectivement de pointer les fantasmes en circulation, d’éventer les procédés manipulatoires, de nourrir des dispositifs à mêmes de rendre à la parole sa place et sa profondeur, et, finalement, de refuser à quiconque d’occuper la place d’une autorité extérieure a l’assemblée réunie, délibérante et critiquable.

3 - Un comité de lutte ou un comité en lutte ? Notre existence en tant que comité, les rencontres que nous avons provoquées, les actions que nous avons pu mener, les réflexions avons pu susciter et l’intelligence que nous voulons mettre en branle pour éduquer et nous éduquer sont rares et précieuses. Mais jusqu’à maintenant nous semblons nous être plutôt inscrit dans la continuité d’un militantisme radical courageux mais largement héritier d’un gauchisme sans cesse renaissant, accompagnant des luttes locales pour en être immédiatement dépossédée, refusant de s’y crisper mais se réfugiant dans un rôle convenu. Ces pages sont les témoins que nous semblons quitter apparemment le terrain de l’activisme mais celui de l’intellectualisme ne nous guette qu’a la condition que nous manquions ce qui n’est ni juste milieu ni alternance répétée ; une praxis, qui ne peut être qu’activité autonome en notre propre sein, capacité de critique, d’analyse et d’institution. Nos errements et oscillations témoignent de notre réserve à simplement soutenir des luttes sans porter l’autonomie, que nous voulons nourrir en nous-mêmes et sur le terrain de luttes, faites nôtres autant que faire se peut. La différence est de taille : c’est celle qui existe entre un militantisme routinier tel qu’il a été pratiqué depuis une trentaine d’année ne dessinant d’autres perspectives qu’une éternelle agitation auto-satisfaite alimentant une domination qui semble reproductible à l’infini, et une activité individuelle et collective qui reste encore à faire –à inventer à chaque fois – et qui cherche à défricher des terrains de lutte, des formes d’interventions et des bases d’analyse qui ne visent pas l’action radicale pour elle-même, mais la constitution, dans une société de l’insignifiance, de discours et d’actes sensés – susceptibles de faire sens, pour chacun et pour tous.

St Denis, janvier 2007


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